RÉÉCRIRE LE RÉEL
Dans la forêt post-apocalyptique, quand on est chamane nécromancien, traquer les tueurs en série n’a rien de simple ! Un récit par Damien Lagauzère.
(temps de lecture : 24 mn)
Le jeu : Psychomeurtre, les meilleurs des profilers contre les pires des serial killers
Joué en solo le 10/03/2019
Jason Spaceman, cc-by
Et voila donc mon petit Psychomeurtre à la sauce Millevaux et Don't Rest your Head.
J'avoue, j'ai eu du bol aux D, ça aurait pu beaucoup plus mal se mettre. sur le plan technique, j'ai géré les jets d'investigation avec le talent de fatigue de don't rest (avec le risque de sombrer et de virer dans un cauchemar de Coelacanthes, mais ça n'a pas eu lieu) . et pour les cochages relevant du role play, je me suis créé un talent de folie consistant à "écrire" le réel. donc, si ce pouvoir fonctionne, il me donne la possibilité de valider mes hypothèses ^^ mais bon, avec Don't rest, il y a toujours le risque que ça tourne très mal. Mais j'ai vraiment eu du bol. Globalement j'ai eu pas mal de réussites et le Tourment n'a pas dominé tant que ça ou, en tout cas, pas quand ça m'aurait vraiment été défavorable ^^
À lire en écoutant :
Basement Apes Vol.1, par Sunwatchers, la circularité psyché-jazz, la transe chamanique, le non-lieu cosmique
L’Histoire:
On m'appelle le mHaze. Comme tous les shamans du Clan des Arbres, je dissimule mon visage derrière une cagoule de cuir surmontée de bois de cerf.
Mon nom n'est pas comme ceux des autres membres du Clan car je suis une « pièce rapportée ». C'est mon père adoptif NoAber, qui me l'a donné. Et NoAnde, le shaman qui m'enseigne, m'a dit qu'un jour je connaîtrai l'origine de ce nom. J'espère que NoAber vivra assez longtemps pour me révéler ce secret. Il va de plus en plus mal. Et j'ai de moins en moins de temps à lui consacrer.
J'ai aussi de moins en moins de temps à consacrer à l'art des shamans. Aujourd'hui, toute mon attention est concentrée sur la recherche de la chose qui a tué ma compagne, Edes !
NoAnde m'a donné son accord pour que ma route s'éloigne un temps de celle du Clan. Il sait qu'il ne s'agit pas d'un simple vengeance. Ce qui a tué Edes a déjà tué auparavant et tuera encore. Il faut que quelqu'un l'arrête. Et le temps m'est compté car, si comme je le pense, ce Horla est soumis à un cycle, je dois le trouver avant qu'il ne quitte notre monde. Mais de combien de temps dispose-je en réalité ? Je n'en sais rien.
Nous sommes le 19 Vrillette,
« J'veux bien couper les arbres et mettre la charrue !
Mais avant le vendredi saint, la terre saigne, et après elle bouffe plantes et hommes. »
Cela fait maintenant deux jours que j'ai quitté le Clan des Arbres. J'erre dans les bois, me fiant à ce que je crois, à ce que j'espère, être sa trace. Et je trouve une nouvelle victime. C'est un homme cette fois. Il a la peau rouge et une veste de bûcheron. Je sens encore sa transpiration. Il est mort il y a peu. Le monstre est-il encore dans les parages ?
Le pauvre homme a été roué de coups. Il est couvert d'hématomes. Ses yeux et ses lèvres sont gonflées. Son nez écrasé saigne. Ses lèvres aussi. Je le palpe et constate que ses côtes sont cassées, enfoncées. Les os de ses bras et de ses jambes ont également été brisés à mains nues. Comme Edes...
Je remarque également un impact au niveau du crâne. Il a été touché à la tête. Par un caillou peut-être ? Il faudrait que je le trouve. Je regarde autour de moi. La forêt offre bien des endroits où se cacher, où tendre un piège. Est-il possible que ce monstre ait attendu ici qu'une innocente victime passe par hasard ? Si mon hypothèse est juste et qu'il est soumis à un cycle, il va vouloir en finir avec sa tâche avant d'être contraint à rejoindre un autre monde. Aussi, il est probable qu'il connaisse cet endroit. Il sait qu'il y a du passage. D'une certaine façon, il est chez lui. Et il est fort probable qu'il ne soit pas loin ou qu'il compte revenir. Si c'est le cas, malgré l'éventuelle urgence due à l'achèvement de son cycle, il doit rester confiant.
À ce stade de mon enquête, je pense qu'il n'a peut-être pas forme humaine. Sinon, il ne prendrait pas la peine de se cacher ou d'attaquer à distance. Il pourrait approcher ses victimes et tenter de se faire passer pour un ami.
Cette nouvelle victime a été tuée non loin du territoire du Clan des Arbres. Peut-être que ce Horla est lié d'une façon ou d'une autre à cet endroit. En tous cas, je pense qu'il le connaît bien.
Ce rituel qu'il veut ou doit accomplir avant de quitter Millevaux suppose la mort de plusieurs personnes. Combien ? Il a certainement déjà tué avant. Et il est probable que la fréquence de ses crimes s'accélère s'il est loin du compte. Peut-être, d'ailleurs, que l'accomplissement de ce rituel lui permettrait de rester ici ?
Je fouille les environs, à la recherche du caillou qui a servi à assommer le bûcheron. Ce faisant, je trouve aussi des empreintes de pas. Et elle confirme mon hypothèse. Ce Horla n'a pas figure humaine. Ces traces sont de taille humaine mais elles présentent d'étranges déformations, comme si les orteils s'étaient assemblés pour former des sabots de chair. Ne trouvant pas ce maudit caillou, je me concentre sur ses empreintes. Je ferme les yeux et demande, humblement, leur aide aux esprits de la Forêt. Je sens qu'ils me sourient. Cette chose n'est pas humaine mais se déplace comme un humain, sur ses deux pattes arrières.
Je remercie les esprits pour leur aide. J'ai encore beaucoup de questions à leur poser mais je sais, par expérience, qu'il ne faut pas abuser de leur bonté. Je me rappelle les leçons de NoAnde à ce sujet. Les esprits ne sont pas là pour nous servir. C'est nous qui les servons. Et s'ils acceptent de répondre à nos requêtes, c'est uniquement parce que cela sert leurs intérêts. Ce que nous croyons être nos motivations, nos buts, sont en réalité les leurs...
Je ne sors pas d'un rêve. Je voudrais sortir d'un rêve, un de ceux où les Esprits seraient venus me visiter et me dispenser leurs bons conseils. Mais, depuis la mort d'Edes, je ne dors plus. Est-ce la vengeance qui me tient éveillé ? La douleur ?
J'ai attendu longtemps, assis à côté du cadavre de ce bûcheron. Mais rien n'est venu. Ni le sommeil, ni l'illumination, ni le meurtrier... Rien, ni personne. Alors, après plusieurs heures passées à réfléchir, j'ai décidé de me lever.
Mais ces heures n'ont pas été vaines. J'ai beaucoup réfléchi. Peut-être que je me trompe en pensant que c'est un Horla qui a tué Edes. Peut-être n'est-ce qu'un homme, un vilain estropié ? Ou un sorcier pensant servir une déité Horla ? En tous cas, peut-être que le tueur, quelle que soit sa nature, est malgré tout soumis à un cycle. Il y aura donc d'autres victimes. Mais cela veut aussi dire qu'il y en a eu d'autres avant ! Si je les trouve, j'aurais peut-être de nouveaux indices.
Je m'approche d'un arbre, un Noyer. Je pose mes mains à plat contre le tronc. Je me rapproche encore. Je colle ma joue contre lui. Je ferme les yeux et cherche à entendre le battement de son cœur. A-t-il quelque chose à me dire concernant les autres victimes ?
Un flash !
« Change de lieu ! Une chasse aux sorcières ! »
Qu'est-ce que ça veut dire ? Je traquerais donc une sorcière ? Et elle serait ailleurs ?
Bien, mais... Je veux en savoir plus sur les autres victimes. Alors ?
Alors, oui ! Il y en a eu d'autres ? Je vois tout ces petits points luisant faiblement dans les ténèbres. Autant d'âmes perdues. Elles se répartissent dans l'espace et le temps, entre les mondes des vivants et des morts et des Esprits et du Rêve. Pour l'heure, il n'y aurait eu qu'un seul cycle. Celui-ci serait donc le premier mais il aurait commencé il y a longtemps. La fin n'est pas proche mais le rythme pourrait pourtant s’accélérer.
Mais pourquoi ? Que veut cette sorcière ? Puisqu'il semble bien qu'il s'agisse d'une sorcière. L'Esprit du Noyer, peut-il m'aider ? Je regarde dans ma besace et en tire trois noix.
Et je suis soudain en nage ! Je ne sais pas ce qui m'arrive. Je m'accroche à cet arbre avec la terrible, l'horrible peur de tomber, de chuter de son sommet et de mourir écrasé au sol. Je ferme les yeux le plus fort que je peux. Je sens le frottement de l'air contre mon visage. Cette sensation de chute, de vertige est insoutenable. Je tombe à genoux ! J'ouvre les yeux et constate que je suis bel et bien tombé, oui, mais seulement du haut de ma personne. Quel avertissement les Arbres ont-ils voulu m'adresser ? Je m'examine. Malgré tout, j'ai réellement peur de m'être blessé. Mais je n'ai finalement qu'une vilaine bosse. Je la touche. Je la presse. J'ai l'impression qu'il y a quelque chose dedans. Mais ce n'est qu'une impression, une sensation sans fondement car je suis si fatigué.
Je ferme les yeux et je vois un astre se dessiner dans la nuit. Et j'ai le terrible pressentiment d'un effondrement à venir.
Je regarde autour de moi. J'ai l'impression qu'on m'observe. Pourtant, je suis seul. Et je pense à mon père adoptif, NoAber. Il m'a recueilli quand j'étais enfant. Il m'a donné à manger, à boire. Il m'a soigné et m'a donné mon nom. Je n'ai pas le même nom que les autres hommes du Clan des Arbres. NoAber voulait que je sache que je venais d'ailleurs. Mais il ne voulait pas que j'en souffre. Il voulait au contraire que j'en sois fier et que je fasse de mes origines une force, un don précieux pour le Clan. C'est aussi pour ça que j'ai choisi de devenir shaman. Je lui dois beaucoup. Je lui dois tout. Et ne devrais-je pas être à ses côtés aujourd'hui alors qu'à son tour il a besoin de moi ?
Inutile de rester ici. Les Arbres ont été clair quant à la nécessité de quitter cet endroit. Mais pour aller où ? Je sais qu'il y a eu d'autres victimes par le passé. Et il y en aura d'autres ! Je sais aussi qu'il est possible que ces meurtres ne soit pas le fait d'un Horla mais d'une sorcière aux pieds difformes. Mais peut-être change-t-elle d'apparence au moment de passer à l'acte ?
Je ne sais pas pourquoi elle agit ainsi. Elle obéit à un cycle, un cycle long. Mais son rythme n'est pas nécessairement régulier et tout pourrait s'accélérer, d'autant plus que j'ai eu cette vision de chute et d'effondrement. Et cet astre dans la nuit, quel est son rôle ?
Tue-t-elle pour obéir à une puissance supérieure ? Pour s'attirer ses faveurs ? Est-elle seulement folle ? Comment le savoir ? Elle a tué Edes et cet homme en les rouant de coups mais... et si il y avait autre chose ? Je dois examiner les corps. Je soulève le corps du bûcheron et décide de rentrer. Là, je tenterai d'en savoir plus.
C'est avec joie que je retrouve le Clan des Arbres, même si je ne suis pas parti si longtemps que ça. Je m’enquiers de l'état de santé de NoAber et constate que rien n'a changé. Je fais semblant d'être optimiste.
Je dépose ensuite le corps du bûcheron et explique mon plan à NoAnde. Cela me fait plaisir et me rassure que celui qui m'a tout appris de l'art des shamans du Clan des Arbres approuve ma quête et valide mes hypothèses. Ne voulant pas abuser de sa générosité, je n'ose pas lui demander de m'assister dans ce rituel de nécromancie. Mais je lui demande tout de même de bien vouloir veiller sur NoAber.
Je prépare les corps, celui d'Edes et celui du bûcheron. Je les lave. Je les habille avec des vêtements propres. Je peins sur leurs visage, leurs mains et leurs pieds les symboles qui me permettront, par le truchement des Esprits, de lire en eux, de les faire parler. Je dois savoir précisément ce qu'on leur a fait. Une fois les corps préparés, je dessine le pentacle qui va les accueillir et dispose, aux points symboliques, des coupelles remplies d'encens, de pétales de fleurs, de bougies. Je n'ai pas dormi depuis des jours. J'espère que ma concentration ne va pas s'en ressentir. J'ai tellement besoin de savoir.
Je me concentre. Je gobe une poignée de noix. J'entonne le chant rituel en dansant autour du pentacle. Une fracture ! Dans la réalité ! La transe s'empare de moi. Je perds le contrôle. Les dessins, le pentacle, les corps ! Tout change de forme. L'espace autour de moi se redessine. Je suis entouré de symboles étranges que je ne comprends pas. Il y a pourtant un sens à cela. Quel est-il ? Je regarde le corps d'Edes. Il est tordu dans tous les sens. Lui aussi dessine de nouveaux symboles. Il semble vouloir me dire quelque chose. Edes veut me dire quelque chose. Mais quoi ? La bosse, celle que je me suis faite en me cognant dans la forêt, se met à pulser. Ce qu'il y a dedans, car il y a vraiment quelque chose dedans, veut sortir ! La transe s'est emparée de moi. Je suis en transe ! Je suis l'incarnation de la transe. La transe incarnée ! Et pourtant, il y a ce voile entre moi et la vérité, entre moi et ce que les corps tentent de me dire. Je dois déchirer ce voile et lire la réalité !
Et d'un coup de tête, les bois fixés à ma cagoule écorchent, tailladent et balafrent le réel. Et derrière, je vois, non pas cette sorcière meurtrière, mais ses buts, ses objectifs. C'est une page blanche. Je prends un bout de charbon et j'écris.
Cette sorcière veut s'attirer les faveurs d'une déité Horla. Elle accompli ces meurtres à des dates précises, selon un calendrier connu d'elle seule. Mais il y a une certaine logique derrière tout cela. Il y aura d'autres morts car la déité Horla est exigeante.
Je lâche le bout de charbon. Je recule. Je regarde cette page de réel. Elle n'est plus blanche. Je lis là ce qui anime cette sorcière. C'est ça, elle tue pour s'attirer les faveurs d'une déité Horla.
Et je m'écroule au sol, agité de spasmes. Je sens quelque chose cogner à l'intérieur de cette bosse. Puis, ces mouvements se calment et s'arrêtent. Je me relève et me rue vers un miroir. Cette bosse a changé de forme. Elle ressemble maintenant à... un serpent qui se mord la queue ?
J'ai besoin de repos. Je suis épuisé. Pourtant, impossible de dormir. Rêver me ferait du bien. Les Esprits pourraient venir me parler, me réconforter, purifier mon âme. Et pourtant, je ne dors pas. Est-ce que cela veut dire que le repos de l'âme m'est interdit désormais ? À moins que je ne trouve le repos qu'avec la mort de cette sorcière ? J'ai pourtant besoin de me changer les idées. Mais j'ai toujours besoin d'apprendre. Alors, je rejoins NoAnde. Je lui raconte cette étrange expérience. Il me sourit et me dit qu'il n'a pas de réponse. Et s'il y en a vraiment une, elle appartient aux Esprits de la Forêt, aux Esprits des Arbres. Alors, il me raconte l'histoire de l'Esprit du Noyer et comment les Noix permettent de voyager entre les mondes. Il me raconte aussi la lutte contre les Cœlacanthes. J'aime écouter ses histoires. Elles sont toujours riches d'enseignements. NoAnde me jure qu'il n'a pas de réponse à mes questions concernant cette sorcière, mais ce n'est certainement pas par hasard qu'il me parle du Noyer et des Cœlacanthes.
Je passe ma main sous ma cagoule. La bosse est toujours là, avec sa forme étrange. Dois-je y voir un message des Esprits ? Un serpent qui se mord la queue... Dois-je voir là qu'il s'agit bien d'un cycle, de quelque chose qui va se répéter ? Ou alors... est-ce que cela voudrait dire que je me dévore moi-même en me lançant dans cette quête, cette enquête ?
Ou... est-ce là une mise en garde ? Le cycle arriverait à son terme ? Dans ce cas, je ne dois pas perdre de temps. Mais dans quelle direction aller maintenant ?
Je pense que cette sorcière connaît bien les lieux. Dans ce cas, peut-être qu'elle fait partie de la communauté dont est issu le bûcheron dont j'ai trouvé le cadavre. Peut-être aussi qu'elle fait partie du Clan des Arbres. Mais, dans ce cas, je pense que je l'aurais remarqué. À moins que... qu'elle ne se cache particulièrement bien. Peut-être aussi qu'elle vit cachée dans la forêt.
Et si je parvenais à entrer en communication avec elle par le biais du monde des Esprits ? Et si, l'espace d'un instant, je pouvais voir par ses yeux, entendre par ses oreilles ? Cela me donnerait une idée de là où elle se trouve.
Après m'être assuré que mon père allait aussi bien que possible et donné des instructions pour qu'on prenne soin de sa santé, je retourne dans la forêt. Là, je trouve un Noyer. Je presse mes paumes et mon front contre son tronc. Je lui demande de m'aider. Je l'implore. J'ai conscience qu'il ne me doit rien, que c'est moi qui lui doit tout. Mais je dois savoir. Je dois trouver cette sorcière. Il ne s'agit pas seulement de venger la mort d'Edes. Il s'agit et surtout d'empêcher de nouveaux meurtres et d'empêcher la réalisation de ce rituel morbide. Ô Noyer, aide-moi !
Et l'arbre m'aide. Je souris. J'y vois là sa volonté d'arrêter cette sorcière. Il sait que ces projets sont néfastes aux hommes comme aux Esprits. Et je vois...
Un aigle ! Il tourne en rond dans le ciel. Elle a donc les yeux levés vers le ciel. Est-elle haruspice ? Interprète-t-elle les virevoltes de l'oiseau ? Je vois maintenant une porte. Elle regagne ce qui doit être sa chaumière. Oui ! Elle vit seule dans la forêt. À l'intérieur, elle regarde un cristal. Il est énorme et taillé de façon irrégulière. Elle le touche, le caresse. Elle lui parle. Elle parle de... ma bosse. Sait-elle que je suis sur sa trace ? Elle parle à celui ou ce qu'elle appelle « le Dragon ». Et ce cristal, chacune de ses faces est une fenêtre vers un ailleurs. Lequel regarde-t-elle ?
Dans le cristal, un endroit étrange. Deux personnes sont reliées à une sorte de pompes qui leur injecte un produit semblant les plonger dans l'hébétude la plus totale. Quel lien avec le dragon ?
Dans une autre facette, c'est une automobile, mais pas une carcasse comme on en trouve dans la forêt, une vraie, qui roule et qui... fond littéralement comme neige au soleil.
Je préfère me retirer avant qu'elle ne se rende compte que je l'observe.
Elle vit donc là, seule, dans cette chaumière quelque part dans la forêt. Elle est finalement assez proche de nous. Elle sert celui qu'elle appelle « le Dragon ». Quelle sorte de monstre, de Horla ou de déité Horla cela peut-il bien être ? Et ce cristal ?
Mais surtout, où est cette chaumière ? Je dois la trouver ! Et soudain, je me demande si elle n'aurait pas des complices. Peut-être au sein du Clan des Arbres d'ailleurs ? Cette pensée me fait mal mais, malgré tout, je ne dois pas l'évacuer. Alors, je rentre...
Nous somme maintenant le 23 Vrillette et je n'ai toujours pas dormi...
« J'dirais pas qu'c'est mal de coucher avec sa mère.
Mais ce que ça retourne au niveau de la mémoire et de l'égrégore...
Tu veux pas savoir. »
C'est par ces mots que m'accueille NoAnde. Et il n'a rien d'autre à me dire... Comme souvent, c'est à moi de trouver le sens de tout cela.
La transgression. NoAnde me parle de transgression. Et il me dit que ce n'est pas mal mais qu'il faut en assumer les conséquences. Dois-je me livrer à une grande et grave transgression pour parvenir au terme de mon enquête ? Quelles en seront les conséquences ? Et, finalement, est-ce que je veux vraiment savoir qui a tué Edes ? Et pourquoi ? NoAnde veut-il me dire par-là que je dois aujourd'hui faire le choix entre poursuivre ma quête mais en assumer les conséquences ou bien faire mon deuil et reprendre ma place au sein du Clan des Arbres, en acceptant que le coupable de la mort d'Edes ne soit jamais puni ?
Mais ce n'est pas qu'une histoire de vengeance. Cette sorcière tuera encore, au nom de ce Dragon. Je dois l'arrêter. Car, quelles seront les conséquences si je ne fais rien ? Les conséquences pour notre Clan seront peut-être bien pires que ce que j'aurais à supporter comme prix pour avoir tenté de l'arrêter ? L'heure est plus grave qu'il n'y paraît. Et elle est plus grave car, assurément, cette sorcière n'agit pas seule. J'en ai l'intime conviction, si elle ne le dirige pas, elle est au cœur d'une cabale qui tue au nom de ce Dragon. Alors, oui, j'irai jusqu'au bout quel qu'en soit le prix. Mais, pour ça, je vais avoir besoin de trouver ses complices. Et si je ne trouve pas d'indice, je tordrai la réalité pour qu'elle me les donne...
Je m'installe au chevet de mon père. Lui, il dort paisiblement. Je sors une poignée de noix de ma besace.
Et un voile, LE voile, se déchire. Là, sous mes yeux. Et je vois. Et ce que je vois m'emplit de terreur. Une terreur telle que je m'enfuis en hurlant. J'erre dans les bois en criant car je comprends que la réalité n'est pas... ce qu'on croit. Rien n'est vrai ! Tout est permis ! La réalité est une construction qui ne s'impose à nos sens que par ce que nous l'acceptons. Nous pensons, nous pauvres humains, que nous ne pouvons que nous plier à la réalité. Mais c'est faux ! C'est une illusion. C'est ce que la réalité veut nous faire croire. Mais en réalité, la réalité a peur de nous. Elle a peur de l'homme car l'homme peut la contraindre. Il y a des moyens. L'homme a eu les moyens. Il les a toujours eu. Mais il les a oubliés. La réalité a toujours œuvré à ce que l'homme oublie comment la soumettre, la réécrire.
Et soudain, je m'arrête de courir car je suis face à un trou noir. Il ne s'agit d'un véritable trou dans le sol. C'est un trou dans le réel. Dans ma conception du réel. Et là, je suis face à l'insondable tâche consistant à le remplir. Je dois créer ce réel pour qu'il ne demeure pas un trou noir qui va aspirer tout le reste de la création. Ce que je créerai pour combler ce trou deviendra la réalité et je devrai l'assumer, je devrai assumer le contenu de la réalité. Je dois prendre et assumer cette responsabilité de créer le réel car, j'ai besoin de connaître les complices de cette sorcière si je veux l'arrêter. Alors, je vais les fabriquer et je vais les traquer. Et quand je les aurais trouvé, ils me mèneront à elle et j'en finirai avec le Dragon !
Je ne suis pas animé par la vengeance mais ceux que je cherche le sont. NonUnd, un chasseur à l'arc au sein du Clan des Arbres, était jaloux. Il convoitait Edes et nous ne le savions pas. C'est pour ça qu'il l'a désignée comme victime. Je le connaissais comme un homme prétentieux et inconséquent. Je ne pensais pas qu'il pourrait commercer avec le Mal. Et pourtant ! Et EzBaina,ce jeune qu'on aime à appeler « l'Ermite » en raison de son goût pour la solitude. Il est son complice, lui aussi. Je vois, je sais, car je l'ai écrit. Il a dérobé un objet. Il a erré seul dans les bois et il a volé cette corne. Cette corne de Dragon. C'est lui qui a introduit le culte Dragon parmi nous. C'est lui qui le premier a rencontré la sorcière.
Le trou dans la réalité se referme. Je sais maintenant ce que je dois faire. Je reprends mes esprits et retourne au chevet de mon père.
NoAnde sait-il ? Sait-il pour la réalité ?
Quelque part dans la forêt, un jeune homme pousse un porte. Dans la chaumière, une vieille femme est penchée au dessus d'un cristal.
« C'est toi, EzBaina. »
Ce n'est pas une question.
« Oui, Grand-Mère. ».
Il lui tend quelque chose, une longue corne torsadée. La vieille femme ne se retourne pas.
« Garde-la. Tu l'as prise. Elle est à toi maintenant. »
De retour au sein du Clan des Arbres, mon regard sur les miens a changé. Je sais déjà, car je l'ai écrit, que NonUnd et EzBaina sont des traîtres et conspirent avec la sorcière qui a tué Edes. Mais ils ne sont sûrement pas les seuls. Qui sont leurs complices ? À qui puis-je me fier pour les retrouver ? NoAnde, évidemment.
Contre toute attente, NoAnde répond négativement à mes questions. Non seulement il ne les a pas vus mais je sens une certaine froideur dans ses propos. Il ne me dit pas de laisser tomber cette piste mais je comprends bien qu'il ne m'aidera pas à les trouver. Peut-être qu'il sait comment j'ai eu ces informations ? Peut-être qu'il sait que je les ai créées, que c'est moi qui a crée la culpabilité de NonUnd et EzBaina. Ils seraient restés innocents si je n'avais pas comblé moi-même ce trou noir dans le réel. Mais maintenant, c'est comme ça. Telle est la réalité. Même si c'est moi qui en ait décidé ainsi, ils sont tous les deux réellement coupables.
Je ne suis pas un meneur d'homme. Pourtant, j'ai besoin de l'aide des membres du Clan pour trouver NonUnd et, surtout, EzBaina. Je n'ai que rarement pris la parole devant les autres, et jamais pour leur demander quelque chose ou leur donner des ordres. Mais aujourd'hui, c'est différent. Je ne rentre pas dans les détails mais leur rappelle la mort d'Edes et du bûcheron. Et je leur dis que je dois parler à ces deux-là. Je les veux, vite ! Et on me les emmène, vite !
Je les fais conduire dans un endroit un peu à l'écart, pieds et poings liés. Ils me connaissent. Ils savent que je suis lié aux Esprits de la Forêts. Je ne sens pas de la peur dans leur regard mais, malgré tout, une certaine appréhension. Ils savent pourquoi ils sont là. Alors, je ne prends pas de chemins détournés, ni de gants. Je leur explique savoir qui a tué Edes. Je veux retrouver cette sorcière. Je veux l'arrêter. Et s'ils m'aident, alors, j'effacerai leurs noms de la liste de ses complices. Je suis shaman du Clan des Arbres. Ils savent que mes paroles ne sont pas des mots en l'air. Ils me croient quand je leur dit avoir ce pouvoir, mais ils ne savent pas à quel point je possède effectivement ce pouvoir.
Pour achever de les convaincre de me révéler la vérité, je leur explique que si les mots ne sortent pas de leur bouche, j'irai les chercher au fond de leurs entrailles. J'ai été initié à la nécromancie. Je sais faire parler les morts autant sinon plus que les vivants. Maintenant, c'est à eux de choisir.
Et ils parlent !
EzBaina s'est effectivement retrouvé le gardien de la Corne du Dragon. Lui et sa grand-mère se sont alors mis en tête de l'invoquer, lui, le véritable Dieu de la Forêt. En échange, ils auraient eu un nouveau statut au sein du Clan. Elle n'aurait plus été considérée comme une sorcière mais comme une shamane. Et lui, il serait devenu une sorte de héros, le champion du Dragon. Alors oui, il a répandu la parole du Dragon au sein du Clan et oui, sa grand-mère a usé de ses pouvoir pour lui offrir des victimes, pour l'attirer ici, l'inciter à revenir.
EzBaina finit par me donner une des informations dont j'ai besoin. Effectivement, cette série de meurtres touche à sa fin. Il y aura bientôt eu assez de victimes pour que le Dragon revienne. Mais cette ultime victime doit être spéciale. Il doit avoir les yeux verts et avoir été échangé à la naissance.
Je repense à l'historiette de NoAnde. Est-ce cela le prix à payer pour avoir transgressé les règles de la réalité ? Ces deux-là ne peuvent pas le savoir mais, sous ma cagoule, j'ai les yeux verts. Et, même si ce n'est pas un secret, tout le monde ne sait pas que je ne suis pas né au sein du Clan. Il y a toujours ce mystère autour de ma naissance que seul mon père connaît.
Inconsciemment, je fais un pas en arrière. Sentent-ils ma tension ? S'ils savent ces choses me concernant, ils savent que je suis une victime toute désignée pour cet ultime sacrifice. J'ai le sentiment qu'ils ne le savent pas mais la vieille, dans son cristal, qu'a-t-elle vu ? Que sait-elle ? J'ai réécrit la réalité et voilà qu'elle se retourne contre moi. Je presse la bosse sous ma cagoule. Le serpent se mord la queue.
Dois-je réécrire le réel pour tenter de sauver ma peau ou, au contraire, dois-je aller au devant de mon destin et accepter ce qui arrivera quoi qu'il arrive ?
Je réfléchis et prends conscience que je ne savais pas que la grand-mère de EzBaina vivait à l'écart du Clan. Pourquoi ? Lui refuse de m'en dire plus. NoAnde acceptera-t-il ? Pas plus mais il me conseille malgré tout de m'en remettre à mes visions. Il est moins froid maintenant et me donne même une poignée de noix. Je retourne auprès de mon père et m'en vais rêver éveillé.
