La Caravane
Séance d'Inflorenza jouée le 27/12/12 dans les Vosges avec Hervé (Spartak Popov), Géraldine (Frère Dimitri) et moi (Elena "Farouche" Svetaïevna).
Ma cousinade hivernale dans les Vosges aura été propice au jeu de rôle ! Avec l'aide de mon cousin Hervé et de ma soeur Géraldine, nous montons un deuxième playtest d'Inflorenza.
Préparation
Je demande à Géraldine et Hervé dans quelle région d'Europe nous allons jouer. Ils me répondent la Russie. Je leur fais un topo sur la situation de la Russie à Millevaux en leur lisant la partie de l'Atlas de Millevaux correspondante. Hervé et Géraldine choisissent d'imaginer leurs propres persos. Pour ma part, je joue un personnage tiré de l'Atlas, Elena Svetaïevna.
La partie a duré 3h. Une petite 1/2 h de briefing, 2h de jeu, 1/2 h de debriefing.
Fiction
La geste d'Elena.
Extrait de l'Atlas : [" Elena "Farouche" Svetaïevna, suiveuse de la Caravane Tsariste. Sans mari et avec deux enfants trisomiques, Elena Svetaïevna sait qu'elle n'a aucun intérêt à se fixer dans un village ou une tribu nomade. On la traiterait de traînée et de Horla, on l'accuserait d'avortement et de copulation avec les monstres, on lui trancherait le nez, on la maudirait et pour finir on la chasserait. Alors Elena comprit que suivre la Caravane Tsariste serait sa seule chance de survivre avec ses enfants. Par tous les temps, elle la suit à pied, le plus souvent à distance, cachée dans la forêt, avec ses enfants dont elle couvre le visage d'un masque d'écorce. Elle se joint parfois aux soupes populaires, ou encore récupère le gibier que les chasseurs de la Caravane ont négligé, et ramasse les ordures qui sont jetées des chariots. Enfin, quand l'hiver se fait vraiment rude et la nourriture rare, elle s'attaque même aux vieux que la Caravane abandonne derrière elle. Elle se penche sur leurs corps allongés qui serrent des icônes. Elle leur ferme les yeux et leur tranche la gorge. Et quand ses enfants lui demandent ce qu'il y a à manger, elle répond : ce que Dieu a bien voulu nous laisser, en attendant des jours meilleurs. ]
C'est l'hiver en Slavosie. Une lourde neige recouvre tout, le froid est mortel.
Un matin, je me réveille dans mon campement en aval de la route de la caravane. Je découvre avec effroi que mes deux enfants ont disparu. De grosses traces partent dans la forêt. Des Horlas ont enlevé mes chéris !
La caravane tsariste passe, grotesque assemblage de chariots tirés par des chevaux, de quads, de véhicules tout-terrains et de gros wagons montés sur chenilles.
Je saute à l'arrière d'une roulotte. Je rentre dans la roulotte et y surprend les caravaniers. Je me mets à genoux, pleurant et frappant ma tête sur le plancher : "Je ne suis qu'une pauvre pécheresse. S'il vous plait aidez-moi de démoniaques Horlas ont enlevé mes deux enfants, mes deux chérubins, des innocents. Je vous en supplie, par les saintes icônes, conduisez-moi à votre pope j'implore sa clémence qu'on m'aide à retrouver ce monstre infernal qui a capturé mes deux trésors"
Pour avoir la paix, les caravaniers me conduisent dans un grand wagon sur chenilles tracté par un gros véhicule tout-terrain. Dans la tête de wagon, on me conduit devant Frère Dimitri, un moine orthodoxe combattant. Dimitri ne sait que faire de moi.
La caravane s'arrête dans un village pour inviter des moujiks à devenir cosaques pour le tsar. J'implore les moujiks de mener une battue pour retrouver le Horla captureur d'enfants. Les moujiks se rient de moi, me traîtent de romanichel et de traînée, ils me jettent des pierres. Humiliée, meurtrie, je remonte dans la caravane.
Dans la caravane, je retrouve les mêmes moujiks cruels. Ils se sont fait engager comme cosaques. A un moment, le wagon passe sur un grand viaduc de fer et de bois, à cent mètres au-dessus de l'eau glacée. Ivre de colère et de désespoir, je pousse un de ses affreux moujiks. Frère Dimitri réagit à temps et attrappe la main du moujik avant qu'il ne fasse une chute mortelle. Dimitri ordonne qu'on s'empare de moi. Je hurle et je pleure. J'ai tout perdu. Quelque chose se brise en moi et une force noire en prend la place. Le désespoir vient de révéler mon don de sorcellerie.
Frère Dimitri me jette en prison. On m'annonce ensuite que je serai décapitée pour mon crime. Spartak Popov, un étranger qui a les faveurs de Dimitri, vient me voir en cellule. Il veut m'aider à condition que je l'aide en retour. Il a compris que je suis une sorcière et me demande d'envoûter le tsar. Je devrai alors donner deux ordres au tsar : qu'on organise une battue pour retrouver mes enfants, et qu'on fasse route vers Saint-Petersbourg.
J'accepte, je n'ai plus le choix.
Le lendemain, sur un gigantesque wagon-eglise à ciel ouvert, Frère Dimitri a convié le tsar pour une messe qui sera suivi de mon exécution publique. Spartak Popov assiste Dimitri dans son office. Il donne la prosphora, une grosse hostie, à croquer au tsar et reprend cette hostie dans laquelle le tsar a mordu un morceau. Juste après la communion du tsar, le bourreau pose ma tête sur un billot et élève son sabre. J'implore alors la clémence de Frère Dimitri. Je souhaite communier une dernière fois avant d'aller en enfer pour mes péchés. Dimitri accepte. Popov vient mettre l'hostie dans ma bouche. C'est celle dans laquelle le tsar a mordu. L'hostie me sert de voult, l'objet porteur de l'égrégore du tsar, pour envoûter le souverain errant.
