LA REINE DE LA CRASSE
Première partie d’une nouvelle campagne Millevaux solo-multisystèmes, en crossover avec la mythologie de la Trilogie de la Crasse et la ville crapoteuse et hallucinée de Mertvecgorod née sous la plume de Christophe Siébert. Où un simple exécutant s’entiche pour la victime qu’il doit convoyer et tente l’impossible pour la retrouver. Un récit par Damien Lagauzère
(temps de lecture  : 32 min)
Joué le 07/05/2019
Le jeu principal  : Pour la Reine d’Alex Roberts, le turfu du jeu narratif
Salut, je viens de finir le 1er chapitre de ma nouvelle campagne solo Millevaux / La Trilogie de la Crasse. je l'ai fait précéder de l'intro/créa de perso. En tout, j'aurai joué avec Grey Cells, Pour la Reine et Bois-Saule, dans un univers mixant Millevaux, la Crasse et la RIM.
La RIM est le théâtre du prochain recueil de nouvelles de Siébert qui devrait paraître l'an prochain (Note de Thomas Munier, 30/09/2021 : il s’agit sans doute des Chroniques de Mertvecgorod). Il y a, je trouve, bien des points communs avec La Trilogie de la Crasse, mais comme il en est aussi l'auteur, on peut difficilement lui en vouloir ^^
Chiara Baldassarri, cc-by-nc-nd
L’histoire:
Je m'appelle Damon Haze. Je suis âgé de... on s'en fout complètement en vérité. Et je ressemble à  ? A rien. Comme en vrai. Pourquoi « comme en vrai » ? Parce que rien n'est vrai, donc tout est permis, isn't it ?
Non, ce qui importe de savoir, c'est que je suis un Éveillé, une Mouche au service de Black Rain. Et là , vous vous dîtes que je suis fou. Pas vrai, docteur ? Et vous avez raison. Je suis fou. Pourquoi ?
Je suis fou parce que je sais que rien de tout cela n'est réel. Et pourtant, j'y crois ! Ce n'est qu'une fiction. C'est un jeu. Un jeu de dupe. Un jeu de rôle. C'est parce que rien n'est vrai que tout est permis. Rien de tout cela n'existe vraiment. Je le sais. Mais je fais le choix aussi conscient et aussi volontaire que possible pour un simple avatar, le simple être de fiction que je suis, oui ! Je fais le choix de croire que tout cela est vrai. Je choisis de croire que je suis un agent de Black Rain, un Éveillé explorant le multivers à la recherche d'indices au sujet de la mort de l'Hommonde. Mais ce n'est pas tout. Je travaille aussi sur cette nouvelle forme de l'Entropie nommée Millevaux, cette forêt maudite, cette bulle de pourriture née sous le derme pourrissant de l'Hommonde qui éclate en bulle putrescente et répand sa pestilence dans tout le multivers, hâtant sa décomposition. La Pluie Noire et les agents de l'Entropie. Millevaux et ses Horlas et ses Cœlacanthes. Le meurtre de l'Hommonde. Je fais le choix de croire que tout ça a un sens, que tout ça a une quelconque réalité. Je choisis de jouer le jeu. J'accepte ces données. Je sais que je ne suis pas celui que je prétends être. Je sais que tout est faux, docteur. Ce n'est pas la peine d'essayer de m'en convaincre. Mais j'ai choisi d'y croire. Alors, je vais jouer.
Et comment je sais que tout cela est faux, que tout cela n'est qu'une fiction ? Parce que je suis un avatar du Joueur. Je suis son personnage, un peu plus qu'une marionnette. Ou un peu moins puisque je n'existe même pas sous la forme d'un bout de bois. Je le sais parce que, en tant que personnage de ce jeu, je... je ne le vois pas, non, c'est lui qui me voit mais... je sais que le Joueur est assis face à son PC. Je sais que son bureau est rempli de papiers, de fiches de personnage, une fiche surtout ! La mienne ! Je sais même, sans le voir car ce n'est pas moi mais le Joueur qui le voit, qu'il y a cet exemplaire de La Trilogie de la Crasse à gauche de l'écran. Je sais même qu'il y a une clé USB blanche et rouge fichée dans le port du PC.
Et comment je sais que tout cela est faux, que tout cela n'est qu'une fiction ? Mais docteur, parce que le pays même où je vis n'existe pas ! La République Indépendante de Mertvecgorod n'existe pas en réalité. C'est une fiction. Une fiction littéraire qui n'existe même pas encore sous forme de livre imprimé ! La sortie n'est prévue qu'en 2020 ! Vous vous rendez compte, docteur ? Je sais tout ça ! Mais je choisis de considérer que c'est réel car je veux jouer. Je veux percer les mystères du meurtre de l'Hommonde. Je veux percer les secrets de cette forme d'Entropie corruptrice qu'est cette forêt de Millevaux.
Mais franchement, même vous docteur, comment pouvez-vous prétendre être réel ? Regardez-vous ! Avec vos... tentacules sur le crane ! Vos yeux de camé...-léon ! Vous ne portez même pas de vêtements ! Vous êtes à poil docteur ! Bon, je sais que cette expression n'est pas trop le bien venue pour un être reptilien mais... Vous êtes à poil docteur ! À poil et à vapeur, même... si je puis me permettre. Bref...
Je suis Damon Haze et je suis une Mouche. Le reste... on s'en fout !
Docteur, même les rêves que je vous raconte ne sont pas réels. Ce ne sont pas les miens. Ce sont ceux d'un écrivain, Anton Vandenberg. Tenez, avant de partir, écoutez celui-là  :
«  En voyage avec ma compagne R.
Quelque chose est sur le point de se terminer.
Nous quittons la chambre d’hôtel le cœur serré.
Au-dessus de nous, le ciel est lourd et plombé.
On monte dans la voiture sans rien dire. Pas besoin : on sait où on doit aller.
On roule pendant un long moment sur une route de campagne.
À perte de vue, une immense forêt. Qui défile.
Impression persistante de circuler le long d’une interminable balafre infligée par l’homme à la nature.
Après plusieurs heures de trajet, nous atteignons la frontière.
Devant nous, l’Estonie.
Ma compagne gare la voiture sur un parking jonché de mégots et de bouteilles de bière vides puis coupe le moteur.
Au moment où on ouvre les portières, un cri atroce retentit de l’autre côté de la frontière.
Un cri de hyène.
Tu es toujours sûre ? je demande à R.
Allons boire un verre, répond-elle en désignant le bar miteux situé juste à côté du poste de douane.
Deux types énormes, massifs, sont attablés près de l’entrée.
L’un nous tourne le dos ; il arbore une queue de cheval aussi huilée que son Perfecto orné d’une tête de mort.
L’autre ressemble à un skin, ou un biker – ou un mélange des deux.
Regards croisés façon Western de série B et grand silence avec bruit de mouches violées.
On ressort du bar et on retourne à la voiture. Demi-tour.
On est tranquilles nulle part, dit l’un de nous deux au bout d’un quart d’heure.
Dès notre arrivée à l’hôtel, on s’aperçoit que notre chambre a été faite.
Manifestement, elle est même déjà relouée, car toutes nos affaires ont été balancées dehors en vrac.
Qu’est-ce qu’on fait de ça ? demande ma compagne.
« ?a », ce sont deux énormes peluches, grandes comme un enfant de six ou sept ans.
Un ours blanc et une lionne.
On ne peut pas les prendre, je réponds. Pas de place.
?a fait un bail qu’il n’y a plus de place nulle part pour les peluches.
Aucun de nous n’est dupe, mais elle n’insiste pas.
On entasse vite fait quelques fringues dans nos sacs, puis on remonte dans la voiture.
R. démarre, les mâchoires serrées.
Je ne sais pas où on va.
Je n’ai pas envie de le savoir. »
Alors, docteur, vous en pensez quoi ? Vous savez quoi ? En vrai, je sais où on va. On rentre à la RIM. Je la ramène. Je ramène R. Elle, elle ne le sait pas. La pauvre. J'aimerais pas être à sa place. Je crois que je l'aime.
On nous dit pas grand chose à Black Rain. C'est, parait-il, pour qu'on puisse avoir un regard neuf sur les faits. Nos chefs se chargent ensuite de faire des recoupements et de tirer des conclusions dont on ne sait jamais rien. Et là , je ne sais pas pourquoi on m'a demandé de ramener R. à la RIM. R. ne fait pas partie de Black Rain. Elle n'est ni une Mouche ni même une sensitive. Je l'aurais vu dans ce cas. Elle ne sait rien du meurtre de l'Hommonde, du multivers et de l'Entropie. R. est une actrice. Dans l'industrie du divertissement pour adulte, certes, mais une actrice quand même et... je crois que je l'aime. Est-ce pour ça qu'on m'a demandé de la ramener ? Ou alors est-ce pour ça que ces deux mastards de Black Rain (oui, je sais qu'ils en sont) étaient au bar ? Ils nous surveillaient. Ils me surveillaient. Est-ce une épreuve, un test de loyauté ? Mais oui, je vais la ramener. Et elle le sait...