Je me sens bien. Je suis serein. Je nage en pleine folie mais cette folie n'est pas la mienne. Celle que EzBaina appelle Grand-Mère était destinée elle aussi à devenir shaman. Mais elle s'est vouée aux aspects les plus sombres du monde des Esprits. NoAnde me l'a dit. Les Esprits ne nous servent pas. C'est nous qui les servons. Quand ils répondent à nos demandes, c'est parce que nos demandes sont en fait les leurs. Mais elle, elle ne voulait pas obéir. Elle voulait les soumettre. Elle aussi, voulait tordre la réalité. Mais elle y a laissé une partie de son âme. Elle s'est laissé envahir par les recoins les plus sombres du monde des Esprits. Elle s'est laissée posséder par les plus diaboliques d'entre eux. Elle a écrit leurs paroles, leurs pensées. Puis, elle a appris. De shaman, elle est devenue sorcière. Et elle a été bannie. Là, seule, plus rien ne l'a freiné dans sa course vers les ténèbres. Et elle a fini par trouver le Cristal et la Corne du Dragon. Et quand EzBaina, par jeu, par curiosité, lui a dérobé la Corne, alors est né ce projet fou de faire venir le Dragon, de lui offrir des vies pour le contraindre, le soumettre, obtenir de lui pouvoir et reconnaissance.
Est-ce un tel destin qui m'attend si je persiste dans cette voie consistant à réécrire le réel ? Mais si je ne fais rien, quel destin m'attend ? Être la cible de cette vieille sorcière ? Dois-je m'y résoudre ? Dois-je prendre les devants ? Je pourrais le faire mais j'ai peur.
Il y a des éclairs cette nuit.
Par intermittence, on distingue la silhouette étrange d'un être recouvert d'une carapace sombre et aux jambes tordues.
Cette chose ressemble à un être humain mais n'en a plus que vaguement la forme.
Son visage n'a plus rien d'un homme.
On dirait un arbre, un enchevêtrement de branches et de brindilles.
Un homme est lui aussi sous la pluie. Malgré l'orage, il fait le tour des pièges qu'il a posés.
Il ne sait pas qu'il va mourir.
Il reçoit un caillou un visage. Il se tourne mais ne voit personne.
La créature l'a déjà contourné et se jette sur lui.
Elle le roue de coups.
L'homme tente de se défendre mais ne peut rien contre la servante du Dragon.
Je tâte la bosse sur mon front. Le serpent se mord la queue. Le Dragon se mord la queue ! Être la dernière victime, celle qui ouvrira les portes au Dragon, est-ce là mon destin, ma punition pour avoir transgressé ce tabou consistant à écrire la réalité pour faire de NonUnd et EzBaina les témoins dont j'avais besoin pour stopper la meurtrière d'Edes ? « Tu veux pas savoir... » dit l'historiette. Et pourtant...
J'ai oublié la dernière fois que j'ai dormi. Cela fait des jours. Alors, peut-être qu'en réalité je suis en train de dormir et de rêver, rêver que je ne dors plus. J'ai choisi de transgresser le tabou et je dois l'assumer. Alors, je choisis d'aller au devant de mon destin, aussi funeste soit-il.
Je n'ai pas osé demandé à NonUnd et EzBaina où se trouvait la chaumière de la sorcière. Je pourrais le faire maintenant. Ils me répondraient. Ils ont trop peur de ce que je pourrais leur faire. Pour autant, cette histoire est la mienne. Et si je choisis de ne pas subir les événements, je dois assumer aussi ce rôle consistant à écrire moi-même ma propre histoire. Alors, je gobe une poignée de noix.
Et je vois la chaumière. Elle n'est pas si loin que ça de là où notre Clan s'est installé. Mais elle est bien cachée. Malgré tout, cette petite clairière n'est pas si facile d'accès pour celui qui ne sait pas où elle est. Mais je sais ! Et à mesure que je m'approche, je sens ce poids sur mes épaules. Le poids de mon destin. Et je me dis que rien n'est dû au hasard. Cette vieille sorcière savait pertinemment ce qu'elle faisait et ce depuis le début. Elle l'avait certainement vu dans son cristal. Elle devait avoir tout prévu. Et moi, je me jette dans la gueule du loup, la gueule du Dragon. Je devrais faire demi-tour mais je continue d'avancer. Je ne suis plus qu'une marionnette mue par le destin ou plutôt ce sortilège que la sorcière a dû me jeter. Car c'est ça, je suis ensorcelé, victime d'une magie noire mortelle je m'en vais présenter mon cou à la hache du bourreau, ma gorge à la mâchoire du Dragon. Mais j'avance...
Je sens quelque chose fourmiller sous ma cagoule de shaman. Quand je passe la main sur mon visage, je sens... de la mousse. Comme celle qu'on trouve sur les arbres. Qu'est-ce que cela signifie ? Quand j'arrive devant la chaumière, la mousse recouvre le dos de mes mains. Je me mets à courir. J'ouvre la porte...
La vieille est là, au milieu d'un pentacle dessiné au sol. Je reconnais certains symboles. C'est la Langue Putride ! Elle a la tête rejetée en arrière. Et elle brandit, bien haut au-dessus d'elle, une lame rituelle. Elle se tourne vers moi, affichant un horrible sourire édenté. Et je comprends. Je vois ses yeux verts. La dernière, l'ultime victime, celle qui ouvrira la porte au Dragon doit avoir les yeux verts et être née hors du Clan. Je ne sais rien de ses origines mais peut-être qu'elle aussi est née ailleurs. Alors, dans ce cas, ce n'est pas moi la dernière victime !
Elle se met à rire. Lit-elle dans mes pensées ? L'espace d'un instant, j'ai envie de la laisser mettre fin à ses jours. Mais, si je la tue, cela ouvrira malgré tout la porte au Dragon. Je dois la tuer. Je peux la tuer. Mais pas à l'intérieur de ce pentacle. Aussi, je me jette sur elle !
Et la folie s'empare de moi ! Bien avant que la lame n'atteigne son cou, je me saisis de la sorcière et la projette hors du pentacle. Elle lâche son arme qui glisse dans un coin. Et je me précipite sur elle. Je m'en saisis et me retourne vers la vieille qui tente de s'enfuir en rampant. Je lui saute dessus et plante la lame entre ses omoplates. J'ai l'impression de la tuer plusieurs fois. Son sang recouvre mes mains et en imprègne la mousse verdâtre qui y est apparue. Je me sens mal. Il se passe quelque chose dans mon corps. Mes os bougent à l'intérieur de mes membres mais ils ne suivent pas les ordres émanant de ma volonté. Péniblement, je gagne l'extérieur. Je fais quelques pas sous la lumière du soleil. Mes pas sont lourds, difficiles. Et je me fige. Je sens mon pied s'enfoncer dans le sol. Je sens mes orteils déchirer mes bottes et s'enfoncer dans la terre. Contre mon gré, je lève mes bras au ciel et les vois s'allonger. Mes doigts, de dix deviennent vingt puis cent ! La mousse se répand et devient feuillage...
Je suis un Arbre…
Commentaires de Thomas :
A. J'écoutais une pièce de psyché-jazz trop chamanique en lisant ce CR et donc, je le propose comme playlist :
Basement Apes Vol.1, par Sunwatchers, la circularité psyché-jazz, la transe chamanique, le non-lieu cosmique
B. As-tu utilisé Bois-Saule ou juste les entrées de l'Almanach ?
C. Il y a un certain contraste a vouloir jouer un expert profiler de Psychomeurtre dans le monde post-apo de Millevaux, où on peut supposer que les enquêtes aboutissent principalement à des impasses, faute de moyens d'investigation corrects et proportionnés aux menaces. A ce titre, pour jouer une enquête dans Millevaux qui serait plutôt vouée à l'échec et à l'erreur judiciaire, j'utiliserais volontiers Le Témoignage.
D. De fait, les compétences d'investigation des personnages de Psychomeurtre me semblent ici relativement caduques. Qu'as-tu finalement utilisé du système ? La fiche de serial killer et l'enchaînement des scènes ?
E. "Je prépare les corps, celui d'Edes et celui du bûcheron. Je les lave. Je les habille avec des vêtements propres. Je peins sur leurs visage, leurs mains et leurs pieds les symboles qui me permettront, par le truchement des Esprits, de lire en eux, de les faire parler."
Très cool ce rituel ! Je sais pas si ça rentre dans le parfait manuel du profiler de Psychomeurtre, mais on s'en fiche :)
F. "La transgression. NoAnde me parle de transgression. Et il me dit que ce n'est pas mal mais qu'il faut en assumer les conséquences. Dois-je me livrer à une grande et grave transgression pour parvenir au terme de mon enquête ? Quelles en seront les conséquences ? Et, finalement, est-ce que je veux vraiment savoir qui a tué Edes ? Et pourquoi ? NoAnde veut-il me dire par-là que je dois aujourd'hui faire le choix entre poursuivre ma quête mais en assumer les conséquences ou bien faire mon deuil et reprendre ma place au sein du Clan des Arbres, en acceptant que le coupable de la mort d'Edes ne soit jamais puni ?"
ça fait très Inflorenza Minima ce genre de dilemme :)
G. "Mais, pour ça, je vais avoir besoin de trouver ses complices. Et si je ne trouve pas d'indice, je tordrai la réalité pour qu'elle me les donne..." :
ça ressemble aux transgressions du protocole dans Psychomeurtre : intéressant d'en donner là une version surnaturelle ! Et ça a des conséquences folles en jeu : NonUnd et Ezbaina sont coupables... parce que l'enquêteur en a décidé ainsi !
H. "Mais en réalité, la réalité a peur de nous. Elle a peur de l'homme car l'homme peut la contraindre. Il y a des moyens. L'homme a eu les moyens. Il les a toujours eu. Mais il les a oubliés. La réalité a toujours œuvré à ce que l'homme oublie comment la soumettre, la réécrire. "
ça, ça fait une super théorie au sujet de l'oubli et de l'égrégore !
I. Cela me fait aussi penser à une phrase de Romain Gary dans Europa : "La réalité n'a jamais été capable de nous fournir une preuve de son existence"
J. On dirait bien que le héros s'est fait avoir ! Finalement, la personne qu'il pensait coupable est la victime, et lui-même qui se pensait victime, s'avère coupable. En croyant se défendre et protéger le monde, c'est lui qui a invoqué le Dragon (est devenu le Dragon) en tuant la sorcière...
Réponse de Damien :
hey! merci pour la bande son, je m'en vais écouter ça derechef alors… j'ai utilisé Bois-Saule ET l'Almanach mais (de tête) j'ai dû utiliser une version light de Bois-Saule pour privilégier Don't Rest et Psychomeurtres. Et pour ce dernier, j'ai "adapté" les compétences et les transposer en "version shamanique". ensuite, j'ai géré ça avec les règles de Don't Rest et ce talent de Folie consistant à réécrire des pans de réalité. ça peut paraitre un pouvoir énorme mais dans ce jeu les contreparties sont énormes aussi ^^ et ça a surtout été l'occasion de voir les potentiels d'un tel pouvoir que je compte réutiliser. en fait, j'ai surtout utilisé la trame narrative de Psychomeurtre en mix avec Bois-Saule et les règles de Don't rest pour les compétences "adaptées" de Psychomeurtre à la sauce Millevaux. et pour le dilemme, c'est notamment la conséquence dde la règle du Tourment dans Don't Rest et le genre de questionnement imprévu au départ qui a émergé de la partie. j'aimerais bien refaire un truc comme ça un de ces jours tordre la réalité comme ça peut aussi coïncider avec certains talents de Grey Cells et de la Crasse. ça pourrait être sympa de tout mélanger. et les considérations sur la réalité ont aussi émergé de la partie sans que cela ne soit prévu. mais c'est vrai que c'est intéressant et je pense que ces questions pourraient se reposer dans mon prochain de la Crasse, Mantra et Millevaux. et il va falloir que je lise Europa alors ^^ et pour finir… et bien le final de la partie est justement la conséquence du Tourment. à trop tordre la réalité… et bien c'est comme quand on joue avec un élastique, au bout d'un moment on se le reprend dans la gueule et c'est contre ça qu'a voulu le prévenir NoAnde mais bon… c'est la vie
mais bon, quand même, j'en profite pour redire que ce scenar a été vachement intéressant à jouer car j'ai pu tester Psychomeurtre en version "surnaturel", j'ai pu tester ce talent pour Don't Rest qui est quand même vachement intéressant et j'ai pu encore une fois voir un scenar partir dans des considérations complétement improbables et imprévues… et sans MJ ^^
Hors ligne
STURKEYVILLE II
Un épisode d’enquête occulte dans l’Amérique Lovecraftienne des années 1920 que Millevaux envahit insidieusement. Un récit par Damien Lagauzère.
(temps de lecture : 35 mn)
deuxième chapitre d’une enquête du jeu Grey Cells avec des bouts de Bois-Saule, de Cœlacanthes, de The Name of God et de La Trilogie de la Crasse dedans.
Le jeu principal de cette séance : Grey Cells, un jeu de rôle d’enquête contre la montre par Bogdan Constantinescu
Joué le 07/04/2019
Cette partie fait suite à une première partie, Sturkeyville I, qui était moins axée sur Millevaux.
Jonathan Haeber, cc-by-nc, sur flickr
L’histoire:
Lewis Patrick Hatecroft se remet lentement des derniers événements. Ceux-ci ont été éprouvants tant sur les plans physiques que psychiques. Il doit non seulement se remettre de deux agressions mais aussi apprendre à vivre avec, sur la conscience, la mort d'une poignée de cultistes ; conséquence d'un rituel au cours duquel il s'est lié à un Sombre Rejeton de Shub-Niggurath.
Toutefois, un mystère demeure. Comment Archer et ses complices ont-ils su qu'il possédait un exemplaire des Unaussprechlichen Kulten ? C'est une sottise, il le sait. Pourtant, convaincu que tous les complices d'Archer ne sont pas morts, il ne peut s'empêcher de tenter de les pousser à se dévoiler. Ainsi, par l'entremise de Lane, il fait publier dans la Gazette de Sturkeyville une soi-disant nouvelle dans la rubrique fiction, espérant susciter quelques réactions.
Quelques jours après l'annonce du décès d'Archer, on pouvait lire :
« Parce que tout a commencé par ce qui n'aurait pu être qu'un banal vol... Votre serviteur, qui tient malgré tout à conserver l'anonymat malgré le méfait dont il fut victime, a eu le triste privilège de constater la disparition d'une pièce très particulière de sa collection. Cet ouvrage se transmet dans notre famille de génération en génération. Ce livre, véritable relique au contenu antique, mystérieux, occulte... dangereux. De prime abord, pour le simple amateur de l'art du détective, aucun indice, aucune trace d'effraction. Pourtant, votre serviteur a retrouvé une unique cartouche.
Votre serviteur a alors immédiatement couru s'informer du modèle de l'arme utilisant ce type de munition. Il s'agissait donc d'un fusil ayant servi dans l'armée allemande durant la Grande Guerre. Ainsi, comment le ou les auteurs de ce méfait sont-ils entrés en possession d'une telle arme ? Sont-ils des vétérans ? Sont-ils des proches ou des mercenaires au service d'anciens soldats ?
Il est de notoriété qu'un de ces vétérans, un marginal, vit à la sortie de notre finalement pas si paisible Sturkeyville. Dire que votre serviteur fut accueilli sans courtoisie est un euphémisme. Point de violence physique - ce n'est que plus tard que votre serviteur fut par deux fois vigoureusement agressé - , mais des mots bien étranges évoquant autant les traumatismes générés par la guerre que les contenus occultes de l'ouvrage dérobé : la mort et la quête de la vie éternelle !
Filatures, interrogatoires courtois, passage à tabac et, fort heureusement, l'apparition d'un allié aussi inattendu que providentiel, me permirent de tisser un faisceau de preuves convergeant vers une personnalité de notre cité et, certainement derrière elle, tout un réseau d'acolytes en quête également de la vie éternelle... à n'importe quel prix. Et, gardien de cet ouvrage dangereusement occulte, votre serviteur se trouve particulièrement bien placé pour savoir que ce prix peut être extrêmement élevé. Mais comment les confondre ? Comment mettre un point final à leurs sinistres projets sans pour autant faire la lumière sur des réalités devant rester dans l'ombre ? Une solution s'imposait à moi : combattre le mal par le mal !
Mais, le gardien des savoirs interdits peut-il ne pas être au fait des sombres connaissances dont il a la charge de préserver le monde ? Non, il ne le peut pas ! Mais lui, à l'inverse des membres de cette sinistre secte, il ne veut pas payer ce prix. Et il ne veut pas que l'humanité le paye non plus. Toutefois, votre serviteur s'est vu contraint de risquer sa santé psychique, sa vie même! afin de préserver l'humanité des manigances de ces vétérans en quête d'immortalité. Alors, je me suis rendu dans les bois et j'ai obtenu des sombres esprits qu'ils mettent un terme aux agissements de ces sorciers. Le résultat ? Vous l'avez lu dans la rubrique nécrologique de la Gazette... Et maintenant, sommes-nous sauvés pour autant ? J'aimerais en être certain. Je fuis le sommeil autant qu'il me fuit, hanté que je suis par le prix que ces esprits de la forêt vont exiger de moi. Car ils viendront... Et ce jour là, je l'espère, le remède ne se révélera pas pire que le mal que j'ai contribué à endiguer. »
A se relire ainsi dans le journal, Lewis Patrick avait conscience tout autant de la maladresse de sa démarche et de ses faiblesses littéraires. Il ne savait ce qui le toucherait le plus entre une réaction des cultistes ou un mauvais accueil de la part des lecteurs. Pour autant, un fait divers sanglant éclipsait sa prose. On venait de retrouver un cadavre ensanglanté et mutilé dans la forêt. Celle-là même où il s'était livré à ce terrible rituel. Le Sombre Rejeton hantait-il toujours les lieux ? Lane peut-il lui en dire plus à ce sujet ?
Lewis Patrick convie donc son ami reporter à Hatecroft Manor afin d'en savoir plus à ce sujet. Mais Lane n'est au courant de rien. Il n'est pas sur le coup et a en réalité d'autres chats à fouetter. En effet, il est convaincu que le directeur adjoint de la banque de Sturkeyville se livre à quelques malversations. Il est sur sa trace depuis un bon moment maintenant. Il n'a pas l'instant rien trouvé mais Horace Mumford a forcément quelque chose à cacher. En effet, non seulement il a refusé plusieurs fois de répondre à ses questions mais il a également disparu de la circulation depuis plusieurs jours. Lane voit là un aveu de culpabilité. Se sachant traqué, Mumford se serait donc enfui. Ou, en tout cas, il se cache. Par ailleurs, un autre employé de la banque, Vernon Archer, est lui aussi absent. Y a-t-il un lien ? Sont-ils complices ?
Lewis Patrick connaît le jeune Archer et a du mal à voir en lui quelqu'un de malhonnête. Pour autant, il en est conscient, cela ne prouve rien et tout est possible, vraiment tout... Il n'y a a priori aucun rapport entre l'enquête de Lane et le cadavre dans les bois mais Lewis Patrick ne peut s'empêcher de s'inquiéter pour Archer vis-à-vis duquel il se sent redevable, voire même quelque peu coupable. Mais, que faire ? Il est hors de question de révéler à Lane comment il a fait la connaissance du jeune homme, ni même pourquoi il s'intéresse à cette histoire de meurtre dans les bois.
Le soir venu, Lewis Patrick est angoissé. Il traîne. Il lit, boit du thé, erre dans les couloirs d'Hatecroft Manor. En réalité, il ne veut pas se coucher. Il a peur de ce qui pourrait venir hanter ses rêves. Mais, bien après minuit, il se résout finalement à gagner son lit et le sommeil finit par le rattraper.
Lewis Patrick se réveille. Il sait qu'il dort, qu'il rêve. Il est de nouveau dans la forêt. Mais ce ne sont pas les bois de Sturkeyville. C'est autre chose. C'est... Millevaux ! Il porte ses vêtements habituels mais ils sont vieux, troués, raccommodés, élimés. Il n'y a pas grand chose dans sa besace en cuir. Un peu de viande séchée, une poignée de noix, son exemplaire des Unaussprechlichen Kulten.
Il voit dans ces rêves récurrents l'influence de Shub-Niggurath. La Chèvre Noire tente de le rallier à elle. Elle l'attire en ce lieu pour le corrompre mais lui, contraint d'y errer, entend bien y trouver quelques vérités afin de combattre l'influence néfaste des Anciens. Combattre le mal par le mal, faire flèche de tout bois... serait-ce là son nouveau credo ? On dirait. Mais il sait qu'il y a toujours un prix à payer. Il a d'ailleurs conscience d'être précisément en train de le payer. Mais il craint malgré tout les intérêts. Et ces dernières réflexions « financières » le font penser au jeune Archer qui travaille à la banque et à l'enquête de Lane sur le directeur adjoint. Mumford ? Oui, c'est ça.
Dans le rêve, il ne sait plus quel jour il est dans l'éveil. Mais ici, nous sommes le 14ème jour du mois de Serpente. Et ces mots, différents à chaque fois, résonnent à ses oreilles :
« Tu montres une telle confiance, une telle générosité... Tu as un parfait profil de victime.
À moins que tu ne sois un bourreau en puissance. »
Hum... La confiance et la générosité font-elles partie de ses qualités ? Il ne sait plus trop. Est-il vraiment généreux ? Est-ce généreux que de se résoudre à d'immondes rituels pour mettre fin aux activités d'adorateurs des Anciens ? N'est-ce pas plutôt un prétexte ? Il en a conscience. Il le sait. Il sait que son altruisme n'est qu'une façade mais qu'en réalité il n'a qu'une envie, celle d'explorer les sombres mystères dont il est le gardien. D'une certaine façon, il est le gardien d'une boîte de Pandore et lui aussi l'a ouverte. Mais parviendra-t-il à la refermer et à ne pas succomber à la tentation de ne pas l'ouvrir à nouveau ?
La nuit est brune. On y voit pas très bien. C'est bizarre car le temps est sec mais, pourtant, il est trempé, comme s'il pleuvait à verse. Et surtout, Lewis Patrick a faim. Il aperçoit un vieux bâtiment en ruine. De loin, cela ressemble un peu à la scierie de Sturkeyville. Il court pour s'y abriter. Mais de quelle pluie ? Il espère y être au sec et à l'abri...
Il a de nouveau senti cette présence. Cela fait plusieurs fois que, dans ces bois, il sent une présence, quelqu'un, quelque chose le suit depuis plusieurs rêves. Il ne l'a qu'entraperçue, une silhouette haute, très musclée, recouverte de fourrure. Pas tout à fait un ours mais pas tout à fait un homme non plus. Il y a tant de choses étranges qui peuplent cette forêt. Il ne sait pas si cette chose le traque pour le tuer ou seulement pour jouer. Il est certain que, si elle le voulait, cette créature ne ferait qu'une bouchée de lui. Et il repense à cette affaire de cadavre dans la forêt.
Lewis Patrick se laisse glisser le long d'un mur. Peut-il s'endormir dans un rêve ? Et dans ce cas, où se réveillerait-il ? Dans son lit ou... un autre rêve ? Alors qu'il se laisse aller à ces pensées, son regard se porte sur le pan de mur qui lui fait face. Une nuée d'insectes (des araignées?!) courent dans tous les sens et tissent une toile immense et improbable à vitesse accélérée. La toile et les araignées elles-mêmes forment des mots sur le mur : La Capitale de la Douleur !
A la vue de ces mots, et il ne sait pas pourquoi, Lewis Patrick se met à trembler. Ses mâchoires se contractent douloureusement. Ses muscles se tétanisent. Il voudrait se lever et arracher cette toile, piétiner ces araignées. Il voudrait hurler mais ces mâchoires restent soudées l'une à l'autre. Ses mains et ses doigts sont soudain agités de mouvements saccadés et incontrôlables. Ses yeux sont grands ouverts, exorbités. Lewis Patrick a l'impression qu'ils vont quitter son crâne. Un hurlement retentit au loin. Il bave de rage. Il veut tourner la tête en direction du hurlement mais ne peut détacher son regard du mur et des araignées.
Le hurlement... est... le sien ! Lewis Patrick se réveille en sursaut. Il se jette hors de son lit et secoue les draps à la recherche d'araignées ! Il est convaincu que des insectes grouillent dans ses draps. Mais après quelques minutes d'agitation frénétique, il se rend à l'évidence. Il n'y a rien. Toutefois, demain, il se rendra à la droguerie et fera provision de poudre insecticide.
Aujourd'hui, et au grand dam de ses domestique, Lewis Patrick fait donc la chasse à l'arachnide. Il traque la moindre toile dans le moindre recoin. Il s'agite dans tous les sens en marmonnant des propos plus ou moins intelligibles et cohérents concernant la Capitale de la Douleur et invectivant la peste des insectes. Mais c'est lorsqu'il entreprend de répandre ses poudres dans la pièce où il conserve les éléments les plus obscurs de la collection dont il est le gardien que son sang se glace. Deux pièces manquent à l'appel ! Deux fragments de journaux intimes. De mémoire, il s'agit du journal d'un guerrier viking qui aurait accosté en Amérique il y a fort longtemps, bien avant la conquête espagnole. Et il décrit là ses contacts avec les indiens et comment il a appris leurs coutumes, leurs mythes et légendes. Mais il n'est plus vraiment certain du contenu. Il ne les a que survolés il y a déjà fort longtemps. Pour autant, un second vol si peu de temps après le premier, cela ne peut pas être une coïncidence. Et si la publication de sa fausse nouvelle dans la Gazette avait finalement l'effet désiré ?
Lewis Patrick donne congé à tous ses domestiques. Il veut être seul à Hatecroft Manor pour examiner les lieux du crime et tenter d'y déceler un indice. Celui qui s'est introduit ici a bien dû laisser une trace de son passage. Et surtout, cela confirme bien que quelqu'un à Sturkeyville est au courant des raretés qu'il conserve au manoir. Il ne pense pas un seul instant que ses domestiques puissent être mêlés à cette effraction. Toutefois, s'il ne devait trouver aucune autre piste, il faudra peut-être se résoudre à les suspecter.
Mais, après avoir fait plusieurs fois le tour de la pièce et en avoir examiné le moindre recoin, rien ! Lewis Patrick ne trouve rien! Pourtant, il est certain que cela est en lien avec l'affaire Archer sauf que... il ne peut même pas contacter le jeune Archer puisque celui-ci a disparu, en même temps que son patron ! Alors, désespéré, il se prépare une tasse de thé et s'installe dans la pièce où il organise ses soirées spirites. Il songe alors que cela fait longtemps maintenant qu'il n'en a pas organisé une. Et si...
Il ne suffit que de quelques appels téléphoniques pour que les choses se précipitent. Myrtle Veneti sera là bien sûr. Mais aussi Greg Benson, le pharmacien et Julius Andrew, le notaire. À eux quatre, ils devraient parvenir à contacter un esprit. Et peut-être que ce dernier saura ce qui s'est réellement passé à Hatecroft Manor aujourd'hui.
Le soir venu, les invités s'installent dans cette pièce qu'ils connaissent bien. Il y a à boire et à manger mais personne n'y prête vraiment attention. Lewis Patrick est nerveux. Il espère vraiment qu'un esprit va se présenter pour lui apporter des réponses mais sans toutefois trahir auprès de ses convives sa fonction de gardien de savoirs occultes. Il pense pourtant ne pas pouvoir faire autrement que prendre ce risque. Tous s'installent autour du guéridon. Lewis Patrick se fait le maître de cérémonie, comme à son habitude.
Au bout de quelques minutes, tous remarquent que Myrtle Veneti est animée de quelques légers tremblements. On dirait que quelque chose la dérange mais personne n'ose prendre la parole pour lui demander quoi. Puis, elle laisse échapper un long souffle rauque.
« La Capitale... de la... Douleur... »
Lewis Patrick se fige. Comment est-ce possible ?
« Les Araignées tissent leurs toiles en l’honneur de leur déesse ! Mais elles craignent les Champs de Feu, Lewis Patrick. Elles craignent les Champs de Feu... »
Lewis Patrick se lève de sa chaise. Il se penche vers Myrtle Veneti et la presse de questions. Mais l'esprit s'en est allé, la laissant là dans un état hébété, à moitié endormie. Benson et Andrew restent silencieux et proposent de prendre congé. Ils se chargent de reconduire Myrtle chez elle. Lewis Patrick se retrouve donc seul avec ses pensées. Oui, manifestement tout est lié. Son dernier rêve millevalien, les araignées, cette Capitale de la Douleur... Tout cela paraît lié avec la déesse des araignées et ces Champs de Feu qu'elle craindrait. Mais de quoi s'agit-il vraiment ? Il est maintenant tard. Aussi se résout-il à laisser son inconscient trier ses informations. La nuit porte conseil, non ?
Lewis Patrick dort d'un sommeil agité. Ses songes le conduisent de nouveau à Millevaux. Il fait nuit et il se retrouve à descendre le long d'un tronc couvert de veinules et de débris de mues monstrueuses ou humanoïdes. Il y a aussi des objets chargés de mémoire incrustés dans les parois : camées, horloges, fleurs... Au fond, deux sphincters géants avec chacun une pancarte : « les meilleurs souvenirs » et « les pires souvenirs ». Mais il y a une gardienne : une grosse limace garnie de rangées de seins gonflés de pus avec une tête de femme crâniotomisée, le cerveau sous verre, la peau autour des yeux déchirée, à vif. Elle a des pattes d'araignée à la place de la bouche et des cornes ensanglantées en guise de bras. À la vue de ses pattes arachnides, il pousse un hurlement. Il sait qu'il rêve et il espère que son propre cri va le réveiller mais...
… cette chose immonde se jette sur lui avec une rapidité surprenante. Et lui, est littéralement paralysé par la peur. Le monstre s'écroule sur lui de tout son poids et insère ses pattes dans la bouche de Lewis Patrick, étouffant ses cris, l'étouffant tout court...
… et Lewis Patrick se réveille, en nage. Il a le souffle court. Il a l'impression de s'être noyé. Il a un goût horrible dans la bouche. Il boit et recrache plusieurs verre d'eau et se lave même la bouche avec du savon. Et c'est devant le miroir de la salle de bain qu'il se rend compte, qu'il voit...
… sa peau... a... changé... de couleur ! Il a maintenant le teint de ses fiers Incas ou Mayas. Comment cela est-il possible ? Qu'est-ce que cela signifie ? Mais surtout, comment va-t-il pouvoir se montrer en ville maintenant ?
Tôt le lendemain, Lewis Patrick informe son personnel de maison qu'il doit se rendre en urgence auprès d'un membre de sa famille à New York. Son absence risquant d'être un peu longue, il les invite donc à en profiter pour prendre quelques vacances bien méritées. Ainsi, il pourra rester à Hatecroft Manor sans que personne ne puisse témoigner de sa nouvelle apparence.