Le bourreau abat son sabre quand le tsar s'exclame : "Arrêtez. Je la grâcie. Qu'on arrête la caravane. Spartak, tu es un forestier. Dirige une battue pour retrouver les enfants de cette sauvageonne."
Des dizaines d'hommes partent avec moi dans la forêt, Spartak et Dimitri à leur tête.
Frère Dimitri s'enfonce loin dans la forêt, avec quelques hommes. Il est en armure, l'épée à la main. Il atteint une grotte. A l'intérieur, un ogre hideux aux yeux exorbités, poilu, féroce, un Horsain, moitié homme et moitié Horla. Il a enlevé mes enfants. Il les cajole, les plaint pour leur monstruosité. Il s'apprête à leur briser les os pour abréger leurs souffrances terrestres.
Dimitri adresse une prière au Christ et se rue vers le monstre. Il le transperce d'un seul coup d'épée. Ce saint homme vient de libérer mes deux petits anges.
La geste de Dimitri.
Je suis un moine combattant orthodoxe et un ascète. Je tâche de vivre dans la pureté et l'abnégation. Mes seuls maîtres sont Dieu et le Tsar. Pour leur compte, je mène un des plus grands wagons de la Caravane Tsariste.
Alors que nous passons au sommet d'un grand talus, un moujik sort de la forête et escalade la neige du talus pour sauter à bord du wagon. Un cosaque le repousse d'une frappe sur la poitrine et le moujik roule en contrebas.
Je prends alors pitié du moujik. Je sais également que les rigueurs du climat nous ont déjà coûté beaucoup d'hommes et qu'il nous faut recruter. Je fais arrêter le wagon. J'admoneste le cosaque et lui ordonne de descendre récupérer le moujik.
Une fois que le moujik est epousseté de sa neige, je le fais se présenter à moi. Il s'appelle Spartak Popov, c'est un pauvre hère qui demande l'asile. Il dit avoir l'expérience de la forêt et se mettre à mon service. Il m'émeut, il a l'innocence et la soumission du vrai peuple russe.
Nous reprenons la route mais j'ordonne qu'on s'arrête au premier village. Je descend évangéliser les moujiks et les convaincre de joindre le Tsar dans sa sainte croisade pour réunifier toutes les Russies. Nous ramenons à bord tout une division de fiers moujiks devenus des cosaques pour la bonne cause.
Une sauvageonne aux traits ouïghours, Elena, fait du scandale depuis qu'elle est dans la caravane. Alors que nous passons au-dessus d'un viaduc, elle pousse un de mes nouveaux cosaques par dessus bord. Ascète et guerrier, Dieu guide mon bras, et je rattrappe ce pauvre hère au-dessus du vide.
Je dois faire un exemple. Je condamne la sauvageonne à mort. Le bon Spartak, qui a trop de coeur pour les faibles créatures, me convainct d'organiser une messe avant l'éxecution et d'y convier le tsar. J'accepte, c'est l'occasion de voir mon maître et de lui prouver ma dévotion. Le bon et pieux Spartak insiste pour m'assister dans le service.
Le tsar, dans sa grande piété et sa grande clémence, grâcie la sauvageonne. Nous organisons même une battue pour lui plaire. Je sens pourtant que Dieu a voulu tout ça. Je nomme Spartak prêtre. Il embrasse mon épée et nous partons dans la forêt.
J'affronte le démon qui a capturé les enfants. C'est une hideuse incarnation de l'Antechrist. Je prie Dieu de tout mon coeur pour qu'il guide mon glaive et je l'abat sur le démon. J'entends les acclamations de mes compagnons. Le démon gît à mes pieds. Tel Saint-Georges terrassant le dragon, je viens d'accomplir un Miracle de la Foi.
La geste de Spartak Popov.
Mon village m'a banni. Ils m'ont traité de menteur, d'incroyant, de félon et ils m'ont chassés. Les fous !
Je veux rejoindre une société nombreuse pour survivre, et pourquoi pas, vivre dans le luxe aux crochets des autres. A mon avis, la Caravane Tsariste est le vaisseau qui me guidera vers un monde meilleur.
Caché dans la forêt j'entends les lourdes chenilles d'un wagon tsariste approcher. J'escalade le talus enneigé et saute dans le wagon. Un salaud de cosaque me repousse. Alors que je reprends mes esprits, meurtri, couvert de neige glaciale, je réalise que beaucoup d'humains sont des salauds et ne méritent pas de vivre. Je n'aurai aucun scrupule pour éliminer toute personne qui me fera obstacle à l'avenir.
Je sais que les religions sont mensongères et maintiennent les foules dans l'obscurantisme, pourtant il doit y avoir un Dieu pour moi à ce moment-là . Sur les ordres d'un chevalier orthodoxe, le cosaque même qui m'a poussé redescend me chercher. Il me mène au Frère Dimitri. Celui-ci essaye de s'assurer ma servilité, je joue la comédie de l'humble moujik reconnaissant. Je veux savoir où va la Caravane mais ce moine obscurantiste ne me répond pas.
Nous nous arrêtons dans un village. Je donne aux moujiks quelques babioles que j'ai dérobées dans le wagon pour leur délier la langue. Ils ne savent pas où va la Caravane mais me disent que nous sommes en direction de Saint-Petersbourg, le port cosmopolite, la ville bruyante et tapageuse des disciples de khlyst et des panthéistes, la ville des plaisirs, de la fortune et de la luxure. C'est le paradis terrestres que j'attendais.
