Morjana, horsaine présumée. Quête : trouver un foyer stable. Symboles : rejet, papillon de nuit
L'instant d'avant, Morjana était prête à sacrifier son fils, le croyant perdue. Quelle ne fut pas sa surprise quand l'épine venimeuse, au lieu de le tuer, a précipité sa transformation en papillon de nuit. Morjana était tellement soulagée ! D'une, elle avait le sentiment d'avoir obtenu la protection de Vouivre pour rien, de deux Alekov son enfant était vivant et elle n'était donc pas une meurtrière, de trois Alekov pourrait sûrement survivre sans lait sous cette nouvelle forme : il trouverait lui-même sa nourriture (laquelle ?) dans l'environnement. Que le papillon de nuit évoque confusément pour elle une forme maléfique ne l'avait finalement pas effleuré.
Et quand la détonation résonne, l'ascenseur émotionnel s'écroule d'une masse. Voilà qu'Alekov pourrait être à nouveau perdu !
Est-ce la balle de Boris qui l'a atteint ? Rien n'est moins sûr. Car au moins une autre personne a tiré un coup de fusil. Cette personne, c'est Vladislav, le sotnik de Prypiat, le chef de la ville, gaillard costaud au visage mangé par sa moustache, paysan opiniâtre et aussi père de famille à la poigne dure, et enfin mari de Yulia.
Alors que le canon de son fusil est encore fumant, il gueule : "Ecartez-vous de ma demeure ! Va-t-en Morjana, sorcière mutant, disparais de ma vue à jamais !"
Morjana s'empare du corps de l'enfant-papillon aux ailes froissées, dégoulinant d'hémolymphe, et elle court vers la forêt aux murmures. Qui l'aime la suive.
Elle court alors que la forêt lui chuchote exactement ce qu'elle ne veut pas entendre : "Infanticide - Catin - Fille perdue - Monstre" à travers le bruissement des feuilles et du vent.
Mais ce n'est qu'un détour pour revenir à Prypiat en cachette à la tombée de la nuit, émerger des arbres alors que le soleil se couche derrière les grands immeubles soviétiques mornes et bouffés par la ruine et la végétation.
Son enfant respire à peine. Elle est sous la statue géante de Triglav, le dieu aux trois silhouettes fusionnées : Karlmar, Len et Jossipstal.
Elle écarte les buissons de cornouillier au pied de la statue, révélant une porte rouillée. Elle sait que derrière se trouve le bidon sacré de rad, essence divine de Triglav réputée redonner vie et forme à qui sont en train de les perdre : à ses yeux, un bain de rad est la dernière chance de survie d'Alekov.
Alors qu'elle cherche à crocheter la serrure, elle pense à Gaïus qu'elle a déjà vu s'introduire dans ce cénacle. Quels secrets connaît-t-il au sujet du rad et de Triglav ? Et si son dieu n'était pas une chimère ?
Hors ligne
Gaïus, Homme au savoir dru.
Quête : se baigner à la source des chants qui noient les forêts-aux-murmures.
Symboles : boue, Triglav.
Dieu est un chien dans les arbres.
Serge Pey le complexe de la viande, poésie action
Sur les bâtons fleurissent des mots.
La parole des bâtons nous est vitale.
La scansion imprime la rétine,
Le regard vibre et chasse les vessies.
Nos bâtons sont des lanternes.
Sur le chemin périlleux tracés par nos morts,
elles cheminent, paroles imprimées dans le froissement des feuilles.
Dieu est un chien dans les arbres.
Sa niche est mon alcôve,
Où des vents mauvais je me dérobe.
Je baigne aux sources de vie,
Je suis mort et je deviens renaissance.
Dans mon linceul de mots,
Que quêtent les opiniâtres liquidateurs,
Le souffle des éons oubliés
irrigue mes sens : rad.
J’avais décidé
de jeter
une pierre
au fond de moi
Une pierre dans une autre pierre
Je voulais construire mon âme
à coups de fourmis
d’épines de fleurs
de coquilles d’escargots
Une petite maison
qui diminuerait sans cesse vers l’infini
Ses trois voyelles
ou ses trois rires
(AOA)
Puis ses consonnes
(M, R, J, N)
Les lettres de ton Nom
comme trois dés
jetés dans l’ordre
Et qui écrivent mon nom dans la poussière des chiffres
Séparer la voyelle de la consonne est le premier travail qui trouve le nom.
Séparer la consonne de ce qui reste est le second travail pour voir le nom.
Mais séparer les Nom de son Nom c’est entendre le Nom.