Je n'ai eu droit à ce qu'on appelle dans le jargon « une rendez-vous privé » qu'une seule fois avec la Reine R. Mais je n'en garde pas un très bon souvenir car je dois reconnaître que je n'ai pas été à la hauteur. Timidité ? Ouais, peut-être... Je ne sais pas. J'ai fait le job, on va dire mais... ce n'était pas inoubliable et j'aurais même finalement préféré l'oublier.
Pourquoi je l'aime ? Pourquoi j'aime R. Je ne sais pas. Rien ne devrait me détourner de ma tâche, ma véritable Reine, les Trois Mouches et ma mission. Pourtant, R. me touche. Je n'aime pas son métier mais... je crois que j'éprouve de la compassion. Je connais un peu son passé. Je sais comment elle en est arrivée là . Elle ne se plaint pas. Elle aussi elle fait son job. Mais je sais et j'aurais aimé que les choses soient différentes pour elle. Si je devais donner dans le mélo, je dirais que j'aime son drame. Alors c'est pour ça que je l'aime, que je veille sur elle autant que possible. J'aimerais faire plus. Mais là ... j'avoue être un peu coincé.
Je suis emmerdé par cette mission. Je sais que ça ne va pas bien finir pour elle. Elle le sait aussi. Je crois qu'elle sait que je l'aime. Et je crois qu'elle comprend que je n'ai pas d'autre choix que de l'escorter jusqu'à la RIM. J'essaye de ne pas en faire des caisses, de rester sobre et efficace. Et je crois qu'elle apprécie.
Pourtant, je pourrais lui en vouloir. L'autre soir, on était encore loin de la frontière, on s'était arrêté dans un petit resto italien. On avait commandé des pâtes et plusieurs bouteilles de vin. Et elle a eu l'alcool amer. Elle a dit des choses. C'était blessant. Pas gratuit, mérité même, mais blessant. Le lendemain, elle a dit ne se rappelait de rien, qu'elle était bourrée. Mais elle s'est excusée quand même.
C'est elle qui conduit. Elle a insisté. À tout moment, elle pourrait faire demi-tour, changer de route. Le temps que je reprenne le contrôle de la situation et du véhicule... elle nous aurait peut-être planté contre un platane et ce serait certainement aussi bien pour elle. Et même pour moi... Remarque, moi je m'en fous. Si je meurs, le Joueur me fera renaître sous une autre forme. Un autre Haze, une autre Mouche... ou un Cafard, va savoir.
Mais elle va tout droit. Elle ne dévie pas de la route. Et moi, quand même, alors que je regarde défiler le paysage, j'ai la main dans la poche, serrée sur la crosse de ce flingue dont je ne sais pas s'il va me servir à la protéger contre dieu sait qui ou à lui tirer une balle dans le dos si, finalement, il lui prenait l'envie de s'enfuir.
Mais je ne pense pas qu'elle s'enfuira. Elle a tout de suite compris quand elle m'a vu débarquer. Elle a promis de me suivre sans faire d'histoire. Je la crois.
La RIM... Je ne sais pas quoi penser de ce pays. Je ne sais pas pourquoi le Joueur a choisi de me balancer là . Au moins, il aurait pu me trouver un loft luxueux de l'Ultra-Marin et au lieu de ça je me retrouve dans un studio dégueulasse au Xème étage d'un immeuble déglingo dans un Rajon pourri. Non, c'est pas juste...
En vrai, je sais pourquoi j'ai atterri là . C'est parce que ce pays est un concentré de merde. Parce qu'il y a là la plus grande décharge de toute l'Europe, voire du monde et que tout ce que la planète compte de dégueulasse finit par y arriver, exactement de la même façon que tout ce qui crève et qui est dégueulasse finit sur le tas de merde des Cafards. La RIM est un formidable terrain de jeu pour les Cafards, mais pour les autres aussi, les Soars notamment. Comme le dit la chanson « Tout ce que la ville comptait de sportif et de sain s'était donné rendez-vous là ... » Aussi, je devais forcément y être. Au plus près de la merde !
Un jour, après des heures à rouler en silence, elle a demandé « Pourquoi moi ? » En fait, elle ne me demandait pas pourquoi cette merde lui tombait dessus à elle mais pourquoi on m'avait demandé à moi de le faire. Que pouvais-je faire que personne d'autre ne pouvait faire ? « Allez au bout », je lui ai dit. Elle ne comprenait pas. Alors je lui ai expliqué. Je lui ai dit que j'étais fou parce que je pensais ne pas être réel, parce que je pensais que rien n'était vrai et que tout ça n'était qu'un jeu et que c'est pour ça que, même si je l'aimais, j'irais au bout car... le Joueur joue pour jouer et il veut connaître la fin de la partie. Un autre aurait pu renoncer, se laisser attendrir, vouloir s'enfuir. Mais pas moi car le Joueur veut connaître la fin de l'histoire. « Mais nous enfuir et vivre heureux, c'est une fin de l'histoire. Ton Joueur ne veut pas la connaître ? » elle a dit. « Le Joueur s'en fout de cette histoire. Ce qu'il veut connaître, c'est l'assassin de l'Hommonde. Il veut percer les mystères de l'Entropie et de Millevaux. Nous devons rentrer à la RIM. » j'ai dit. Elle s'est tue.
R. m'aime bien. Et parfois, elle m'aime plus que je ne m'aime moi-même. Je le lis dans ses yeux et je lui souris et elle change de regard.
Un matin, je ne sais pas pourquoi, R. s'est mise à me poser des questions. Elle voulait savoir si j'avais été marié, si j'avais des gosses quelque part. Peut-être, je lui ai dit. Techniquement, j'ai fait ce qu'il faut pour en avoir mais je ne suis pas resté pour savoir ce que ça avait donné. Peut-être qu'un jour on toquera à ma porte et qu'on m'appellera papa. Ça l'a fait rire. Et peut-être même que je suis ton père. Après tout, on sait pas. Elle n'a pas ri.
Ça y est, nous avons passé la frontière. Nous sommes rentrés à la RIM. Je sens qu'elle ne l'a pas fait consciemment mais elle a ralenti. Moi, j'ai raffermi ma prise sur la crosse de mon flingue, au cas où. Nous rentrons dans la capitale. Je lui indique les rues, où tourner et tout. Elle s'exécute. C'est le mot. Elle va certainement mourir effectivement. Et prendre très cher avant.
Nous arrivons. Une caisse de luxe aux vitres teintées est déjà là . Elle détonne dans ce décor de décharge publique. Je lui dis d'arrêter le véhicule mais de laisser tourner le moteur. Je ne sais pas pourquoi je lui demande ça. Ça pose une ambiance, un peu comme dans un film policier ou d'espionnage. Ça donne l'impression qu'il va peut-être falloir filer en vitesse, qu'elle sera peut-être sauvée au dernier moment.
Nous sortons de la bagnole. On s'approche de la caisse aux vitres noires. Le chauffeur, un type énorme, vient à notre rencontre. Il se fige et nous toise du regard. Il fait un signe de tête et je demande doucement à R. d'avancer. Elle s'exécute. J'ai les mains moites. Le type la saisit par le bras sans aucune délicatesse. Je ne bouge pas. Il la traîne jusqu'à sa bagnole. Il ouvre la portière arrière et la jette à l'intérieur. Je distingue une silhouette massive. C'est un Soar, hein ? ROHUM me dit que oui.
Je n'attends pas qu'il se tire. Je me retourne et monte dans la bagnole. Le moteur tourne toujours. Je réfléchis quelques instants. Black Rain a forcément une bonne raison. Forcément. Mais là , je vois pas laquelle.
Je desserre le frein à main, enclenche la 1ère vitesse et retourne dans mon rajon dégueulasse. Je crois savoir pourquoi le Joueur a choisi ce studio pourri plutôt qu'un loft luxueux. C'est parce que je suis une Mouche, une Mouche à merde... une mouche de merde... et un Cafard ?
« Je suis embêté docteur. Black Rain m'a refilé une mission bizarre et je ne comprends pas trop pourquoi. Je ne sais pas si vous vous rappelez cette affaire du 10ème Rajon en 2011. Ouais, ça date. Et si vous ne vous souvenez de rien, c'est normal. Ce n'est pas que l'affaire a été étouffée. On ne sait pas trop en fait. Elle est juste tombée dans l'oubli, réduite à l'état de mème viral dans les profondeurs du web.