Je veux manoeuvrer pour que la Caravane aille à St Petersbourg, alors je passe un pacte avec la sorcière Elena. Elle me fascine parce qu'à mon sens rien de bon ne pouvait venir de la nature extrême. Mais je viens de découvrir qu'il existe des mutants avec des pouvoirs exceptionnels, grâce à la corruption de la forêt. Elena a commis un crime dans la Caravane. Dimitri voulait l'abandonner dans le prochain village mais je le convaincts qu'il faut faire un exemple et plutôt l'exécuter. Je vais ensuite voir Elena en prison. Je lui annonce qu'elle va être exécutée mais qu'en fait c'est une chance. Elle va approcher le tsar à cette occasion.
Elena accepte mon plan. En mordant à la même hostie du tsar, elle parvient à l'envoûter in extremis.
Tout s'arrange alors pour moi. Dimitri me nomme prêtre, ce qui me donnera plus de pouvoir.
Et après que nous ayons retrouvé les chiards d'Elena, la Caravane reprend sa route. Vers Saint-Petersbourg, la ville de tous les plaisirs !
Système
J'ai invité les joueurs à se familiariser avec les mécanismes (soutiens, conflits duels, conflits complexes, jetons...) et j'ai développé une magie pour mon personnage (sorcellerie). Nous sommes assez naturellement partis vers une narration partagée : le joueur dont c'est le tour avait un contrôle très important sur la narration, décrivant le conflit, décrivant l'issue du conflit. En tant que MJ, j'ai surtout servi à cadrer, m'assurer qu'on restait dans la couleur de l'univers, donné des suggestions pour donner du punch à la narration et augmenté les enjeux des conflits qui paraissaient les plus cruciaux (le MJ a des jetons pour ça). Géraldine et Hervé étaient vraiment dans l'esprit de créer une bonne fiction et de mettre en valeur les personnages des autres (pas mal de conflits duels ou de soutiens dans les conflits). Ils ont accepté de jouer en mode narrativiste, en sacrifiant l'immersion pour prendre du recul par rapport à leur personnage en prenant des décisions en méta-jeu. Tous les joueurs étaient impliqués dans la négociation pour construire la fiction à travers les conflits. J'ai eu l'occasion de tester des vétos. A un moment, Hervé a suggéré que mon personnage subisse un rapport sexuel avec les moujiks à l'issue d'un conflit que j'avais perdu (convaincre les moujiks de chercher mes enfants). J'ai refusé parce que je ne voulais pas que mon personnage soit une prostituée ou une victime de viol. J'ai plutôt décréter que les villageois me lapidaient. C'est intéressant parce que le joueur peut ainsi écarter les sujets qu'il ne souhaite pas aborder et garde le contrôle de la destinée de son personnage, même le système l'invite à souffrir. Par moment, la partie a presque pris des allure de story game plutôt que de jeu de rôle.
Il y a eu une innovation à la volée. La scène où Spartak donne la prosphora à Elena était un conflit d'Hervé et pas de moi. C'était un conflit qui soldait une longue négociation narrative. L'enjeu du conflit était rien moins que la vie de mon personnage. Si Hervé obtenait une réussite, il parvenait à me donner la prosphora du tsar. S'il n'obtenait pas de réussite, c'est Dimitri qui m'aurait donné la prosphora et c'aurait forcément été une autre. Si je ne pouvais pas avaler la prosphora du tsar, je ne pouvais pas finir mon envoûtement et le bourreau abattait alors sa lame sur mon cou.
C'était audacieux du point de vue du système car normalement l'enjeu d'un conflit ne peut pas être la vie d'un PJ, surtout le PJ d'un autre. mais c'est moi qui ai proposé cet enjeu et tous les joueurs ont accepté. Je vais donc amender le système pour permettre cela si il y a consensus parmi les joueurs.
ça ne regarde que moi mais je pense que nous avons vraiment produit une fiction de qualité grâce au système.
Hervé a suggéré qu'à l'avenir on crée plus de liens entre les personnages, je vais incorporer ça dans le système de création de personnage.
Il m'a aussi proposé d'écrire des "handicaps", des contraintes de jeu qui pourraient être proposées pour des séances plus cadrées (exemple : toutes les sentences doivent être des opinions du personnages, exemple : une sentence du personnage est écrite par un autre joueur, exemple : un conflit est déterminé aléatoirement, etc...). Je vais y réfléchir à l'avenir.
Dernière modification par Pikathulhu (28 Dec 2012 13:09)
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normalement l'enjeu d'un conflit ne peut pas être la vie d'un PJ, surtout le PJ d'un autre. mais c'est moi qui ai proposé cet enjeu et tous les joueurs ont accepté. Je vais donc amender le système pour permettre cela si il y a consensus parmi les joueurs.
C'est super intéressant cette façon d'amener les enjeux capitaux par consensus autour de la table.
Sinon j'ai quelques questions techniques sur ton système. La mort d'un PJ intervient comment ? Par l'acquisition d'une sentence "J'ai été tué par X" en accompli ?
Et je me demandais aussi comment s’arrêtait la partie ? Est-ce quand un certain nombre de sentences sont accomplies, ou bien quand un PJ à 3 sentences négatives ? Ou alors c'est juste à l'appréciation du MJ ou du groupe ?
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Merci de ton intérêt Gauvain !
Je continue les playtests et le système va encore s'affiner. J'ai fait une partie pour l'équipe du podcast de la Cellule samedi dernier, je crois que le podcast va sortir bientôt.
Un PJ peut mourir de deux façons : si on a défini que sa mort était l'enjeu d'un conflit ou si il atteint trois sentences au grade détruit.
La partie s'arrête quand les joueurs le décident. Techniquement, on décidé au début d'une instance qu'on va jouer un dernier conflit dont l'enjeu semble clore l'arc narratif de l'histoire. Dans cet exemple, le dernier conflit était celui de Frère Dimitri, avec pour enjeu de tuer le Horla qui avait capturé les enfants.