Et maintenant, que faire ? Impossible de quitter le manoir ainsi ! Sa couleur de peau a changé mais pas ses traits. Il ne peut même pas se faire passer pour un étranger de passage. Le jeune Archer, au fait des manigances occultes de son père, aurait peut-être plus facilement que d'autres accepté cette transformation mais il a disparu. Vers qui se tourner ? Lane ? Pas sûr. Et il semble si occupé par son enquête sur Mumford et... Archer justement puisque les deux employés de la banque ont disparu quasiment en même temps. Myrtle doit encore être trop secouée par son expérience de la veille. Il l'appellera plus tard pour prendre de ses nouvelles. Andrew, Benson ? À eux, il pense pouvoir leur faire confiance et garder ce secret. Il leur téléphonera dans la journée.
Pour l'heure, Lewis Patrick a besoin de faire le point sur les événements. Tout d'abord, la mort de Lawrence Archer, Jonas Parker et tout ou partie de leurs sbires suite à l'invocation du Sombre Rejeton de Shub-Niggurath. Puis, la découverte de ce corps dans la forêt. Ensuite, la disparition de Mumford et du jeune Archer. Parallèlement, ces rêves étranges où il vagabonde dans une forêt sans fin, suivi de loin par une créature humanoïde rappelant un ours. Et puis ce message écrit par des araignées, repris par Myrtle. La Capitale de la Douleur. La Déesse Araignée. Les Champs de Feu. Et ces carnets qui lui ont été dérobés. Tous ces faits apparemment sans lien mais, pour qui sait lever le voile, alors les fils apparaissent. Mais comment lever ce voile ? Lewis Patrick va-t-il encore devoir se résoudre à user de magie pour contraindre le réel à lui dévoiler ses secrets ?
Soudain, des rires se font entendre en provenance du sous-sol ! Ils sonnent étrangement... creux ! Lewis Patrick se lève d'un bond. Son premier réflexe est de se précipiter à la cave mais il a subitement peur de se retrouver nez à nez avec quelques insectes et... araignées ! Il attend quelques instants. Les rires ont cessé. N'était-ce que son imagination ou y a-t-il réellement quelqu'un d'autre au manoir ? Malgré sa peur, il ouvre la porte de l'escalier et crie à l'attention d'un éventuel importun de se montrer immédiatement. Et quelque chose sort de l'ombre...
Un petit garçon d'une douzaine d'année se tient là, de bout, au pied des escaliers et fixe Lewis Patrick en souriant. Il reste silencieux mais on entend encore résonner cet étrange rire creux. Il semble venir de derrière l'enfant. Il n'est donc pas seul.
« Montrez-vous ! » ordonne Lewis Patrick, qui tente de conserver une certaine contenance.
Et l'enfant fait un pas en arrière, disparaissant dans l'ombre...
Lewis Patrick reste un moment là, figé devant la porte, scrutant l'obscurité. Mais il n'y a plus rien, ni personne. Puis, il trouve enfin le courage de descendre. Une fois en bas, il appelle de nouveau. Et de nouveau, il entend ce rire mais plus distant cette fois. Comme si son auteur s'en allait. Il allume alors la lumière et constate avec soulagement que, contrairement à ce qu'il craignait, il n'y a pas de colonies d’araignées courant sur les murs. Par contre, par terre, une montre de gousset. Lewis Patrick la ramasse. Elle est tout ce qu'il y a de plus banal si ce n'est... qu'elle tourne à l'envers !
Quand Lewis Patrick lève la tête, il n'est plus dans sa cave mais dans une grotte. Il porte de nouveau ses vêtements usés typiques de ses voyages à Millevaux. Il rêve donc. Mais il se sent mal. Il a froid et est en proie à de violents tremblements. Il a de la fièvre. Peut-on souffrir de la grippe dans le rêve ? Est-ce ainsi que son corps et son esprit lui hurlent qu'il est en danger et qu'il doit tout faire pour s'enfuir, rentrer à Sturkeyville et, surtout, retrouver une vie normale ? Mais comment ? Malgré la nuit brune, il parvint à peu près à y voir dans cette caverne. Il s'approche de la paroi. Elle est humide. Il y colle son front et savoure cette fraîcheur.
Nous sommes le 22ème jour du mois de Messe.
« Rouges les rivières, rouges les racines et rouges mes bras. Bat ma poitrine et bat l'écho.
Une forêt de sang, d'artères et de cœurs battants. »
Lewis Patrick regarde ses mains. Elles sont couvertes de sang. Ce n'est pas de l'eau qui suinte de ces murs mais du sang. Par réflexe, il porte ses mains à son visage et étale encore plus de ce sang qui fait de lui... un peau rouge ?
Et il sent une présence derrière lui. Il n'ose se retourner car il sait qui se tient là. L'homme ours ! Alors, collant de nouveau son front contre la paroi ensanglantée, il se met à marmonner :
« Je suis la Feuille !
Ici et maintenant, pour m'adapter aux changements, je m'en remets au dieu du vent !
Je suis la Feuille ! »
Et il souffle alors un vent violent et son assaillant laisse échapper un cri de surprise. Lewis Patrick ferme les yeux. Il serre les dents puis, après quelques minutes, alors que le vent est retombé, il se retourne. La grotte est déserte.
Adossé à la paroi, il se laisse tomber et se met à sangloter. Alors, il est envahi par une douce chaleur semblant venir de lui-même, de son cœur. Et cette chaleur se répand et chasse les frissons et la fièvre.
Il veut dormir, se réveiller. Sa vie est devenu un cauchemar. Les événements tragiques s’enchaînent depuis ce rituel dans les bois. Et il n'a toujours aucune piste.
Ce matin, Lewis patrick a toujours ce même teint qui le fait ressembler à un indien. Aztèque, Apache, Incas, Sioux ? Quelle tribu a cette couleur de peau ? Ce changement n'est-il le fait que d'un triste hasard ou a-t-il une quelconque signification ? La sonnerie du téléphone le tire de ses pensées.
Une voix volontairement étouffée commence par affirmer savoir que son intérêt pour l'occulte est de notoriété. Toutefois, des choses plus sérieuses et plus graves se trament à Sturkeyville. Ça, il s'en doutait ! Le calme de Sturkeyville n'est qu'apparent et c'est la raison même pour laquelle cette petite ville attire tous ceux dont les activités les plus sombres nécessitent la plus grande discrétion. Et là, Lewis Patrick se demande si ce n'est pas pur une même raison que son oncle défunt s'est installé ici avec sa collection secrète. Shub-Niggurath, Rlim Shaikorth, Atlach-Nacha... Les astres s'alignent selon une funeste configuration. Ceux qui savent doivent alerter le monde. Et ceux qui le peuvent doivent tout tenter pour arrêter les adorateurs des Dieux Anciens. Ainsi parlait cet homme... ou cette femme d'ailleurs, sans laisser le temps à Lewis Patrick d'en placer une. Mais l'information qu'il n'attendait plus finit par venir. Jonas Parker était fou de la Chèvre Noire et elle l'a tué. Horace Mumford était fou du Ver Blanc et il l'a tué. Ken Cellys est fou de la Déesse des Araignées mais... le tuera-t-elle ou parviendra-t-il à la satisfaire ?
La communication s'est arrêtée depuis quelques instants et Lewis Patrick a toujours le combiné collé à l'oreille. Il murmure en boucle ce nom : « Ken Cellys ». Qui est-ce ? Un adorateur d'Atlach-Nacha, la Déesse des Araignées, manifestement. Il finit par reposer le combiné et réfléchit. Trois adorateurs de divinités Anciennes, sans compter leurs complices, se livrent à des rituels en leur honneur. Pour deux d'entre eux, leur Dieu s'est retourné contre eux. Qu'en sera-t-il du troisième ?
Avant tout, vérifier que Mumford est bien mort. En effet, Lane atteste de sa disparition mais pour l'heure rien ne le mêle aux affaires des Anciens. Mais si tel devait être le cas, cela pourrait signifier que lui aussi, comme Archer et ses complices, s'est livré à quelques rituels. Ironie du sort, Archer vénérait Shub-Niggurath et c'est un Sombre Rejeton de la Chèvre Noire que Lewis Patrick a invoqué pour les arrêter... définitivement. D'après cet informateur anonyme, une même ironie aurait frappé Mumford. On dirait que les Anciens sont sans pitié vis-à-vis de ceux dont Ils ne sont pas satisfaits. Et ce Cellys alors ? L'espace d'un instant, Lewis Patrick se laisse aller à espérer que ce dernier déçoive sa Déesse et que celle-ci ne se débarrasse tout simplement de lui.
Si Mumford est bien mort, il peut attendre. Ce Cellys, par contre... Une recherche dans l'annuaire indique les numéros et adresses de Kendall Cellys mais aussi de Kenneth Cellys. Il faut bien commencer, va donc pour Kendall !
Ce Cellys habite à la périphérie du centre-ville. Nous sommes encore dans les « beaux-quartiers » mais pas très loin d'une zone d'habitations plus populaire. Le vent souffle très fort aujourd'hui et c'est une excellente raison pour porter chapeau et imperméable. Lewis Patrick espère ainsi croiser peu de monde dehors et, surtout, qu'on ne le reconnaîtra pas. Et il espère surtout qu'un homme errant dans les rues par un temps pareil n'attirera pas l'attention. Mais la réussite de son entreprise est au prix de ce risque.
Les rues sont désertes. Le vent et la pluie s'abattent méthodiquement sur Sturkeyville. Kendall Cellys est manifestement chez lui. Il y a de la lumière au rez-de-chaussé. Lewis Patrick, confiant, s'approche. Il ouvre le portillon donnant sur le petit bout de jardin. Certain que personne ne peut le voir, il s'approche et regarde par la fenêtre. Cellys est dans son salon. Il s'agite et fait les cent pas devant un groupe d'une demi-douzaine d'hommes et de femmes. Il note d'ailleurs qu'il y a une majorité de femmes dans cette assemblée. D'ailleurs, il n'est pas sûr de lui mais il se demande s'il n'a pas croisé l'une d'elle lors d'une soirée mondaine. Mais il se recentre sur Cellys. Il déambule toujours dans son salon, nerveux. Il agite ce qui est manifestement une dague de sacrifice rituel. Va-t-il assister là à un rite sanglant ? Pourvu que non. Il essaye d'entendre ce qui se dit à l'intérieur mais n'entend rien à cause du vent et de la pluie. Mais il a dû trop s'approcher car un cri retentit. Il est repéré. Là, à travers la fenêtre, un homme s'est levé et le pointe du doigt. Lewis Patrick s'enfuit et rejoint son auto en courant.
De retour à Hatecroft Manor, il remercie intérieurement ce mystérieux informateur. Cellys a bien quelque chose à se reprocher et quelque chose se trame. Maintenant, il lui faut creuser cette piste, en savoir plus et l'arrêter. Mais il doit aussi confirmer les propos concernant Mumford. Et il y a tout à croire que là-dessus non plus on ne lui a pas menti. Et s'il mettait Lane sur le coup ? Et si lui aussi devenait un informateur anonyme ? Bonne idée mais... comment connaître alors le résultat des investigations de son ami ? Celui-ci accepterait-il de tout lui révéler lors d'une conversation « anodine » ? Lewis Patrick décide de laisser la nuit lui porter conseil.
Lewis Patrick dort mal. Il éprouve une sensation désagréable autour du cou. Cela finit par le réveiller. Il se rend alors compte qu'il est nu et qu'une sorte de cordon ombilical s'est enroulé autour de son cou. Ce cordon est relié à un gigantesque arbre creux, calciné et mourant sous un soleil brûlant qui racornit tout. L'arbre se dresse sur un désert qui s'étend à perte de vue et reflète l'aveuglante lumière d'un soleil rouge sur le point d'exploser.
Il commence par désenrouler le cordon et tire doucement dessus. Il ressent une légère douleur. Conscient qu'il ne pourra pas s'éloigner de l'arbre sans couper le cordon et que le faire pourrait se révéler, par contre, assez douloureux, il préfère s'approcher du tronc et regarder à l'intérieur du creux. La morsure du soleil est cruelle. Il veut se mettre à l'ombre mais, à l'intérieur du tronc, il voit une espèce de poisson doté de trois paires de bras humanoïdes foncer vers lui, une gueule munie de plusieurs rangées de crocs acérés grande ouverte.
Souffrant toujours plus du soleil, il met autant de distance que lui en permet le cordon entre lui et cette créature. Il se retrouve alors face à un pendu qui pourrit. Ses viscères dégoulinent hors de son abdomen. Lewis Patrick s'avance vers le pendu. Un coup d’œil en arrière lui indique que le monstre a renoncé à le poursuivre. Il lève les yeux vers le cadavre et reconnaît son visage !
Lewis Patrick se réveille en sursaut et court dans la salle de bain pour se regarder dans la glace. Mais il a toujours ce même teint qui le fait ressembler à un indien. Mais, est-ce à cause de ses propres traits caucasiens inchangés ? -, il ne saurait dire s'il ressemble désormais à un indien d'Amérique du nord ou du sud.
Quoi qu'il en soit, la nuit lui a porté conseil, malgré ce cauchemar. Ou peut-être grâce à lui. En effet, est-ce que, confronté à sa mort, il a alors saisi l'urgence de passer à l'action ? Il décide donc d'appeler la Gazette de Sturkeyville et demande à parler à H. P. Lane. Dès qu'on le lui passe, il colle un chiffon sur le combiné pour masquer sa voix et explique que les activités louches et occultes de Mumford ont causé sa mort. Et il raccroche avant que Lane ne puisse poser la moindre question. Maintenant, il n'y a plus qu'à attendre que le reporter mène son enquête. Il le rappellera dans quelques jours sous prétexte de prendre des nouvelles et tentera alors de lui tirer les vers du nez. Mais pour l'heure, que faire ? Comment confondre et arrêter Cellys ? L'espace d'un instant, il songe à retourner dans les bois pour demander au Sombre Rejeton de se charger de lui mais... de quels stigmates sera-t-il alors affligé ? Et quels cauchemars hanteront ses nuits ? Non, le prix qu'il doit déjà payer est bien assez élevé. Mais il a néanmoins une idée. Il croit bien avoir reconnu parmi les complices de Cellys une femme qu'il pense avoir croisée lors d'une soirée mondaine. Et s'il organisait une soirée à laquelle il inviterait le gotha de Sturkeyville ? Cette femme devrait alors être là et il pourrait l'identifier, voire la confondre. Mais comment organiser une soirée au manoir alors qu'il a donné son congé à son personnel et qu'il ne peut se montrer en public avec cette nouvelle couleur de peau ? Un nom s'impose : Myrtle Veneti, bien sûr ! Il avait d'ailleurs promis de la rappeler suite à leur dernière soirée spiritisme.
Au téléphone, Myrtle affirme aller bien mais Lewis Patrick la sent quelque peu tendue, voire à cran. Lui en veut-elle de cette étrange soirée ? Non, bien sûr mais elle aurait souhaité que les choses se passent comme... d'habitude.
« Cahcallah nohuiyan ?nentlah... coc?c... »
A ces mots, Lewis Patrick l'arrête tout de suite et lui demande de répéter mais Myrtle répète les derniers mots qu'elle a prononcés avant de parler dans cette langue étrange. Et elle ne voit pas du tout de quoi Lewis Patrick veut parler. Ce dernier comprend que ce n'est pas la peine d'insister mais demande à son amie de patienter, le temps de s'emparer de quoi noter et tenter de bien se rappeler ce qu'il a entendu. Ceci fait, il reprend alors la conversation sur un ton plus léger et lui propose d'organiser une fête costumée. Il explique qu'il aurait bien organisé cela à Hatecroft Manor mais son personnel de maison étant en congés, Myrtle accepterait-elle d'accueillir les festivités ? Mais, à son grand étonnement, il se heurte à un refus catégorique. Et il sent bien que ce n'est pas la peine d'insister. Lewis Patrick prend alors poliment congé et raccroche. Jamais son amie ne lui a parlé sur ce ton. Et jamais elle n'a refusé de participer ni d'organiser une réception. Que se passe-t-il ?
Le 10ème jour du mois de Chien...
« La sarcomancienne vous greffe la peau tatouée d'étrangers ;
alors leurs souvenirs et leurs émotions coulent encore chaudes dans vos veines. »
Lewis Patrick est de nouveau dans cette forêt, Millevaux. Il regarde ses mains. Dans le rêve aussi sa peau a changé de couleur. Et il repense à l'historiette. Et si les souvenirs de cette peau étrangère se mettaient à couler dans ses veines ?
La Nuit Brune, encore, et il pleut, encore. Lewis Patrick est à la recherche d'un abri. Il ne cherche pas à se protéger de la pluie mais de ce qui le traque. Car, il le sent, il le sait, cette chose est de nouveau derrière lui. Elle approche.
C'est quand on cherche qu'on ne trouve pas et c'est quand on ne cherche plus qu'on trouve. Fatigué, ruisselant de pluie, Lewis Patrick continue de marcher mais sans plus prêter attention à là où ses pas le guide. En réalité, il est ailleurs. Il rêve, il le sait. Mais il est encore ailleurs. Son corps est dans son lit, à Hatecroft Manor. Son esprit, ou du moins une partie de son esprit, est ici dans ces bois. Mais une autre partie de son esprit a quitté le rêve pour retourner à Hatecroft Manor, dans la bibliothèque. La bibliothèque secrète, celle où sa famille cache depuis des générations ces livres aux contenus mystiques, occultes, ésotériques, interdits, dangereux. Là, il compulse un ouvrage relatif à une créature venant du fin fond de l'espace et du temps. Le chapitre décrit un conglomérat de cadavres d'êtres issus de tous les mondes et de toutes les époques, de toutes les dimensions. Et cette chose, quand elle s'approche d'un nouveau monde, diffuse ses spores morbides. Et ces spores infectent alors les habitants de ce nouveau monde. Ces derniers mutent. Leurs corps subissent d'horribles transformations. Mais leurs esprits changent également. Ils se reconnaissent, se fédèrent, s'organisent et œuvrent afin de hâter la venue de ce géniteur qu'ils considèrent comme une divinité devant se repaître de toute la vie présente ici-bas. Eux, ils seront sauvés car ils rejoindront le conglomérat.
Lewis Patrick referme le livre et le repose dans le coffre, juste à côté de ces vieux carnets. Par curiosité, il en prend un.
« J'ai passé beaucoup de temps à écouter les légendes du peuple de Nokomis. J'ai aussi passé beaucoup de temps à chanter et danser pour voir son autre monde. Cette forêt est bien étrange. Elle est sans fin. Là, j'ai croisé la route de bien des esprits et certains m'ont parlé de celle qu'ils appellent la Mauvaise Mère ou encore la Chèvre Noire. Curieux, je l'ai cherchée. Je ne pouvais croire que celle qui avait crée cette forêt pouvait réellement être mauvaise. Cette forêt ne m'apparaissait pas comme une malédiction. Je ne comprenais pas l'ingratitude de ces esprits face à la beauté de ces lieux et à la vie foisonnante qui les peuplait. Esprits, créatures chimérique, hommes et femmes de tous les âges semblaient s'être donnés rendez-vous là, sous l'égide bienveillante de Shub-Niggurath. Pourtant, tous n'appréciaient pas ce don. Millevaux est un cadeau. Et Millevaux m'a offert Echidna, une voyageuse solitaire parcourant Millevaux. Je ne sais pas d'où elle vient. Elle vient d'une autre Terre, d'une autre époque. Elle me parle de son monde mais je ne comprends pas. Elle me parle de Mouches et de Cafards. Elle rêve, elle aussi. Nous nous retrouvons de plus en plus dans cette région de Millevaux qu'elle appelle les Forêts Limbiques. Là, nous nous abandonnons au rêve. Nous nous abandonnons l'un à l'autre. Je ne veux rien lui cacher. Alors, je lui fais don de cette partie de mon passé qui déjà devient floue. Je fais d'elle la gardienne de ma mémoire, d'une partie de ma mémoire. Je compte désormais sur elle pour me rappeler qui je suis.
Le temps passe. Echidna m'initie aux secrets du Foutre de Mouche, de l'Opium Jaune et de la Viande Noire. Même dans le rêve, nous rêvons. Nous parcourons d'autres mondes, parfois merveilleux, parfois horribles. Nous croisons la route d'autres hommes et d'autres femmes venus de tous les mondes et de toutes les époques. Certains nous prennent pour des esprits, des hallucinations. D'autres ne nous voient même pas. Et une nuit, alors qu'Echidna se repose, il me prend de consommer seul de cet étrange Jus de Singe. Et quand je me réveille, j'ai quitté Millevaux. Je suis de nouveau... chez moi ? Combien de temps a passé ? Je ne reconnais rien, ni personne. Où sont Echidna et Nokomis ?
Ce monde a changé. Je ne l'aime pas. La forêt me manque. Il y a de plus en plus d'hommes blancs. Ils ont apporté la guerre. Ils ont détruit la forêt pour construire des villes toujours plus étendues, toujours plus hautes. Avant, leurs maisons étaient en bois. Maintenant, elles sont en pierre. Je me réfugie de plus en plus dans les forêts limbiques. Là, je cherche la paix. Ou, au moins, je cherche la solitude. Et peut-être que je finirai par trouver, sinon l'oubli, la Chèvre Noire. Alors, je saurai... mais quoi ? Et pourquoi ? Et c'est parce que l'oubli me gagne, me ronge, que j'écris ces quelques lignes. Je fixe là ma mémoire. Mais pourquoi et pour qui ? »
Lewis Patrick referme le journal. Il n'a pas le temps de le replacer dans le coffre qu'il est de nouveau dans Millevaux. Ses pensées ont retrouvé le chemin du rêve. Il stoppe net ! Il pleut toujours. Il regarde autour de lui. Il sent la présence du monstre qui le traque. Et il sait maintenant qu'il s'agit d'un être dévoué à Shub-Niggurath. Est-là le prix qu'il doit payer pour avoir invoqué un Rejeton de la Chèvre Noire ? Et ce carnet ? Il fait partie de ceux qu'on lui a volé récemment. Quel message le rêve cherche-t-il a lui délivrer ? Qui est cette Echidna ? Que sont ce Foutre de Mouche et cet Opium Jaune ? Et Nokomis ? C'est un prénom indien.
En tout cas, bien des gens parcourent cette forêt, que ce soit en rêve ou réellement. Et il y a des moyens d'accéder volontairement à Millevaux, pas seulement au hasard d'un rêve mais en utilisant certains produits. Mais pourquoi l'auteur de ce carnet est-il sur ses traces ? Et si... et s'il voulait récupérer ses carnets ? Et si c'était lui qui les avaient volés ? Mais dans ce cas, pourquoi continuer à le pourchasser ? À moins que ce ne soit quelqu'un d'autre qui les ait dérobés, sachant qui en était l'auteur...
D'une certaine façon, Lewis Patrick est rassuré. En effet, s'il retrouve ces carnets, il pourra tout simplement les rendre à leur propriétaire et tout devrait rentrer dans l'ordre. Du moins l'espère-t-il...
Bien qu'il pleuve toujours, il s'assoit et s'adosse à un arbre. Il ferme les yeux et se réveille.
Lewis Patrick sort de son lit et gagne la salle de bains. Dans un premier temps, il n'y prête pas attention mais sa peau a de nouveau changé de couleur. Elle est redevenue comme avant. Il laisse éclater un cri de joie en même temps que le téléphone sonne.
Lane ne prend pas la peine de le saluer.
« C'est vrai ce qu'on raconte ? On dit que si on ne te voyait plus ces derniers temps, c'est parce que tu étais interné dans un asile Psychiatrique. »
Lewis Patrick n'en revient pas. Qui a pu raconter de telles sottises ? Lane n'en sait trop rien, c'est un bruit qui court. Et il court d'autant plus que cela fait plusieurs jours que personne ne l'a vu en ville et que les seuls contacts qu'il a pu avoir furent par l'intermédiaire du téléphone. Lane lui rappelle qu'il a donné son congé à ses domestiques et qu'il peut très bien avoir passé ses appels d'un sanatorium. Mais s'il est à Hatecroft Manor ce matin, cela veut-il dire qu'il est de retour ? Et que tout va bien ?
L'espace d'un instant, Lewis Patrick craint que ce ne soit Myrtle Veneti qui ait lancé cette rumeur. Mais pourquoi ? Pour se venger de cette douloureuse expérience ésotérique ? Il ne ne saurait peut-être jamais. Mais pour autant, il devait profiter d'avoir Lane au téléphone pour en savoir plus au sujet de Mumford. Et, innocemment, il lui demande de ses nouvelles, notamment au sujet de ces investigations pour la Gazette. Et à sa grande surprise, Lane ne se fait pas prier. Il raconte avoir remonté la piste de Mumford et l'avoir retrouvé mais... que faire maintenant ?
Lewis Patrick apprend ainsi que son ami s'est introduit, pour la seconde fois, par effraction chez le banquier. Et cette fois, dans la cave, il fut le témoin d'une scène des plus étranges, horribles et inimaginables. Oui, Horace Mumford avait bien des choses à se reprocher. Mais rien concernant la falsification de comptes et de vulgaires histoires d'argent. La cave de Mumford s'était révélé le théâtre d'un meurtre rituel. Et la victime innocente n'était autre que le jeune Archer ! Mais le plus étrange, outre le froid régnant là, était que Mumford était présent lui aussi, mais... congelé, littéralement réduit à l'état de statue de glace. Il tenait à la main une sorte de couteau ouvragé qu'il n'a pas réussi à lui ôter mais, par contre, il a fait main basse sur un livre qui avait l'air important. Lane est étonnant désemparé. Face à une telle scène, il n'a pas appelé la police. D'une part parce qu'il aurait eu à justifier son effraction et le vol de ce livre, ces Manuscrits Pnakotiques, et d'autres part parce qu'il était tout simplement incapable d'expliquer l'état de Mumford.
Lewis Patrick est quelque peu honteux car il a conscience qu'il va profiter de la détresse de son ami mais il lui propose toutefois de l'aider à condition de lui remettre cet ouvrage et de l'introduire chez Mumford. Une fois qu'il aura fait sa propre enquête, il verra comment en informer la police sans que Lane ne soit inquiété. Après tout, il est une figure locale de Sturkeyville. Il a des relations. Et, ayant retrouvé sa couleur de peau, il va pouvoir de nouveau se montrer en ville et faire taire cette rumeur. Peut-être même que Myrtle Veneti se montrera plus affable.
Maintenant, il s'agit d'être efficace et d'élaborer un plan d'action. Lewis Patrick a invité Lane au manoir pour le lendemain. D'ici là, il va rappeler son personnel de maison et organiser cette soirée mondaine qu'il voulait organiser chez Myrtle. Maintenant, il peut l'organiser à Hatecroft Manor. Il appelle donc certaines personnalités de Sturkeyville, les invite à cette « soirée de retour » et les charge également de faire circuler l'information. Il espère ainsi que la complice de Cellys sera là et qu'il pourra la confondre d'une manière ou d'une autre. D'ici cette soirée, il aura visité la cave de Mumford et peut-être trouvé un lien entre lui et Cellys. Par définition, la Déesse Araignée tisse sa toile donc, d'une manière ou d'une autre, tout doit être lié.
Lewis Patrick s'endort ce soir avec le sourire. Il a le sentiment que tout va aller pour le mieux maintenant. Les choses lui semblent rentrer dans l'ordre. Il sait qu'il va rêver mais il est sûr que ce sera un beau rêve. Il ne va pas se rendre dans Millevaux cette nuit. Il n'affrontera pas le vent et la pluie. Il ne sera pas traqué par cette créature étrange. Non, il rêve d'une grande maison de terre cuite, d’une seule pièce, avec des fours et des athanors en ébullition. Chouettes, chats sauvages, araignées (il frissonne en y pensant) et crapauds grouillent dans les ombres. Racines, fougères, lierre et champignons envahissent les lieux. Une grande armure humanoïde faite de terre cuite et de matériaux composites trône au milieu. Et elle est là, la Magicienne. Elle lui explique qu'il faut aller demander l'aide… de la personne qui incarne la Magicienne pour avoir une chance de vaincre les Abysses.
Lewis Patrick comprend que cette armure est sensée lui permettre de gagner ce que la Magicienne appelle le « Méta-Monde ». Là, il doit retrouver celui dont elle est l'avatar, celui qu' on appelle « le Joueur ». Lui sait. Lui peut. Il joue pour jouer. Il joue pour connaître la suite de l’histoire. Peu lui importe que les Anciens ou les Cœlacanthes triomphent. Peu lui importe la fin de l'histoire. Il veut simplement la connaître, la jouer. Mais, affirme la Magicienne, il peut la changer. Il peut décider de leur sort à tous. Alors, Lewis Patrick doit enfiler cette armure et convaincre le Joueur de faire triompher la Lumière.
Quand Lewis Patrick se réveille, il se sent bizarre. L'espace d'un instant, il a peur d'avoir de nouveau changé de couleur mais ce n'est pas le cas. Il est toujours lui-même. Mais, se dit-il, après tout il est toujours lui-même quelle que soit la couleur de sa peau. Pour autant, il a l'impression que quelque chose a changé. Si ce n'est pas lui, c'est autour de lui. Il a ce sentiment désagréable que la réalité qui l'entoure n'est plus aussi consistante que la veille, qu'elle n'est plus aussi... réelle...
Aujourd'hui, Lewis Patrick doit donc prendre connaissance et tenter de comprendre ce qui s'est passé dans la cave d'Horace Mumford. Il doit aussi prendre possession des Manuscrits Pnakotiques. Aussi, il attend Lane avec une certaine impatience doublée d'une nervosité non moins certaine.
Lane arrive en fin de matinée. Lui aussi est nerveux. Pas à l'idée de rentrer par effraction chez un citoyen de Sturkeyville mais à celle de revoir cette scène étrange et ces cadavres, l'un sacrifié, l'autre... gelé. Lewis Patrick, lui, est toujours sous le coup de son rêve de la veille. Il repense aux propos de la Magicienne, aux Joueurs, à cette armure en terre sensée lui permettre de changer de monde. Durant le trajet, il survole les Manuscrits Pnakotiques. Et son attention se porte sur les paragraphes concernant Rlim Shaikorth, le Ver Blanc. Mumford aurait donc été un adorateur de ce monstre. Ne prêtant aucune attention à ce que lui raconte Lane, il poursuit sa lecture et apprend que le Ver Blanc vivrait dans la Contrée des Rêves. Dans le rêve, comme Millevaux ? La Millevaux de Shub-Niggurath ? Là serait le lien tissé par Atlach-Nacha ? Le rêve semble être le nœud où tous ces fils se retrouvent et s'emmêlent.