Bref, pour la faire courte, une bande de jeunes avaient kidnappé des gamins en bas âge. Ils les avaient retenu prisonniers dans un appart sordide. Ils les avaient torturés et finis par les abattre. Mais c'est pas le plus important. Le plus important, ou plutôt ce qui intéresse Black Rain, c'est que ces jeunes se sont suicidés en utilisant une technologie venue d'on ne sait où pour se connecter à leurs victimes et ressentir ce qu'ils étaient en train de leur infliger.
Je sais pas si je suis clair docteur. Ces jeunes s'étaient connectés à leurs victimes pour ressentir les tortures qu'ils leur infligeaient et en mourir avec eux. Sauf que Black Rain veut savoir qui leur a fourni cette technologie. Et moi, ce que je voudrais savoir, c'est pourquoi Black Rain ne s'y intéresse que maintenant !
Et puis, comment ça se fait que cette affaire est tombée aussi vite dans l'oubli pour devenir une sorte de légende urbaine ? Est-ce le fait des pourvoyeurs de cette technologie ? Black rain ne m'a rien dit mais je pense qu'ils pensent que ce sont des gars d'un autre monde qui ont fourgué leur matos à ces jeunes pour le tester en situation réelle. Et une fois le test concluant, ils ont fait en sorte d'effacer toutes traces mais... On est là  !
L'autre problème, c'est que je n'ai aucune piste. Le journaliste qui avait rapporté l'affaire à l'époque est tellement introuvable que je ne suis même pas parvenu à savoir s'il était encore en vie. Ma seule piste, c'est ce rêve, docteur... »
À moto. Je conduis. J’ai un passager. Un militaire.
Il arbore des dizaines de décorations – et une énorme moustache.
On dirait un sapin de Noël – ou une drag-queen.
Il s’accroche à moi, les mains plaquées sur mes hanches.
Alles unter Kontrolle, je lui dis.
Quoi ? il gueule en commençant à gesticuler.
Tout est sous contrôle, je répète.
Aussitôt, le type se calme.
On attaque une descente. Quasiment à pic.
?a va très très vite. Plus de 250 km/h.
Je suis serein. Alles unter Kontrolle.
J’enchaîne avec un virage. Je décélère à peine.
Je ne sens plus les mains du militaire autour de ma taille.
Une ville se profile. Je ralentis – un peu.
J’aperçois une épicerie à l’angle d’une rue en pente.
L’endroit me rappelle quelque chose.
Sur la vitrine est écrit le mot « Delikatessen », en lettres gothiques.
Je coupe le moteur, et me gare devant la boutique.
En descendant de la moto, je réalise que le militaire a disparu.
En revanche, ma compagne est à mes côtés, comme sortie de nulle part.
Quatre personnes sont allongées sur les marches à côté de l’épicerie.
Trois filles et un garçon. Je les reconnais.
Je me dirige vers eux. On commence à discuter.
Je leur demande des nouvelles du quartier.
Alors, quoi de neuf, depuis que je suis parti ? ce genre de connerie.
Les trois filles m’envoient un regard vitreux, comme si elles ne m’avaient jamais vu.
Le gars, en revanche, a les yeux qui pétillent.
Ils n’ont pas dû prendre les mêmes drogues.
Ils commencent à se désaper.
Deux des filles s’embrassent ; la troisième se caresse.
J’ai l’impression qu’on est là depuis des heures.
Comme si la scène se déroulait au ralenti.
Soudain, ma compagne brise le silence.
On va peut-être y aller, mon amour ? elle demande.
Tu sais que Caspar rentre le 29 ; on pourrait aller le voir.
Bonne idée, ma belle, je lui réponds.
On est le 26 et je ne connais aucun Caspar.
Tout ça est absurde et j’en ai conscience, mais on s’en fout.
On s’éloigne. Les quatre ne nous calculent pas.
Ils ont déjà commencé à se mélanger.
On n’existe plus pour eux.
Peut-être même qu’on n’existe plus du tout.
Je ne connais aucun Caspar, docteur. Et on est le 26. Alors, je fais quoi ?
Une fois dehors, je constate que mon humeur est maussade. Tout l'inverse du temps. Dommage, ou pas. Je ne sais pas. Mais je n'ai pas l'occasion de rester très longtemps perdu dans mes pensées car je suis... suivi ! Et elle est plutôt pas mal foutue. Ce n'est pas la « compagne » de mon rêve, enfin... du rêve d'Anton puisque mes rêves sont en réalité les siens !, mais elle lui ressemble. Il ne lui manque que le sourire...
Je fais encore quelques pas et me retourne brusquement. Je mets en évidence le poing que je serres dans ma poche pour qu'elle comprenne que je suis armé. C'est pas du bluff. Je suis vraiment armé. Mais je vais pas sortir mon flingue en pleine rue quand même.
« C'est à quel sujet ?
J'ai le cœur brisé.
Pas par moi. En quoi ça me concerne ?
Vous aimez les motos ?
Hein ?
Vous aimez les mots ?
Les mots ou les motos ?
Les mots !
Je... euh... oui... Au fait, vous êtes ?
Bourgeon, Lyre, Histoire. »
Et elle s'éloigne à reculons. L'espace d'un instant, j'ai envie de la retenir. J'ai envie de la saisir violemment par le bras, la traîner jusque dans mon studio miteux pour l'attacher à une chaise et lui faire avouer tout ce qu'elle sait. Mais quelque chose en moi me dit que sa mission est terminée et qu'en vérité elle n'en sait pas plus. Appartient-elle à Black Rain ? Est-elle en mission pour une autre organisation ? Est-ce juste une pute à qui on a donné quelques ? juste pour m'accoster et prononcer ces trois mots ?
J'ai envie de pisser et de boire un café. Je ne peux pas faire les deux en même temps. Je vais d'abord pisser. Ça m'aidera à réfléchir car, pour l'instant, je ne pense qu'aux initiales que forment ces trois mots et ça donne BHL et c'est juste insupportable !
A la fenêtre de mon studio avec vue sur la Zona, je remplis de café la vessie que je viens de vider. Et je réfléchis à ce qu'a dit cette femme. Motos et mots ? Ai-je mal entendu ou cela a-t-il du sens ? Si j'aime les mots... les motos... et si je chevauchais les mots comme une moto. Ou si je m'en servais pour voyager à ... 250 km/h. Les mots sont un moyen de locomotion mais pour aller où ? Dans d'autres mondes ? Lyre ? Un instrument de musique. L'ire, la colère. Lire... des mots, des Histoires. Et le bourgeons ? La feuille ou la fleur en devenir... Un végétal en tout cas. Cela me fait penser à Millevaux, la Forêt Maudite, la Forêt Verticale, le Titan-Millevaux à la fois avatar et domaine de Shub-Niggurath, la maladie, le vecteur de l'Entropie.
Les mots sont mes alliés dans cette histoire. Ils vont me faire voyager à plus de 250 km/h et me permettre de vaincre la menace végétale ! Les mots comme moyen de locomotion... Un rituel ? De la magie ? Un voyage astral ? Si pour résoudre cette affaire je dois aller dans un autre monde, soit je dois en trouver les coordonnées dans les dossiers de Black Rain, soit je dois trouver une rune Hshl et un passage y menant. Mais comment savoir de quel monde chercher les coordonnées ? Millevaux, c'est bien beau, mais cette peste a déjà contaminé tant de mondes. Lequel est celui que je cherche ?
Le Voyeur ! C'est à lui que je dois m'adresser. Son vrai nom, c'est Angel Corso. Il est médecin légiste pour Black Rain mais pas que... Il est aussi mort et... vivant. Et il a passé pas mal de temps à charrier des ordures sur le tas de merdes des Cafards. Là , il a appris des trucs. Notamment des trucs concernant le mythe de Mantorok.
Ce mythe veut que trois entités – auxquelles correspondraient trois univers reflets les uns des autres – s'affrontent sous l'arbitrage de Mantorok, le Gardien. Ces 3 entités doivent finir par s’entre-tuer. Cela suppose soit une fusion des trois univers dans une sorte de paradis retrouvé sous la houlette de Mantorok, soit la destruction de tous les univers. Les trois divinités auraient enchaîné Mantorok pour pouvoir se faire la guerre. Il s'agirait de Chattur'Gha, symbole de la force brute, Ulyaoth, symbole de la magie et de la spiritualité, et de Xel'lolath, la folie.