C'est une méthode qui est cohérente avec la visée narrativiste du jeu. Elle permet aussi de bien maîtriser le chrono. Quand on voit que l'heure tourne, on a tendance à faire monter les enjeux pour clôturer l'histoire.
Dans une campagne on peut finir peut-être juste en déterminant l'enjeu du conflit sans jeter les dés. Effet cliffhanger garanti ! On note le nom du joueur dont c'était l'instance et l'enjeu du conflit et on reprend au même point la soirée suivante.
Un PJ peut mourir en cours de route sans que ça arrête l'histoire si on considère qu'elle n'est pas finie. Le joueur crée à la volée un nouveau PJ avec le même nombre de sentences que son défunt prédécesseur. Mais dans le cadre d'un one-shot, il est difficile d'amener un PJ à trois sentences détruites. Un PJ risque surtout de mourir si on décide que sa mort est l'enjeu d'un conflit. Ce qui arrive surtout en climax, lors de la dernière ou l'avant-dernière instance.
Plus j'y réfléchis, plus Inflorenza sert bien ma façon favorite de jouer des héros. Tester ce système est un pur bonheur. Autant Sombre est irrremplaçable à mes yeux pour faire de l'horreur, autant Inflorenza m'amène à développer d'autres thématiques pour Millevaux avec efficacité
Dernière modification par Pikathulhu (09 Jan 2013 13:36)
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Merci pour tes précisions c'est super intéressant.
Dans une campagne on peut finir peut-être juste en déterminant l'enjeu du conflit sans jeter les dés. Effet cliffhanger garanti !
Excellent oui !
Autant Sombre est irrremplaçable à mes yeux pour faire de l'horreur, autant Inflorenza m'amène à développer d'autres thématiques pour Millevaux avec efficacité
Tu as bien raison de chercher d'autres voies ludiques pour explorer Millevaux. L'angle d'attaque de Sombre est tout de même super pointu (c'est ce qui fait sa force d'ailleurs) et je ne suis pas sur qu'il soit suffisant pour exploiter à 100% un univers.
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En fait, dès que tu as un univers de jeu vaste, il faudrait presque trois systèmes. Un système ludiste (Sombre), un système narrativiste (Inflorenza)... et pourquoi pas un jour un système simulationniste qui serait axé sur l'exploration (un genre de Guildes à Millevaux ?)
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L'Arbre-Dieu
ou "Les intentions de jeu sont des règles"
Joué le 05/01/2013 à St Malo chez Romaric Briand avec Romaric (Shroud), Flavie (Séréna), Emmanuelle (Karl), Coline (Aiguille) et Simon (Khân)
Lors du podcast de la cellule "Garage" consacré à Inflorenza, j'ai utilisé le protocole de playtest proposé par Frédéric Sintes sur son blog Limbic Systems.
L'article de Frédéric invite à estimer l'état d'avancement de son jeu. D'après sa typologie, le mien était au stade II (le jeu tient la route, c'est-à -dire qu'on peut jouer une partie entière mais que le système est loin d'être définitif).
L'article invitait également à rappeler les intentions du jeu en début de partie et à demander aux joueurs de faire de leur mieux pour jouer dans le sens ces intentions de jeu, quelque soit les lacunes du système.
J'ai donc rédigé les intentions de jeu, qui n'ont pas dévié depuis et les ai exposé à l'équipe de la Cellule. J'ai eu affaire à 5 joueurs de luxe. Jugez plutôt : tous MJ, tous auteurs de jeu, dont les auteurs de Sens Renaissance et de Teocali. Ils ont en effet été des crèmes, produisant un jeu intense, efficace et complètement dans le ton, pendant les deux heures qu'ont duré le playtest.
Je vous présente donc le résumé de cette partie, "L'Arbre Dieu", en la liant aux intentions du jeu :
* Intention 1 : Les joueurs incarnent des héros, des salauds et des martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux
Cette partie a déroulé la lutte de deux villages du sud de la Germanie, des mécréants gardes-frontières des suisses contre des païens vénérant Irminsul l'Abre Dieu. Emmanuelle (Karl) et Serena (Flavie) ont tous les deux interprétés des personnes dévouées à la vie à la mort à leur communauté, et ont héroïquement mené leur combat. Simon (Khân), incarnait un brûleur de dogmes, tantôt héros, tantôt salaud qui a employé toutes les méthodes nécessaires pour éradiquer le culte d'Irminsul. Coline incarnait Aiguille, grande prêtresse d'Irminsul. Pour garantir la grandeur de son culte puis le protéger de la mort, elle a subi le martyre, résisté miraculeusement au feu, converti les incroyants brûleurs de dogme, mené héroïquement ses troupes à la bataille, et a finalement déchu, renonçant à ses idéaux, perdant la vie. Enfin Romaric a incarné Shroud, psychopathe chef du village garde frontière, et ma foi salaud du début jusqu'à la fin, mais sans doute célébré comme une légende après sa mort sur le champ de bataille.
* Chaque joueur incarne un personnage à qui il devra imposer des sacrifices pour contrôler son destin.
Si les personnages ont en effet subi des lourdes pertes (perte de son lance-flammes et de ses hommes pour Khan, enlèvement par un arbre-Horla et surnaturelles blessures de guerre pour Serena, perte du sens communautaire pour Aiguille, abandon par sa prêtresse pour Karl), Flavie m'a fait remarquer avec grande justesse que le système n'incitait pas encore assez au sacrifice, ou du moins que le sacrifice ne semblait avoir une grande conséquence mécanique (à l'époque c'est un simple dégradage de sentence). C'est j'espère maintenant chose réglée. Avec le nouveau système, plus on lance de dés, plus on risque de remporter le conflit, mais plus on risque également de perdre des sentences qui sont à la fois les ressources et les PV du personnage.