Et sur le mur je peins encore les initiales de l’appartenance secrète en plaçant seulement des ponctuations dans le noir.
(….)
120 mSV au-delà du gouffre de la porte qui se refuse encore à tes doigts.
Au-delà des mots, dans sa cage de béton, gît la dépouille de Dieu qui pour jamais dort, l’Indicible, revêtu des haillons d’algues jaunes.
N’aie crainte, au-delà nous trouverons notre demeure.
Je lance un appel sur les ondes grésillantes de la radio portative de l’homme constant, le porteur de Boris, Bellérophon, pour qu’il t’escorte dans cette dernière course en eaux lourdes.
Ma conscience s’étiole l’enfant écrase le vieillard, qui s’enfonce dans la boue primordiale, poussé par ses puissantes nageoires.
Gaïus, Homme au savoir dru.
Quête : se baigner à la source des chants qui noient les forêts-aux-murmures.
Symboles : boue, Triglav.
Aleko, ziom, petit d’Homo
Quête : édifier la maison qui abritera sa sœur de cœur.
symboles : Triglav, le bâton.
La porte s’ouvre en grinçant et Aleko, vagit faiblement.
Dernière modification par gaius (11 Mar 2018 21:05)
Hors ligne
BAM.. . . .. ! ! . . ! BAM !! ! !. .. :..... ! BAM ! !!.. ... !
Boris couche Vladislav en crachotant salement entre deux explosions. Le type s'effondre vaguement dans le tas de fumier qui lui servait de baraque et dont il sortait.
// clac.
\\ clac. recharger immédiatement. réflexes bien ancrés. venus d'où ?
Seule certitude : ne jamais laisser personne dans son dos, avec un fusil chargé.
Le dégueulis suinte dessous mon masque suite au coups de Gaïus.
— Fils de guenon, je reviendrai pour toi !
Heureusement j'ai peu bouffé dernièrement, la bile se mêle à la sueur que j'exsude par tous les pores, dégageant cette odeur caractéristique dans l'espace confiné qui sépare ma gueule du cuir souillé. Impossible de biter grand chose à ce qu'il se passe ici, aveugle. La petite pute s'arrache avec son monstre dans les bras, sans doute pour l'aller nourrir au sein irradié du blockhaus - en tous cas rien de recommandable. Je la poursuis tout en rengageant deux cartouches supplémentaires dans la chambre de Boris. Trébuche, perd de la distance. J'aperçois derrière la morve et la gerbe qui maculent mes verres, la silhouette de la fille, ajuste mon tir, perdue de vue, putain !
— RAMÈNE TA SALOPERIE MORJANA, CETTE CHOSE N'EST PAS TON ENFANT !
Ma course m'égare, je me foule la patte dans un trou, aïe !, cours encore et finit essoufflé paumé entre chien et loup. La luminosité décline depuis un moment déjà. L'heure arrive, je le sais. Alors que je vide mon casque entre les racines noueuses d'un gros champignon délabré, j'entends le bruit détestable d'une flopée de papillons de nuits crevant la surface boueuse de la mare écoeurante dans laquelle je patauge. Morjana est là, j'aperçois sa silhouette sombre, la Chose accrochée à son flanc.
Boris.
Boris ?
La proie se rebiffe.
Antoine St. Epondyle
http://saint-epondyle.net/blog
Hors ligne
Vouivre, chasseuse de horlas.
Quête : retrouver l’Indicible et l’emprisonner dans une cage de mots.
Symboles : serpents, émotions.
« Je t’avais pourtant dit de laisser cette relique derrière toi, chaman. »
La voix de Vouivre n’est qu’un murmure au creux de son oreille, mais elle heurte Bellérophon comme une masse ; il se retourne en levant un poing devant lui, comme un lutteur groggy, et la voit debout entre deux arbres, droite comme un i. Elle est entourée d’un nuage de pensées noires et poisseuses ; l’homme a le sentiment de sentir mille paires d’yeux sur sa nuque. Il sent leur haine qui couve sous la terreur que leur inspire Boris.
Elle n’est pas bien grande. C’est sans doute la première fois qu’il la regarde vraiment – sans le masque. Elle a, quoi, deux têtes de moins que lui ? Une gamine. Si ces deux disques jaunes ne lui mangeaient pas la moitié du visage, si elle n’était pas un avatar de la contamination de cette foutue région, il l’enverrait balader d’un revers de main, comme l’autre gamine. Mais cette mutante est une proie d’un autre ordre.
Vouivre suit le cheminement de pensée du chaman avec un sourire figé.