Il existe des runes qui, selon la façon dont on les combine, permettent de faire des choses... magiques. Et Corso en possède quelques unes lui permettant d'invoquer une espèce de petit scorpion à trois pattes. Ce petit monstre n'est visiblement pas fait pour vivre chez nous car il explose généralement au bout de quelques instants. Mais, tout ce qui est pris dans l'aire d'explosion se retrouve téléporté pour un temps dans ce que Corso a appelé la Dimension du Voyeur. Il décrit ça comme une espèce de dimension intermédiaire entre d'autres dimensions. Vous voyez ces châteaux avec tout un réseau de couloirs secrets permettant d'espionner les gens à travers un miroir sans tain ou une peinture percée. La Dimension du Voyeur, c'est ça. Ça permet de voir les autres dimensions, de les espionner.
Avec l'aide de Corso, je devrais pouvoir trouver dans quel monde je dois me rendre pour en savoir plus. Par contre, je ne dois pas traîner. On est le 26 et Caspar arrive le 29 !
On est sensé être le 27 mais là ... je n'ai aucune idée de où et quand je suis. Corso a utilisé ses runes. Le petit scorpion à trois pattes est apparu et à explosé au bout de quelques instants. Je me suis retrouvé dans l'aire d'explosion puis... ici, dans le noir et le blanc.
Une chansonnette se fait entendre. Je ne sais pas d'où elle vient. Je suis seul ici. Mais je me rappelle que les mots sont mes amis, mon véhicule.
« Je suis censé l'aimer ?
Celui-là serait mon ami ?
J'exercerais la profession de médecin ?
Impossible !
Qui a falsifié mon journal intime ? »
Un ami ? S'agit-il de Corso ? Est-ce que je l'aime ? Oui... enfin, dans les limites du raisonnable. Est-ce à dire que je dois lui faire confiance ? Mais je lui fais déjà confiance. Est-ce une mise en garde ? Va-t-il m'arriver quelque chose ici qui pourrait me faire douter, me faire penser qu'il m'a tendu un piège ? Et puis quoi ? Moi, médecin ? Non ! Je ne suis pas médecin. Je consulte oui mais... à moins que... ma mission ferait de moi un médecin. Résoudre cette énigme guérirait quelqu'un ou quelque chose ? Et pourquoi parler de mon journal intime ? Je ne tiens pas de journal intime ! Mais un tel journal, c'est une mémoire, non ? Qui a falsifié ma mémoire ? On a falsifié ma mémoire ? Je ne m'en rappelle pas. Devrais-je tenir un journal ?
La chansonnette s'éteint. Je quitte mes pensées et regarde autour de moi. Les couleurs sont étranges, essentiellement du noir et du blanc. Si j'en crois les nuances, c'est le crépuscule... ou l'aube. Mais tout est inversé, comme en négatif. Il fait chaud mais c'est une chaleur étrange, bizarre. Étouffante mais pas désagréable. Un craquement retentit et il se met à pleuvoir. Une pluie noire. Là , j'ai peur. Ce monde est-il souillé par l'Entropie ? C'est alors que je prends conscience que je me trouve dans une forêt, où toutes les couleurs sont des nuances de noir et blanc inversées. La Dimension du Voyeur serait une sorte de négatif du notre, ou d'un autre ? Lequel ? Un monde rongé par l'Entropie ? Corso ne m'avait pas prévenu. Pourtant, il semblerait que je doive continuer à lui faire confiance.
Je respire un grand coup et fait un premier pas. Je ne sais pas pourquoi mais l'espace d'un instant j'ai eu peur de ne pas pouvoir bouger, d'être paralysé et de me briser les os en voulant esquisser le moindre mouvement. D'où me vient cette appréhension ? « Qui a falsifié mon journal intime ? »
J'avance entre les troncs d'arbres. J'explore ce monde végétal. Cette forêt. Et je pense à Millevaux. Le bourgeon, la végétation qui se développe, grandit et envahit tout comme elle a envahi les ruines que j'aperçois maintenant. Ces pans de murs sont d'un blanc éclatant. Il reste encore quelques grilles faisant penser que cet endroit a pu être une prison. Est-ce dans l'une des cellules que je trouverais ce que je cherche, une fenêtre vers le monde d'où provient cette technologie que veut récupérer Black Rain ? Non ! Pas une cellule, le poste de surveillance ! Dans une prison, il y a un poste de surveillance, un endroit avec des écrans permettant de tout voir ! C'est là que je dois me rendre. Cet endroit existe encore. Je le sens. Et même si de toute évidence plus rien ne fonctionne ici, je trouverai la réponse à ma question. J'ai confiance en Corso. S'il m'affirme que je trouverai une fenêtre vers un autre monde dans cette Dimension du Voyeur, c'est que c'est vrai !
J'erre dans ces ruines beaucoup moins longtemps que je ne le craignais. Je trouve ce qui a été un poste de contrôle. Il y a plusieurs écrans de surveillance, tous brisés. Rien ne laisse penser qu'il y a la moindre chance de les faire fonctionner. Pourtant, du fond de ma mémoire falsifiée (pourquoi en suis-je à ce point convaincu ?) je sais qu'il y a un moyen de voir à travers ces éclats de verre brisé. Mais, je sais aussi que je dois faire marche arrière. La solution est là , sous mes yeux, presque. Mais nous ne sommes pas encore le 29 ! Je pourrais invoquer les Yeux, le Kraken ou la Feuille mais ce n'est pas le moment. Je suis venu chercher une fenêtre vers un autre monde mais c'est autre chose que je vais ramener avec moi. Je vais ramener cette démangeaison. Ce truc qui me gratte au niveau du bras. Cette... moisissure, ce champignon brun et bleuâtre qui s'est taillé la route sous ma peau. Il bouge, il se développe, il grandit. Il bourgeonne... et forme un mot.
« Crépuscule ! »
C'est le crépuscule, déjà  ? Une nuit et une journée entière se seraient donc écoulées ? Peut-être... et je dois rentrer maintenant.
Et je me retrouve à mon point de départ. Corso est à côté de moi. Je ne saisis pas l'expression de son visage. À quoi pense-t-il ? A-t-il vu mon bras et le champignon ? Je cache mon bras derrière mon dos comme un gamin qu'on aurait pris en flagrant délit de dieu sait quoi. Il me demande si j'ai trouvé là -bas ce que je cherchais mais je vois bien qu'il n'attend pas vraiment de réponse. Alors, je me borne à lui affirmer que je lui fais confiance et je m'en vais.
Une fois dehors, je ne peux quand même m'empêcher de me demander si ma confiance est vraiment bien placée...
On est le 27. Deux jours avant l'arrivée de ce fameux Caspar dont je ne sais rien. Et je ne sais toujours rien non plus concernant cette fameuse technologie d'un autre monde. Mes seules pistes sont des rumeurs sur le web et un rêve qui n'est même pas le mien. « Qui a falsifié mon journal intime ? » Qui suis-je? C'est dans ces moments là que j'aurais besoin du docteur M. car c'est dans ces moments là que j'ai conscience de n'être qu'un personnage de fiction, le personnage d'un jeu, l'avatar du Joueur. Je ne suis pas moi-même car je n'existe pas. « On n’existe plus pour eux. Peut-être même qu’on n’existe plus du tout. » Rien de tout cela n'est vrai, sauf les mots. Les mots sont mon allié. Ils sont mon véhicule. La moto qui va propulser à plus de 250 km/h vers...
… le cyber café le plus proche ! Je me connecte et explore les recoins les plus sombres du web à la recherche d'infos concernant cette vieille histoire. Mon bras me gratte. Ça me fait faire des fautes de frappe et je tombe là -dessus :
« …la vermine et les oiseaux morts jonchent les rues du centre-ville... »
Qu'est-ce que ça veut dire ? Et surtout, qu'est-ce que ça fiche là  ? Quel est le rapport entre cette rumeur et mon affaire ? Cette histoire ne date pas d'hier. En fait, elle a été postée quelques jours à peine après que la vidéo des jeunes bourreaux ait été mise en ligne. J'ai beau chercher, il n'y aucune image en ligne. Et pour ce que j'en apprends, ça n'a même pas eu lieu dans le même Rajon. Pourtant, je vérifie et ce lien n'est pas apparu entièrement par hasard. Certes, il y a eu une faute de frappe mais pas à ce point là . Ces deux faits sont liés. Comment ? Ou... qui ? Évidemment, il n'y aucun nom.
Je rentre chez moi. J'ai besoin d'un café. Sur le trajet, je me dis que je devrais passer par les locaux de Black Rain et jeter un œil aux vieux dossiers. Et je suis de nouveau suivi. J’accélère le pas sans pour autant me mettre à courir. J'espère arriver au bureau avant qu'ils ne me rattrapent. Ce sont maintenant cinq types plutôt costauds qui sont à mes trousses. S'ils me chopent, quoi qu'ils me veulent, je suis mal.