Et quelques minutes plus tard, après s'être étonné de l'aisance avec laquelle Lane force, une fois de plus, la porte de derrière de la maison de Mumford, Lewis Patrick descend les marches menant à la cave. À chaque marche, il a l'impression que la température baisse. Réalité ou simple impression ? En bas, tout est comme Lane l'a décrit. Il n'a touché à rien, si ce n'est aux Manuscrits Pnakotiques. Le corps de Mumford est parfaitement conservé, gelé, alors que celui du pauvre Archer, malgré le froid ambiant, commence déjà à montrer des signes de pourriture et à sentir. Même s'il ne prévient pas la police, les voisins devraient le faire d'ici quelques jours car ils seront indisposés par l'odeur et ils se poseront des questions. Mais avant tout, il est là pour examiner la scène de ce crime rituel. Y a-t-il ici un indice qui aurait échappé à Lane ou un indice que seul un spécialiste des sciences occultes pourrait trouver ? Peut-être bien oui !
Une poupée d'enfant... Que fait-elle là ? Et pourquoi Lane n'a-t-il pas remarqué un objet à la présence aussi improbable en ces lieux ? Lewis Patrick repense à sa vision, celle qu'il a eu dans sa propre cave. Un rire, un enfant et quelque chose derrière. C'est là qu'il avait trouvé cette montre étrange qui l'avait précipité dans Millevaux. Cette montre, il l'a toujours... Mais, que doit-il comprendre ?
Atlach-Nacha tisse sa toile, donc tout est lié d'une manière ou d'une autre. Lewis Patrick réfléchit. Cette montre l'a projeté dans le rêve. Le Ver Blanc vit dans le rêve. Mumford a certainement accédé au monde du rêve lui aussi. A-t-il utilisé une montre ou autre chose ? La Magicienne lui a dit de trouver le Joueur, d'aller le chercher dans son monde en utilisant l'armure de terre. Mais cette armure se trouve dans le rêve. Le rêve est la clé, la porte...
La clé et la porte... Pourquoi ces mots tournent ainsi dans sa tête. La clé et la porte. La Clé et la Porte ! Yog-Sothoth ! Lewis Patrick a lu des choses concernant cette horreur. Et il repense à Atlach-Nacha dont on dit que quand sa toile sera achevée, cela sera la fin du monde. Est-il possible que Cellys et ses complices souhaitent en réalité s'attirer les faveurs de Yog-Sothoth en lui offrant la fin du monde ? Ce serait donc à cette fin qu'ils tenteraient de hâter les plans d'Atlach-Nacha ? Il faut vraiment être... tordu pour échafauder un pareil plan, pour avoir de telles pensées mais... la folie n'est-elle pas le guide des adorateurs des Anciens ?
Lorsque Lane lui demande s'il a trouvé quelque chose, Lewis Patrick ne sait quoi répondre. Oui, il a trouvé quelque chose, mais comment expliquer ça à quelqu'un comme Lane, quelqu'un de... normal !
« Je... Je dois rêver. Maintenant !
Non, tu ne rêve pas. Mumford est bien congelé et...
Tu ne comprends pas ! Je sais que je ne rêve pas. Mais je dois rêver. Je dois rêver maintenant ! Il faut que je rêve ! »
Et Lewis Patrick fouille dans ses poches mais il ne trouve pas la montre. Il saisit Lane au col.
« Herbert, je dois dormir ! Tout de suite ! Fais moi dormir ! C'est une question de vie ou de mort ! C'est la fin du monde ! »
Et Lewis Patrick a dû se montrer particulièrement convaincant car son ami lui décoche un crochet au visage qui le plonge dans les ténèbres et le ramène... dans la maison de la Magicienne.
Et elle est là, assise sur un petit tabouret de bois. On dirait qu'elle attendait. Qu'elle l'attendait. Elle lui sourit. On dirait qu'elle sait. Elle s'approche de l'armure de terre, l'ouvre et explique son fonctionnement. Elle explique aussi qu'il ne faut surtout pas en sortir car l'air du méta-monde pourrait lui être fatal, à lui, être de fiction. Mais il faut faire vite. Cellys et ses complices ont déjà commencé leur rituel. Lewis Patrick n'a aucune idée de ce qui lui permet d'affirmer cela mais il la croit. Aussi, il entre dans l'armure et la Magicienne la referme sur lui.
On ne voit pas très bien à travers les deux ouvertures faisant office d'yeux. Sa vision se trouble. Les murs de la cabane de la Magicienne laissent la place à des murs blancs. Comme chez la magicienne, il y a peu de meubles. Mais point d'athanor ou de créatures dans des bocaux. Là, il n'y a que quelques livres sur des étagères blanches ou en bois. Il y a deux malles bleues devant lui. Mais son attention est attirée par un raclement venant de sa droite. De l'autre côté d'une porte ouverte, un homme est penché sur une sorte de machine à écrire dont émane un halo lumineux. Lewis Patrick fait un pas dans sa direction. L'homme ne lui parle pas. Il se borne à taper sur son étrange machine et Lewis Patrick entend les mots résonner dans sa tête.
« Bonjour Lewis Patrick Hatecroft. Je suis le Joueur. À l'occasion, on m'appelle aussi Demian ou Demian Hesse. Mais aujourd'hui, je suis le Joueur. Tout ne s'est pas passé comme prévu. Cellys et ses complices sont passés à l'action plus vite que je ne le pensais et tu n'as plus beaucoup de temps si tu veux sauver ton monde. La Magicienne a raison. Je peux faire quelque chose. Je peux décider qu'Atlach-Nacha ne finira pas sa toile aujourd'hui. Je peux décider que ce ne sera pas la fin du monde, que Sturkeyville ne deviendra pas la Capitale de la Douleur. Je peux décider que Yog-Sothoth ne viendra pas apprécier ce cadeau et récompenser ceux qui le lui ont fait. Mais je suis le Joueur. Je joue pour connaître la suite de l'histoire. Si je fais ça, l'histoire s'achève. Mais si je ne le fais pas... elle s'achève aussi. À moins que je ne choisisse de jouer dans un monde ravagé par les Anciens... Lewis Patrick, tu connais l'expression « mourir pour renaître » ? Si tu acceptes de mourir pour renaître, pour vivre une autre histoire et de nouveau combattre les Anciens, je sauve ton monde. Mais tu as conscience que si tu accepte, ce sera un autre Lewis Patrick Hatecroft qui se réveillera demain. Tu ne seras plus le gardien d'ouvrages occultes. Tu ne vivras peut-être même plus à Sturkeyville. Il ne te restera que ton nom et ta volonté de combattre les Anciens et leurs adorateurs. Acceptes-tu ? »
Et le joueur s'empare d'un dé à six face.
« Pair, tu accepte. Impair, tu refuse. »
Et le dé tombe sur six !
Feuille de personnage avec les règles de Bois-Saule :
Destin fatal : (Le Jugement) Le bien précieux est une chose légendaire, s'en emparer peut transformer votre destinée.
Chassé par : un monstre (un vampire ?).
Chasse : les cultistes.
Une question : Pourquoi ces rêves étranges ?
Une certitude : les bois de ses rêves sont en lien avec ceux de Sturkeyville. Il y a un mystère dans les bois de Sturkeyville.
Une croyance : ce qu'il y a dans les livres du mythe est malheureusement vrai. Notre monde est menacé.
Une vertu : il veut vraiment combattre le mal et protéger l'humanité.
Un vice : il est attiré par les forces obscures et combattre le mal par le mal lui donne un prétexte pour s'adonner à ces noires magies.
Un souvenir qui te hante : le rituel d'invocation d'un Sombre Rejeton.
Ta quête : la vérité et le triomphe de la Lumière sur les ténèbres incarnées par les Anciens et leurs adorateurs.
Tes symboles : le Bâton qui guide les fidèles & l'Essaim aux milles mains et aux milles visages.
Tu possède un objet important : un exemplaire des Unaussprechlichen Kulten.
Commentaires de Thomas :
A. Hatecroft Manor ? Un jeu de mots avec Lovecraft ?
B. Pour cette partie, j'ai l'impression que l'apport de Bois-Saule se borne à tirer l'historiette du jour. On devrait alors plutôt dire qu'il y a des bouts d'Almanach plutôt que des bouts de Bois-Saule
C. D'où vient le changement de carnation du héros ? Est-ce que c'est une conséquence d'avoir vécu un cauchemar de Coelacanthes ?
D. Tu innoves en introduisant des cauchemars de Coelacanthes différents de ceux que tu utilise d'habitude, c'est cool.
E. J'y pense comme ça, mais si tu cherches un cadre d'enquêtes surnaturelles contemporaine en Amérique du Nord à investir avec du Millevaux dedans, je te conseille chaudement L'Autoroute des Larmes, qui se prêterait certainement fort bien à un crossover Psychomeurtre / Grey Cells.
F. "Maintenant, il peut l'organiser à Hatecroft Manor. Il appelle donc certaines personnalités de Sturkeyville, les invite à cette « soirée de retour » et les charge également de faire circuler l'information. Il espère ainsi que la complice de Cellys sera là et qu'il pourra la confondre d'une manière ou d'une autre. " ça fait très Agatha Christie comme procédé :)
G. "Ne prêtant aucune attention à ce que lui raconte Lane, il poursuit sa lecture et apprend que le Ver Blanc vivrait dans la Contrée des Rêves. " On pourrait imaginer que Millevaux envahisse notre monde en transitant par les Contrées du Rêve, ce serait cool :) [et ceci dit, c'est plus ou moins ce qui se passe dans Cœlacanthes, mais utiliser les Contrée du Rêve lovecraftiennes comme passage serait assez cool.]
H. "De l'autre côté d'une porte ouverte, un homme est penché sur une sorte de machine à écrire dont émane un halo lumineux." : j'adore la description d'un ordinateur vu par un homme de 1920 :)
I. Sacré ironie que le joueur propose un choix au personnage, mais tire ensuite un dé pour savoir ce qu'il choisit.
J. "Tes symboles : le Bâton qui guide les fidèles & l'Essaim aux milles mains et aux milles visages." : d'où tire-tu ces symboles ?
Réponse de Damien :
A, oui, c'est carrément ça Lewis Patrick Hatecroft = LPH=HPL love/hate etc. ^^
B, j'ai surtout joué avec Grey Cells au niveau technique. Bois Saule m'a servi pour poser certains éléments d'ambiance. ces derniers temps, j'ai pas mal utilisé Millevaux comme une contrée des rêves alternatives pour mes scénars de Chtulhu.
C, oui, c'est un effet du cauchemar. comme il est mort dedans, j'ai tiré sur la table de Cœlacanthes et voila.
D,j'ai pas fait exprès. je tire les cauchemars coelacanthes au hasard. des fois, je tombe sur les mêmes, des fois non. mais c'est toujours au hasard.
E, oui ^^ je suis déjà tombé dessus
F héhé, là je joue un "Socialite" c'est l'archétype du mondain dans Grey Cells et effectivement c'est plus pour jouer des scénars à la Christie. J'ai trouvé que ça collait bien avec le perso.
G,et oui, c'est ça, j'ai utilisé Millevaux comme une contrée des rêves et j'ai finis par tilter que si j'utilise plus Millevaux comme une menace de corruption de notre monde par cette foret que comme "terrain de jeu" cela vient justement de Cœlacanthes. je pense reprendre cette notion quand je me lancerai dans ma campagne de Mantra-Crasse-Millevaux.
H. j'ai un peu repompé ce passage sur le final d'un autre de mes solos ^^ mais j'aime bien cette idée que les persos puissent voir le joueur à l'œuvre mais lui non… ce serait casser la magie ^^.
I bah disons que j'essaie de ne pas trop tricher ^^ mais j'aime bien le meta-jeu comme ça. j'aimerais en faire plus.
J, ces symboles? ils sont sortis tout droit de Terres de Sang est Millevaux ^^ d'ailleurs, il faudrait que je me refasse un mix de Terres de Sang et Sphynx car j'ai eu une idée pour améliorer la jouabilité en solo en utilisant le questionnaire de préparation des ruines de la même façon que la fiche du serial killer dans Psychomeurtre. Il s'agirait de visiter les ruines et tenter de répondre à toutes ces questions: savoir qui vivait là, comment et pourquoi ils ont disparu etc.
voila, j'espère ne pas avoir été trop fouillis dans mes réponses car je ne suis pas sur le bon PC et n'est plus le CR sous les yeux. en tout cas, demain je me fais un ptit one shot de Silent Hill en version Sombre Max et je pense ensuite attaquer Mantra-Crasse-Millevaux avec de nouvelles incarnations de Haze, Corso et Lewis ?
Réponse de Thomas :
C. Ce qui est intéressant, c’est que dans Cœlacanthes, le changement de peau a en fait très peu d’influence : tout le monde s’en fout :) Alors que retransposé dans les USA des années 20, ça a beaucoup plus d’impact : le héros doit se cacher, etc.
G. Le thème de l’invasion des mondes par Millevaux est encore plus présent dans Millevaux Mantra.
J. En fait, la fiche du serial killer de Psychomeurtre est inspirée de la liste des révélations de Sphynx : le procédé est juste plus transparent et ordonné. Mais du coup, réincorporer la fiche de Psychomeurtre pour créer un liste de révélations plus transparente et ordonnée pour Sphynx, ce serait un intéressant renversement de situation :)
K. Cool pour Mantra-Crasse-Millevaux. Tiens-moi au courant !
Damien :
ouais, j'avoue que j'ai tiqué quand je suis tombé sur cette transformation car je me suis vraiment demandé comment j'allais m'en sortir. Limite, j'aurais préféré de bon gros tentacules dans le dos ^^ disons que comme Cœlacanthes aura été ma porte d'entrée sur Millevaux ça conditionne plus ou moins consciemment plein de choses dans ma façon d'intégrer Millevaux dans mes scenars. et comme je compte mélanger ces univers et jeux que sont Millevaux, la Crasse et Mantra, au final, ça devrait coller ^^ pour Sphynx, je me suis rendu compte que je le faisais de manière informelle mais je me suis dit que mon RP gagnerait peut-être en qualité ou fonctionnerait peut-être mieux si je formalisais cela justement. sinon, je continues mon Silent Hill que j'ai commencé en prenant pour situation de départ un texte court d'Anton Vandenberg publié sur sa page FB ^^ ensuite, je voudrais tester le jeu solo de Matthieu Bé et ensuite j'attaque la Crasse. Normalement, j'aurais 3 persos: 1 Mouche, 1 Cafard et un mort-vivant. les 3 bosseraient pour Black rain et enquêteraient donc sur le meurtre de l'Hommonde mais aussi sur une nouvelle manifestation de l'Entropie : Millevaux! dont les agents seraient les Horlas et les Cœlacanthes. Et je compte aussi intégrer (si je peux) une nouvelle sorte de créatures plus ou moins hostiles ^^ ensuite, quand j'aurais reçu Mantra, je compte en remettre une couche en terme de Méta-jeu en faisant de nouveau apparaître le personnage du Joueur que j'ai déjà "joué" dans d'autres solos. le Joueur serait donc un Ancien de Mantra et les 3 autres ses avatars de la Crasse. enfin, c'est l'idée... après, ça prendra ptete une autre forme, on verra bien. et côté technique, je pense jouer la mouche avec Grey Cells, le mort-vivant avec Black Star Rise et le cafard avec divers système mixé à Parasite (de Fabulo ^?.
Hors ligne
CE N’ÉTAIT PAS LE PLUS MAUVAIS
Un solo par Damien Lagauzère qui tient place dans… Silent Hill ! Avec une invasion progressive par Millevaux et le vertige logique.
(temps de lecture : 1h37)
Joué le 19/04/2019
Ce solo a été joué avec l'aide de jeu Silent Hill écrite par Rémy Broknpxl et dispo ici
J'ai utilisé les règles de Lacuna et certains des Vertiges Logiques de Thomas Munier.
Il y aussi des "bouts" de Millevaux sous la forme de Cœlacanthes et de Bois-Saule (pour le final).
Certaines parties, enfin, ont été joué avec Strings.
Le MJ est joué par Muses & Oracles.
Avertissement sur le contenu : voir le détail après l’image
Trent Van Doren, cc-by, sur flickr
Contenu sensible : grossophobie.
L’histoire:
Je prends un café à la terrasse de ce bar avec une vue sur le lac de Toluca. Je ne suis pas originaire de Silent Hill. J'ai atterri là par hasard. Ma moto est en rade. J'ai été obligé de m'arrêter. Le gars a jeté un œil et m'a dit qu'il pourrait s'en occuper dans la journée. Alors je suis bon pour une journée de tourisme forcé dans cette petite ville.
La serveuse s'approche. Elle est d'une laideur à faire tourner le lait.
« M. Singer, Paul Singer ? »
Elle m'informe qu'il y a un appel téléphonique pour moi au bar. C'est bizarre. Personne ne sait que je suis ici. Et mon portable ? Je fouille les poches de mon blouson. Rien ! J'ai dû le laisser dans une des sacoches de ma moto.
« Paul Singer, j'écoute !
Faucheur Zero... Les Horlacanthes ! »
Cette voix m'est familière mais je n'arrive pas à la resituer.
« Vous êtes ?
Je suis Contrôle. Je ne suis pas ton ennemi. Je ne suis pas ton ami non plus. Mais je peux t'aider. Appelles-moi quand tu en auras besoin.
Je ne comprends pas. Pouvez-vous être un peu plus... explicite ?
Pense à nos Chairs Disparues. »
OK. Ce doit être une blague. Peut-être un des gars du garage. Il aura su où me trouver, il connaît mon nom et aura voulu rigoler un bon coup. Je ne relève pas. Mon café m'attend. La serveuse n'est pas au bar. Elle n'est pas en terrasse non plus. Je m'installe et finis mon café. Je ne le remarque pas tout de suite mais... il n'y a personne. Personne n'est passé là depuis un bon moment et je n'ai pas revu la serveuse. Ce n'est pas très grave, ma consommation est déjà payée. Mais personne dans les rues, pas le moindre bruit de voiture, c'est déjà plus étrange. Je me lève et m'en vais sans laisser de pourboire.
Je prends le chemin du garage et je ne croise personne dans les rues. Par moment, j'ai envie de me mettre à crier « Il y a quelqu'un ? » mais je ne le fais pas. Ce serait ridicule, non ? Et tout d'un coup, je me sens mal, très mal. Ce n'est pas seulement de l'angoisse ou de la peur. Cette situation est stressante, c'est sûr, mais il y a autre chose et je ne sais pas quoi. Je suis seul mais... je ne le suis pas...
J'entends quelque chose derrière moi. Je me retourne. Qu'est-ce que c'est que ça ? Ça se tient debout et ça rampe en même temps. C'est rosâtre, grisâtre. C'est de la chair malade. Je reconnais des membres humains, des mains, des pieds. Et des têtes ! Et UNE tête ! On dirait la serveuse du café. La moche. Et là, c'est pire encore. Qu'est-ce que c'est que ça ? Si c'est un costume d'Halloween, c'est le plus atrocement réaliste que j'ai jamais vu. Avec prudence quand même, je m'approche. La chose, la serveuse ?, semble ne porter aucun vêtement. Elle avance vers moi, moitié marchant, moitié rampant. Je ne sais pas en quoi peut être fait ce costume. De la mousse de polystyrène, un truc expansé, du plastique, je ne sais pas mais c'est hyper réaliste en tous cas. Saisissant ! Le top du cosplay !
Ce truc doit être hyper lourd à porter. Elle (?) se redresse péniblement. De toute sa hauteur, elle est plus grande que moi. Et pourtant, je fais un bon mètre 85 ! Et, de plusieurs appendices ressemblant à des bras jaillissent plusieurs lames semblables à des faux !
Faucheur Zero ?
OK, on ne joue plus. Je me casse en courant ! Vu sa masse, semer ce truc n'est pas compliqué mais... je ne veux pas penser à celui ou celle qui va croiser sa route ! Je cours jusqu’au garage. Je veux récupérer ma moto. Et connaître le fin mot de cette sale blague. Il ne me faut pas longtemps pour me retrouver devant le garage. Il n'y a personne. J'appelle. Rien. Ma moto est là. Et, évidemment, elle ne démarre pas. Je cherche mon téléphone mais je ne le trouve dans aucune des deux sacoches.
Je vais au comptoir. Toujours personne à l'horizon mais un téléphone. J'appelle chez moi.
« Contrôle, j'écoute !
Qu'est-ce que c'est que cette blague ? Vous vous foutez de moi ou quoi ?
Non ! Ce ceci n'est pas un jeu.
Qu'est-ce qui se passe ici ? Où sont les gens ? Pourquoi il n'y a personne dans les rues ? Et c'est quoi ce truc, là ?
Ne le prends pas sur ce ton. Je ne suis pas ton ennemi, mais je ne suis pas ton ami, non plus. Tu vas devoir t'en sortir mais tu n'es pas seul. Tu peux compter sur moi, mais...
Mais quoi ?
Reviens sur tes pas... »
Et il a raccroché. Revenir sur mes pas ? Retourner dans la rue où j'ai vu ce truc ? Pas très motivant mais... pourquoi pas après tout. Ce n'est pas un jeu mais ai-je d'autres choix que de le jouer ?
Dehors, les rues sont toujours vides et un épais brouillard est tombé d'un coup. La température est tombée, elle aussi.
Ça me rappelle cette randonnée qu'on avait faite entre potes. C'était il y a longtemps. On était huit et il y avait des filles. Il s'agissait entre autres de les impressionner, de leur montrer qu'on savait se débrouiller dans la nature et tout. Mais nous avions marché moins vite que prévu et la nuit, et la température, étaient tombées avant que nous n'ayons atteint le gîte d'étape. Nous n'étions pas assez couverts. Tout le monde commençait à être fatigué. L'ambiance était devenue tendue. Le silence qui régnait était à couper au couteau. Je me souviens clairement avoir pensé que le premier d'entre nous qui l'ouvrirait dirait une énorme connerie qui non seulement plomberait l'ambiance mais risquait même de gâcher la suite du séjour. Et je ne voulais pas que ce soit moi. Alors, je ne disais rien alors même que j'en avais vraiment marre de marcher dans le noir et le froid et que j'en avais marre d'entendre les autres geindre.
Alors, pour me changer les idées, je pensais à autre chose. J'essayais en tout cas. En fait, je sais que j'avais clairement en tête que j'avais voté pour cette randonnée parce que j'ai peur de la mer. Je n'ai pas peur de l'eau. J'ai peur de la mer. Je ne sais pas si c'est le syndrome des Dents de la Mer et la peur d'être dévoré par un requin ou si c'est quelque chose de plus freudien mais je déteste la mer. Je me forçais à garder ça en tête. Ça m'aidait à mettre un pied devant l'autre.
Et mes pensées s'envolaient. Je n'étais plus vraiment là. J'étais, je suis, dans une caverne. Il fait sombre et humide. Je n'y vois quasiment rien. Pourtant, sur une paroi, je vois de quoi accrocher un flambeau. Je rêvasse. C'est bizarre comme rêverie. Ce doit être à cause de la fatigue. Mais ça me permet de mettre de la distance justement. Et soudain, on m'agrippe par l'épaule. Je me retourne et mon regard se fixe sur un œil trop maquillé. Marcy ! Qu'est-ce qu'elle me veut ? Elle sourit. Elle m'explique gentiment que j'étais en train de m'endormir et que j'ai failli tomber. Les autres ricanent et me traitent de somnambule. Je suis fatigué, énervé, je les envoie paître. Marcy tente de calmer le jeu. J'en remets une couche et fais allusion à la couche de maquillage dont elle s'est tartinée le visage et qui la fait ressembler à un œuf de Pâques.
Et voilà, je l'ai fait. J'ai ouvert ma gueule et j'ai plombé l'ambiance...
Pourquoi me souvenir de ça maintenant ? Marcy... Ce n'est pas qu'elle était moche mais... elle ne me plaisait pas. Cette randonnée avait été organisée, aussi, pour créer quelques couples si c'était possible. Mais celui-là ne pouvait pas fonctionner, c'est comme ça. Après, OK, j'ai peut-être été inutilement blessant mais j'étais crevé et c'était peut-être pas la peine de m'en vouloir comme ça au point de tirer la tronche à toutes les soirées entre potes où on se croisait.
Et maintenant, où suis-je ?
Toluca Cemetary, indique le panneau. Mes pas m'ont finalement ramené près du lac. Mais pas au café. C'est peut-être aussi bien. Mais un cimetière... Est-ce vraiment mieux ?
Un éclat, un reflet, attire mon attention un peu plus loin. Merde ! Il y a du monde dans le cimetière ! Un homme et une femme. Elle a un couteau de cuisine et s'apprête à poignarder l'homme qui lui fait face. Je crie ! Les deux se figent mais aucun ne se retourne vers moi. La femme ne veut pas perdre sa proie des yeux et lui... c'est un peu la même chose. Je cours vers eux, espérant que la femme ne commettra pas l'irréparable.
C'est un peu surréaliste mais j'ai l'impression qu'ils m'ont attendu. L'homme est on ne peut plus fébrile. Il tremble. La femme est d'un calme olympien, impassible. Je la regarde et la trouve sale... et grosse aussi. De près, on dirait une grosse baleine dégueulasse. Un amas de chair gluant et armé d'une lame... Faucheur Zero ?
Et là, j'ai peur que ça parte en sucette.
Et j'ai raison d'avoir peur.
Ça part en sucette !
La grosse se retourne vers moi. L'homme reste immobile, tremblant. Il se borne à tourner lentement la tête vers moi. Il se mord les lèvres. Et elle lève son couteau dans ma direction. Gênée par sa propre graisse, ses mouvements sont maladroits. Je pourrais m'enfuir mais...
Je lui enfonce mon poing dans la figure !
Et mon poing s'enfonce et s'enfonce et s'enfonce dans sa chair. Elle va m'avaler si je ne fais rien ! Je tente de retirer mon poing de sa face. Mais ça ne va pas tout seul. Elle mord et j'y laisse de la viande. Je regarde mon poing en sang et aperçoit la lame s'abattre.
Je hurle alors que le couteau s'enfonce dans mon épaule. Je tourne la tête vers l'homme, toujours immobile à se mordre les lèvres. Je donne un coup de pied à cette folle. L'effort fait saigner ma blessure mais elle me lâche. Je ne veux pas en savoir plus. Je m'enfuis en courant.
Mon cœur bat à tout rompre. Mon épaule me fait atrocement mal. J'ai besoin d'aide, de soin. Et cette putain de ville est toujours déserte. Sur qui puis-je compter ici ? Personne ! Si, lui. Contrôle. Il me faut un téléphone.
Blue Creek Apartments. Je ne m'attends pas à y trouver qui que ce soit. Cette ville est déserte et il n'y traîne plus que des psychopathes... et moi. Mais au moins je devrais y trouver un téléphone. Le hall d'entrée est mal entretenu. Il y a de la poussière. Les murs sont abîmés par l'humidité. Ça sent mauvais. Par acquis de conscience, je frappe à une porte. Évidemment, pas de réponse. Je tente d'ouvrir la porte et, à ma propre surprise, elle s'ouvre.
Je ne m'attends pas à trouver qui que ce soit mais j'appelle quand même. Et effectivement, personne ne me répond. Pour autant, j'ai l'impression qu'il y avait quelqu'un il y a peu. Il y a des vêtements un peu partout, de la vaisselle dans l'évier. Peut-être que si j'attendais...
Je trouve le téléphone.
« Allô, Contrôle ? J'ai besoin d'aide...
Ah bon ?
Oui, je ne comprends rien à ce qu'il se passe. Cette ville. Elle est déserte. Il n'y a que des monstres ou des grosses folles psychopathes.
Elle est déserte ou il y a des monstres ? Sois précis !
OK, euh oui pardon. Elle est quasiment déserte. Et les seules personnes que j'ai rencontrées sont soit des monstres soit des psychopathes qui ont essayé de me tuer. J'ai pris un coup de couteau à l'épaule et il faut qu'un médecin s'en occupe.
Vas à l'hôpital alors.
Oui, mais euh... est-ce qu'il y aura quelqu'un là-bas ?
Tu le sauras en y allant ! Que veux-tu de plus ?
Euh... je ne sais pas. Je voudrais comprendre. Ce n'est pas normal... cette situation... C'est insensé.
Si tu veux comprendre, commences par te poser les bonnes questions. Et non, ce n'est pas insensé ! Il y a du sens. Mais c'est à toi de le trouver ! Réfléchis, Paul. Et en parlant de réfléchir, t'es tu seulement regardé dans la glace ? »
Et je suis resté là, interdit, le combiné à la main alors que Contrôle venait de me raccrocher au nez.
Dans la salle de bain, je cherche de quoi nettoyer ma plaie. On dirait que ça ne saigne plus, c'est toujours ça de pris. Rien ! Pas d'alcool, pas de pansement. Au moins, il y a l'eau courante mais est-ce que je ne vais pas choper une infection ? L'eau est tout sauf transparente. On dirait de la rouille.
Et j'ai eu un nouveau choc quand je me suis regardé dans la glace. Je ne me suis pas reconnu. J'avais pris, combien ? 20 ? 30 kilos ? J'étais devenu une horrible baleine. Comme l'autre folle. Comment c'était possible alors que je n'avais rien avalé depuis... le café sur le bord de Toluca Lake. Ça n'a aucun sens !
Pourtant, Contrôle m'a dit de me regarder dans la glace et de réfléchir. Il a dit que tout ça avait du sens et que je devais me poser des questions. Mais quelles questions me poser ? Par où commencer ? Une question s'impose. Pourquoi moi ? Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? Rien ! J'ai rien fait pour mériter ça. Je regarde autour de moi. La déco a changé. Pas en bien. Les murs sont devenus rouges. Rouge sang ! Ils ont une drôle de texture, dégoûtante, molle, comme de la... graisse. Mes doigts s'enfoncent dedans quand je les touche. Je sors de la salle de bain mais j'ai du mal à me déplacer avec toute cette graisse. Comment c'est possible de grossir comme ça en un clin d’œil ? Cette chair m'encombre. J'étouffe. J'ai mal. Je ne me sens pas bien et... je me sens moche !