* Le jeu est centré sur les personnages. On ne s'intéresse qu'aux conflits qui impliquent directement les personnages. On s'intéresse davantage aux relations entre les personnages qu'aux relations entre les personnages et l'univers.
Le fait d'imposer un lien entre les personnages à la création, et de ne pouvoir définir un conflit qui ne soit en lien avec une sentence du personnage, ont indéniablement créé une partie centrée sur les personnages. Il y avait beaucoup de figurants dans cette guerre des clans, et les PJ personnalisaient à merveille chacune des factions. Un rôle traditionnellement dévoulu à des PNJ emblématiques. Or, à Inflorenza, les personanges emblématiques, ce sont les PJ.
* Le jeu est aussi centré sur la création commune d'une histoire. Un drame de héros, de salauds et de martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux.
Simon a fait remarquer que l'histoire (la guerre des clans) était assez prévisible. C'est je pense dû au fait que j'ai joué un rôle de MJ traditionnel dans le premier tour de table et que pressé par le temps, j'ai pas mal précipité les situations vers des paroxysmes. Si les joueurs avaient beaucoup plus de latitude dans le second tour de table, c'était cependant tout naturel qu'on joue l'affrontement final, une chaotique bataille meurtrière. Plus de temps et plus de narration partagée auraient rendu les choses moins prévisibles.
* Le jeu est aussi valable en séances isolées avec des personnages et des décors variés qu'en campagne reprenant les même personnage et le même décor sur plusieurs séances.
Cela reste une question ouverte. Mais au moins je peux dire qu'on a, encore une fois, produit un one-shot de qualité, avec des arcs narratifs forts, qui ont tous été résolus, et éventuellement des ouvertures parce que les personnages Khân, Karl, et Séréna étaient toujours en vie et auraient sans doute eu des choses à faire si on avait enchaîné sur une deuxième séance.
J'apprécie de pouvoir aller droit au but et de ne jeter les dés que pour des actions narrativement signifiantes. Cela permet des parties nerveuses, où l'action se déroule à toute vitesse. Pas de combat qui dure des heures, où de temps perdu à négocier le prix d'une bière au comptoir. Pas de gras, en fait. La nouvelle mouture du système permet de faire une instance sans conflit pour réintroduire des moments de calme, mais on reste dans le type de jeu que j'aime.
* L'autorité sur la narration est partagée entre tous les joueurs. Le joueur qui a lu le jeu est appelé le Confident. Il a pour rôle de faire appliquer les règles, de veiller au respect de l'esthétique de l'univers de jeu et d'accoucher les idées narratives des autres joueurs. Il n'a en revanche pas davantage d'autorité sur la narration que les autres joueurs. Le rôle du Confident s'arrête dès que les joueurs estiment avoir assez d'expérience pour s'en passer.
Comme dit tout à l'heure, j'ai testé un contrôle fort du Confident lors du premier tour de table. Je définissais les conflits, l'enjeu des conflits, et supervisais l'écriture des sentences. ça s'apparentait pas mal à un rôle de MJ participationniste. On a pu constater que c'était moins fun pour les joueurs et pas forcément terrible pour l'histoire (du fait que j'ai vachement précipité les évènements). Donc Inflorenza fonctionne vraiment mieux avec une grande liberté de narration pour les joueurs. Si je m'interrogeais encore sur la nécessité d'un MJ avant ce playtest, je n'ai maintenant plus aucun doute.
Pour finir, ce playtest ne se serait pas aussi bien passé si les joueurs n'étaient pas allé autant dans le sens du jeu. Même Romaric, qui n'apprécie guère le narrativisme et la narration partagée, a clairement pagayé dans le même sens que nous.
J'en suis venu à une conclusion toute bête. J'enfonce sans doute des portes ouvertes, mais à mes yeux ce n'était pas évident.
Il faut présenter les intentions comme des règles. Si on ne les applique pas dans sa façon de jouer, on ne joue pas à Inflorenza. Les joueurs sont invités à s'y référer en cas de litige.
C'est une ligne de plus à rajouter dans le bouquin de règles et je crois que ça change tout. Si je veux que le système permette vraiment de jouer des héros, des salauds et des martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux, je dois bien sûr construire un système qui l'encourage. Mais je dois aussi demander à mes joueurs de vraiment l'effort de jouer des héros, des salauds et des matyrs dans l'enfer forestier de Millevaux. Le meilleur système au monde ne fonctionnera pas si les joueurs s'échinent à jouer autre chose. Ce qu'ils pourraient être tentés de faire au nom de la sacro-sainte liberté du personnage ou de leurs préférences de jeu. C'est bien sûr aussi une des leçons que j'ai retenu avec Sombre. Sombre, aussi bien gaulé soit-il (et il est vachement bien gaulé), se pète la gueule si les joueurs veulent jouer en mode aventure ou pire, en mode réaliste. Je me rends compte que lors de toutes mes parties de Sombre, j'ai eu le tort de dire que le système permettait de jouer des victimes. Il demande aux joueurs de jouer des victimes. Tout comme Inflorenza ne permet pas de jouer des héros, des salauds et des martyrs. Il demande d'en jouer.
C'est une grande révélation de game design pour moi ! Merci Frédéric, merci la Cellule, merci Johan !