« Elle était à moi. Et il a fallu que tu fasses cracher ton cauchemar de poudre. Comprends-tu seulement que tu sème toi-même la corruption que tu chasses, chaman ? Comprends-tu seulement toute l’étendue de ton absurdité ? »
La masse sombre de la terreur des villageois ondule soudain en rythme, se contracte, et vient former une boule pulsatile aux pieds de Bellérophon. Il voit en éclore un homoncule monstrueux, minuscule parodie de chaman déformé par la radioactivité flanqué de deux effrayants appendices-fusils en guise de bras. Vouivre le saisit entre deux doigts et l’avale prestement – d’une traite, à la manière d'un reptile. Elle affecte une grimace dégoûtée.
« Faudra-t-il que je te suive à la trace pour effacer l’épouvante que tu répands, homme-mensonge ? Ou vas-tu enfin accepter de me dire ce que tu sais de l’Indicible, de cette chose qui se terre dans ton enfer de béton ?»
La dégustation du horla naissant l’électrise, comme toujours ; le tourbillon de souvenirs et de secrets que recèle ces mille peurs enfouies est enivrant. Rien ne la console d’avoir perdu Morjana, mais cette victoire lui offre un petit réconfort.
// clac.
\\ clac.
La double brûlure a un goût de fer. Elle est presque moindre désagréable que l’affreuse cacophonie de la détonation. Vouivre tombe contre un arbre, les yeux vers le ciel et les oreilles encore bourdonnantes. Le chaman recharge méthodiquement l’arme sans lui jeter le moindre regard, et repart. Elle soupire.
Hors ligne
Bellérophon, chaman radioactif.
Quête : achever la décontamination des lieux.
Symboles : radioactivité, totems et colifichets.
***
— Vouivre ! Ne pars pas. Tu veux savoir ce que j'ai vu dans les entrailles maudites de l'ancien sépulcre ? Là où s'entassent les cercueils sans âge de l'abomination, qui ronge, pullule, et fait changer les choses, les gens, macule toute vie de sa souillure primordiale ? Je vais te le dire. Je n'ai rien contre toi, je n'ai rien contre personne ici. C'est vous, et nul autres que vous qui nous empêchez, Iouri, moi et les autres, de mener à bien la mission que nous a confié le politburo. Crois-moi, je n'essaie que de rendre les choses plus faciles pour tout le monde.
Je rechausse mon masque ; quelle connerie de l'avoir retiré ; tout en jetant un œil par dessus mon épaule à Morjana qui ne bouge pas, l'engeance toujours collée à elle.
— Il y a, là bas, l'ancienne chambre forte d'une pile nucléaire ayant achevé sa fusion. Une fondue totale, impossible à stopper, entre métal, béton, hallucinations et tellurismes anciens. Un peuple dégénéré semble y avoir élu refuge, je ne sais même pas comment ils ne sont pas brûlés vifs par la nuisance du lieu. Moi même,
tu as vu mon visage, il ne m'a pas fallu une heure même caparaçonné dans des linges mouillés pour sentir la fournaise qu'était devenue ma peau. Heureusement, mes lunettes scellées et mes amulettes saintes et les effigies sculptées m'ont préservé un œil.
Mais je ne parle pas pour attirer ta pitié, dont je n'ai que faire. Je veux juste te prévenir de ceci : pendant que nous nous écharpons sur la terre, les vers grouillants, enfants putréfiés de je-ne-sais-quoi, pullulent et s'infectent, gangrènent notre bonne vieille mère la forêt. Elle qui fut ici de toute éternité, d'aussi longtemps que je me souvienne.
Je porte Boris, c'est vrai, il est peut-être le seul vrai ami que j'ai jamais eu, et je l'ai gravé des insignes anciennes et du pentacle de Yagün-Khol qui fait de lui un homme comme nous. Je ne veux pas me battre contre toi. Ne nous battons pas. Faisons la paix.
Je roule des yeux vers Morjana, toujours stoïque, et devine son souffle haletant malgré la distance et l'obscurité.
Doucement, très doucement, je porte la main à la lourde lanterne à pétrole que je porte à la ceinture et l'allume en choquant la pierre qui y est fixée. Le halo jaunâtre qui éclaire vaguement le bosquet fait de moi une cible facile dans le noir.
— Vouivre, la petite Morjana doit comprendre qu'elle doit nous donner son enfant.
Antoine St. Epondyle
http://saint-epondyle.net/blog
Hors ligne
Morjana, horsaine présumée. Quête : trouver un foyer stable. Symboles : rejet, papillon de nuit
Bande-son : The Code of the Flowers, par Ayla Nereo, folk féminin à fleur de peau.