Je me dandine grotesquement jusqu'au salon. Quelqu'un se tient là, debout. Quelqu'un ou quelque chose. Encore un monstre. Ce truc fait plus de deux mètres de haut. Il a sur les épaules une sorte de cape faite d'un tissu moisi et troué. Son visage, sa tête... ce sont des plaques d'os. Au fond de ses orbites, ses yeux sont noirs. Ses bras - ses quatre bras ! - se terminent par des griffes acérées. Il me fixe et, avec une diction impeccable, il me dit :
« Il va falloir faire fondre cette chair. »
Et je me mets à courir aussi vite que je peux.
Je me précipite dans le couloir, je fonce vers la porte d'entrée de l'immeuble. Mon cœur bat à plus de 100 à l'heure. Il va exploser ! Une fois dehors, je suis de nouveau dans le brouillard. L'immeuble derrière moi a repris son apparence normale. Je regarde mes mains et ce ne sont plus ces horribles saucisses. Le trop plein de chair a disparu. J'ai repris mon apparence normale.
J'ai peur.
Je dois aller à l'hôpital.
Ma blessure ne saigne plus et ne me lance pas trop. Mais je dois quand même montrer ça à un médecin, ne serait-ce que pour éviter tout risque d'infection. Les rues sont toujours aussi désertes. Le brouillard est toujours aussi épais mais j'arrive à me repérer et trouve assez facilement l'Alchemilla Hospital. Mais vu sa façade, je me demande s'il est encore en activité.
À l'intérieur, je n'entends pas un bruit. Il n'y a personne. J'appelle. Rien ! L'endroit semble abandonné mais il y a du matériel qui traîne ça et là. Peut-être qu'en fouillant un peu je trouverais de quoi nettoyer ma plaie. À défaut de trouver un médecin compétent. À tout hasard, je jette un œil sur le comptoir de l'accueil. J'y cherche un téléphone qui me permettrait de contacter Contrôle mais... rien.
Je passe derrière le comptoir à la recherche d'un plan ou de quoique ce soit qui me permettra de trouver là où le personnel stockait son matériel. Et si j'en crois le document que je viens de trouver, je dois me rendre au 4è. Maintenant, reste à savoir si l'ascenseur fonctionne encore.
Merde ! Les portes se referment. La lumière s'éteint et la cage ne bouge pas. Je tente d'ouvrir les portes. Je parviens à les entrouvrir mais il m'en coûte. Je me faufile à travers l'étroite ouverture. Heureusement que j'ai retrouvé ma silhouette normale. Si j'étais resté aussi gros que tout à l'heure, j'aurais été piégé ici pour un bon moment.
Par contre, il s'est passé quelque chose. Je ne suis pas dans le couloir par lequel je suis entré. OK, je respire un grand coup. Je ne devrais plus me prendre la tête avec ce genre de « détails ». D'après Contrôle, tout ça a du sens. Je finirai bien par trouver lequel.
Ce long couloir a son mur gauche entièrement constitué d'un gigantesque miroir. Là, tout y est réfléchi à l'identique, sauf moi ! Ce n'est pas moi dans le reflet. C'est... Marcy ? Et elle est... grosse ! Non, elle n'était pas grosse comme ça dans mon souvenir. Je fais un pas en avant et elle avance aussi. Je fixe son regard. Elle détourne les yeux. Elle me regarde par en-dessous et je lis de la haine dans son regard. Elle me hait, pourquoi ? Parce que je l'ai repoussée ? Hey ! Je ne suis pas obligé d'aimer tout le monde, si ? C'est pas ma faute si elle ne me plaît pas !
Je ne formule pas ces pensées à haute voix mais pourtant elle se met à pleurer. Par réflexe, je tends le bras vers elle. Elle ne me plaît pas mais je ne la déteste pas. Ma main touche le miroir. Ma main est paume contre paume avec la sienne. Le miroir nous sépare. Sincèrement, je veux bien faire quelque chose pour qu'elle arrête de pleurer mais ce miroir m'en empêche. Je continue de la regarder et pense aux mots de Contrôle. Réfléchir, les Chairs Disparues... peut-être qu'elle était grosse avant que je la connaisse. Peut-être que refuser ses avances a fait remonter des choses et l'a rendue plus triste que je ne l'aurais imaginé ? Réfléchir, le miroir... Peut-être que je l'ai repoussée certes parce qu' elle ne me plaît pas mais aussi parce qu'elle me « renvoie » quelque chose de désagréable, qu'elle me force à réfléchir, à voir en face quelque chose de moche chez... moi ?
Je me sens alors cruel et superficiel. Je ne connais pas le passé de Marcy mais peut-être que dans le passé elle a été grosse et qu'elle en a souffert. Peut-être que ça lui a coûté de gros efforts pour perdre du poids – cette Chair Disparue – et moi... je me suis comporté comme un connard. Je n'ai pris aucun gant pour lui signifier que je n'étais pas intéressé, que je ne la trouvais pas à mon goût et que, finalement, tous ses efforts n'avaient servi à rien.
Je détache ma main du miroir. Je dois trouver un téléphone et demander à Contrôle si c'est bien ça. Si oui, je dois trouver Marcy et m'excuser. C'est ça, hein ? Ça me fera quitter cette ville pourrie, hein ? Ouais, c'est ça ! Je présente mes excuses et quitte Silent Hill pour aller faire la fête à Noisy Valley, hé !
Et Marcy lève les yeux vers moi. Son expression a changé. Elle a l'air réjouie, sûre d'elle. C'est ça ? J'ai trouvé la clé de cette putain d'énigme ? J'ai un doute. Son image change de l'autre côté du miroir. Elle devient floue. Elle grossit à toute vitesse. Elle tape du plat des mains contre le miroir qui se met à trembler. OK, je ne vais pas attendre là les bras ballants. Je me tire en courant !
Mais je n'ai pas le temps de retourner à l'ascenseur que le miroir vole en éclats. Et Marcy, qui ne cesse de grossir, court après moi. Elle pose une patte difforme sur mon épaule blessée et je pousse un cri. Elle serre fort. Je défaille. Je manque de tomber mais c'est elle qui me tient debout. Mais ma vue se brouille sous l'effet de la douleur. Tout devient noir.
Je ne suis pas un mec parfait. Mais je ne suis pas non plus le plus mauvais. Il y a pire, nettement pire. J'ai quand même fait des trucs bien dans ma vie. Je ne suis pas un connard égoïste et superficiel. Pas tout le temps. Des fois, oui. Mais pas tout le temps. Je suis aussi un mec bien des fois.
Ce cauchemar semble me reprocher d'être superficiel parce que j'accorde de l'importance à l'apparence des gens mais je suis aussi sensible à la beauté des choses, de la nature en général. Et ça, c'est vrai, c'est sincère. C'est pour ça aussi que j'avais voté pour cette randonnée en montagne. Parce que j'aime cette beauté, cette perfection de la nature. C'est rassérénant, rassurant. C'est beau. C'est dans des endroits comme ça qu'on peut vivre des moments parfaits. Et c'est ce genre de moments que je voulais partager avec mes amis. Est-ce que ça fait de moi un salopard ?
Mais il a fallu que tout soit gâché par ces traînards qui nous ont fait arriver en retard au gîte ! Que tout soit gâché par Marcy qui me demande plus que je n'étais disposé à lui donner ! Merde ! Ce moment aurait pu, aurait dû être parfait et ces cons ont tout gâché ! Et moi... j'ai tout gâché en perdant mon calme. Je n'aurais pas dû m'énerver comme ça. Je n'aurais pas dû envoyer paître tout le monde, je n'aurais pas dû tirer la gueule et j'aurais dû être plus cool avec Marcy.
Je ne suis pas un mec parfait. Mais je ne suis pas non plus le plus mauvais. Il y a pire, nettement pire. Mais des fois, je peux être un connard...
Et maintenant ?
Je me réveille... à l'hôpital. Je suis dans une chambre, allongé sur un lit. Je suis toujours à Silent Hill. Les murs sont dégoûtants et suintants. Je vois le brouillard à travers la fenêtre. On dirait que mon mea culpa n'a pas suffi. Mais bordel ! Qu'est-ce que cette ville veut de plus ?
Je me lève et regarde ma blessure. Elle ne s'est pas nettoyée toute seule mais la douleur s’atténue. Je vais pour sortir de la chambre. Elle s'entr'ouvre mais quelque chose bloque derrière. Je pousse, je force. Les vibrations remontent jusqu'à mon épaule et me causent une douleur difficilement soutenable. L'espace d'un instant, ma vue se brouille. Je glisse par terre, m'adosse au mur et reprends lentement ma respiration. Je sens mon cœur ralentir, la douleur pulser un peu moins. Mais, je le sais bien, ça ne suffira pas. L'espace d'un instant, j'ai peur d'être coincé dans cette chambre jusqu’à la fin de mes jours.
Je repense à Contrôle. Il n'est ni mon ami ni mon ennemi. Je ne sais pas d'où il sort celui-là. Il m'a dit de réfléchir. Il m'a mis en garde contre le Faucheur Zero et les Horlacanthes. Il a parlé des Chairs Disparues. Ces mots et ces idées tournent en boucle dans ma tête. Je les laisse faire. Je n'ai plus que ça à faire de toute façon.
Ces mots et ces idées, je tente malgré moi de les attraper, de les assembler, d'en faire quelque chose qui a du sens. Je pense à la montagne, à cette beauté que j'espère revoir un jour. J'ai peur. J'ai peur de ne pas y arriver. Pas seulement arriver à sortir de cette chambre et de cette ville pourrie. J'ai peur de ne pas y arriver... tout court. De ne pas arriver à faire face. De perdre le contrôle. Est-ce cela que m'ont renvoyé Marcy et les autres ? Tout ne s'est pas passé comme prévu et moi... j'ai pété un plomb. J'avais envie que tout soit parfait, que tout se passe comme prévu parce que... je gère. La situation est sous contrôle, son MON contrôle. Il ne peut rien m'arriver. Je gère. Je contrôle. Contrôle ? Lâcher prise. C'est ça ma difficulté ? Lâcher prise ? Accepter de ne pas tout contrôler, jusqu'à mon propre corps et mon propre esprit que je contrôle. Je contrôle mon esprit, je lui rends son calme et sa tranquillité quand je suis en montagne, là où tout est majestueux et... figé. Pas comme la mer, toujours animée, en mouvement, déchaînée et... incontrôlable. Le corps, c'est son absence de contrôle qui a fait de Marcy une grosse. Et c'est d'avoir récupéré le contrôle qui lui a fait perdre du poids. Mais ai-je raison de voir les choses ainsi ? Contrôle m'a dit de réfléchir. Le miroir. Le miroir me renvoie une image. Il projette. Mais là, c'est moi qui projette des choses. Je ne sais rien du passé, des pensées profondes et intimes des uns et des autres. C'est moi qui projette sur eux ma perception de cette notion de contrôle parce que... j'ai envie d'y voir confirmer que moi je contrôle.
Je dois en finir avec ça. Je dois apprendre à lâcher prise, accepter de ne pas tout contrôler, que tout ne soit pas parfait et... que ce n'est pas grave.
Et je dois trouver un moyen de sortir d'ici.
La douleur, l'ennui, le temps qui passe... J'avais fini par somnoler, puis m'endormir quand je fus réveillé par une sirène, comme celle qui annonce la fin du boulot à l'usine ou un bombardement imminent. Je sursautais et me rendis compte que je n'étais plus à l'hôpital. Je n'étais plus dans une chambre. Je ne sais pas comment mais je m'étais retrouvé dehors, dans la forêt.
Le brouillard est toujours là, omniprésent. Il fait presque nuit et je n'y vois quasiment rien. Je me sens mal, fiévreux. Ça pulse douloureusement dans mon épaule. À force de ne pas être soigné, ça a dû s'infecter. Maintenant, chaque pas est difficile. Je transpire. Je respire mal. Mes pas me guident tant bien que mal vers un bâtiment en ruine. Ce qui reste de la structure est en acier. Il y a aussi des éclats de verre. Mais tout est envahi par la végétation. Il y a des tubes qui pendent de ce qui a été le plafond. À l'intérieur, il y a des traces de fluides séchés. Certaines sont marrons, d'autres jaunâtres. Je ne reconnais rien. Je suis littéralement dans le brouillard. Non loin, j'entends un hibou hululer. Je me retourne dans la direction et voit l'oiseau se poser sur l'épaule de cette chose que j'ai vu dans l'appartement, à Silent Hill. Cette tête en plaque d'os et ces quatre bras.
Nous nous regardons sans bouger. J'ai peur que si j'esquisse le moindre geste il ne jette sur moi et me tue. Si je ne fais rien, il me tuera aussi certainement. Je me sens à bout, au bout du chemin. J'ai fait ce que m'a dit Contrôle, j'ai réfléchi et j'ai fait mon mea culpa. Mais ça ne suffit pas, hein ? Ça ne TE suffit pas ? Toi, tu es là pour autre chose. Pourquoi ?
« Mais qu'est-ce que tu me veux, bordel ?!! »
Sur son épaule, le hibou déploie ses ailes, pousse un long hululement et s'envole. La chose me fixe de ses yeux noirs et me dit d'une voix claire et douce :
« Je suis le futur. »
Et une faux apparaît entre ses mains. Je cours, malgré la douleur.
Je n'ai que le temps de faire que quelques pas que je sens la lame s'enfoncer dans mon dos. Je la vois nettement ressortir par ma poitrine. La douleur fulgurante me fait prendre conscience de l'exacte position de mon poumon droit. Je sens la lame qui le transperce. Je vois le sang sur la lame.
Je vais mourir. En vérité, je suis déjà mort. Je suis mort depuis que j'ai mis les pieds à Silent Hill. Je suis même peut-être mort avant d'arriver. En vérité, je ne sais pas quand ni de quoi je suis mort. Je suis mort, c'est tout.
Que dira-t-on de moi ? Il n'était pas un mec parfait. Mais il n'était pas non plus le plus mauvais. Il y a pire, nettement pire. Il a quand même fait des trucs bien dans sa vie. C'était pas un connard égoïste et superficiel. Pas tout le temps. Des fois, oui. Mais pas tout le temps. C'était aussi un mec bien des fois.
GAME OVER
Réponse de Thomas :
A. "Ce n'est pas un jeu mais ai-je d'autres choix que de le jouer ?" Dur d'être un PJ...
B. Intéressant le chassé-croisé temporel. Je suppose qu'on aurait pu affiner en faisant littéralement passer le personnage d'une époque à une autre en emprunter certains passages (il y a avait un truc à faire avec le miroir).
C. Je me dis qu'à partir de cette expérience d'horreur urbain, tu pourrais avoir envie de tester S'échapper des Faubourgs... Mais je ne sais pas trop comment retranscrire le jeu en solo...
D. Le final joué avec Bois-Saule permet réellement une invasion de Silent Hill par Millevaux...
E. J'ai l'impression que c'est le plus littéraire de tes solos... C'est vraiment écrit comme une nouvelle !
Réponse de Damien :
A, c'est le pti clin d'oeil. le jdr est un jeu, Silent Hill est un jeu mais pour le PJ c'est du sérieux ^^
B, oui c'est parfois ce qui est un peu frustrant dans le jdr justement. il y a plein de pistes qui se dégagent mais une qui s'impose et si ce n'est pas une fausse piste... et bien on finit le scenar sans avoir pu creuser les autres. si cela avait une nouvelle ou un roman, là, c'est clair que certains éléments auraient soit disparus soit été approfondis justement.
C-oui, celui-là aussi je l'ai vu mais, j'avoues, pas eu le temps de mettre le nez dedans ? un étage de plus à la pile à lire ^^ vivement le chômage XD
D-Bois Saule est quand même vachement pratique pour ce genre de situation. il permet d'introduire des éléments typiquement millevaliens grâce à toutes ses entrées concernant lieux et créatures etc et avec un système de règles ultra light qui ne contredit pas celui que je peux avoir utilisé pour le début du scénar. et j'aime définitivement cette idée de Millevaux comme une maladie qui se répand de monde en monde pour les corrompre. là, j'aimerais alterner des scénars dans des mondes menacés par Millevaux avec des scénars qui se situeraient dans Millevaux ou un monde déjà bien contaminé. je verrais bien comment ça se passe ^^
E-je ne sais pas si c'est le CR le plus littéraire (surtout que ce sont toujours des 1er jets non retouchés) mais c'est vrai que celui-là a été particulièrement "bizarre " à jouer. je joue à Silent Hill dans la perspective du 2, donc très introspectif. Silent Hill dans ses différentes versions sont des produits et des versions du "problème" du PJ et là ça a vraiment une tournure non seulement pas prévue à l'origine mais finalement réellement introspective. Peut-être le plus introspectif de tous mes CR pour le coup.
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SOLITUDES CROISÉES
Suite de la campagne Millevaux Mantra. Quand l’errance de vagabonds désespérés ne finit jamais par se rencontrer. Un récit et une partie enregistrée par Claude Féry
(temps de lecture : 3 min ; temps d'écoute : 2h53)
Session jouée le 31/08/19
Le jeu : La Stèle au cœur des plaines, un jeu de rôle d'errance post-soviétique par Côme Martin
Lire / télécharger partie 1 (1h40)
Lire / télécharger partie 2 (1h13)
alex yosisof, cc-by-nc-sa
Les photos suivantes sont de Claude Féry, par courtoisie.
L'histoire :
La session proposée cet après-midi était comme trop souvent un peu trop ambitieuse.
J'envisageai une plongée dans Millevaux Mantra suivie d'une séquence de la Stèle au cœur des plaines.
La première partie de la session a consisté en la plongée dans un puits aux âmes pour échapper à une menace surgie dans leur Millevaux, vue successivement par chacun des personnages.
La seconde a consisté à envisager l'émergence dans un nouveau monde sous la teinte de Millevolodine.
Sur ce point nous avons plongé chacun dans nos turpitudes sans parvenir réellement à croiser nos préoccupations.
Les autres joueuses ont été très créatives.
Elles ressortent satisfaites de la session.
Merci Côme pour cet excellent jeu
Réponse de Côme Martin :
Merci à toi d'y avoir fait jouer !
Claude :
Afin de livrer un commentaire un peu plus étoffé sur notre réception de ta création, Côme, je dois préciser que nous n'avons pas l'habitude, à ma table, de l'offre de partage d'autorité narrative que propose Inflorenza.
Aussi, après une première lecture par mes soins, et une relecture individuelle par chacune des joueuses des cartons d'instructions, nous avons commencé (après avoir toutefois convenu que nos personnages seraient ceux que jouions dans la session précédente, contaminés par une Russie fantasmées post atomique) à évoquer des errances parallèles quoique menées de concert.
J'ai pris la première instance avec un figurant croisé auparavant, Anatole, devenu pour les besoins de la cause Anatoli Kameniev.
Et d'emblée, sur les suggestions des cartons d'instructions, le ton s'est affirmé sur un mode désespéré.
Ma contribution, un peu longue a probablement plombé l'ambiance. Et chacune des instances suivantes avait une teinte de souffrance et d'espoir absent.
Chacun est demeuré dans sa souffrance, sans que nous nous rencontrions, même si nous intégrions les apports des autres joueuses.
Cela tient également à l'intensité avec laquelle nous recevions, ce que nous pourrions qualifier comme confidences, de nos compagnes de voyage.
De fait, notre cheminement aurait pu être Solitude auquel on adjoint le pluriel, Solitudes donc, pour reconnaître nos efforts de conjugaison.
Même si nous avons raté le coche, le ressenti autour de la table était très positif.
Beaucoup d'émotions et de plaisir éprouvé à la découverte de ce cheminement dans les plaines. A cet égard, Gabrielle et Alexane ont souligné la force évocatrice des cartons de décor.
Thomas :
Merci beaucoup pour ce retour ! J'ai quelques questions :
A. Y aura-t-il un enregistrement audio ?
B. Tu précises que votre table n'est pas habituée à la narration partagée d'Inflorenza. J'aimerais préciser deux choses : Inflorenza dispose aussi d'un mode avec MJ si besoin. Et La Stèle au Coeur des Plaines est un jeu à part, ce n'est pas un théâtre pour Inflorenza. Même si Inflorenza dispose désormais d'un théâtre, Millevolodine, à l'ambiance très proche et qui, il me semble, cite La Stèle au Coeur des Plaines dans ces inspirations. Mais je pense que tu sais cela puisque je n'ai pas l'impression que vous ayez utilisé les règles d'Inflorenza. Avez-vous utilisé les éléments du théâtre Millevolodine ?
C. La Stèle au Coeur des Plaines propose de jouer les relations entre personnages, mais, à mon humble avis, n'est pas vraiment outillé pour (les cartes aidant surtout à décrire des décors et des rencontres avec des figurants). Partant de là, je ne suis pas étonné que vous ayez obtenu un récit de solitudes croisées. Je me demande ce que @Côme préfère comme résultat au final. Les solitudes croisées, ça peut être bien aussi.
Claude :
A. Oui il y a un témoignage audio, mais j'hésite encore à le diffuser, à savoir est il pertinent au regard du jeu.
B. Je me référais à l'offre de jeu d'inflorenza, considérant, après la mise en jeu qu'il devrait y avoir un plus grand niveau d échange au sein de chaque instance
B. nous avons lu le théâtre après la mise en jeu
Côme :
Oh moi tout me va, tant que les gens autour de la table sont contents ! J'ai tendance à penser que les relations entre personnages vont émerger naturellement, mais c'est vrai que ça demande peut-être un groupe rodé à ça. Cela dit, que ce soit par petites touches comme dans un film russe un peu lent c'est très bien !
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DRAGONFLY MANTRA
Suite de la campagne multivers, où un passage dans le Québec hanté de Colonial Gothic entraîne une suite hallucinée avec pour moteur le jeu onirique Dragonfly Motel. Un enregistrement et un récit par Claude Féry
(temps de lecture : 3 min, temps d'écoute : 32 min)
Joué le 21/09/2019
Le jeu : Dragonfly Motel, un jeu-mirage pour voyages imprudents
Harry McGregor, cc-by-nc, sur flickr
Parties précédentes :
Solitudes Croisées
Suite de la campagne Millevaux Mantra avec le jeu La Stèle au Cœur des Plaines. Quand l’errance de vagabonds désespérés ne finit jamais par se rencontrer. Un récit par Claude Féry
[+ une session Colonial Gothic dont je n'ai pas de trace]
L'histoire :
Cet après-midi nous avons joué la suite de notre campagne.
Lors de la dernière session nous nous étions arrêté sur la découverte d'un iroquois gisant au pieds d'un arbre à viande noire aux côtés d'une jeune fille égarée dans les Mille-et-un vaux.
Nous n'étions que deux aussi avons nous choisi de jouer la suite sur le mode de Dragonfly Motel, version plume avec pour variation l'île à l'arbre à viande noire en guise de Dragonfly Motel.
Ce fut une très belle expérience tant pour Alexane que pour moi-même.
Réponse de Thomas :
Je n'aurais jamais pensé à jouer l’épisode d'une campagne avec Dragonfly Motel mais c'est une super idée ! Je vais écouter ça avec attention ! Y a-t-il eu un enregistrement de la session précédente, avec la découverte de l'iroquois ?
Commentaires de Thomas après écoute :
A. Le format (Dragonfly Motel , jeu sans MJ, jeu à deux) vous oblige à alterner deux vies croisées de personnages, deux monologues qui se répondent, c’est très intéressant comme forme.
B. Les hésitations verbales d’Alexane coïncident bien avec l’amnésie de son personnage (elle a un super flow au demeurant)
Réponse de Claude :
A. Avant de débuter la session Alexane craignait que nous ne dialoguions pas, mais assez vite nos motifs sont entrés en résonance.
B. Elle s'est beaucoup investie. En retour elle était très émue et très heureuse de cette partie.
Elle m'a demandé à jouer sur le même mode lorsque nous jouerons en séance plénière
Thomas :
C. Comme je n'ai pas tout l'enregistrement, je voulais savoir : est-ce que toute la partie a été sur le même mode que le début (monologues croisés, personnages qui ne se rencontrent pas) ou est-ce qu'il y a eu plus d'échanges par la suite ?
D. Avez-vous eu le sentiment de jouer une partie typique de Dragonfly Motel ?
Claude :
C. A la cinquième instance nous sommes croisés. Pierre Esprit doute de ses souvenirs et hésite à reconnaître en Marie sa jeune sœur tandis que celle ci considère Pierre comme un fantôme. Tous deux rejoignent l'îlot et essuient les tirs des soldats françois qui les pourchassent.
C. Marie a interrogé son fantôme protecteur.
D. Oui et non. Ce qui a profondément émue Alexane, c'est qu'au travers de cette introspection elle est parvenue à éprouver la détresse émotionnelle qu'elle a prêté à son personnage. Oui encore dans la mesure où ce personnage s'exprimait pour l'essentiel au regard de ses sentiments plus que de ses actions. Oui toujours dans la mesure ou le ton est demeuré onirique.
Non dans la mesure où j'ai investi un figurant qui plus est historique extérieur au dispositif et qu'Alexane a questionné son personnage qui existait avant la session.
Oui enfin, car sans évoquer une romance, impossible où pas, écartée par les voiles déployés autour de la table, nous avons questionné ce que pourrait être la fraternité rongée par l'éloignement et le syndrome de l'oubli.
DRAGONFLY MANTRA 2
Joué le 28/09/2019
Partie jouée avec Dragonfly Motel règles version plumes et deux papiers supplémentaires
Trois joueuses
Le Dragonfly Motel est la ville de Trois Rivières en Nouvelle France
Bande son Prière Gabriel Féry the final sound the cure Bader Cocoon Christophe Petchenatz l'inconfort Zaïre soundscape Nikongolo
J'avais rédigé mes papiers avec Pierre Esprit en tête et je jouerai un donné
A l'issue de la partie Alexane et Xavier veulent jouer la suite de l'errance de leurs personnages, Samael et Marie, avec Sève, (demande de Xavier).
Ils regrettent tous les deux l'absence des deux grands mais sont très enthousiastes sur la partie jouée
Réponse de Thomas :
A. Super ! Merci pour les photos qui permettent de se rendre compte de toute la richesse du dispositif.
B. Y a-t-il eu un enregistrement de la partie ?
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LE PEUPLE DU MONOLITHE
Retour dans la cité américaine de Sturkeyville dans les années 20 pour un épisode lovecraftien où la menace de la contagion par Millevaux se fait de plus en plus pressante ! Récit d’une partie solo par Damien Lagauzère.
(temps de lecture : 34 min)
Cette partie fait suite à Sturkeyville 2
Ce solo a été joué avec Black Stars Rise, Arkham Noir, Muses & Oracles, Imagia, le jeu de cartes des Folies de l'Appel de Chtulhu, le Solo Investigator Handbook, Lovecraftesque, Bois-Saule,
les Vertiges Logiques et 1000 Years Old Vampire.
Joué le 27/04/2019
N_Yoder, cc-by-nc-nd, sur flickr
L’histoire:
Damon Haze, 40 ans, est reporter pour la gazette locale. Lewis Hatecroft, 44 ans, travaille à la bibliothèque. Le 1er est connu pour ses papiers à la plume parfois assassine. Le 2nd, personne ne le sait, collectionne les ouvrages rares sur les sujets les plus variés et le plus ésotériques. Haze a déjà dû faire face aux conséquences de ses actes littéraires. Aussi, par précaution, il laisse toujours une copie de ses notes à Dick Hive, un détective privé. Il a aussi mené une enquête sur Hatecroft et, ayant découvert son secret, a finalement choisi de ne rien en dire. Ils sont même devenu amis et passent de longs moments à discuter littérature, occulte ou non. Hatecroft a d'autres amis, plus étranges. Ainsi, Angel Corso, qu'il n'a jamais rencontré et ne rencontrera peut-être jamais, lui a fait don de son exemplaire du Peuple du Monolithe.
Sturkeyville, 23 juillet 1937. un vieil homme est mort, personne ne sait comment. C'était une figure du coin, même si on le ne voyait plus beaucoup. Il vivait seul dans le manoir au sommet de la colline. La rumeur dit qu'il possédait une collection de créatures étranges conservées dans des bocaux. Il n'en faut pas plus de ces deux mystères pour éveiller la curiosité de Haze et Hatecroft.
En effet, Lewis reconnaît être des plus intéressés par cette histoire de monstre en bocal. Et Damon est très curieux de savoir pourquoi le cabinet d'architecte de Daniel Upton tient tant à acquérir le manoir. On parla peu de littérature cet après-midi. On tenta plutôt d'échafauder un plan pour s'introduire dans le manoir du vieux Fieldfire.
Le vieux vivait seul. Il n'y a donc à priori personne au manoir. Cela ne devrait donc pas être un problème de s'introduire à l'intérieur, surtout s'il fait nuit. En plus, le manoir est isolé. Damon et Lewis sont donc plutôt confiants dans leur entreprise et curieux de ce qu'ils vont bien pouvoir découvrir. Haze rêve déjà d'un article à sensations, Hatecroft d'une nouvelle pièce à sa collection.
C'est donc dans la nuit du 28 juillet que les deux amis décident de se rendre au sommet de la colline. Les nuages cachent la lune et ils n'y voient pas grand chose. Mais pour autant, il fait plutôt bon cette nuit. Ni l'un ni l'autre ne sont des professionnels de la cambriole, mais Haze parvient à forcer la serrure sans trop de difficultés.
Toutefois, à peine après avoir mis un pied dans le couloir, ils se figent. Il y a du bruit à l'étage. Des voix ! Quelqu'un est déjà là. Lewis reconnaît la voix de... Randolf Carter ! L'écrivain est connu pour passer parfois ses vacances à Sturkeyville. Il y a aussi écrit certains des ses ouvrages. Mais que fait-il ici ? Et à qui parle-t-il ? Damon fait signe à Lewis de se taire et de ne pas bouger. Il commence à grimper les premières marches de l'escalier mais celles-ci se mettent à grincer. Les voix s'arrêtent aussitôt. Que faire ? Rester là et faire face à une situation gênante, voire dangereuse, ou s'enfuir aussi vite que possible ?