En prime, les feuilles des personnages (non pas telles qu'elles ont été faites, mais à la mode du nouveau système, c'est-à -dire une simple suite de phrases) :
Khân,
Je suis un incroyant, un brûleur de dogmes
(barré) je possède un lance-flamme, destructeur d'Irminsul
(barré) je suis persuadé que les arbres me menacent
(barré) Shroud est mon allié
le lance-flammes est aux mains de l'ennemi
J'ai sauvé Séréna, une ennemie de la Nature
Shroud est mort
J'ai vaincu Aiguille, la prêtresse de la Nature
Plus je tue, plus je deviens fou
Aiguille
Pour moi la corruption nous amène plus près d'Irminsul
Je suis la prêtresse du clan de Karl
(barré) mon clan est le seul digne de prendre la tête de la région
J'ai fait rempart de mon corps pour sauver Irminsul
J'ai récupéré le lance-flammes
Je suis la seule digne de prendre la tête de la région
Irminsul ne m'a pas aidée, j'en suis morte
Karl
Shroud a tué le chef de mon clan
(barré) Je suis prêt à mourir pour qu'Aiguille atteigne son objectif
Je sais que Shroud est un psychopathe
(barré) Les abolitionnistes vont détruire Irminsul
Les abolitionnistes sont nos alliés
Je suis prêt à mourir pour me venger
J'ai vengé mon chef de clan
Séréna
(barré) je chasse les esprits corrompus
(barré) je protège le village de Listemberg
Les Suisses m'ont donné un protopulseur
Cette forêt doit être détruite !
Je protège le village contre notre chef
Je saigne en permanence par mes cicatrices
Je chasse Irminsul
Nous sommes les gardiens de la forêt
Malheureusement, je n'ai pas récupéré la feuille de Shroud !
Hors ligne
Il demande aux joueurs de jouer des victimes.
Ah oui, complètement. C'est, je le martèle depuis le début, un système dédié à l'horreur. On ne peut pas faire autre chose avec. Si on essaie, ça foire (ou alors, il faut produire une variante comme Sombre max).
Après, la question est de s'entendre sur la signification de " victime ", ou plus exactement de " victime horrifique ". Mais c'est à ça (aussi) que sert le briefing.
Sinon, bien cool de voir qu'Inflorenza avance comme tu le veux.
En ligne
merci de tes encouragements Johan !
Concernant le briefing, je suis a peu pres sur que tu presentes les choses comme il faut. Mais moi je pense que je le faisais pas encore bien, un parce que j'avais pas les bons mots, deux parce que je n'avais pas compris que pour qu'un jeu tourne au mieux, il faut presenter les intentions comme des regles.
ce que je veux dire :
il suffit pas de dire que Sombre est un marteau et qu'il ne sert qu'a enfoncer des clous. Il faut aussi demander aux joueurs de se mettre dans la peau de charpentiers pour que ça marche. Sinon ils continueront de vouloir etaler du ciment avec leur marteau et ils ne s'amuseront pas.
faut que les joueurs pensent victimes en permanence. Meme quand on ne leur demande aucun jet de dé. C'est que comme ça qu'ils produisent du bon jeu et c'est que comme ça qu'ils s'amusent
Hors ligne
La Tête
Un jeu narrativiste n'est pas un jeu littéraire
partie jouée à la convention "Ares-tez vous" à Nantes, le 12/01/2013
Avec moi (Neruda), Agenor (Leotard) et un anonyme (Bret')
Le système avait pas mal évolué depuis le playtest de la semaine précédente avec le podcast de la Cellule. Tout d'abord, j'avais supprimé la création de personnage. Désormais, on crée son personnage lors de sa première instance, en écrivant une seule sentence et non trois. L'idée est la suivante : 0% préparation, 100 % jeu.
Lors de ce playtest, j'ai voulu tester une partie sans préparation. J'avais seulement en tête le lieu du jeu : la Nantes de Millevaux. J'avais pour perspective que les joueurs de la convention seraient de Nantes et pourraient facilement improviser un décor millevalien pour cette ville si riche en histoire et en architecture qu'est Nantes, et c'est pour cela que je n'ai fait aucun briefing sur la situation de Nantes, me bornant à dire qu'elle était devenu une presque-île entourée de marais et toujours traversée par la Loire en son centre.
C'est une approche inspirée du jeu de rôle Dirty Secrets qui propose d'utiliser la ville où l'on habite comme décor d'un polar noir.
Je savais aussi à l'avance qu'en tant que Confident, j'entamerais le premier tour. J'ai commencé la partie en jouant une scène que j'avais en tête : Mon personnage s'appelle Neruda. Il erre, hagard sur les quais de Nantes en face des hangars (qui sont actuellement des bars, mais bien sûr à Millevaux ils sont désaffectés), au pied de la grue du port. Il marche sur le bord du quai, entre les anneaux de Buren (des sculptures en forme d'anneau qui forment une enfilade tout le long du quai). Il porte dans ses mains une tête ensanglantée, dans un sac plastique translucide. Il ne se souvient de rien. Osera-t-il soulever le sac plastique qui contient la tête ? C'est l'enjeu du premier conflit.
Nouveauté par rapport aux playtests précédents : Inflorenza devient une machine à suspense. En tant que joueur, je n'avais pas la moindre foutue explication de à qui était cette tête, si elle était vivante ou morte (tout est possible dans cet univers surnaturel), et ce qu'elle faisait dans mes mains. La narration partagée a apporté les réponses par petites touches tout au long du scénario. Il s'est avéré que la tête était la tête du Duc de Nantes, qu'elle était toujours vivante, que c'était un symbiote qui cherchait à se greffer sur un nouveau corps, le dernier étant mort dans une attaque de chevaliers noirs couverts d'algues qui voulaient réduire la Bretagne à néant. J'étais un serviteur du duc et j'allais porter la tête vers un refuge quand j'ai perdu la mémoire.
En jeu, je n'ai pas eu le cran d'ouvrir le sac, j'ai lancé la tête dans la Loire. Elle a été récupéré par un pêcheur, Léotard qui l'a ramené vers la rive opposée. Il croise alors Bret' (diminutif de Bretagne), un courtisan du Duc de Bretagne plutôt étrange (cuir moustache, pour le coup on aurait dit un perso d'Apocalypse World) qui est plutôt un gros salopard arriviste. Léotard a fort à faire parce que Neruda aussi bien que Bret' auraient intérêt à lui faire porter le chapeau de la décapitation du duc. Il rallie avec Bret' les troupes armées du Duc basées tout près, à l'Eglise Notre Dame du Secours, et qui recherchent activement leur maître, ce puissant seigneur qui s'apprête à faire renaître la Bretagne sous sa bannière d'hermines.