Ce n'est qu'une fois au bureau que je me rends compte que j'avais arrêté de respirer. Je donne des consignes à l'accueil, ainsi que le signalement de ces types. Qui sont-ils ? Pour qui bossent-ils ? Et qu'ont-il après moi ?
Finalement, j'ai de la chance. Leurs têtes sont connues. Ce sont des hommes de main au service des Soars. Les Soars, ceux-là même à qui j'ai remis la Reine de mon cœur au regard nonpareil...
Jusqu'à présent, je pensais que la technologie utilisée par ces gosses était issue d'un autre monde et liée à Millevaux mais... et si je m'étais trompé ? Et si cette technologie n'était pas liée à Millevaux mais aux Soars ? Eux aussi voyagent entre les mondes. Peut-être ne dois-je pas me focaliser sur la forêt et au contraire explorer la piste Soar. D'une manière ou d'une autre, ils sont liés à cette affaire et ont appris que j'étais sur le coup.
J'acquiers la définitive certitude que je tiens quelque chose quand mes recherches sur les PCs du bureau se soldent par un crash du système. Je crois comprendre qu'il va falloir un moment aux gars de la maintenance informatique pour tout remettre en état. Certains prient déjà pour ne pas avoir perdu de données importantes. Je vais me faire passer un sacré savon mais, l'air de rien, je tiens enfin un début de piste.
Les mots sont mes alliés alors je pose des mots sur un bout de papier :
-Millevaux : pour l'instant, rien de concret, si ce n'est ce truc au bras qui me gratte par intermittence et change de forme.
-les Soars : ils ont appris que j'enquêtais sur cette affaire. Ils m'ont fait suivre et il est plus que probable qu'il soit à l'origine du crash-système issue de mes recherches. Je ne suis sûr de rien mais il est très probable que j'ai activé un truc, un logiciel ou un virus installé là depuis 2011.
-cette Technologie issue d'un autre monde ne vient peut-être pas de Millevaux. Elle aurait peut-être même été introduite par les Soars qui l'auraient refilée à ces gamins en vue d'un test en grandeur nature.
-la Vermine et les Oiseaux morts : je ne sais pas en quoi c'est lié à mon affaire mais il y a un lien. Et si c'était dû à une technologie d'un autre monde ? Mais quel monde pourrait mettre au point des trucs pareils ? On a d'un côté quelque chose qui vous fait ressentir ce que vous infligez à quelqu'un d'autre et de l'autre un truc qui ferait mourir les oiseaux en masse. Dans les deux cas, ça peut faire des dégâts.
Bon, l'air de rien l'heure tourne. Il va bien falloir que je ressorte et... les cinq gars sont toujours là . Ils sont sacrément confiants car ils ne font même pas l'effort de se planquer. Ils m'attendent. Si je les affronte, je vais juste me faire défoncer. Je peux aussi voir si le chef ne m'en veut pas trop pour le système informatique et veut bien envoyer quelques gros bras aussi.
Le chef ne l'admettra pas mais il veut en savoir plus lui aussi. Alors, oui, il me passe un savon mais accepte ma requête. Évidemment, il me jure qu'après ça j'ai intérêt à ne plus rien lui demander avant d'avoir ramené du concret et blablabla. Mais bon, il décroche son téléphone et j'espère vraiment que nos gars vont flanquer la pâtée à ceux qui m'attendent car sinon... je vais prendre très cher.
Avec le chef, on observe la scène à travers la fenêtre de son bureau. Nos gars sont plutôt rapides et discrets. Ils abordent les hommes des Soars comme si de rien était. Nous, on sait qu'ils leur ont bien fait comprendre qu'ils étaient armés et qu'il valait mieux obéir sans discuter. Et les gars ne discutent pas. Mais ça n'empêche pas l'opération de partir en sucette. Au moins, personne n'a eu à sortir son arme en public. Pourtant, il y a quand même eu une bonne bagarre sur le trottoir d'en face. Et on peut dire que nos gars l'ont suffisamment emporté pour faire fuir les autres. J'aurais aimé qu'ils en ramènent au moins un, histoire de le faire parler. Mais d'une certaine façon, ils ont mieux que ça. Ils ont un nom. L'un des gars, dans leur fuite, a mentionné un certain Lewis-Maria. Et lui, il est bien connu de nos services. C'est un Cafard ! Mais pas n'importe lequel. Ce n'est pas un agent du Tas de Merde. Il est en free lance. Il serait même plus juste de dire qu'il mène sa petite vie tranquille en essayant de mener ses petites affaires le plus discrètement possible. Il ne souhaite pas du tout attirer l'attention de ses anciens chefs qui lui feraient certainement regretter son petit hobby. Lewis-Maria aime les « animaux ». Il aime les zoos. Alors, il a monté son propre petit zoo personnel ici, quelque part, à Mertvecgorod. On ne sait pas vraiment où, mais on sait qu'il retient captifs plusieurs personnes, peut-être plusieurs dizaines même. Certaines sont même portées disparues depuis plusieurs années. En tout cas, le Cafard a l'air de rouler pour les Soars sur ce coup là . Il va falloir que je le trouve. Et d'autant plus vite que, l'espace d'un instant, je me surprends à craindre que la Reine n'est fini dans une cage de son zoo. Si le Cafard possède quelque chose que les Soars veulent, il peut leur avoir donné en échange de la Reine, pensionnaire de choix pour son zoo s'il en est. Mais alors, pourquoi Black Rain m'a demandé de remettre la Reine aux Soars ? Nos chefs savent des choses qu'on ne sait pas... Mais si la Reine est bien captive du Cafard, je ne suis pas loin de penser que Black Rain aurait fait en sorte de manigancer tout ça pour parvenir à des fins que j'ai bien du mal à comprendre.
Il me faut un plan d'action. Ou au moins un but. Et ce but, c'est de trouver Lewis-Maria, trouver sa planque et savoir ce que les Soars lui veulent. Et s'il retient bien la Reine... et bien, je la sauverais et je serais un vrai héros !
On est le 28 et Caspar rentre... demain ! J'ai une journée, peut-être deux, pour trouver la planque de Lewis-Maria et savoir s'il détient vraiment ma Reine captive. Cette perspective me fait grave psychoter quant aux intentions de Black Rain. Est-il possible qu'on m'ait contraint à la remettre aux Soars juste pour me « motiver » à trouver le Cafard et l'origine de cette technologie alien ou xeno-quelque chose (je ne sais même pas comment on appelle une technologie venue d'ailleurs, extra-dimensionnelle ?). Nos chefs sont-ils tordus à ce point ?
Ici, ce qui se rapproche le plus du tas de merde des Cafards, c'est la Zona. La question est alors de savoir si Lewis-Maria a voulu s'en éloigner au possible ou si, au contraire, mû par un quelconque atavisme ou juste la volonté de garder ses traqueurs sous surveillance il s'est installé à proximité. Après tout, autant commencer par-là et voir ce que ça donne.
D'après la page Wikipédia qui lui est consacrée, la RIM « tire ses principales ressources de la gestion et du recyclage des déchets internationaux, y compris biologiques et nucléaires. Une grande part de cette économie est souterraine.
[…] Le trafic d'organes, aux mains du crime organisé, constitue une autre source importante de richesses. [...] »
La vue imprenable de mon studio sur la Zona me permet d'affirmer d'une part que cette économie de l'ordure n'a rien de souterrain ! Et d'autre part, les rumeurs concernant Lewis-Maria attestent qu'on ne trafique pas que des bouts d'humains mais aussi des humains entiers.
C'est en repassant par chez moi que j'ai eu la joie de constater que mon appart’ avait été savamment mis à sac. Évidemment, on m'a pris tout ce qui pouvait avoir un semblant de valeur mais je reste convaincu que les Soars sont derrière ça. D'ailleurs, ce n'est pas par hasard que certains dossiers, heureusement sans réelle importance, ont disparu. Je suis malin et tout ce qui concerne l'affaire en cours et tout ce que je peux savoir concernant le Joueur et la « vraie » réalité sont... ailleurs. Dans ma tête ? Dans les notes du docteur Mugwump ? Dans ces journaux intimes que je n'ai pas écrits mais qui ont pourtant été falsifiés ? Bref, je remettrai de l'ordre dans cette pièce plus tard. Avant ou après avoir remis de l'ordre dans mes idées et dans ma tête.
Je descends. Je me balade aux alentours de la Zona. Je ne m'étais jamais posé la question de savoir si le Cafard pouvait s'être installé dans le coin. Mais si c'est le cas, peut-être que certains le savent. Et alors, il me suffirait d'un peu de chance ou d'un coup de pouce du destin. Et puis, les hommes de mains des Soars sont peut-être toujours dans le coin...