La lueur de la lanterne est tout ce qu'il manquait à Morjana pour achever son crochetage. La vieille porte rouillée s'ouvre en grand. A l'intérieur, il fait si sombre qu'on ne voit pas le bidon de rad.
Morjana comprend ce que Boris veut faire. Alekov s'ébroue dans un râle de souffrance, sa petite face de bébé aux joues gonflées souffle, des yeux et des têtes de morts s'éveillent et meurent dans les bruissements de ses ailes déchirées, son gros corps d'insecte poilu dégueule de l'hémolymphe noire et puante. Alors elle joue son dernier atout : "Ne le tue pas ! Alekov est ton fils !"
Hors ligne
Aleko, ziom, petit d’Homo
Quête : édifier la maison qui abritera sa sœur de cœur.
symboles : Triglav, le bâton.
Bande son : Oren Ambarchi Gunter Muller et Vocie Crack où les objets du quotidien nous chantent leur monde obscur et puissant
L’édifice bruisse de mille bruits diffus et indistincts qui s’entremêlent.
Un bourdonnement incessant, ponctué par des éclats métalliques provient des profondeurs ou l’eau ruisselle dans un flux incessant.
De la masse dense d’obscurité, que le regard tente alors de percer, en vain, aveuglé par de phosphorescentes leurs qui sourdent du béton fendillé, un halo indistinct d’abord, émerge. Une noirceur plus intense, que même les restes des machines corrodées semblent éviter.
Une masse noire, un profilé de béton noirci d’humeurs malignes.
Et ses murs palpitent…bruissent aussi, à rythme différent. Une frénésie cliquetante. Une masse grouillante de mousses et de vermines qui ronge ce coffre de béton gigantesque.
Autour, une piscine pleine d’une eau lourde de puanteur, monte une garde sans cesse renouvelée par deux buses d’acier gauchies qui détournent une partie des Cinq.
Ô, mes Pères,
Là est la boite aux lettres des cimetières.
Là est mon berceau,
Là est mon linceul.
Penchent,
Penchent avec les Fous.
Le poing
ouvre
le nom
déplace le ciel
J’ai vu le zéro
de la main fermée
dans le soleil
Un lieu
Entre l’homme
Et le premier mot
On apprend
La mort à l’enfant
Quand ce point.
redescend dans la main
Quand on laisse
Les oiseaux le remplacer
dans le Ciel.
Ô, Pères très distants,
Contemplez vos enfants !
Leur règne arrive,
Le triangle s’inscrit dans le cercle.
Mère, Morjana, entend mon chant,
entend, ma prière, entend la voix issue de la chrysalide de tes nuits !
Je frappe les bâtons de mon cœur,
pour que les mots gouttent
sur les leurs.
Bellérophon !
Père, des terres stériles, combattant de la radioactivité !
Je suis né de l’innocence.
Je suis ton Isandros !
Père, consent à ma vie et rejoint ma lumière.
Dernière modification par gaius (12 Mar 2018 23:16)
Hors ligne
Bellérophon, chaman radioactif.
Quête : achever la décontamination des lieux.
Symboles : radioactivité, totems et colifichets.
***
Je ne comprends rien. Le respirateur artificiel de mon casque me psshhhhhht dans l'oreille. Je n'ai rien pigé à ce que dit la petite. Ou rien voulu piger.
Mais j'ai vu le regard du nain.
Si on peut appeler ça un gamin.
Je suis au centre des attentions, entre Vouivre et Morjana qui me darde d'un oeil d'acier. Elle s'est arrêté net à la porte du blockhaus. Je ne connaissais pas cette entrée, les sols bougent dans les forêts-aux-murmures. Je m'approche accompagné de Boris qui me dit "— Doucement, doucement."
— Morjana, je - .. . . .BAM !
putain de
L'impact déchire la figure du marmot ; Alekov ou je ne sais pas son nom ; est arraché des bras de sa génitrice et tombe lourdement dans la boue fangeuse d'où s'envolent une peuplade de mouches albinos dérangées dans leur ponte.
— Non ! Non ! Je ne voulais pas ! Boris qu'a tu fais ?
L'arme traîtresse pèse soudain un poids infini. Ne sais plus où me mettre, quoi, que faire ? J'empoigne par réflexe les amulettes protectrices, celles avec la tête de chien, et regarde médusé le petit corps agonisant au sol.
Sous le masque que je porte, personne ne voit mon œil s'exorbiter en voyant le cadavre du gnome remuer encore.