Du côté de Neruda, les choses deviennent tragiques. En explorant les hangars, il découvre des chevaliers noirs couverts d'algues, portant une bannière noir aux hermines inversées. Créatures démoniaques voué à la destruction de la Sainte Bretagne. Ils coupent un bras à Neruda avant qu'il ait le temps de fuir en montant dans la grue. Arrivé dans la grue, exsangue, il utilise le mégaphone de service pour héler les troupes de Notre Dame du Secours, accusant Leotard de ducicide. La mutilation a chamboulé son métabolisme. Il aperçoit les flux de haine comme des forces tangibles et parvient à les amplifier, les diriger. Cette magie nouvelle, il va l'utiliser pour contrer sa peur, sa frustration, sa colère. il va déclencher le chaos.
Les chevaliers traversent la Loire à l'assaut des troupes du Duc. Alors un égrégore de la guerre, chevalier blanc céleste paré d'hermines traverse le vitrail de l'église et se joint aux troupes pour la contre-attaque, écrasant Bret' sous ses fers. Leotard profite du fracas de cette bataille surnaturelle pour prendre la fuite en barque. Neruda tombe dans les vapes. Des heures plus tard, il se réveille. Il fait nuit. Il a perdu tellement de sang... Il entend monter l'escalier de la grue. Clang, clang, clang.
Alors que les troupes du Duc et les chevaliers noirs s'affrontent, la tête du Duc s'extirpe de son sac et se déplace sur ses minuscules pattes. Elle se greffe au corps désossé de Bret'. Mais Bret, par un dernier effort de volonté, parvient à rejeter le symbiote. Il s'éloigne en rempant. Il finira ermite.
Leotard rame en direction de la rive opposée du port. Il aperçoit la tête du duc qui flotte, rejetée par Leotard. Le Duc lui ordonne de le récupérer. Il le fera Baron s'il obéït. Leotard repêche le symbiote. Le symbiote tente de le séduire insidieusement : "prête-moi ton corps, un noble destin t'attendra...". Mais Leotard, écoeuré, épouvanté, prend l'un des brochets de sa pêche. Il lui coupe la tête et greffe celle du duc à la place, et rejette le brochet-duc dans la Loire.
Puis à la faveur de la nuit, il part chercher Neruda, pour lui demander des explications. C'est lui qui monte dans la grue. Clang, clang, clang.
Conclusion / respect des intentions :
Héros, salauds et martyres :
je crois qu'on était tous des martyres en fin de compte ! C'est amusant parce qu'en terme de système, on faisait pourtant pas mal de réussite.
Héroïsme sacrificiel :
ça fonctionnait pas mal ! C'en était presque trop. Bret' et Neruda étaient entièrement démolis à la fin du scénario. En revanche, le système de grades a clairement montré ses limites. Tout comme le principe de barrer une sentence pour la réécrire différemment. Je sentais qu'Agenor ne comprenait pas comment ça se passait. Heureusement, c'est supprimé aujourd'hui.
Centré sur le personnage :
A fond ! J'avais patché le système en imposant que chaque nouvelle sentence comporte un mot en commun avec une ancienne sentence. De surcroît, pour impliquer une sentence dans un conflit, il fallait qu'elle ait un mot en commun avec la sentence précédemment impliquée, et ainsi de suite. Le problème, c'est que nous l'avons vraiment payé en fluidité. Agenor ne comprenait pas cette obligation de mots en communs proche du cadavre exquis, et le joueur de Bret' l'avait au contraire très bien compris, maturant longuement l'écriture de chacun de ses sentences pour optimiser un maximum.
ça ne l'a pas du tout fait : Agenor et le joueur de Bret' se sont plaint de la lourdeur lors du debriefing. Avec raison ! Cela m'a donné une bonne leçon : un jeu de rôle narrativiste ne doit pas être un jeu littéraire. Je veux que les sentences soient narrativement signifiantes, pas que ce soit des alexandrins. Une phrase simple et directe a mille fois plus de chances de convenir, et est mille fois plus rapide à écrire. Le but principal de ce playtest était de tester cette contrainte des mots liés. C'est testé, et c'est bon pour la poubelle.
Centré sur l'histoire :
Je suis assez content de mon idée de départ qui a lancé toute une intrigue sombre en deux heures et demie de jeu bien intenses. Je préciserai dans les conseils de jeu qu'il faut laisser un maximum de zones d'ombres dans sa narration, qui vont être compléter à loisir. On arrive ainsi à une intrigue qui tient en haleine alors même qu'il n'y a pas de MJ
Narration partagée :
Je trouve que ça a bien fonctionné. A mon humble avis la qualité de la fiction le démontre. Agenor a avoué qu'il avait du mal avec le fait de devoir contrôler plus de narration qu'à son habitude (je pense qu'il n'est jamais MJ). Il disait aussi que comme il a une faible capacité de concentration, ce type de jeu lui paraissait un peu exigeant pour lui. Si je ne peux rien soustraire ni ajouter à son ressenti, je suis en désaccord sur le fait qu'il m'ait dit avoir apporté peu d'idées dans le jeu. Agenor est dessinateur (il a dessiné les PJ du scénar du livre source de Millevaux Sombre) et il a dessiné tout le plan des quais de Nantes sur lequel on s'est massivement appuyé. Il a apporté beaucoup de descriptions et d'idées, notamment le fait d'hybrider le duc avec un brochet. Le joueur de Bret', lui-même MJ récurrent et auteur de jeu de rôle amateur, était en revanche très à l'aise, et a fait de nombreuses propositions narratives vachement barrées. L'ange vengeur, le symbiote-tête, c'est de lui. Ses idées soulevaient souvent débat avec Agénor et moi, notamment sur des descriptions (on n'était pas d'accord sur l'aspect de l'ange vengeur). Finalement, le système donne le dernier mot au joueur en instance, ce qui permettait de trancher rapidement et sans litige les débats, sans pour autant interdire ces mêmes débats. J'ai en effet trouvé ces négociations pour la narration très intéressantes. ça donne un aspect morcelé, on voit que chaque personnage a une idée différente de ce qui se passe, du look des lieux et des PNJ. Comme quand tu demandes à des témoins différents de raconter la même histoire. Narrativement, c'est hyper cool. Et on peut attribuer cette divergence de vision à la fois à l'égrégore et au caractère héroïque (personne n'a la même vision de ce que furent les actes des héros. Certains disent qu'il faisait 7 pieds de hauts. D'autres qu'il crachait du feu. D'autres que c'était un nain boiteux et lâche. D'autre qu'il n'a jamais existé)
Dernier fait intéressant : le joueur de Bret a rejoint la table en cours de route. Nous avions joué deux instances avec Agenor. La preuve que le jeu se prête assez bien à du jeu en table ouverte !