N'écoutant que son courage... et la prudence (ils ne sont pas armés) Damon dévale les escaliers et entraîne Lewis avec lui à l'extérieur. Ils courent sans s'arrêter jusqu'au véhicule de Damon, garé un peu plus à l'abri des regards. Lewis est très déçu de la tournure des événements mais comprend la réaction de Damon. En effet, qu'auraient-ils pu faire si Carter et son camarade avaient été armés ? Toutefois, Damon voit le côté positif de la chose. Ils auront au moins appris qu'il n'y a pas qu'Upton qui s'intéresse au Manoir, Carter aussi. Et si eux l'ont reconnu, lui par contre n'a normalement aucune idée de leur identité, ce qui est un avantage non négligeable.
29 juillet :
Pas la peine d'attendre. Haze n'a dormi que quelques heures mais il se sent bien. Que faisait Randolf Carter dans ce vieux manoir en pleine nuit ? Et avec qui parlait-il ? C'est cela qu'il veut découvrir. Carter est un écrivain. Aussi, nul doute qu'il a dû coucher par écrit tout ou partie de ses projet concernant le manoir. C'est une personnalité à Sturkeyville. Tout le monde respecte sa tranquillité mais tout le monde le connaît et sait où il loge quand il vient dans cette petite ville. Et Haze le sait aussi. C'est pourquoi, il a tout simplement décidé de se mettre en planque et d'attendre le bon moment pour s'introduire chez l'écrivain.
Haze prend ses positions en fin de matinée. Il espère que Carter sortira déjeuner au restaurant, bénéficiant ainsi d'une heure et demie à deux heures pour trouver quelque chose d'intéressant. Pas de chance, il déjeune chez lui. Mais, il sort pour une promenade digestive en début d'après-midi. Haze espère juste qu'il ne rentrera pas trop tôt.
Dans la rue, la vie suit son cours sans que personne ne lui prête spécialement attention. Une fois devant la porte ; la serrure s'avère plus difficile à forcer que celle du manoir. Toutefois, il parvient quand même à faire les choses proprement. Carter ne devrait se rendre compte de rien.
À l'intérieur, il n'y a pas un bruit. Haze cherche le bureau de l'écrivain mais quelque chose attire son attention dans le salon. Il y a là des bougies disposées à divers endroits le long d'un cercle tracé au sol. Les diverses lignes à l'intérieur du cercle forment un labyrinthe compliqué auquel semble répondre une peinture au plafond représentant un ciel étoilé. Quelque chose ne va pas dans cette représentation du ciel. Haze n'est pas astronome mais il a passé assez de temps à observer les étoiles pour savoir qu'elles ne sont pas placées au bon endroit. Il y a des constellations qu'il ne reconnaît pas. Et, soudain, une tristesse aussi infinie et insondable que l'espace s'empare de lui. Il se sent attiré par le centre de ce cercle mais quelque chose le retient et le fait finalement fuir cette pièce. Mais, avant de littéralement s'enfuir, il remarque un vieux carnet. L'espace d'un instant, il envisage de le voler mais préfère se limiter à en lire quelques passages.
« On m'appelle désormais le Boucher. Je ne sais déjà plus qui j'étais avant. Avant ? Avant quoi ? Avant que ce Horla ne fasse de moi sa proie, puis son fils. Il m'a à moitié dévoré mais ne m'a pas tué. À la place, il m'a fait ce qu'il estime être un cadeau mais qui est une malédiction. Maintenant, moi aussi je dois tuer pour me nourrir. Et - est-ce à cause de cette nouvelle nature qui est la mienne ? - j'ai l'impression que mes souvenirs filent plus vite que le vent. Quel incroyable paradoxe alors même que je suis maintenant quasiment immortel.
Plus que jamais, je veux me rappeler. Je veux me souvenir, ne pas oublier. C'est pour ça que je commence à écrire. Ce carnet et ceux qui le suivront seront ma mémoire. Ils seront ma tête quand je la perdrai. Mais je peux échapper à l'oubli. Pour cela, il suffit d'échapper à Millevaux. Plus facile à dire qu'à faire. Comment quitter cette forêt maudite ? Comment fausser compagnie à Shub-Niggurath ? C'est un rêve insensé ! Aussi, c'est par le rêve que je m’enfuirai. J'ai fait la connaissance d'un serviteur de Shub-Niggurath. Il s'appelle NoAnde et est un ancien shaman du clan des Arbres. Il connaît les chemins secrets du rêve qui relient les mondes. Il a accepté de m'aider. Il a ses propres buts, il ne fait pas ça pour m'aider mais peu importe. Grâce à lui, je suis entré en contact avec un rêveur d'un autre monde. Il s'appelle Randolf Carter et il va faire ce que je lui dis pour me permettre de quitter Millevaux et le rejoindre dans son monde.
Je sais maintenant pourquoi NoAnde a accepté de m'aider. Il voit dans ma fuite le moyen d'ouvrir un passage vers un autre monde à offrir à Shub-Niggurath. Il se servait de moi encore plus que je ne l'imaginais. Mais je ne laisserai pas cette forêt me rattraper. Aussi, quand est venue la faim, c'est NoAnde qui l'a apaisée. Maintenant, son sang coule dans mes veines. Je fuirai Millevaux mais la forêt ne me suivra pas. Elle n'infectera pas le monde de Randolf Carter. »
Haze n'en revient pas de ce qu'il vient de lire. Il hésite à en lire plus, à dérober le carnet mais le temps passe et il ne veut pas que Carter se doute de quoi que ce soit. Aussi, il le repose soigneusement là où il l'a pris en se promettant de revenir dès que possible. Mais en attendant, il doit filer avant que l'écrivain ne rentre et le surprenne. Il doit aussi raconter tout ça à Hatecroft. Que va en penser le bibliothécaire ? Est-ce que le vieux possédait quelque chose dont Carter aurait besoin pour aider cette créature d'un autre monde à rejoindre le nôtre ? Est-ce que toute cette installation dans le salon doit servir de passage ?
29 juillet, en fin d'après-midi :
Lewis Hatecroft écoutait avec attention le récit de Haze et n'en revenait pas que son ami ne l'ait pas appelé pour cette aventure. Il aurait voulu voir tout ça de ses propres yeux. D'autant plus que certaines des choses mentionnées lui rappelaient ses lectures occultes. Il allait devoir passer du temps dans sa bibliothèque, une bonne partie de la nuit, voire un peu plus.
Il remercia Haze pour toutes ses informations et il le remercia également d'être passé mais il avait présentement du travail et il lui promis de le tenir informé dès qu'il aurait du nouveau. Sitôt Haze dehors, il s'empara du Peuple du Monolithe. Effectivement, certains poèmes parlaient bien de Millevaux, nommée aussi le Titan-Millevaux ou encore la Forêt Verticale. Il s'agissait là d'une création autant que du domaine ou même d'un avatar de Shub-Niggurath, une divinité du fond des âges et du cosmos que l'on pourrait assimiler à l'élément-Terre. Mais était-il possible d'en apprendre un peu plus ? Et surtout, quel dangers planent désormais sur eux, sur Sturkeyville, voire sur le monde ? En effet, que cette créature, ce Horla, ait ou non tué ce NoAnde, il n'empêche que toute ouverture de passage entre les deux mondes permettra à Millevaux de s'introduire dans le nôtre. Et cela, il faut à tout prix l'empêcher.
Ce Horla, le Boucher comme on semble l'appeler, est en contact avec Carter et a besoin de lui pour ouvrir ce passage. Aussi, peut-être qu'il suffirait de réussir à convaincre Carter de renoncer à son projet. Mais se laissera-t-il convaincre ? Acceptera-t-il seulement d'écouter la voix de la raison ? Que lui a promis ce Horla en échange de son aide ? Comment a-t-il pu faire confiance à une chose vue dans un rêve et qui se fait appeler le Boucher ?
Hatecroft continuait à lire, à chercher des informations sur Millevaux, les Horlas et Shub-Niggurath quand l'horloge sonna minuit. Il sentait la fatigue s'abattre sur ses épaules mais ne voulait pas aller se coucher avant d'avoir trouvé quelque chose de vraiment significatif à rapporter à Haze. Et pourtant, il dut s'assoupir car il sentit entre ses mains Le Peuple du Monolithe, le livre, palpiter au rythme d'un cœur qui bat. L'espace d'un instant, il eut l'impression que le livre était vivant et cela le terrifia. Ses membres étaient figés. Impossible de lâcher le livre. Les larmes coulaient abondamment sans qu'il ne puisse les arrêter ni même sans vraiment savoir pourquoi il pleurait. Et le livre était animé de pulsations aux rythmes desquelles les mots semblaient s'animer tels d'horribles vers noirs. Il voulait jeter l'ouvrage au loin, s'en débarrasser, le brûler mais ne pouvait bouger. Et le visage de Carter lui apparut, flou à cause des larmes. Malgré sa peur, malgré le dégoût inspiré par le livre, il se sentait irrésistiblement attiré par l'écrivain, par le rêveur. Et il l'entendit clairement s'exprimer ainsi :
« Ne résistes pas, soumets-toi, répares l’injustice que tu as commises, la colère du Morning Man provoquera des dégâts... »
Puis le visage de Carter disparut. Et tout disparut. Le livre, la bibliothèque... Tout ! Hatecroft se tenait maintenant au milieu d'une forêt de sacs plastiques. Tout était immobile. Les sacs étaient figés. Pourtant, on voyait bien qu'ils étaient agités par le vent mais Hatecroft ne sentait pas ce vent et tout autour de lui était figé. Oui, il y avait du vent. Et même un vent fort car les sacs étaient quasiment à l'horizontal. Ils n'auraient pu se retrouver ainsi sans le vent. Et pourtant, il ne sentait rien. Le soleil se couchait. Ou plutôt, il n'en finissait pas de se coucher. Ce n'était pas ces sacs en plastique qui étaient figés, c'était le temps. Et lui, Hatecroft, pouvait-il bouger ? Oui, mais au prix d'un effort et d'une douleur considérable. Aussi, après avoir seulement tenté de lever le bras, il renonça. Pire, il haletait car il avait senti son os se briser. Et son cœur s'emballait... au rythme des battements de cœur du Peuple du Monolithe ? Et il ressentit alors une faim de loup. Simple conséquence de sa blessure ? Non, c'était autre chose. Une autre faim. Une faim de quoi ? Pas seulement de nourriture. Il ne pouvait tourner la tête sans risquer de se briser le cou mais il parvint à faire rouler ses yeux et voir ses mains se recouvrir d'écorces d'arbres. Il sentait son cœur battre. Et il sentait aussi que, dans ses veines, son sang cédait la place à autre chose. De la sève. Et il vit quelque chose bouger à la périphérie de son champ de vision. Une silhouette approchait. Et il sut qu'il s'agissait du Boucher. Son visage était horrible, à cause des profondes cicatrices qui le défiguraient. Mais ce n'étaient pas de simples cicatrices. C'était des symboles. Il reconnut certains des signes qu'il avait vu reproduits dans les ouvrages de sa collection. Le Boucher était marqué du Signe des Anciens. Mais aussi des symboles typiques des adorateurs de Shub-Niggurath et du Dieu-Insecte. D'autres formaient des entrelacs dont il supposait qu'il s'agissait de pentacles rituels, des sortilèges peut-être. Et il se pencha pour lui chuchoter à l'oreille.
« Le Non-Sens Électronique... Comment la retrouver ? »
Puis Hatecroft se retrouva de nouveau chez lui.
Et la pièce fut envahie par une nuée d'insectes.
À son grand soulagement, tout cela n'avait été qu'une sorte de rêve éveillé mais, son bras était bel et bien brisé.
31 juillet :
Haze était très fier du papier qu'il a écrit à propos de Carter. L'écrivain est une figure appréciée à Sturkeyville et il s'est fait fort de d'égratigner son image de marque en racontant avoir appris d'une « source sûre » et tenant à rester anonyme que Carter s'était rendu de nuit dans le manoir sur la colline. L'article mentionnait également ses relations avec la « pègre ». Ainsi, faisait-il allusion au « Boucher ».
C'était donc le sourire aux lèvres qu'il se rendit chez Hatecroft, convaincu que suite à l'article qui était paru le matin même, Carter allait forcément être obligé de réagir et de se dévoiler. Mais son sourire s'effaça devant la mine du bibliothécaire. Ce dernier avait le bras en écharpe et les traits plus que tirés. Il lui offrit néanmoins d'entrer. Il avait des choses à lui dire.
Et Haze tomba des nues en apprenant ce qui s'était passé. Cette forêt maudite existait donc. Et ce Boucher aussi. Et on en avait maintenant une description. Et tous ces délires mystiques prenaient une dimension beaucoup plus concrète dès lors qu'on voyait l'état du bras d'Hatecroft. Haze était un esprit rationnel mais il avait aussi toute confiance en son ami. Celui-ci ne lui mentirait pas. Il ne lui raconterait pas de telles histoires s'il n'en était pas convaincu.
Shub-Niggurath, Millevaux, le Dieu-Insecte et le Boucher... Et Carter qui semble travailler à ouvrir un passage entre nos deux mondes... Et le vieux dans tout ça ? Qu'est-ce qu'il avait dont Carter a besoin pour son projet ? Ça, ils vont peut-être bientôt le savoir. En effet, Haze sait par expérience que ses articles sont pris au sérieux par la police. Aussi, même si Carter est une personnalité, il sera forcément convoqué au commissariat pour répondre à quelques questions. Il faudra donc en profiter pour se rendre de nouveau chez lui. Et Haze a placé un indicateur devant chez l'écrivain pour être informé du moment où il se rendra à ladite convocation qui ne manquera pas de tomber. En attendant cela, Hatecroft reprend du poil de la bête.
En sortant de chez Hatecroft, Haze se hâta de rejoindre son indicateur qui lui affirma que Carter était sorti de chez lui précipitamment. Il ajouta même que ce dernier avait l'air inquiet. Haze le remercia et fit le tour de la maison pour forcer la porte de derrière.
L'intérieur baignait dans la lumière agréable de l'été. Pour un peu, Haze se serait servi un verre. Mais il avait d'autres projets en tête. Il retourna dans le salon et chercha le vieux journal. Mais celui-ci n'était plus là. Carter avait dû le ranger quelque part, mais où ? Il y avait un placard dont la porte était fermée à clé. C'était idiot. Il y avait de grandes chances que ce soit là, dans cette pièce qui devait servir de rituel afin de communiquer avec le Boucher, que se trouve le journal. Pour autant, cela n'aurait pas été très prudent ni très malin de forcer cette porte. Mais après tout, n'avait-il pas déjà forcé la porte de derrière ?
Cette serrure ne présentait pas beaucoup plus de difficultés que l'autre mais Haze fut interrompu par une voix à l'accent bizarre. Il se retourna et se retrouva face à un homme d'une maigreur extrême. Il avait les yeux d'un noir profond. Il était quasiment nu et ne portait qu'une sorte de pagne. Tout le reste de son corps était recouvert d'une sorte de peinture verte. L'homme riait. Il parlait mais Haze ne comprenait pas la plupart des mots. Mais il en reconnut certains malgré tout. Millevaux et Shub-Niggurath revenaient plusieurs fois.
L'homme était là, riant et délirant dans cette langue inconnue. Il ne bougeait pas et Haze en arriva même à se demander s'il le voyait vraiment. Puis, au delà-de cette maigreur, de ces yeux noirs et de cette peinture verte, il reconnut Joe Mazurewicz, le voisin de Carter. Mais que lui était-il arrivé ? Était-ce Carter qui avait fait de lui cette épave ? Comment et pourquoi ? Était-ce lui qui était avec Carter l'autre nuit au manoir ? Mazurewicz était-il seulement en capacité de communiquer ? Haze tenta le coup.
Et Mazurewicz reprit sa voix normale. Et il expliqua qu'il n'était pas avec Carter cette nuit là. Oui, il avait bien conscience que Carter lui avait fait quelque chose. Mais il n'était pas capable de dire quoi. Il souffrait de cet état mais ne cherchait pas à fuir l'influence de Carter car quelque chose, quelque part, l'enjoignait à poursuivre ce qui lui apparaissait comme une quête dont il ne saisissait ni les tenants ni les aboutissants. Oui, il allait se passer quelque chose. Il se passait déjà quelque chose. Mais quoi ? Joe Mazurewicz savait mais... il lui était impossible de le dire autrement qu'en utilisant les mots de la Langue Putride. Or, ces mots étaient maudits. Et si Haze les entendait, il serait maudit lui aussi.
Haze profita de ce que Mazurewicz semblait avoir retrouver son calme et sa raison pour s'esquiver. Il lui fit promettre de ne rien dire de sa « visite » mais se doutait qu'il ne pourrait rien cacher très longtemps à Carter. Plus que jamais, le temps lui était compté.
31 juillet, chez Hatecroft
Après le départ de son ami, Hatecroft ressentit le besoin de se reposer. Il s'installa dans son fauteuil et chercha le sommeil. Il ne trouva que des sombres pensées qui s'agitaient et cherchaient, finalement, à s'assembler comme les pièces d'un puzzle qui prendrait enfin sens. Il repensa à ce que lui avait dit cette chose scarifiée dans son « Rêve ».
« Le Non-Sens Électronique... Comment la retrouver ? »
Le monstre aurait dû dire « Comment LE retrouver ? » Mais comment trouver du non-sens ? Qu'est-ce d'ailleurs que le non-sens ? Est-ce l'absence de sens ? Est-ce l'opposé d'un « oui-sens » ? Hatecroft en était à se dire que le véritable non-sens n'était pas l'absence de sens mais un sens que l'on ne comprenait pas, soit parce qu'il nous manquait des éléments à cette fin, soit parce que l'être humain n'était tout simplement pas conçu pour accéder à la compréhension de tel ou tel phénomène.
Alors, ce monstre, ce Horla ?, avait semblait-il des problèmes de mémoire. Était-ce sa mémoire qu'il cherchait ? Pensait-il que retrouver ses souvenirs lui permettrait de mieux comprendre sa situation, de faire sens ?
Hatecroft tournait et retournait cette phrase dans sa tête. Elle l'obsédait. Le Non-Sens Électronique... l’Électronique Non-Sens... l'E. No-Sense... l'Innocence ! Était-ce possible que cela soit ça ? L'innocence ! Il chercherait à retrouver son innocence ? Sa nature d'être humain ? Peut-être pensait-il qu'il ne laissera pas que cette forêt derrière lui mais également la malédiction qui le frappe. Mais comment en avoir le cœur net ? En retournant dans cette forêt, dans ce cauchemar.
Hatecroft se dirigea vers un des rayonnages de sa bibliothèque ésotérique. Il chercha et finit par trouver le grimoire dont il avait besoin. Là, il y avait un sort permettant de voyager entre les mondes par le biais du rêve. Il voulait se reposer, il allait rêver.
Il lut et relut attentivement le texte du rituel. Il se mit en condition et exécuta les mots en langues anciennes. Il fit aussi les gestes, autant que son bras le lui permettait. Les bougies étaient allumées, l'encens brûlait. Les symboles étaient tracés au sol et sur les murs. Alors, il se rassit dans son fauteuil et attendit le sommeil et le rêve.
Mais autre chose se passa. Il ne dormit pas. Au contraire, il était totalement éveillé quand de la terre émergea entre les lames du parquet. Il vit des racines courir le long des plinthes et du lierre grimper le long des murs. Par la fenêtre, il voyait les rues de Sturkeyville. Mais, quand il regardait ses murs, il voyait une forêt s'étendre. Et concrètement, elle s'étendait. Elle gagnait en expansion. Hatecroft voyait son horizon défiler, se construire en quelque sorte sous ses yeux. Il ne bougeait pas de son fauteuil. Il avait l'impression que toute tentative pour se mouvoir ne lui briserait pas les membres comme la dernière mais... il avait peur.
Et il avait tellement peur qu'il glissa malgré tout de son fauteuil. Il était maintenant recroquevillé sur lui-même et ne pouvait retenir ses larmes. Et on posa une main sur son épaule. Hatecroft tourna péniblement la tête et ne reconnut pas l'être qu'il avait déjà vu. Juste au-dessus de lui se tenait une espèce d'ombre à l'allure seulement vaguement humaine. La chose n'avait pas de visage, seulement des ténèbres. Une main noire était posée sur son épaule mais Hatecroft voyait distinctement s'agiter des grappes de tentacules dans le dos de cette ombre. La lumière était plus faible autour d'elle, comme si elle l'aspirait. Et elle aspirait le bruit aussi. Elle retira sa main et changea de forme pour devenir une espèce de ver ou plutôt de mille-pattes, mais de la taille d'un lion. Le silence régnait mais un bourdonnement se fit entendre quand la chose « parla ». Elle ne parlait pas réellement mais Hatecroft comprenait pourtant.
« Je suis l'Assiminihilateur. Je détruis en assimilant. Ce que je détruis devient une partie de moi. La matière, la lumière, le son, je me nourris. Les sentiments, la raison, la peur, la joie, je m'en nourris. L'Innocence, je m'en nourris. »
Cette horreur était-elle celle qui avait maudit l'homme scarifié ? Hatecroft réussit à balbutier sa question.
« Oui, mais... le débarrasser de son innocence a provoqué un événement inédit. Cela n'était pas arrivé avant. Veux-tu que j'essaye encore ? »
Ce monstre lui proposait-il de lui infliger la même chose ? Avec le risque de tout simplement mourir ?
Ce qu'il voulait un cri se révéla un geignement.
« Non... »
Et le ver changea de nouveau de forme et prit celle d'un énorme chien sombre qui... détala ! Et, à mesure que le chien, cet Assiminihilateur, s'éloignait, la forêt cédait la place à un intérieur. Mais pas celui d'Hatecroft. En réalité, il était maintenant allongé en bas d'un escalier. Parvenant à se relever, il monta et se retrouva dans une mansarde dont les coins au niveau des murs, du toit et du plancher formaient des angles étranges.
Il n'y avait là personne et Hatecroft n'avait aucune idée de là où il était. Il n'y avait là aucune fenêtre. Il aurait pu redescendre mais quelque chose l'en empêchait. Et si cette maison n'était pas vide ? Si on l'agressait encore ? Si ce qu'il pouvait trouver ici disparaissait le temps qu'il revienne ? Non, il devait comprendre le mystère de cette mansarde. Ensuite, seulement, il se déciderait à quitter les lieux.
Il examinait soigneusement la pièce, explorait chacun de ces angles étranges, y cherchant une signification, un point commun avec quelque chose qu'il aurait lu ou vu ailleurs. Rien ! Puis, il entendit quelqu'un chanter. C'était une voix aiguë dans une langue inconnue. Cela venait d'en bas. Alors, il descendit.
Au rez-de-chaussé, il reconnut la maison sur la colline, celle du vieux. Il suivit le chant jusqu'à la salle de jeu. Il ouvrit la porte et se retrouva face à un homme à demi-nu et recouvert de peinture verte. Il était d'une extrême maigreur et s'arrêta de chanter quand il vit Hatecroft. Il avait l'air fâché et, spontanément, Hatecroft s'excusa de son intrusion involontaire. L'homme ne se présenta pas mais prétendit parler au nom des Baleines Verticales.
Verticales ? Hatecroft pensa aussitôt à cet autre nom de Millevaux, la Forêt Verticale. Qu'est-ce que cela voulait dire ? Et qu'est-ce que ces Baleines avaient à lui dire, à lui ?
« Une traversée victorieuse se paie du prix du sang. Alors, le voyageur trouvera sa place à la table du festin. »
Hatecroft tentait de comprendre. Carter était en communication avec un être d'un autre monde. Ce dernier, maudit par un monstre, un Horla, cet Assiminihilateur, voulait fuir son monde. Il espérait, peut-être, que rejoindre notre monde lui permettrait de mettre un terme à cette malédiction qui l'affligeait. Aussi, il avait besoin de l'aide de Carter et ce dernier semblait disposé à l'aider. Mais pourquoi ? L'écrivain avait visiblement tenté d'ouvrir un portail chez lui mais il y avait chez le vieux quelque chose dont il avait manifestement besoin. Était-ce dans cette mansarde ? Était-ce cette mansarde elle-même d'ailleurs ? Mais, ouvrir un portail supposait le risque que la malédiction de Millevaux et de Shub-Niggurath se répande dans le notre. Aussi, il fallait absolument stopper Carter. Et maintenant, cet homme étrange lui parlait de Baleines Verticales.
Le voyageur, s'agissait-il de cet être qui voulait gagner notre monde ? Le prix du sang ? Pour qui cette traversée serait la plus dangereuse ? Pour lui-même ou pour nous ?
« Carter a-t-il conscience des risques qu'il nous fait courir ? »
Hatecroft cria cette question qui resta sans réponse. En effet, l'homme peint en vert recula et sa silhouette devint floue pour finalement disparaître. Et Hatecroft ne put contenir un long hurlement.
Il resta un long moment à hurler dans cette salle de jeu. Puis, son cri mourut mais il resta encore un long moment figé dans ce cri silencieux. Puis, au matin, alors que s'annonçait une canicule, il sortit et rentra chez lui. C'est en se débarrassant de sa veste qu'il trouva dans sa poche des billets pour le ferry en direction de l'Ancien Monde. Il y avait là tout le nécessaire afin d'effectuer un trajet jusqu'au détroit de Béring, là où s'élève ce site qu'on appelle l'Allée des Baleines.
Deux billets, cela incluait Haze évidemment.
1er août,
Haze ne comprenait pas vraiment comment Hatecroft était entré en possession de ces billets pour le détroit de Béring. Toutefois, le temps pressait. Le départ était proche et il n'était pas du tout prêt à quitter Sturkeyville, surtout pour une destination aussi lointaine. Pourtant, il allait partir. Il ne comprenait pas les motivations de Mazurewiecz mais l'homme en vert avait réussi à semer le doute dans son esprit. Il n'était plus vraiment sûr qu'il soit si mal-intentionné que ça. L'homme n'était pas clair, cela était certain. Mais il n'était peut-être pas leur ennemi. En fait, et Hatecroft partageait ce point de vue, il se demandait s'il n'était pas « habité » par un esprit venant de Millevaux.
Avant de partir, Haze aurait voulu se confronter avec Carter. Mais il n'avait plus vraiment le temps et il ne voulait pas prévenir un véritable ennemi potentiel de ses intentions. Aussi, il choisit finalement de se rendre chez Mazurewiecz. Mais il ne fut pas reçu par un homme a moitié nu et peint en vert. L'homme était habillé et ne montrait aucune trace de peinture. Et sans le trouver d'une très bonne constitution, il avait quand même l'impression qu'il était moins maigre que la dernière fois où il l'avait vu. Il se présenta et eut l'impression que Mazurewiecz ne le reconnaissait pas. Haze le sonda du regard mais ne discerna rien tendant à montrer qu'on cherchait à lui cacher quelque chose. L'homme le fit poliment entrer et lui offrit du thé.
Haze était décontenancé et ne savait pas par où commencer. Aussi, il aborda timidement la question de Carter afin de savoir ce que cela supposait de vivre à côté d'une personnalité. Mazurewiecz se montrait aussi sympathique et serviable que possible. La question de Haze le fit rire car il avoua n'être pas du tout lecteur des romans de Carter. Aussi, il était un peu gêné quand il le croisait. Il ajouta aussi qu'il préférerait être damné que de devoir reconnaître devant l'auteur qu'il ne l'avait jamais lu. Haze se demandait ce qu'il faisait là. Quand une ombre sur le mur capta son regard. Il n'écoutait plus Mazurewiecz que d'une oreille distraite.
Cette ombre était étrange. Elle bougeait... toute seule ? En tous les cas, ce n'était pas naturelle. Sur le mur, derrière Mazurewiecz qui ne semblait se rendre compte de rien, il se dessinait une île. Des formes bougeaient. Des arrêtes s'érigeaient. Par quelle magie ? Haze se sentait de plus en plus mal. Il n'aurait pu le prouver mais il était convaincu qu'il s'agissait là de cette fameuse Allée des Baleines ? S'agissait-il là d'un indice ou au contraire cherchait-on à l'effrayer et le dissuader de s'y rendre ? Puis l'ombre prit la forme d'un masque qui éclata en une multitude d'insectes sombres rampant dans tous les sens.
Haze tomba de son fauteuil et se roula en boule.
4 août,
Remis de sa crise, Haze fut incapable d'expliquer comment il avait quitté le salon de Mazurewiecz. Hatecroft tenta de rencontrer Mazurewiecz, en vain. L'homme avait disparu. Et comme la date du départ approchait à grands pas, il n'a pas insisté. Il a également renoncé à rencontrer Carter. Que celui-ci tente de mener son projet à terme. Eux, tenteraient de l'en empêcher. C'était maintenant une course contre la montre.
L'avion aurait certainement été plus rapide, mais c'était deux billets pour le ferry en partance de Los Angeles qu'Hatecroft avait trouvé dans son manteau. Aussi, le trajet allait prendre plusieurs jours. Cela laisserait le temps à son bras de se consolider et à Haze de se remettre de ses émotions.
La première journée, ils parlèrent peu de tout cela et encore moins de ce qu'ils allaient faire une fois arrivés. En fait, ils étaient tous deux convaincus que Mazurewiecz était « habité » par un esprit venant de Millevaux mais ils n'auraient su dire s'il s'agissait de ce Horla soucieux de traverser les mondes ou ce fameux NoAnde qui avait disparu. Était-il possible qu'il s'agisse d'encore quelqu'un d'autre ?
Hatecroft se coucha tôt. Il fût réveillé par une étrange chaleur. Mais la température ne cessait de changer à un rythme très rapide et avec des écarts importants. En nage et glacé, il se résolut à se lever. Il fit quelque pas dans sa cabine mais se sentait mal, en danger. Il était en proie à un inexplicable sentiment d'insécurité. Pourtant, il était seul. Il regardait autour de lui et se surprit à chercher du regard ses livres, ses précieux ouvrages. Loin d'eux, il se sentait mal, en danger. C'étaient ses livres qui le protégeaient. Ici, en pleine mer, sans ses livres, il se sentait horriblement vulnérable. Les encyclopédies auraient pu expliquer cet étrange phénomène de chaud et froid. Et ses livres occultes lui auraient fourni un moyen de combattre toute influence surnaturelle. Il connaissait bien quelques rituels mais était-ce bien prudent d'en user ? Non ! Non ! Il devait se raisonner, rester calme. Il arrêta alors de faire les cents pas. Il ferma les yeux et se contraint à respirer lentement. Une fois apaisé, il ouvrit les yeux et vit... une caverne. Il n'aurait su dire pourquoi mais il eut le sentiment profond qu'il s'agissait d'une métaphore, d'un symbole. Cette caverne était sans nul doute la mémoire que ce Horla voulait explorer, sa mémoire qu'il voulait retrouver. Était-ce le but de leur voyage ?