Aleko n'est pas mort, je le vois ramper, le visage troué mais le regard intact. Ses iris sont des fers chauffés à blanc qui me transpercent de part en part. Il profère un son dans une langue si odieusement inhumaine que j'en perdrais la raison à l'entendre - alors je deviens sourd sur le champ. Le gouffre s'ouvre sous moi et je m'abandonne aux ténèbres. Juste assez de conscience pour entendre la mélopée des sorcières "— Aïéha nohéa nohé nohé A A ! Aïéhalefordo mormohéa nohé nohé A A A A!"
// clac.
\\ clac.
recharger immédiatement.
réflexes bien ancrés.
suis-je encore vivant ?
Antoine St. Epondyle
http://saint-epondyle.net/blog
Hors ligne
Morjana, horsaine présumée. Quête : trouver un foyer stable. Symboles : rejet, papillon de nuit
Sievert, par Nadja, du drone mélodique et texturé pour traverser l'hiver nucléaire.
Quand la détonation de Boris crible l'air, Morjana voit ses derniers espoirs de recoller les morceaux avec lui s'envoler. Qu'il ait tiré sciemment ou qu'il se laisse manipuler par Boris, quelle importance, quelle différence ?
Quand elle le voit recharger comme un robot, elle sait qu'Aleko doit ses deux premières chances à sa nature de horla. Il n'en aura pas trois. Car personne n'a jamais de troisième chance, et ça c'est une loi magique, et même les horlas ne peuvent s'y dérober.
Alors Morjana s'empare de la lanterne et du fusil et les jettent à l'intérieur du blockhaus, et elle referme la porte derrière elle, laissant Béllérophon désarmé, à la merci des habitants de Pripiat endeuillés de leur sotnik, que la lanterne et le coup de feu ont tiré de leurs lits, et qui convergent maintenant vers la statue de Triglav.
A l'intérieur, à la lueur de la lanterne, elle découvre que le blockhaus a été envahi par une végétation torve et verruqueuse, sur les tiges de laquelle bourgeonnent des formes de vie impossibles à catégoriser. L'emprise est forte en ces lieux, il y a comme cette odeur de métal pourri qui plane au-dessus des remugles de fermentation et de condensation végétale.
Elle avise le bidon de rad, frappé du symbole sacré de Triglav, un cercle cerné par trois triangles, la trinité qui enfante le monde.
Elle porte Aleko au-dessus du bidon de liquide vivant. Elle l'ignore encore, mais l'emprise l'a déjà contaminée à un degré élevé. Elle en subira les conséquences plus tard.
Elle immerge entièrement son enfant-ziom dans le rad.
Boris, jeté dans un coin, tente une connexion télépathique.
Hors ligne
Vouivre, chasseuse de horlas. Quête : retrouver l’Indicible et l’emprisonner dans une cage de mots. Symboles : serpents, émotions.
Vouivre reste assise contre l’arbre, en silence ; elle digère le horla produit malgré lui par Bellérophon. Elle a cru qu’il l’avait abattue d’un coup de carabine, tout à l’heure. Parfois, la consommation d’une abomination est vectrice d’illusions très vivaces. Il voulait simplement parler. Et les mots du chaman tournoient encore autour de la tête de la petite chasseuse: Il y a, là-bas, l'ancienne chambre forte d'une pile nucléaire ayant achevé sa fusion. Une fondue totale, impossible à stopper, entre métal, béton, hallucinations et tellurismes anciens. Un peuple dégénéré semble y avoir élu refuge, je ne sais même pas comment ils ne sont pas brûlés vifs par la nuisance du lieu.
Elle revoit Bellérophon articuler ces mots, et elle sent la puanteur de la sincérité sur chaque petite syllabe ; le chaman croit ce qu’il affirme. Et les souvenirs de l’homme-masque ouvrent une voie à Vouivre dans l’égrégore. Un fil d’or naît devant ses yeux ; un parfum de chairs calcinées et d’ozone. Elle fait claquer sa langue. Il est temps de partir.
Si Morjana ne veut pas de son enseignement, de ses bras accueillants, elle en prend son parti. Là-bas, dans l’enfer de béton, des êtres privés de mots ont grand besoin des siens.
La nuit tombe, cependant. Par habitude, Vouivre cherche alors la flamme de Gaïus dans le vent des esprits, et la découvre absente. Une larme noire coule sur sa joue squameuse ; elle la laisse atteindre le fil de son menton, ne cherche pas à soulager le picotement qui nait peu à peu sur son épiderme. Elle attise les quelques braises de ses souvenirs du prêtre, en espérant qu’ils lui tiendront chaud dans l'obscurité grandissante.
Ton feu me manquera, vieil ami.
Hors ligne