En prime, les gestes des personnages, toujours à la mode du nouveau système, sans chiffre et sans grade :
Neruda
(barré) Je veux savoir quel crime a commis cette tête pour avoir été décapitée
(barré) j'ai jeté la tête dans la Loire près des Anneaux de Buren
Je crois que Léotard a coupé la tête
(barré) Les complice de Leotard m'ont tranché un bras dans le hangar
J'ai dénoncé Léotard du haut de la grue
J'ai convaincu la garde de la culpabilité de Léotard
(barré) les chevaliers noirs se sont détournés de la grue
La blessure des chevaliers noirs me fait perdre connaissance
On m'avait confié la garde de la tête
A mon réveil, j'entends monter dans la grue
Léotard
(barré) Je veux en savoir sur cet incident de tranchage de tête
(barré) La tête de l'Etat a été tranchée
(barré) Je pars déoncer Neruda qui a coupé la tête du Duc de Nantes
Je veux savoir si il y a des secours
(barré) Je viens de trouver la milice à Notre Dame du Bon Secours avec Bret'
Je viens vous aider à en connaître plus sur l'incident du Duc
Je vais condamner Neruda et Bret
Je profite de cet incident pour m'éclipser discrètement
Bret
Je suis l'ami du Duc. C'est selon sa volonté que je pardonne et que je condamne
(barré) J'ai trouvé l'assassin. Condamnez le dans son esprit et dans sa chair.
Entraîné dans la bataille par l'esprit de la colère divine
Piétiné par les miliciens pendant la bataille des chevaliers noirs
Symbiote ducal greffé sur moi
Tout moche tout tordu, je deviens ermite
Hors ligne
il suffit pas de dire que Sombre est un marteau et qu'il ne sert qu'a enfoncer des clous. Il faut aussi demander aux joueurs de se mettre dans la peau de charpentiers pour que ça marche. Sinon ils continueront de vouloir etaler du ciment avec leur marteau et ils ne s'amuseront pas.
faut que les joueurs pensent victimes en permanence. Meme quand on ne leur demande aucun jet de dé. C'est que comme ça qu'ils produisent du bon jeu et c'est que comme ça qu'ils s'amusent
Oui mais non.
Parce qu'écrit comme ça, ça donne un peu l'impression que tu as découvert la panacée et qu'il faut l'administrer à grands coups de trique !
Perso, je n'en suis pas là . Ce que j'ai constaté à ma table est que dire est une condition nécessaire mais pas suffisante, il faut montrer aussi. Et continuer à montrer. J'entends par là que c'est un processus continu durant toute la partie.
En clair :
+ Briefer les joueurs sur la condition de victime de leurs PJ est essentiel. Vraiment, c'est un minimum vital. Sans ce petit speech initial, 99 % de chances que la partie aille dans le mur. Plus ou moins, hein. Ça peut aller de complètement raté à pas super réussi.
+ Dire des choses aux gens ne suffit pas, même si les dites choses sont intelligentes et vraies. Pour qu'une leçon soit bien comprise/apprise, il faut qu'elle soit répétée par le professeur et qu'au bout du compte, l'élève se l'approprie. Qu'il la fasse sienne.
+ Le moyen de cette appropriation, c'est le jeu lui-même. De mon point de vue, la partie est un méta-système dont les règles ne sont qu'un élément.
+ Ce qui fait que les joueurs vont se mettre à incarner des victimes, y compris en dehors des combats (dans les scènes où le cadrage technique est significativement moins sensible), c'est qu'ils vont être pris dans une synergie ludique qui va fortement les y inciter.
+ Les éléments de cette synergie sont : les règles, les personnages, le scénario (au sens large, c'est-à -dire inclus le setting puisqu'à ma table, il change d'une partie à l'autre) et l'attitude du meneur. C'est l'interaction (continue, j'insiste) de tout ça qui va, mieux qu'une injonction (« Jouez des victimes, schnell ! ») va naturellement conduire les joueurs à se mettre au diapason du jeu, c'est-à -dire interpréter des victimes.
+ Cette adaptation est plus ou moins rapide selon les joueurs et les groupes (la dynamique collective a une forte incidence sur l'affaire). Parfois, quelques minutes suffisent, d'autres fois ça rame encore après plusieurs heures. Et il y a des joueurs qui ne passeront jamais le cap, mais ceux-là s'en rendent vite compte et en général, ne reviennent pas. Quant aux autres, ceux qui s'accrochent parce que le jeu les accroche, il faut leur laisser le temps de l'adaptation. À ma table en tout cas, c'est ce que je m'efforce de faire.
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