Bon, c'est le moment de se rappeler que tout ça n'est qu'un jeu et que rien de ce qui va arriver n'est vraiment réel. Chaque jeu a ses règles. Dans les règles que le Joueur utilise, un « pouvoir » lui/me permet d'être « au bon endroit, au bon moment » mais il/je ne l'a/ai pas utilisé, préférant le garder pour plus tard. Dommage ! Car à l'instant, alors que je posais innocemment quelques questions pour savoir si quelqu'un avait vu dans le coin quoi que ce soit qui puisse me laisser penser que le Cafard créchait par-là , ce sont les hommes de mains des Soars qui me tombent dessus et... je vais certainement prendre très cher. À ce stade, ça ne sert à rien de faire dans la dentelle. Je sors mon flingue et tire le premier.
OK ! J'aurais pu m'en tirer si j'avais eu un peu de chance mais les dés en ont décidé autrement. C'était pas loin de passer pourtant. Mais ça reste quand même un fail intégral. Je suis KO ! À peine conscient. Et maintenant, que vont-ils faire de moi ? Me laisser là  ? M'achever ? Me conduire quelque part ? Oh putain ! Je n'aurais pas dû mettre « achever » dans les options car maintenant... ça peut vraiment arriver !
Mais finalement j'ai du bol car ils m'abandonnent là . Ils doivent penser que j'ai eu mon compte, que le message était clair et que je vais en rester là . Erreur ! Je rampe jusqu'à chez moi. Je compte bien m'accorder une bonne nuit de repos et voir demain si je peux reprendre mes investigations.
Je me réveille une dizaine d'heures plus tard. Je me sens à peine mieux. Toujours crevé et des courbatures partout. Je suis couvert d'hématomes. Niveau coloris, c'est dans le même ton que cette mycose bizarre qui me court le long du bras.
On est le 29. C'est aujourd'hui que Caspar doit rentrer.
Soyons lucide, je suis loin d'avoir récupéré de ma raclée d'hier. Pourtant, je dois sortir. Je dois poursuivre mon enquête. Surtout que nous sommes le 29. Ce Caspar doit rentrer et j'ai un très mauvais pressentiment. Une fois dehors, je me surprends à me retourner tous les trois pas. Partout, je cherche un signe comme quoi je serais suivi, comme quoi les types d'hier seraient là pour la deuxième couche. Mais non...
Je cherche toujours à savoir si Lewis-Maria a sa planque du côté de la Zona ou si je vais devoir chercher ailleurs mais, soyons lucide là encore, je n'ai aucune piste. Alors... « au bon endroit, au bon moment », c'est maintenant ! Et c'est cette femme, là . Elle n'a pas l'air d'aller très bien. Elle a tout de la travailleuse occasionnelle et, dans le quartier, ça en dit long sur le secteur d'activité. Pourtant, je le sais, c'est elle. La bonne personne au bon endroit au bon moment. Je l'aborde.
Elle a le regard flou. Elle est au moins moitié défoncée mais j'ai l'impression que ce n'est pas de son fait. Je lui prends le bras aussi délicatement que possible pour lui faire faire quelques pas, tranquillement, mais aussi pour vérifier l'état de son coude. Je ne vois aucune trace de piqûre, ce qui en soi ne veut rien dire. Il y a tellement de moyens de camer quelqu'un contre son gré. Elle me suit et marmonne :
« On m'a trompé... on m'a trompé... »
Elle est trop fracassée pour pouvoir répondre à mes questions mais j'ai ROHUM. Grâce à ce pouvoir, je peux lire ses pensées, aussi fracturées soient-elles par ce qu'on lui a fait gober. Je vois une cellule, une porte en acier avec un gros judas. Je vois un couloir, comme celui d'un appartement pourri dans un immeuble tout aussi pourri. Un peu comme le mien. Non ? Quand même pas ? Et pourtant si ! Cette femme est sortie de mon immeuble. Mais pas par le hall d'entrée. J'apprends l'existence d'un réseau de passages secrets dans mon propre immeuble menant à un étage dont je ne connaissais pas l'existence. Et cet étage, c'est là que crèche Lewis-Maria. Le Cafard pouvait difficilement être plus près de la Zona. Et si, comme je le crains, il retient ma Reine captive, ça veut dire qu'elle est finalement plus près de moi que je ne l'espérais.
Mes pas nous mènent devant la devanture d'un Delikatessen. Sur le trottoir, deux filles et un garçon. Je regarde celle que je tiens par le bras. Le plus délicatement que je peux, je l'installe à côté des autres et regarde le tableau et...
Je leur demande des nouvelles du quartier.
Alors, quoi de neuf, depuis que je suis parti ? ce genre de connerie.
Les trois filles m’envoient un regard vitreux, comme si elles ne m’avaient jamais vu.
Le gars, en revanche, a les yeux qui pétillent.
Ils n’ont pas dû prendre les mêmes drogues.
Ils commencent à se désaper.
Deux des filles s’embrassent ; la troisième se caresse.
J’ai l’impression qu’on est là depuis des heures.
Comme si la scène se déroulait au ralenti.
Soudain, ma compagne brise le silence.
On va peut-être y aller, mon amour ? elle demande.
Tu sais que Caspar rentre le 29 ; on pourrait aller le voir.
Bonne idée, ma belle, je lui réponds.
Je me retourne subitement pour faire face à ma compagne mais... il n'y a personne. Je suis seul face à ces quatre jeunes camés. Bon, j'ai ma piste. Pas la peine de traîner.
Je ne sais pas trop comment cette fille a pu quitter sa cellule. On dirait que la porte s'est ouverte à cause d'un court-circuit. Cela ne fait pas longtemps qu'elle est dehors et avec un peu de chance le problème n'a pas été résolu. Il est donc possible que je puisse m'introduire chez Lewis-Maria sans trop de difficulté. J'espère...
Et j'espère aussi que Caspar ne m'attend pas là -bas.
Mon bras me gratte. Je relève ma manche. Entre les hématomes, ma mycose a écrit : « Crépuscule. » Putain, clair que ça m'aide ça ! À moins que cela ne veuille dire que quelque chose va se passer à ce moment-là de la journée et qu'il vaudrait mieux que j'en ai fini avec tout ça. Mais j'ai encore du temps devant moi, non ? En vrai, il ne m'en reste pas tant que ça. J'accélère.
Mon bras me gratte encore. Là , c'est franchement désagréable. Je relève encore ma manche et lis que Lewis-Maria appartient à un culte secret dont les membres sont solidaires face à quelque chose. Est-ce que ce culte inclut les Soars ? Oui, me répond la mycose (l'ami cause...) mais ce sont des Soars dissidents, des rebelles. Et ils font face à quoi ? Là , évidemment, elle ne sait pas !
J'arrive au local poubelle de mon immeuble. C'est par-là que la fille s'est enfuie. Je cherche mais ne trouve pas l'accès. Pire que ça, si j'étais Spiderman, c'est mon sens d'araignée qui serait en train de hurler. Là , ce n'est que mon intuition. Mais quelque chose craint vraiment. Je regarde autour de moi. Le local est vide. Je suis seul. Alors, pourquoi je suis fébrile tout à coup ? Je regarde mon bras. Il est écrit « Courage » en lettres moisies. Du courage, mais pourquoi ?
Le crépuscule, cette période qui précède la nuit noire. La Nuit Noire ! La fin ! Et je pense à ce roman avec ce tueur barjo disciple d'Antéros ! C'est ça le crépuscule ! C'est pas la fin de cette putain de journée. C'est ma fin à moi, signifiée par l'arrivée d'un barjo disciple d'Antéros ! C'est ça ? Je regarde mon bras. Rien ! Évidemment !
Je laisse tomber le Cafard, pour l'instant, et quitte le local poubelle en courant. On est le 29 et Caspar doit rentrer. C'est Caspar l'envoyé d'Antéros ! Mais qui l'a envoyé à mes basques ? Et pourquoi ? Et où aller pour être en sécurité ? Le bureau de Black Rain !
Putain ! C'est toujours quand on a besoin d'un taxi qu'il n'y en a pas ! Je fonce dans le métro. C'est pas normal ! Il n'y a personne. C'est impossible que les quais soient déserts à cette heure-ci. Caspar est donc déjà là et il m'attend quelque part. Je m'engouffre dans la première rame qui se présente. Elle est vide elle aussi et je réalise que j'ai certainement fait une énorme connerie. Le métro s'enfonce dans le noir, dans la Nuit Noire. L'éclairage fonctionne correctement dans le wagon. Pourtant, la luminosité décroît peu à peu. Le wagon est vide mais je sens une présence. La Vision m'informe de la présence d'un Soar invisible. Je feins de ne pas l'avoir vu. Il a l'air calme. Il m'observe. Je quitte la rame dès que possible. Ce quai là est également désert. J'ai l'impression d'être dans un niveau de Silent Hill 3 et je m'attends à voir débarquer des monstres à tout moment. Je n'ai aucune idée d'où je suis. Je regarde l'heure. C'est le crépuscule, le vrai, l'officiel. Et il y a un homme. Caspar !