Un crissement le tira de ses pensées. Dans un coin de la pièce, il vit un rat courir le long du mur et se fondre dans les ombres. Il s'approcha du trou d'où était sorti l'animal et regarda. Il ressentit alors une vive douleur au sommet de la tête et, tentant de se relever, il perdit l'équilibre. La dernière chose qu'il vit fut un marteau s'abattre sur son crane.
5 août,
Inquiet de ne pas voir son ami pour le petit-déjeuner, Haze se rendit alors dans la cabine d'Hatecroft. Il frappa mais n'entendit aucune réponse. Après l'avoir cherché une peu partout et interrogé les membres de l'équipage et les autres passagers, il obtint du capitaine qu'on ouvre sa cabine à l'aide d'un passe. Là, il découvrit le corps d'Hatecroft, étendu à terre, le crane et le visage fracassé, recouvert de sang. Une pièce d'or recouvrait chacun de ses yeux. Il se mit d'accord avec le capitaine pour garder le secret. Officiellement, Hatecroft était souffrant et devait garder le lit.
13 août,
Haze arriva enfin à cette fameuse Allée des Baleines et se demanda ce qu'il faisait là. Finalement, il ne savait plus vraiment ce qu'il était venu y chercher. Hatecroft décédé, tout ceci avait-il encore une finalité quelconque ? Il se convainquit que oui et arpenta ce site ancien et majestueux à la recherche d'un détail significatif.
Qui étaient ces gens ? Qui étaient ceux qui ont bâti cet endroit à partir d'ossements de baleines ? Quelque chose recouvrait-il ces cages thoraciques plantées dans le sol ou bien tout était-il déjà comme ça ? Haze errait dans cette forêt de côtes et de plaques osseuses. En réalité, il ne ressentait rien de particulier. La peine et le choc consécutifs à la mort d'Hatecroft s’effaçaient lentement. Son humeur se stabilisait, à l'inverse de la météo. Un vent froid se levait. Heureusement, il y avait quelque endroit où se mettre à l'abri. Ainsi, Haze se retrouva accroupi derrière une plaque d'os, une ancienne omoplate peut-être, et soufflait dans ses mains pour se réchauffer quand un mouvement furtif attira son attention. Une silhouette s'approchait en rampant. De loin, impossible de dire s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme. Et puis, quelle étrange façon de se présenter à lui ! Il se leva pour aller à la rencontre de celui ou celle qui rampait ainsi et découvrit un cadavre (de femme ? C'était difficile à dire vu son état de putréfaction avancé.) se tortiller péniblement dans sa direction.
Haze ne parvenait pas à s'émouvoir de cette chose. Et comme elle se déplaçait lentement, il prit tout son temps pour choisir une pierre suffisamment lourde qu'il laissa tomber sur le crâne de la morte. Il reprit ensuite sa place à l'abri du vent et souffla de nouveau dans ses mains.
14 août,
Après une nuit agitée par de sombres cauchemars, Haze revint sur les lieux. Il se sentait mal. Il était fatigué et nerveux. Pour autant, il n'avait pas de souvenir précis des mauvais rêves qui avaient troublé son repos. Il ne se rappelait que de sorciers et de chiens menaçant. Il y eut aussi dans ses cauchemars, la menace d'un combat et la sensation d'être ballotté par le hasard, de ne rien contrôler.
Haze gardait en tête que ce lieu quasi désertique était lié à cette forêt de Millevaux. En effet, il s'agissait d'empêcher Randolf Carter de réussir à ouvrir un portail qui non seulement permettrait à un Horla de fuir la forêt maudite, faisant ainsi entrer une sorte de vampire dans notre monde, mais surtout à la forêt elle-même de se répandre et contaminer notre réalité. Carter avait tenté d'ouvrir un tel portail chez lui. Il en avait vu le pentacle tracé au sol. Mais cela n'avait pas dû fonctionner. C'était sans doute pour cela que, sous l'influence peut-être de l'être qui avait un temps possédé Mazurewiecz, il s'était rendu dans l'étrange mansarde du manoir du vieux, au sommet de la colline. Les angles peu conventionnels de ce grenier lui permettraient-ils de réaliser son projet ? Quoiqu'il en soit, c'était peut-être ce même être qui avait remis à Hatecroft deux billets pour venir ici. Aussi, d'une façon ou d'une autre, cet endroit était lié à Millevaux. Et Haze se demanda alors si l'Allée des Baleines n'était pas un ancien lieu de culte et de rituel. Et si, ici même, en des temps anciens, on avait tenté d'ouvrir ou de fermer des portails vers d'autres monde ? Et qu'attendait vraiment celui qui avait remis ces billets à Hatecroft ? Ce lieu était-il assez puissant pour contrer le rituel de Carter ou, au contraire, allait-il lui conférer encore plus de pouvoir ? Et, l'espace d'un instant, Haze se surprit à penser que ceux qui avaient bâti ce site avaient peut-être emprunté un de ces portails. Peut-être s'étaient-ils rendu dans cette forêt de Millevaux ?
NoAnde, le shaman qui avait enseigné son art au Horla, semblait animé de ses propres buts. Il semblait vouloir contaminer les autres mondes et répandre la forêt, un avatar de Shub-Niggurath à en croire certains ouvrages de la collection d'Hatecroft. Si c'était bien lui qui avait remis ces billets à Hatecroft, ils n'auraient pas dû venir ici et Hatecroft serait encore vivant. Mais, s'il s'agissait d'un autre esprit, il y avait donc là le moyen de contrer Carter. Haze errait entre les ossements dressés vers le ciel et réfléchissait à ce qu'il devrait faire quand il trouverait, enfin, un quelconque indice. En fait, il auscultait les ossements à la recherche de glyphes, de gravures qui lui évoqueraient quelque chose.
Puis, Haze eut la subite intuition qu'il était finalement au meilleur endroit non pas tant pour ouvrir un portail que pour en trouver un qui serait déjà ouvert. Alors, ne devait-il pas le traverser et se rendre dans cette forêt pour régler définitivement le problème ? Il se rappela cet aspect de son cauchemar et se sentit de nouveau l'objet de forces qui se servaient de lui comme, peut-être, elles s'étaient servies de Mazurewiecz. Mais était-il venu jusqu'ici pour faire demi-tour ? Non, quelles qu'en soient maintenant les conséquences, il devait aller jusqu'au bout. Il devait trouver ce passage. Et il se demanda alors si ce n'était pas précisément ce passage qu'avait emprunté le cadavre mort-vivant dont il avait fracassé le crâne la veille.
Haze rentra précipitamment à son hôtel. Là, il mit par écrit l'ensemble de ses récentes réflexions. Il ajouta à ses notes l'exposé de ses buts, sa tentative à venir de trouver un portail vers Millevaux afin de s'y rendre, combattre ce Horla et, si possible, revenir vivant afin de fermer définitivement ce portail. Ensuite, il envoya tout ça son ami le détective Dick Hive. Il ne laissait aucune consigne particulière au détective. Il ne lui demandait pas de prendre la suite de son combat si toutefois il devait ne pas revenir. Il ne lui demandait pas de rendre ces notes publiques. Il se doutait qu'on le prendrait pour un fou, ce qu'il était peut-être effectivement devenu. Non, il voulait seulement laisser une trace, pour que quelqu'un se souvienne. Ensuite, il se coucha.
Haze ne s'endormit pas. Il était sur le point de s'endormir quand il ressentit un frisson étrange, comme si un voile d'électricité le recouvrait. Il se redressa et fut assailli par une vision des plus étranges. Tout autour de lui semblait s’abîmer, se détériorer à vitesse accélérée. Ses draps se tachaient d'humidité et se trouaient, devenaient lambeaux et disparaissaient. Les murs se lézardaient, se parcouraient de lierre qui fleurissaient, pour se racornir et fleurir à nouveau. Le plancher se crevaient de racines noueuses. Les murs finissaient par s'écrouler et leur ruines se couvraient de mousses, cédaient la place à des arbres qui grandissaient eux aussi à vitesse accélérée. Il vit des créatures se déplacer à une vitesse vertigineuse. Il en vit naître et mourir. Il vit de nouvelles espèces apparaître et disparaître. Il vit des hommes et des femmes, des monstres au visage recouvert de plaques d'os. D'autres avaient des bois de cerfs sur la tête. Au loin, l'espace d'un instant, il crut voir Hatecroft. Puis tout s'arrêta.
???,
Où ? Millevaux sans doute. La forêt maudite, l'avatar et le domaine de Shub-Niggurath.
Quand ? Aucune idée...
Haze errait au milieu d'un ossuaire envahi par la végétation. En réalité, il reconnaissait clairement l'Allée des Baleines telle qu'il l'avait déjà visitée. Mais les terres froides et désolées du détroit de Béring étaient maintenant recouvertes par la forêt de Millevaux. Il faisait nuit noire mais sa vue s'était finalement rapidement adaptée à l'obscurité. De plus, il connaissait les lieux.
Soudain, le vent se mit à souffler. Une véritable tempête le contraignit à chercher un endroit où se protéger. Pourtant, tiraillé par la soif, il offrit sa bouche grande ouverte à la pluie dont les grosses gouttes lui martelaient le visage. Puis, il ferma prestement la bouche quand il se rappela être sur le territoire d'une ancienne divinité maléfique. Tout ici était maudit. L'air et la pluie également. Était-ce sage de boire ainsi cette eau de pluie ? Quelle impureté allait maintenant souiller son organisme ?
Il entraperçut une forme courir à la périphérie de son champ de vision. Il eut peur car il reconnut la silhouette d'un sanglier. L'animal ralentit et s'approcha de lui. Lorsqu'il fut à quelques mètres, il se redressa sur ses pattes arrières et fit craquer ses doigts, des doigts... humains ! Le sanglier bipède, dans un anglais parfaitement maîtrisé et clair malgré la configuration de sa mâchoire se présenta comme étant NoAnde, ancien shaman du Clan des Arbres et serviteur de Shub-Niggurath. Haze vit sa dernière heure arriver.
Quelque chose se brisa en Haze. Il se raidit, se contracta et poussa un long hurlement. Puis, il se mit à crier des mots dans une langue qu'il ne connaissait pas mais qu'il savait maudite. Les mots sortaient de sa bouche en un flot violent et incontrôlable, impur et putride. La Langue Putride. Ces trois mots seuls avaient du sens pour lui en cet instant. Il parlait la Langue Putride mais ne savait pas ce qu'il disait ni quelles pouvaient être les conséquences de ces paroles dont il craignaient qu'il ne s'agisse là d'horribles rituels en l'honneur de la Chèvre Noire.
Toujours figé et incapable de contrôler les mots qui sortaient de bouche, il croisa le regard de l'homme à tête de sanglier. Ce dernier avait l'air calme, à l'aise, joyeux. Tout semblait se passer exactement comme il le désirait. C'était là une horrible sensation. Haze ne voulait plus prononcer un mot mais il lui était impossible d'endiguer ce flot. Alors, il souhaita seulement ne plus l'entendre. Et, le son de la tempête fut remplacé par celui de la 5ème de Beethoven... C'était impossible, et pourtant... Il n'entendait plus rien à part cette musique. Il ferma les yeux en espérant se réveiller de ce qui ne pouvait qu'être qu'un cauchemar. Et cela était nécessairement un cauchemar, qu'il dorme ou non.
Les yeux fermement clos, Haze sentit la mousse et le lichen grimper le long de ses jambes et s'insinuer sous ses vêtements. La musique se faisait toujours entendre. Il sentait les muscles de sa mâchoire continuer de bouger. La mousse remontait le long de ses jambes et recouvrait son abdomen, sa poitrine, ses bras puis son visage. Elle s'infiltrait dans sa bouche et envahissait sa trachée et son œsophage. Elle courait jusque dans ses poumons et son estomac. Quand ce cauchemar cesserait-il ?
Haze tenta alors de reprendre le contrôle de son corps. Il ouvrit les yeux et vit NoAnde qui s'était rapproché de lui. Il lui glissait des mots à l'oreille. Il ne les entendait pas à cause de la musique mais en comprenait pourtant le sens. Il avait l'horrible sentiment que sa dernière heure était proche. Pire, qu'elle était là, qu'il était à la porte de la mort. Il voulut alors se rappeler les bons moments de sa vie, tentant de s'y raccrocher. Il acceptait de quitter ce monde mais il voulait partir avec de belles images en tête. Il se rappela ces derniers jours avec Hatecroft. Une menace planait mais c'était stimulant, intéressant. Ils avaient partagé des choses importantes tous les deux. Il était un véritable ami. Et lui ?
Il se revit alors sur le bateau, dans la cabine d'Hatecroft alors que ce dernier, à quatre pattes examinait un trou dans le mur. Haze ne savait pas ce qu'il faisait là. Il ne savait pas où il avait trouvé ce marteau qu'il tenait fermement dans la main. Il ne savait pas non plus où il avait trouvé ces pièces d'or qu'il déposa sur les yeux de son ami après qu'il lui eut fracassé le crane !
Comment ? Pourquoi ?
Puis, par dessus le son de la musique, par dessus le bruit de la tempête, il entendit et comprit les mots de NoAnde pourtant prononcé dans la Langue Putride :
« Fais pire, au nom des Abysses. »
Haze se réveilla en même temps que le soleil se levait. Il était dans son lit, dans cette chambre d'hôtel qui était de nouveau tout à fait normale. Étrangement, il se sentait tout à fait bien. Il prononça quelques mots à hautes voix et eut le plaisir de voir qu'il parlait en anglais mais ses propres paroles lui semblaient quelque peu lointaine, recouvertes qu'elles étaient par la 5ème de Beethoven.
Il regarda ses mains. Il avait du sang et de la terre sous ses ongles.
Et maintenant, allait-il faire pire... au nom des Abysses ?
Réponse de Thomas :
A. A quoi ça correspond Black Stars Rise / Mansion of the Hill ? C'est un jeu ou un supplément cthulhien ?
B. Quand j'ai lu la mention au Peuple du Monolithe, je me suis rappelé que j'avais particulièrement tripé sur cette histoire de Peuple du Monolithe, mentionnée d'abord par Lovecraft puis par Bloch, et situé en Hongrie. L'idée d'une préhistoire mégalithique maléfique en Europe me parlait beaucoup. Cette idée de mégalithes noirs me hante. Il y a des mégalithes comme ça, à Monteneuf, dans le Morbihan. Je rêverais d'y jouer au GN Les Sentes [Note du 07/07/2021 : Depuis, j’y ai effectivement joué et c’était d’enfer]. J'ai repris cette idée de mégalithes maléfiques dans le scénario Cromlech, pour Millevaux Sombre Zéro, ils sont aussi un peu évoqués dans l'Atlas.
C. Sturkeyville est-elle une ville de ton invention ou vient-elle d'un supplément cthulhien ?
D. « Je sais maintenant pourquoi NoAnde a accepté de m'aider. Il voit dans ma fuite le moyen d'ouvrir un passage vers un autre monde à offrir à Shub-Niggurath. Il se servait de moi encore plus que je ne l'imaginais. Mais je ne laisserai pas cette forêt me rattraper. Aussi, quand est venue la faim, c'est NoAnde qui l'a apaisée. Maintenant, son sang coule dans mes veines. Je fuirai Millevaux mais la forêt ne me suivra pas. Elle n'infectera pas le monde de Randolf Carter. »
J'ignore si manger une créature corrompue jusqu'à la moelle par Shub-Niggurath est la meilleure façon de préserver le monde où on se rend de la contamination par Millevaux.
E. Ce solo concrétise les menaces de contamination des mondes par Millevaux, déjà envisagées dans les parties précédentes.
F.« Et pourtant, il dut s'assoupir car il sentit entre ses mains Le Peuple du Monolithe, le livre, palpiter au rythme d'un cœur qui bat. L'espace d'un instant, il eut l'impression que le livre était vivant et cela le terrifia. Ses membres étaient figés. Impossible de lâcher le livre. Les larmes coulaient abondamment sans qu'il ne puisse les arrêter ni même sans vraiment savoir pourquoi il pleurait. Et le livre était animé de pulsations aux rythmes desquelles les mots semblaient s'animer tels d'horribles vers noirs. Il voulait jeter l'ouvrage au loin, s'en débarrasser, le brûler mais ne pouvait bouger. »
Très cool usage d'un ouvrage du Mythe !
G. Hatecroft arrive dans Millevaux mais dans un temps suspendu. Et quand il fait des mouvements, il risque de se briser les os. Très chouette épisode de vertige logique ! Le fait que son bras est bel et bien brisé dans la réalité acte l'interaction entre les deux réalités, donc c'est vraiment du vertige logique au sens où personnellement je l'entends.
H. Note que pour un américain des années 20-30, ni les sacs plastiques ni le terme « électronique » ne doivent avoir grand sens :)
I. « L'homme était là, riant et délirant dans cette langue inconnue. Il ne bougeait pas et Haze en arriva même à se demander s'il le voyait vraiment. Puis, au delà-de cette maigreur, de ces yeux noirs et de cette peinture verte, il reconnut Joe Mazurewicz, le voisin de Carter. [...] il lui était impossible de le dire autrement qu'en utilisant les mots de la Langue Putride. Or, ces mots étaient maudits. Et si Haze les entendait, il serait maudit lui aussi. »
De là à insinuer que le polonais est la Langue Putride, il n'y a qu'un pas !
J. « Hatecroft tournait et retournait cette phrase dans sa tête. Elle l'obsédait. Le Non-Sens Électronique... l’Électronique Non-Sens... l'E. No-Sense... l'Innocence ! »
Jeu de mot impossible à faire en anglais, mais c'est pas grave, c'est du roleplay, pas de la littérature :)
K. « Mais autre chose se passa. Il ne dormit pas. Au contraire, il était totalement éveillé quand de la terre émergea entre les lames du parquet. Il vit des racines courir le long des plinthes et du lierre grimper le long des murs. Par la fenêtre, il voyait les rues de Sturkeyville. Mais, quand il regardait ses murs, il voyait une forêt s'étendre. Et concrètement, elle s'étendait. Elle gagnait en expansion. » Cool cool cool
L. « Il ne comprenait pas les motivations de Mazurewiecz mais l'homme en vert avait réussi à semer le doute dans son esprit. Il n'était plus vraiment sûr qu'il soit si mal-intentionné que ça. L'homme n'était pas clair, cela était certain. Mais il n'était peut-être pas leur ennemi. En fait, et Hatecroft partageait ce point de vue, il se demandait s'il n'était pas « habité » par un esprit venant de Millevaux. »
A Millevaux, il existe une société secrète, la Caste des Veilleurs, chargée de traquer les horlas et, en but ultime, de trouver un remède contre Millevaux. On peut supposer l'existence, dans les autres mondes, de membres de la Caste des Veilleur qui ont sont chargés d'empêcher la contamination de leurs mondes respectifs par Millevaux.
M. « Cette caverne était sans nul doute la mémoire que ce Horla voulait explorer, sa mémoire qu'il voulait retrouver. Était-ce le but de leur voyage ? »
L'idée que certains souvenirs soient cristallisés dans des lieux mémoriels est vraiment cool !
N. « Haze errait dans cette forêt de côtes et de plaques osseuses. En réalité, il ne ressentait rien de particulier. » : je suppose que l'emploi du terme « forêt » n'est pas innocent.
O. « Puis, Haze eut la subite intuition qu'il était finalement au meilleur endroit non pas tant pour ouvrir un portail que pour en trouver un qui serait déjà ouvert. Alors, ne devait-il pas le traverser et se rendre dans cette forêt pour régler définitivement le problème ? » Trop bonne idée...
P. « Il était sur le point de s'endormir quand il ressentit un frisson étrange, comme si un voile d'électricité le recouvrait. Il se redressa et fut assailli par une vision des plus étranges. Tout autour de lui semblait s’abîmer, se détériorer à vitesse accélérée. Ses draps se tachaient d'humidité et se trouaient, devenaient lambeaux et disparaissaient. Les murs se lézardaient, se parcouraient de lierre qui fleurissaient, pour se racornir et fleurir à nouveau. »
Super transition vers Millevaux en mode vertige logique !
Q. J'ai le sentiment que dans tes jdr solo, il y a un recours fréquent au deus ex machina. Je m'explique : quand le PJ est dans une impasse, soit il se met à réfléchir et au terme de son monologue intérieur fait d'associations d'idées pour le moins audacieuses, il trouve la solution (dans ce RP, le non-sens électronique qui donne l'innocence par exemple, et encore les décisions qui suivent sont encore plus capillotractées), ou alors les choses lui tombent dessus sans qu'il fait rien de spécial (ainsi Haze recherche un portail dans l'Allée des Baleines, en vain, et quand il rentre se coucher le portail vers Millevaux s'ouvre sous son lit). Je tenais à faire cette observation qui n'est en rien une critique, puisqu'après tout l'important est que ta façon de jouer te convienne, que c'est un mastic bien pratique pour coller un ensemble fait d'impro et de systèmes disparates, et qu'on ne saurait après tout exiger d'un rôliste solo (ou multi) des qualités scénaristiques (ce n'est pas forcément le but). En revanche, si toi ou une partie du lectorat identifie ce recours comme une faiblesse, je suppose qu'on peut envisager des recours différents, telles que : une discussion avec un PNJ pour remplacer le monologue interne (discussion qui peut se résumer à une simple phrase innocente que sort le PNJ et qui débloque le PJ car il la replace dans son contexte interne : procédé fréquent dans les séries basées sur l'intuition, telles que Dr House par exemple). Ou pour l'histoire du portail, faire qu'un personnage ne reparte jamais tout à fait bredouille d'un lieu, et qu'il ait des indications sur la marche à suivre. Ainsi, dans l'Allée des Baleines, il aurait pu recueillir une fleur à l'aspect frappant, qu'on lui ait ensuite dit que c'était une tisane de rêve, qu'il en ait volontairement bu une infusion qui l'ait conduit dans Millevaux...
R. « Tout ici était maudit. L'air et la pluie également. Était-ce sage de boire ainsi cette eau de pluie ? Quelle impureté allait maintenant souiller son organisme ? »
On retrouve ici la crainte totale de l'exposition à l'emprise.
S. Est-ce que quand Haze tue lui même son ami Hatecroft dans un souvenir, c'est un « fais pire au nom de l'Abysse » ou est-ce que c'est son souvenir originel qui était occulté par l'amnésie ?
Réponse de Damien :
A. alors, avant d'oublier ^^ Black Star Rise est un PBTA cthulhien plutôt bien foutu je trouve et Mansion of the Hill est le contexte du scenar proposé.
B-dire que j'ai tiré ce titre au D dans la 4è éd de l'Appel de Cthulhu. va falloir que je visite le Morbihan maintenant ?
C-Sturkeyville est une ville de l'invention d'un écrivain américain auteur de plusieurs nouvelles d'inspi lovecraftienne qu'il a situé dans cette petite ville. il y a eu un crowfunding pour une trad en français. j'ai backé bien sûr et j'attends de recevoir mon bouquin. et attendant de le lire, j'ai joué de dans.
D-très sincèrement, cette créature n'est pas très nette et ne jouit pas nécessairement de toutes ses facultés^^ et puis toutes les contorsions mentales et morales sont bonnes pour justifier ses actes ^^
E-yes! et ça va me servir pour la Crasse/Millevaux
F-et là, je suis en train de me demander si ce n'est pas entre l'effet d'un break de BSR justement^^
G-j'avoue avoir été emmerdé quand je suis tombé sur cette carte XD je ne savais pas du tout comment la jouer et.. cette idée est venue. j'ai trouvé ça... logique et pas trop mal
H-j'en conviens ^^ dans la perspective d'une nouvelle, c'est clair que j'aurais retravaillé tout ça. pour un jeu... bah vala quoi ^^ mais Scipion dit bien que lui aussi pour Sombre s'autorise des incohérences, des anachronismes par moment. Game must on ^^
I-je n'y avais pensé ? en plus, j'ai une certaine affection pour la Pologne où j'ai été pour le boulot il y a quelques années. j'y retournerais bien car on y mange plutôt bien XD et ils ont des forêts bizarres aussi... et une langue bizarre aussi... m'auraient on fait quelque chose là-bas? ?
J-oui voila... comme plus haut hein ^^ mais je l'aime bien ce jeu de mot
K-une autre carte des vertiges logiques ^^
L-peut-être... c'est vrai qu'en jouant, cet homme s'est révélé plus ambigu qu'il en avait l'air. si j'avais joué en campagne, ça aurait chouette de pouvoir le développer.
M-et je suis en train de me demander si cette idée ne m'est pas venue de Fight Club ?
N-E-No Sense ^^
O-bah là, j'étais un peu coincé donc... après réflexion, cette idée s'est imposée mais... j'aurais pu ne rien trouver du tout et devoir au contraire trouver un moyen d'ouvrir un portail moi-même
P-oui, ces cartes sont vraiment chouettes et ça introduit un challenge narratif en plus pour moi car je dois réfléchir à comment les mettre en scène.
Q-et bien quand je suis coincé, le perso se met effectivement à réfléchir. J'en déduis des hypothèses que je vais ensuite tester par des jets de compétences du perso et/ou des jets ou tirages de cartes pour simuler le MJ et après... bah ça passe ou pas. des fois, un tirage sur une table d’événements aléatoires relance la machine. C'est vrai que je ne recours pas assez aux PNJs. Pourtant, Muses & Oracles explique très bien comment faire et ça n'a rien de compliqué. C'est juste que même dans le solo je suis solo quoi ^^
R-yep ?
S-c'est un souvenir qu'il avait occulté. Le « Fais pire... » est une sorte d'ouverture. La question est maintenant de savoir comment/pourquoi il a tué Hatecroft ? Quelle force s'est alors emparé de lui et que va-t-il devenir maintenant ?
T- ah ouais, sinon quand même, le souvenir de Haze tuant Hatecroft emprunte aussi à la mécanique de Strings ^^
Réponse de Thomas :
B. Figure-toi que j’ai justement une occasion qui vient de se présenter de jouer aux Sentes sur ce site :)
G. Ah c’est cool que tu utilises le jeu de cartes du vertige logique. Cette aide de jeu a été ajoutée au dernier moment mais je crois que c’est ce qui fallait pour donner envie au lectorat de passer à l’acte :)
I. A la frontière de la Pologne et de la Biélorussie s’étend la forêt de Bialowieza, la dernière forêt primale d’Europe… J’avais joué une partie dans ce contexte, voir le CR La Forêt-Galerie
:
Il y a aussi un setting polonais dans l’Atlas, que j’ai notamment exploité dans cette partie : L’œil de la Baba-Yaga
L. Il fera peut-être partie de tes PJ/PNJ récurrents :)
P. Cela marche bien, car ça produit des effets que j’aurais pas spontanément décrits :)
Q. Ceci dit, ce truc du personnage solitaire qui rumine, c’est aussi très présent dans Bois-Saule, notamment avec les phases d’introspection et d’exploration.
Réponse de Damien :
en vérité, les cartes c'est quand même pratique^^ et c'est sympa aussi, ça change de tableaux aléatoires et j'aime vraiment l'idée de me creuser la tête pour savoir comment le mettre en scène. tu vois, sans déc, ça fait un pti moment que j'envisage de retourner en Pologne justement. je voudrais visiter les mines de sel près de Cracovie et ptete passer plus de temps à Varsovie… bon bah y a visiblement une forêt en plus ^^ pour l'homme peint en vert, je n'en ai aucune idée mais vu comment mon scenar actuel se profile, il n'est pas exclu en tout cas qu'il y ait des liens avec ce scenar…
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LE ROI DE L'ÎLE
Fuyant la communauté des robes noires de Trois Rivières, les enfants expérimentent la tentation de l’ensauvagement. Un récit de partie par Claude Féry.
(temps de lecture : 4 min)
Joué le 05/10/2019
Le jeu : Girl Underground par Lauren McManamon and Jesse Ross., une petite fille appelée à se transformer dans un monde magique
Lire / télécharger le récit illustré au format PDF
Lire / télécharger les principes de la communauté
Durée : une heure
Rachel.Adams, cc-by-nc-nd
Les photos suivantes sont de Claude Féry, par courtoisie
Fiction :
Horace s'emploie à faucher des fougères pour former une litière tandis que Samael dresse un rempart autour de l'arbre creux qui a retenu leur attention sur l'îlot.
Puisque les deux se chamaillent, Marie surmonte alors sa crainte de l'inconnu et s'éloigne jusqu'à ne plus entendre les deux garçons.
Elle chasse avec Gédéon, son chien sans nom, souvenir d'un temps brumeux ou elle avait des parents.
C'est Horace qui l'a baptisé.
Sa première découverte est un champignon bleuté très appétissant.
Puis elle avise un monticule de champignons crèmes d'où émerge une martre surprenante. Elle devient son amie en lui cédant de la viande séchée. C'est Louis le roi de l’île qui les prend pour sujets jusqu'à la prochaine lune à la condition de le nourrir, parce qu'il a mangé tout ses sujets.
Horace ne l'aime pas, pas plus que Gédéon.
Le lendemain, au matin, la main de Samael est toute poilue et la blessure occasionnée par le serment d'allégeance au roi Louis s'est envenimée.
Marie, elle, a été éveillée à presque-aube par la faim et le froid. Elle part en chasse avec Gédéon.
Vite, elle débusque un écureuil blessé à la patte, qui sollicite sa protection, Sganarelle. Samael dans un premier temps l'accepte et le panse, puis s'en détourne.
Survient Louis qui exige de dévorer Sganarelle.
Marie refuse.
Samael défie le roi et après une brève lutte, le roi déchu s'éloigne en clopinant.
Le temps passe. L'hiver approche.
Horace mange des vers pour digérer les feuilles des arbres et passer l'hiver. Marie, hésite, dégoûtée, puis l'imite.
Samael mange de tout, des écureuils aussi.