Je me fige. Comme un herbivore, j'espère qu'il ne m'a pas vu. Conneries ! Il m'a très bien vu mais il ne bouge pas. Je sens que quelque chose de terrible va m'arriver alors je consacre ces derniers instants, mes derniers instants à mettre un peu d'ordre dans mes pensées.
Black Rain m'a demandé de remettre la Reine à des Soars. Je pense qu'ils l'ont remise à Lewis-Maria en échange de l'accès à un de ses pensionnaires venant du monde où ces Soars ont trouvé cette technologie, celle utilisée par les gamins en 2011, que veut récupérer Black Rain. Je pense que ces Soars et Lewis-Maria font partie d'une organisation secrète devant faire face à quelque chose, une menace. Et cette menace, je suis en train de me demander si je ne suis pas en train de lui faire face. Et si c'était pour s'en assurer que ce Soar invisible me surveillait tout à l'heure ? Et si cette menace était liée à Antéros ? Et c'est quoi ce type ? C'est quoi Caspar ? Et je comprends quand je le vois se mettre à bourdonner. Je vois se tordre subitement de douleur, pris de convulsions. Et je comprends ce que le Joueur sait depuis le début mais qu'il m'a caché. Il ne savait pas que Caspar était lié à Antéros. Non ! Ça, il vient de l'apprendre en même temps que moi. Mais il savait que Caspar est un Were-World, un monde-garou ! Ce type va se transformer en un monde, en une réalité qui va m'aspirer comme un trou noir et je n'ai aucune idée de là où je vais me retrouver ! Autour de moi, la réalité s'effrite par couches successives, comme un vieux papier peint qu'on arrache. Et dessous, c'est toujours le même motif qui se répète invariablement. Et j'entends ces mots :
« La reine de mon cœur au regard non pareil,
Qui riait avec eux de ma sombre détresse
Et leur versait parfois quelque sale caresse. »
Et alors, je me dis qu'elle ne m'a peut-être finalement jamais aimé. Et j'ai envie de chialer. Et la Nuit devient Noire…
Commentaires de Thomas :
A. Un compte-rendu très littéraire, c'est cool, je trouve ça vraiment bien écrit et évocateur.
B. « Millevaux, c'est bien beau, mais cette peste a déjà contaminé tant de mondes. Lequel est celui que je cherche ?" On acte que Millevaux s'est déjà bien répandu dans le multivers. C'est cool.
C. "Vous voyez ces châteaux avec tout un réseau de couloirs secrets permettant d'espionner les gens à travers un miroir sans tain ou une peinture percée. La Dimension du Voyeur, c'est ça. Ça permet de voir les autres dimensions, de les espionner. " :
ça fait penser à la Camera Obscura de la Maison Carogne...
D. "C'est alors que je prends conscience que je me trouve dans une forêt, où toutes les couleurs sont des nuances de noir et blanc inversées. "
Les forêts limbiques à n'en pas douter. Auraient-elle envahi la dimension du voyeur comme Millevaux a envahi le Multivers ?
E. Tu fais une utilisation profonde de l'entrée de
L'Almanach "Qui a falsifié mon journal intime ?", c'est cool :)
F. C'est assez cool que le personnage développe une mycose au bras sans crier gare pour son premier passage dans Millevaux : on voit que l'emprise dans l'air est très forte et qu'un agent extérieur peut être très vite contaminé. Dans ce compte-rendu de partie (La Forêt-Galerie), les explorateurs venus de l'extérieur de Millevaux utilisent carrément des scaphandres pour éviter des contaminations foudroyantes.
G. "OK ! J'aurais pu m'en tirer si j'avais eu un peu de chance mais les dés en ont décidé autrement. [...] Oh putain ! Je n'aurais pas dû mettre « achever » dans les options car maintenant... ça peut vraiment arriver !" : On se prive vraiment plus du tout de casser le quatrième mur :)
H. "Je vois un couloir, comme celui d'un appartement pourri dans un immeuble tout aussi pourri. "
Si tu veux varier les environnement urbains pourris, je te conseille Little Hô-Chi-Minh-Ville :)
Réponse de Damien :
A. Et pourtant, je ne fais pas d'effort. Je ne relis même pas ^^
B. Oui, j'aime bien cette idée que Millevaux n'est pas qu'un univers mais une sorte de menace, un croquemitaine du multivers. C'est un univers dans lequel on peut jouer mais aussi une menace dont il faut se protéger quand on joue dans un autre univers. C'est une variation de l'Entropie.
C. Effectivement, mais là c'est surtout une adaptation d'un sort dans un jeu vidéo que j'aime beaucoup : Eternal Darkness ^^
D. Je n'en ai aucune idée ^^ En fait, de la dimension du Voyeur on peut aussi basculer vers d'autres mondes. Un peu comme les forêts limbiques d'ailleurs...
E. On fait ce qu'on peut ^^ je fais de plus en plus de méta-jeux et de cut-up. C'est la faute de Batro ^^
F. ça, c'était l'effet L’Empreinte ^^ merci pour le lien:)
G. LÃ encore, c'est la faute de Batro XD
H. Re-fanx pour le lien ^^
Hors ligne
TUER PRÉCIEUSE
Une incursion dans un sous-monde où à la fois l’univers de Cœlacanthes et le thème des femmes au destin tragique envahissent tout. 2ème épisode de la campagne solo Millevaux/Trilogie de la Crasse par Damien Lagauzère
(temps de lecture  : 13 min)
Joué le 13/05/2019
Le jeu principal de cette séance : S’échapper des Faubourgs, cauchemar de poche dans une banlieue hallucinée, par Thomas Munier
55Laney69, cc-by-nc
Parties précédentes de la campagne Millevaux / Trilogie de la Crasse :
1. La Reine de la Crasse
Première partie d’une nouvelle campagne Millevaux solo-multisystèmes, en crossover avec la mythologie de la Trilogie de la Crasse et la ville crapoteuse et hallucinée de Mertvecgorod née sous la plume de Christophe Siébert. Où un simple exécutant s’entiche pour la victime qu’il doit convoyer et tente l’impossible pour la retrouver.
La Nuit Noire ! Caspar le WereWorld m'a envoyé dans la Nuit Noire., le monde dont il est le garou. Je n'y vois... rien !
Je suis aveugle !
Je suis les Étoiles !
L'ombre d'Antéros et de l'Entropie obscurcit mon ciel !
La lumière des Yeux et du Joueur me guide la nuit !
Les Yeux, dîtes-moi où je suis.
Cet endroit a tout du repaire d'une personne extrêmement antipathique. Pourtant, c'est la sortie, l’ÉCHAPPATOIRE. La seule issue pour quitter le monde-garou. Les Yeux me disent que du lierre court le long des murs et qu'une pluie noire frappe l'unique fenêtre. Et cette fenêtre donne sur un tas d'ordures, un tas de merde. Ça me rappelle mon studio avec vue sur la Zona mais là , il y a deux portes. L'une mène vers le vrai monde. Mais il est trop tôt pour pouvoir l'ouvrir. Avant, me disent les Yeux, je vais devoir accomplir un rituel. Ensuite, je pourrais revenir à l'ÉCHAPPATOIRE et m'enfuir. Mais pour ça, je vais devoir emprunter l'autre porte.
De l'autre côté, c'est la MORT. Et la mort a les traits de Yezod, la Fondation, une émanation d'Antéros. C'est un quartier répugnant et malade. Les trottoirs et les murs sont couverts de croûtes et de lacérations. Les affiches publicitaires sont lamentables et mettent en scène une population d'être difformes aux membres grêles et tordus. Ce monde est tordu, torturé par l'Entropie. Je ne la vois pas mais je la sens. La Pluie Noire. Par moment, je butte sur des racines qui transpercent le bitume et je comprends que les racines millevaliennes s'efforcent elles aussi de tordre et contraindre ce petit univers, Caspar. Là , je me dis qu'il doit bien souffrir. Il est probable que le monde dont il est le garou n'a pas toujours été la proie d'Antéros, Millevaux et l'Entropie. Mais quand les Yeux me décrivent les visages des êtres torturés qui ornent les panneaux publicitaires, je comprends que Caspar aime ça. Il aime cette torture. Il aime voir son monde s'écrouler sur lui-même. Il aime souffrir. Il aime obéir aux ordres de Yezod et Antéros. Il aime sa soumission à L'Entropie.