Il effraie ses amis qui ne savent plus si c'est un garçon ou un loup.
Horace le somme de renoncer à la viande et le menace de le perdre dans le bois. Piqué au vif, Samael veut s'emparer de son fusil pour prouver sa condition.
Il renonce à devenir loup.
Bilan :
Mon idée était de reprendre le livret de la fugueuse de Girl Underground pour interroger les personnages et considérer la communauté des gamins comme The Girl.
Xavier s'est très vite immergé dans son personnage rebelle et ivre de liberté et Alexane a
pleinement joué l'ensauvagement effrayé de Marie. Effrayée par son audace et vite convaincue d'abandonner les bondieuseries stériles pour adopter une solidarité pragmatique avec ses compagnons.
J'aurais du poursuivre et intensifier l'expérience, mais une bonne migraine m'a conduit à nous interrompre sur la renaissance de Samael.
Alexane et Xavier ont beaucoup apprécié le ton, l'atmosphère et le récit en l'état leur convient.
Nous avons convenu de revenir sur une atmosphère début vingtième siècle pour la prochaine session.
Commentaires :
Yakaab sur le Discord Millevaux :
Je reste toujours béatement admiratif de ta qualité de préparation et de jeu de toi, Claude, et de ta table.
Thomas :
C'est clair que ça fait beaucoup de préparation pour une heure de jeu. J'ai l'impression que la rêverie préliminaire a beaucoup d'importance pour toi, Claude.
Je suis sensible au traitement qui est fait durant la partie de la consommation de viande, évidemment puisque tu connais mes convictions, Claude.
Réponse de Claude :
La préparation était destinée à plusieurs sessions de 2 heures.
Dans mon idée autant que de principes, puisque la demande de Xavier lors de la session précédente était une campagne.
C'est un fort mal de crâne qui m'a conduit à écourter la phase de fiction. Nous avions convenu des principes et défini les attaches des personnages en 20 minutes et avions prévu 2h30 de jeu (Alexane a une plage horaire fixe de disponibilité).
Cela dit tu as tout à fait raison en considérant que la rêverie préalable revêt une grande importance pour moi. Je commence cela dès la soirée qui suit celle du compte rendu...
la Viande est l'un des thèmes majeurs de cette série.
L'arbre sur l'île, trois sessions auparavant est un arbre à viande noire, un nœud vers les milles et un vaux qu'ils ont franchi en quittant l'île aux courges (bagne d'Indochine).
L'idée poursuivie c'est d'explorer le temps et les hommes entrés en contact avec cette viande noire.
L'idée c'est que pour le voyage en Nouvelle France, chaque session interroge une des croyances des pères jésuites pour lui substituer soit un paradigme de Millevaux soit une croyance affirmée en jeu par les joueuses.
Le traitement de cette errance était prévu initialement dans la tonalité conte macabre, motorisée, à la demande de Xavier avec Sève.
Je pense que la prochaine session sera motorisée par Inflorenza minima avec en creux mes principes et croyances.
Lorsque j'ai interrogé Xavier sur le rêve dont se souvenait Samael au matin du premier jour de bivouac, Xavier m'a décrit des fleurs aux pétales violacées et aux tiges jaunes veinées de rouge sang.
L'une d'elle repose devant lui au matin.
Il l'a place sur sa tête hirsute et précise qu'elle s'enracine en lui.
Thomas :
Je serai très curieux de la session Inflorenza Minima ! J'apprécie la réponse de Xavier et l'aisance avec laquelle il s'accapare la narration :)
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LE SIÈGE DES URSULINES
Nous testons le vieux jeu post-apo du Grümph dans une partie très tactique assez longue pour voir le grand potentiel du jeu, mais hélas trop courte pour vraiment créer de l’histoire.
Le jeu : Charognards, par Le Grümph, récupérateurs de déchets dans un monde parti à vau-l’eau sous la domination des extraterrestres
Joué le 21/10/17 à la Convention Scorfel
(temps de lecture : 7 min)
Le contexte:
Charognards est un jeu de John Grümph qui traîne sur mon disque dur depuis longtemps. Sa mise en page bricolée, un peu punk franchouillarde avec ses morceaux de catalogue Manufrance et autres revues collées ici et là et ses photomontages déglingo a été d’une grande inspiration pour les maquettes de mes premiers livres Millevaux.
J’avais conscience du potentiel de ce jeu post-apocalyptique visiblement assez raz-de-terre comme je les aime (ici, on ne sauve pas le monde comme dans Krystal, on essaie d’abord de sauver sa couenne ou au mieux, celle de sa communauté), il était plus que temps de le tester. J’ai procédé à une légère adaptation dans le monde de Millevaux, en rajoutant de la forêt comme à mon habitude, et en remplaçant les extraterrestre qui font la loi dans le monde de Charognards par des horlas. Charognards, comme la plupart des jeux post-apo (sauf Millevaux), se situe peu après la chute de la civilisation, aussi les personnages les plus anciens ont connu l’avant. J’ai conservé cet aspect car il est crucial dans la création de personnage et c’est de toute façon quelque chose qui m’intéresse même si j’en ai fait l’impasse quand j’ai imaginé Millevaux au départ : il m’arrive de temps en temps de maîtriser des parties de Millevaux qui dévient de la story line officielle en situant la chute de la civilisation à notre époque, et en faisant jouer juste après.
L’histoire :
Je vais ici faire l’impasse de la fiction, qui d’ailleurs fut plutôt courte tant c’est l’aspect technique des choses (création de personnage, puis en cours de partie gestion des jets de dé et du matériel) qui nous a occupés.
En résumé, le groupe de personnage, des récupérateurs ambulants, se réveillent au beau milieu d’une foire commerciale, en l’occurrence une foire organisée dans le Couvent des Ursulines, qui est le lieu où nous étions en train de jouer dans le cadre de la convention Scorfel (du couvent, il ne reste que le cloître, le reste est composé de bâtiments modernes dédiés à la vie culturelle et sportive). Le Couvent des Ursulines est devenu un marché fortifié très convoité par les pillards, et donc les camelots passent la nuit à l’intérieur du marché pour parer à toute éventualité.
Les personnages se réveillent donc en pleine nuit à l’intérieur de ce marché, en mode very bad trip, ils ne se rappellent pas de comment ils ont échoué là (syndrome de l’oubli bien pratique pour lancer une action in media res, c’est un procédé dont j’ai usé et abusé à l’époque du jeu Grogne), ils essaient de piller des équipements en mode discret, mais ils ont maille à partir avec un des gardes du marché (armé de FAMAS) et avec des camelots qui se réveillent : ils se retrouvent obligés de tuer un garde. Ils veulent entreprendre une fuite mais la sortie principale du marché est constituée par un tunnel à plusieurs portes, surmonté de barbelés, bref une véritable souricière conçue par les gardes du marché pour contrôler les entrées et sorties. Ils découvrent que le garde à l’entrée de la souricière a été abattu et réalisent que des pillards sont en train d’investir la souricière. Ils attaquent les pillards et « Çà », l’un des jeunes mutants du groupe, fait particulièrement un ravage. Ils arrivent à l’extrémité de la souricière, et se retrouvent confrontés à la cheffe des pillards, une redoutable colosse flanquées de chiens mutants aux réflexes et aux sens hypertrophiés. Elle prend en otage l’un des leurs… Fin en cliffhanger.
Descriptifs des personnages et de leur micro-communauté :
Silina, 50 ans, ancienne cuistot
look cambrousse / nomade
A perdu sa famille
A suivi le clan d'assez loin
Peut disparaître pendant des jours sans prévenir
Très bricoleuse
Connaît toutes les plantes comestibles
Dio
Garçon d'environ 15 ans
Arc, couteau, fusil à pompe.
Aime les animaux à manger ou à adopter.
Meïwena
Couettes
fusils
sait se battre
veut une moto
Pr T. Egmon
Sorti d'une secte de scientifiques fascinés par les horlas.
Curieux pour la forêt
Tête de vieux fou, moustache asymétrique, Sympathie pour Nono
« Çà »
greffé au groupe à un moment. N'a jamais parlé
porte un GPS
recouvert de peinture bleue
androgyne
porte une attention dérangeante au Pr T. Egmon
yeux noirs
posture animale
Hope
Petite fille de dix ans. Ses parents sont morts dans des circonstances qu'elle n'a pas rapportées au groupe.
S'est greffée au groupe en même temps que le Pr T. Egmon
Discute bien, discours pertinent.
Pas comique.
Figurants (nomades anarchiques) :
Les personnages les ont croisés il y a pas longtemps. Formation d'une communauté.
André : quincaillier, bricoleur, 50 ans
Rachelle : jeune martiniquaise, grande gueule, 18 ans, mariée avec André
Nono : mutant toubib, 8 ans, se soigne seul et soigne les autres, peut-être le fils d'André, prend les gens de haut
Trombone : cuistot / homme à tout faire, premiers soins, social, 40 ans, veuf, n'aime plus Rachel (ils ont failli être ensemble), a eu une copine qui est morte (musicien à ses heures perdues et pour le grand dam des oreilles des autres.
Feuilles de personnage
Meïwena
Jeune, origine : zone, implication : émeutière, survie : toute seule
Points de vie / fatigue / moral : 4/4/4
Bastonneur 4 (spé arme blanche)
Bidasse 1 (Scout)
Chasseur 2 (camouflage)
Conducteur 2 (moto)
Cuistot 1 (conservation)
Récupérateur 1 (mécanique)
Survivant 2 (psychologie)
Technicien 1 (mécanique)
Tête 1 (orientation)
Toubib 1 (premiers soins)
Çà
bébé, survie : seul
Mutations : lecture des émotions primaires, vision nocturne / thermographique, peau caméléon (+2dE en chasseur dissimulé), pistage (seuil +1)
Points de vie / fatigue / moral : 3/5/5 (2/0/5 à la fin du jeu)
Bastonneur 2 (spé empoignade, corps-à-corps)
Bidasse 1 (sang-froid, courage)
Chasseur 2 (approche furtive)
Conducteur 1 (reconnaissance)
Cuistot 1 (dépeçage)
Récupérateur 1 (création d'armes improvisées)
Survivant 1 (affronter terrains difficiles)
Technicien 1 (démontage)
Tête 1 (estimation météo)
Toubib 1 (médecine de brousse)
Hope
bébé, origine : parents morts
Mutations :
Polar (lit vite, mémoire photographique, toutes langues comprises et parlées, -1 seuil au jet de connaissance, +1 spécialité par jour)
Points de vie / fatigue / moral : 3/5/5
Bastonneur 1 (spé armes à distance)
Bidasse 2 (capable de dormir n'importe où comme dans un lit)
Chasseur 1 (bonne reconnaissance des traces)
Conducteur 1 (très bon sens de l'orientation)
Cuistot 1 (capable d'identifier tout ce qui est mangeable dans un milieu)
Récupérateur 2 (reconnaissance des objets précieux échangeables)
Survivant 1 (anticipation de la météo)
Technicien 1 (réparation et utilisation des objets électriques)
Tête 1 (identification des mutations dans tout l'environnement)
Toubib 1 (bon en couture / suture fixe)
Silina
âge : vieille, origine : cambrousse, formation : lycée professionnel, survie : communautaire
Points de vie / fatigue / moral : 5/3/3 (3/0/3 à la fin du jeu)
Bastonneur 1 (corps à corps)
Bidasse 2 (embuscade)
Chasseur 1 (pièges)
Conducteur 2 (engins lourds)
Cuistot 1 (organisation)
Récupérateur 3 (création)
Survivant 2 (réactivité)
Technicien 1 (plomberie et eau)
Tête 1 (plantes comestibles)
Toubib 2 (attelles)
Pr T. Egmon
âge : vieux, origine : cambrousse, formation : universitaire, implication : mystique
Points de vie / fatigue / moral : 5/3/3 (4/2/3 à la fin du jeu)
Bastonneur 1 (escrime)
Bidasse 2 (gestion de groupe)
Chasseur 2 (piégeage)
Conducteur 1 (bateau)
Cuistot 3 (plantes comestibles)
Récupérateur 1 (objets pratiques, de bricolage)
Survivant 1 (se cacher)
Technicien 2 (fabriquer outils)
Tête 3 (latin, connaissance des horlas)
Toubib 2 (plantes médicinales)
Dio
âge : jeune, origine : campagne, implication : fuite, survie : seul
Points de vie / fatigue / moral : 4/4/4
Bastonneur 2 (armes blanches)
Bidasse 1 (résistance physique)
Chasseur 1 (arc, arme de projection)
Conducteur 1 (bateau)
Cuistot 3 (boucherie)
Récupérateur 1 (armes)
Survivant 1 (forêt, nature)
Technicien 1 (campement)
Tête 1 (animaux)
Toubib 1 (points de couture)
Mise en jeu :
Je suis parti dans l'idée que la Salle des Ursulines, le lieu où nous étions réunis pour jouer, allait être le décor de notre aventure, reconvertie en marché fortifié dans le futur post-apocalyptique forestier de Millevaux. Cela nous servait de repère, je montrais les différents endroits de la salle en expliquant comment ils avaient évolué, j'ai aussi décrit la cour et le bâtiment derrière qu'on voyait par les fenêtres, et les contre-allées qui étaient en dehors de notre champ de vision mais qu'on connaissait, ainsi que l'escalier qui descend vers le cloître auquel se greffe la salle des Ursulines, reconverti dans mon imaginaire en souricière avec cloisons, sacs de sable et barbelés.
Les figurants (André, Rachelle, Nono, Trombone) m'ont servi à montrer un peu l'exemple des types de personnages et de relations typiques d'un Charognard (de mémoire, au moins une partie étaient empruntés au livre de base).
Retour des joueuses :
Joueuse de Silina :
+ J'ai pas trop compris le système de dés.
Joueur de Meïwena :
+ Le système est un peu trop complexe, par rapport à Marchebranche qu'on avait testés avec toi l'année dernière (voir CR : La fille au ruban rouge).
+ Il y a une grande différence entre les bébés, les vieux et les jeunes. Les jeunes ont très peu de compétences, mais leurs pouvoirs sont cheatés. [on discute aussi pour savoir si oui ou non les mutants sont monodimensionnels, trop spécialisés dans une chose ou non]
Joueuse de Hope :
+ J'ai trouvé que ça a déclenché beaucoup de trucs d'ouvrir le portail.
Joueur de Pr T. Egmon :
+ Les persos sont trop polyvalents et pas assez skillés. [Joueur de Meïwena : mais du coup on sent le côté survie].
Retour personnel :
+ J'ai aimé improviser une situation de siège, qui est un type d'aventure proprement post-apocalyptique que j'ai pourtant peu exploité.
Retour sur le jeu :
Charognards dispose d’une quantité d’outils pouvant gérer les aspects de Millevaux. La création de personnage, qui détermine ton rapport à la catastrophe, si tu es né avant ou après. Les personnages mutants évoquent les maletronches de Millevaux. Les extraterrestres, surpuissants et aux motivations insondables, offrent une variation sur le thème du horla : ici les horlas ont gagné, ils ne sont pas planqués dans les ombres comme dans le Millevaux classique, ils sont les maîtres du monde et c’est les humains qui doivent se cacher. La notion de communauté est une force du jeu, le concept de personnages récupérateurs, la gestion des voyages (anxiogènes) tout comme du sédentarisme (on devient une cible) est super intéressante.
Le véritable coup de cœur vient de la gestion du matériel. Chaque joueuse dispose d’un plateau représentant ses sacs de voyages avec un nombre de cases représentant la quantité de matériel pouvant être transporté. Et le jeu fournit des planches de matériel très complète, allant des armes aux dispositifs de survie à des types de matériel assez hétéroclites qui vont faire parler l’instinct de MacGyver des joueuses. Ici, il n’y a que du matériel qui peut avoir une utilité dans un contexte de survivalisme, y’a pas de banjo ou de journal intime. En fait, ce JDR est carrément un exercice pratique pour collapsologue radical.
On a tous trouvé ça très fun et en campagne, ça doit être vraiment jouissif. Par contre, mon idée de faire démarrer le groupe au milieu d’un marché était assez piteuse, car malgré les gardes, les personnages ont tenté (et réussi) de récupérer des équipements supplémentaires, ce qui cassait la dynamique de pénurie. Limite, je me demande si l’existence même de ce marché avait une quelconque pertinence dans le contexte de Charognards où l’accent mis sur la pénurie est très fort, et donc une telle structure était peut-être too much. Les extraterrestres auraient dû la repérer et la neutraliser bien avant. Un marché, ça devrait être deux roulottes avec trois bricoles, point. Là, c’était le supermarché en mode survival.
Les mécaniques de jeu (jets de dés, combat) sont très crunchy, ça s’est ressenti par une création de personnage longue et une mise en jeu assez longue également. Ce n’est pas un jeu pour one-shot ! Il faut une campagne pour apprivoiser le système et que ça devienne fluide.
C’est un jeu du Grümph assez atypique je trouve, plus désespéré que sa moyenne. Les personnages ont un gros potentiel, mais on sent que le monde est hyper dangereux, la parano règne et on a intérêt à se serrer les coudes entre membres de la micro-communauté parce que le reste du monde ne vous fera pas de cadeau, hormis quelques chiens perdus sans collier qu’on ramassera sur la route et à qui on va s’attacher malgré le lot d’emmerdes que ça va immanquablement entraîner.
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LA FORÊT MYSTÉRIEUSE
Un jeu de société jeunesse sur le thème de la forêt ? C'était forcément à tester !
(temps de lecture : 3 min)
Le jeu : La Forêt Mystérieuse, jeu de société familial où on incarne un gamin parti à l'assaut de l'Araignée Géante de la forêt.
Joué le 29/10/2017 aux 24 heures du jeu à Theix (Morbihan)
Déjà en 2017, l'idée de concevoir des jeux de société ou des jeux de cartes Millevaux me trotte en tête. Au hasard de ce salon de jeu cher à mon cœur que sont les 24 heures du jeu (aujourd'hui Lud'Ouest, il s'agit d'un festival dont j'ai dirigé l'équipe à sa création en 2007, jusqu'en 2009), j'aperçois La Forêt Mystérieuse dans les jeux en démo, et je convaincs l'ami qui m'accompagnait d'y jouer.
Dans ce jeu, on incarne à plusieurs un gamin qui part de sa maison avec une épée en bois et traverse une forêt fantasmagorique jusqu'à la confrontation finale avec un monstre arachnoïde qui fait office de dragon pour ces lieux.
Tout d'abord, le jeu est magnifique. Les cartes sont peu nombreuses, mais leurs illustrations, en couleur directes et légèrement manga, sont de toute beauté. Les couleurs vives forment un beau tableau d'un monde végétal absolument alien, où le règne animal (une faune étrange ou dangereuse) et minérale (des forêts de cristaux) est aussi à l'honneur.
J'ai trouvé le gameplay franchement astucieux. La Forêt Mystérieuse est une sorte de Mémory amélioré. On dévoile d'abord les cartes qui vont constituer le parcours du héros à travers la forêt. Chaque carte illustre un défi que le gamin aura à relever (éviter une chute, combattre un monstre, etc) et comporte des pictogrammes représentant les équipements nécessaires pour relever le défi.
Une fois qu'on a visualisé ce parcours et qu'on l'a mémorisé, on remet les cartes face cachée. il faut maintenant remplir la besace du gamin avec des jetons d'équipement : le but est de s'être assez bien rappelé pour avoir en effet les bons équipements quand il faudra faire le parcours !
Il y a pas mal de jokers et des niveaux de difficulté à choisir : c'est un jeu familial, on peut choisir de jouer en mode easy-win ou corser un peu le défi.
Pour se rappeler des équipements, il nous est aussitôt venu à l'esprit de surtout mémoriser l'histoire que racontait chaque carte : pourquoi le gamin utilisait tel et tel équipement pour venir à bout du défi... et c'est ce qui nous a permis de bien mémoriser et donc de gagner. Cette mécanique m'a semblé hyper pertinente pour symboliser le syndrome de l'oubli, et je compte la mettre à profit dans mon projet de jeu de cartes Millevaux tactique / narratif, avec des systèmes de cartes qu'on visualise puis qui sont repositionnées face cachée, alors il faut se raconter une histoire pour s'en souvenir...
Seule ombre au tableau : La Forêt Mystérieuse est un jeu spéciste. L'objectif c'est d'aller buter une araignée géante et ça n'est pas plus expliqué que ça, le jeu suppose que dans les contes pour enfants, les araignées, c'est beurk, c'est des monstres nuisibles ou dangereux qu'il faut éradiquer. En tant qu'animaliste, c'est bien sûr un message qui me gêne au plus haut point. Mais qui m'interroge également sur mon traitement personnel des horlas, qui sont tout comme le monstre arachnoïde de La Forêt Mystérieuse, des antagonistes animaloïdes qu'on trucide assez souvent sans se poser de questions... La paille, la poutre, vous connaissez l'histoire.
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LE SANCTUAIRE
Où il est question de trouver une terre promise dans une Moselle irradiée et de se soustraire aux appétits d'un Shoggoth !
(temps de lecture : 5 min)
Le jeu : Cthulhu Dark 1ère édition VF, de Graham Walmsley (traduit par Le Grümph), un condensé de lovecrafterie pour les hipsters pressés.
Joué le 03/11/2017 aux Utopiales, à Nantes
Gareth Courage, cc-by-nc, sur flickr
Le contexte:
A sa lecture, Cthulhu Dark m’a fait l’effet d’une bombe, et je ne suis pas le seul, tant la première édition, un pdf de quelques pages, a défrayé la chronique : c’était LA nouvelle manière de faire du jeu de rôle lovecraftien, une sorte de réinvention post-moderne de L’Appel de Cthulhu qui allait à l’essentiel.
Cthulhu Dark est en effet un petit bijou d’élégance et brille par quelques mécaniques puissantes à mes yeux :
+ la possibilité de lancer deux dés supplémentaires : le dé de santé si on met sa santé physique en jeu, et le dé de folie si on met sa santé mentale.
+ le fait de devoir détruire des preuves de l’existence du Mythe pour récupérer de la santé mentale.
+ le fait que les combats contre les créatures du Mythe ne sont pas motorisés : les créatures gagnent, point.
J’avais fait un premier test (sans compte-rendu) en petit comité, dans un contexte purement Cthulhu années 20, autour du De Vermiis Mysteris et d’une invasion de vers. J’avais tout particulièrement apprécié l’ambiance et je me disais que j’avais trouvé mon Graal pour faire du Cthulhu sur le pouce, sans fioritures (je rappelle qu’à L’Appel de Cthulhu, une création de personnage c’est entre 10 à 30 minutes selon l’expérience de la joueuse, ici on est plutôt sur une minute).
De fil en aiguille, je me suis dit que c’était adapté pour jouer le versant le plus lovecraftien de Millevaux. J’ai donc testé le jeu avec une seule adaptation technique : pour récupérer de la santé mentale, il ne fallait plus détruire des ouvrages du Mythe, mais tuer des personnes dépositaires de secrets du Mythe. Ce changement me paraissait mettre en valeur le côté dur de Millevaux et éliminer le côté grimoire ancien qui est assez absent de Millevaux (quand on découvre un catalogue Ikea encore lisible, c’est déjà une victoire, alors un vieux tome médiéval bouffé aux mites…)
L’histoire:
Je ne vais pas m’appesantir sur la fiction, mais grosso modo le groupe était à la recherche d’une terre promise épargnée par la radioactivité, ils ont exploré une fête foraine désaffectée (j’étais content de mettre en scène ce type d’environnement pour la première fois alors que j’ai été biberonné aux photos de parcs d’attractions abandonnés), rencontré Winchester, un type louche et impulsif armé d’un fusil (c’était en fait un liquidateur qui aurait pu les aider), recueilli un gamin dans les autos-tamponneuses (Petit Claude), traversé une forêt hantée par un shoggoth.
Ils se sont embrouillés avec Winchester, qui a tué Sélène, l’une des leurs. Lucas assomme Winchester, et au réveil, il leur explique qu'il est un veilleur. Ortie fait une fausse potion d'oubli : Winchester repart avec les munitions que lui avait pris le Vieux Tanin en échange du médaillon des veilleurs.
Petit Claude trippe sur les microbes qui l’effraient, et avec un microscope qu’il a dégotté, Prof réalise qu'ils ont tous des microbes sur la peau… Angoisse.
Les personnages ont finalement atterri à Frémin, leur fameuse terre promise, qui s’est avérée être… une centrale nucléaire (en l’occurrence la centrale de Freyming-Merlebach. Erreur de ma part, d’ailleurs ; après fact-checking, il n’y a pas de centrale à Freyming-Merlebach, mais à Cattenom, située 52 km plus loin). Les occupants de la centrale acceptent de faire rentrer les personnages sous la surveillance de leurs snipers, mais à l’intérieur, ils leur expliquent que la centrale, si elle émet la radioactivité qui contamine les environs, est elle-même un lieu de sûreté ; il est fortifié et ses tenanciers disposent de capsules d’iode contre la radioactivité. La cheffe de la centrale termine son discours en annonçant que les personnages vont être fusillés parce qu’ils n’ont pas assez de vivres pour les accueillir et qu’ils ne peuvent pas non plus les laisser repartir maintenant qu’ils en savent trop.
Descriptif des personnages :
Prof, petit gaillard, petites lunettes, érudit, son père explorait déjà le monde, a constitué un dossier-encyclopédie. Dégarni, moustache. Un jour son père a disparu, Prof ne sait plus pourquoi. Bonne mémoire, de ce qui est pas dans le dossier, peut être fasciné par ce qu'il découvre dans la forêt. Petit labo portable, sait cuisiner.
Sélène. 25-30 ans, pisteuse. Occupation principale : repérer les endroits importants, susceptibles d'être dangereux, chasse pour le village. D'un naturel discret, observateur. Vive et claire. Yeux de chouette lui confèrent une bonne vue. Arc et flèche, couteau de chasse, radio, armure de cuir, matériel d'escalade. Pendant l'attaque du shoggoth, était partie en forêt.
Charlie, bûcheronne, bon sens de l'orientation, mécano, construit des pièges et des poulies, petit couteau, des ressorts, des lacets en cuir, se nourrit par photosynthèse, veines qui brillent la nuit.
Le Vieux Tanin
Barbu hirsute, bedaine, premiers soins, colporte les ragots
Ortie
Herboriste, guérisseuse. Calme. Sang-froid. Sceptique, prend du recul. Sensible, observe beaucoup les gens et les choses pour se mettre à leur place.
Entend les morts mais ne sait pas trop ce que ça peut lui apporter/
Dans le village, était avec sa mère, une vieille femme connue dans le village pour faire des miracles, lui a transmis son art, des techniques d'un monde ancien. Pendant l'attaque, on n'a rien retrouvé d'elle. Persuadée qu'elle est toujours vivante. Sa mère avait une grosse boucle de ceinture, retrouvée chez l'ermite.
A un chien.
Crève-cœur
Bûcheron, fils de bûcheron. Musclé, imbu de lui-même, peu impressionnable. Hache, pull de laine, besace, gourde, support (claie de portage)
Feuilles de personnage :
Ortie
Santé 1 Folie 2
occupation : herboriste, médecin
traits : calme, sang-froid, sceptique, sens de l'observation
Mutation : entend les morts
Équipement : herbes, serpe, petit couteau, boucle-ceinture, chien
Crève-cœur
Santé 1 Folie 2
occupation : bûcheron
traits : fort, peu impressionnable
Équipement : hache, pull de laine, besace (corde, gourde d'eau, trousse de secours), clef de portage
Charlie
Santé 1 Folie 2
Occupation : bûcheronne
traits : sens de l'orientation, mécano/pièges
mutation : ses veines brillent la nuit (photosynthèse, vert luciole)
Le Prof
Santé 4 Folie 1
occupation : « érudit »
traits : bonne mémoire, un peu dans son monde/curieux
Équipement : dossiers de mon père que je continue, besace, labo portable, sac à dos (matériel de cuisine)
Le Vieux Tanin
Santé 3 Folie 2
Occupation : barbier
Traits : colporte les ragots, premiers soins
Équipement :
rasoirs, matos à aiguiser, ciseaux, trousse de soins, nécessaire de toilette, sac à dos
Sélène (décédée en cours de jeu)
Santé 1 Folie 2
Occupation : pisteuse
traits : alerte, observateur
mutation : yeux de chouette
équipement : arcs et flèches, couteau de chasse, armure de cuir, matériel d'escalade (corde, grappin), kit de survie, kit de pièges
Brook
Santé 1 Folie 2
Occupation : pisteuse
traits : alerte, observateur
mutation : truffe de chien
équipement : arcs et flèches, couteau de chasse, armure de cuir, matériel d'escalade (corde, grappin), kit de survie, kit de pièges
Commentaires :
Retour du joueur de Crève-cœur :
+ Le système de jeu est très bien. C'est le MJ qui fait tout le boulot. On est pas écrasés par les règles
Retour de la joueuse d'Ortie :
+ Parfois on avait tellement de pouvoir que ça manquait de cohérence. [Réponse de Thomas : J'ai oublié une partie des règles. J'aurais dû vous demander des jets de folie plus vite, ce qui aurait accéléré l'attrition.]
Retour personnel :
+ La partie fut intéressante, mais j'ai trouvé que l'attrition de Cthulhu Dark manquait de rapidité, donc même mise à part mes oublis, je pense que les joueuses ne peuvent pas se sentir en danger à l’échelle d’un one-shot, et ma règle maison pour récupérer de la santé mentale n’a pas eu du tout l’occasion d’être testée : le jeu est plus adapté pour des campagnes courtes que pour des séances uniques.
+ Par ailleurs, malgré quelques conseils percutants, la première édition de Cthulhu Dark demeure un nano-game ; c’est surtout un système de résolution, c’est réservé aux grognards de L’Appel de Cthulhu ou aux improvisateurs nés : car le jeu nous laisse plutôt en slip pour construire de la narration. S’il faut y jouer dans l’univers de Cthulhu, des aides de jeu type tables aléatoires et Almanach, voir les scénarios de ma plume ou de la communauté, peuvent s’avérer indispensables si vous débutez dans Millevaux.
+ Je dois me pencher sur Trophy, un hack de Cthulhu Dark appliqué à un univers évoquant Symbaroum, qui propose sûrement une adaptation plus appropriée à l’horreur forestière.
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