Et là , je comprends que je vais mourir. Je lève les Yeux vers le Joueur et espère qu'il va pouvoir me sortir de là . En effet, tout cela n'est qu'un jeu et chaque jeu a ses règles. Et là , les règles veulent que je meurs, non ? Pas forcément...
Je me rappelle la Reine. Je l'aime, je crois. J'ai peur qu'elle ne m'aime pas. Je sais qu'elle ne m'aime pas. Elle ne me déteste pas mais... elle ne m'aime pas. Pas comme... Bref ! C'est le moment d'accepter en toute humilité que je ne suis pas grand chose finalement, à peine un personnage de fiction. Et même pour un autre personnage de fiction, je ne suis pas grand chose. Pour autant, nous avons partagé de bons moments elle et moi. Des moments cools, sincèrement cools, ouais ! Ça, je m'en rappelle et même la Mort, même Yezod ne pourra l'effacer, hein ? Je me concentre sur ces images emplies de ma Reine et de Lumière et espère que la Mort va m'épargner. J'attends le prix. Car il y a un prix, hein ?
Et ce prix, je dois l'accepter si je veux vivre. Alors j'accepte que tout ça c'est du flan. Que ces souvenirs, mes souvenirs, ne sont qu'une réécriture du réel, de l'histoire, afin de contempler dans la glace le visage d'un mec bien, d'un mec qui est « au-dessus de ça », un mec modeste qui se contente de peu, un mec sincère. Mais tirer fierté de son humilité, c'est pas un peu abusé ? Et est-ce vraiment de l'humilité que d'accepter le constat qu'on a pas ce qu'on veut et qu'on l'aura jamais ? Y a eu des bons moments avec la Reine, ouais, mais... Je dois accepter que leur sens véritable n'est pas celui que j'aimerais. Il n'y a là aucune preuve que je suis un mec bien. Ce sont juste des moments sympas en compagnie d'une nana que, finalement, je ne connais pas, qui ne me connaît pas et que, pourtant, je vais devoir tirer des pattes d'un Cafard géant si j'arrive à sortir de Caspar !
Alors, est-ce que ça suffit à sauver ma peau pour cette fois ? On dirait...
Je suis... Je suis... J'ai une queue de cheval. Je ricane sans cesse. On me trouve antipathique et intimidant. Je suis prêt à tout pour protéger mes secrets. Et il y a quelqu'un ici qui menace mes secrets. Il ne doit pas quitter ces Faubourgs. Il n'emportera pas mes secrets.
J'erre en ces lieux qu'on nomme la Geôle. Ils sont à l'image de Yezod. Les os tordus qui en constituent les colonnes sont battus par la Pluie Noire et parcourus, enchaînés et contraints par les racines et les lierres de Millevaux. C'est pourtant là qu'on trouve l'Embaumeur, celui qui sait faire de ta chair un COSTUME DE POUVOIR. L'autre, les Étoiles qui menacent mes secrets, va certainement vouloir un tel costume. Il va certainement vouloir rencontrer l'Embaumeur. Je dois l'empêcher ! Alors, j'use de mes propres pouvoirs pour confiner ce quartier. Tel sont mes pouvoirs. Les os tordus de Yezod sont aussi fait pour être tordus et pliés. Et il aime ça, le bougre. Il aime torturer et être torturé. Il aime souffrir autant que faire souffrir. Alors, je contrains ses os à former un barrage infranchissable. Jamais les Étoiles n'accéderont à la Geôle !
Non, pas sûr que cela suffise à sauver ma peau finalement. Je tombe. Je ne vois rien mais je sens que je tombe. J'atterris dans de la boue. Mais c'est une boue vivante. Je la sens palpiter. Je sens aussi des ossements. Des os humains. Et non humains. Je me retrouve avec entre les mains un crâne aux dimensions étranges. Ce truc possédait une mâchoire allongée et des cornes. Je tâtonne encore, à quatre pattes dans ce que je devine être une sorte de fosse commune. Il y a un cadavre plus récent. Je palpe son visage et crois le reconnaître. Ce crâne chauve ne m'est pas inconnu. Je la reconnais. C'est une des filles qui bossent dans mon quartier. Elle est sympa. Elle a une tête bizarre. C'est parce qu'elle se rase le crâne. Ça lui donne un côté punk mais fragile aussi. Je l'aime bien. Je la connais pas. On a jamais vraiment parlé, juste échangé des banalités, mais je l'aime bien. Elle se fait appeler Précieuse. C'est bien trouvé. Que fait-elle là  ? Est-elle vraiment morte ? Elle ouvre les Yeux. Puis-je la sauver ?
Je suis les Étoiles !
Ici et maintenant, je sers Précieuse contre mon cœur pour lui donner une étincelle !
Je suis les Étoiles !
Les Yeux, dîtes-moi...
Les Yeux savent que c'est injuste mais, pour sauver Précieuse, je dois la tuer dans son sommeil. Les Yeux me tendent cette rapière. Je la dissimule dans mon dos et, toujours dans la boue, je berce Précieuse pour qu'elle s'endorme. Puis, alors qu'elle a de nouveau fermé les Yeux, je lève l'arme au-dessus de son cœur. Et alors qu'un Cœlacanthe de trois mètres de long glisse vers moi, dévorant tout sur son passage, j'enfonce la pointe de la rapière dans le cœur de Précieuse et les Yeux s'ouvrent de nouveau sur ce quartier de MORT.
LA LUMIÈRE ENFERME ET L'OBSCURITÉ LIBÈRE, est-ce là le sens de ma cécité ? Dois-je accepter la Nuit Noire. Dois-je accepter de m'en remettre aux Yeux pour sortir d'ici ? Je dois trouver l'endroit où accomplir ce rituel.
Je suis les Étoiles !
Ici et maintenant, je m'en remets aux Yeux pour savoir où accomplir le rituel !
Je suis les Étoiles !
Et les Yeux me parlent. Ils vont me dire où me rendre mais avant je dois accepter d'être le vassal de la douleur. Je dois me soumettre et accepte d'offrir ma souffrance à Yezod. Les mots sont mes alliés. Les maux sont mes alliés ? Les Yeux sont des salauds ! Et quelle forme va prendre cette douleur. Un archer, répondent les Yeux. Et il est déjà là , devant moi. Il pointe son arc dans ma direction et je ne dois pas tressaillir, pas bouger, accepter. Et lui, pourquoi fait-il ça ? Pour trouver le bonheur me disent les Yeux. L'image de Saint-Sébastien s'imprime dans mon cerveau. Je retiens mon souffle et attends. Ça pique ! Le COSTUME DE POUVOIR ! C'est là que je dois me rendre. Pour ça, je dois trouver le PASSAGE. Mais où est-il ? Et à quoi ressemble-t-il ? Les Yeux me décrivent une grotte qu'ils qualifient de stellaire. Je ne comprends pas ce que ça veut dire. Mais Stellaire... ce sont les étoiles. Et les Étoiles, c'est moi. Cette grotte, ce serait moi ? Ou alors, elle serait en moi ? Le PASSAGE serait en moi, je pourrais y accéder de moi-même ? L'espace d'un instant, j'envisage la structure fractale de Caspar. Le WereWorld est un monde dans un homme qui est dans un monde. Et dans ce monde à l'intérieur d'un monde dans un homme qui est dans un monde, il y a moi, un homme, avec dedans... un PASSAGE, vers où ?
L'autre va venir. Je le sais. Je dois l'empêcher de rencontrer l'Embaumeur. Je vais leur montrer à tous ! Ma puissance et la puissance de Yezod ! Je m'offre à la Pluie Noire ! Je m'offre à la Nuit Noire ! J'offre ma souffrance à Yezod ! Je tords mes os en l'honneur d'Antéros jusqu'à ce que mes membres déformés projettent l'ombre d'un être difforme et monstrueux. Cette ombre voûtée aux longs bras et aux longues jambes finissant par des griffes acérées se détache de moi et prend sa place dans la Nuit Noire. Là , elle attend. Elle attend les Étoiles et les déchirera. Elle offrira cette souffrance à Yezod et Antéros. J'en ris d'avance. Et maintenant, je rejoins le PASSAGE. Dans un ricanement, je me fond dans l'ombre. J'observe les Étoiles se jeter dans la gueule du loup.
Si les Étoiles survivent, il y a fort à parier qu'elles se rendront dans LE PLAN DANS UNE TÊTE. Mais qu'est-ce qui se cache sous ce chapiteau froid et humide ? Quelle parade monstrueuse s'y terre ? Quand le vent souffle, on dirait les voiles d'un vieux galion. Ceux qui habitent là sont-ils des pirates ? Cachent-ils un trésor ? Sont-ils au service ou se cachent-ils d'Antéros ? Je dois penser à tout si je veux préserver mes secrets.
Et du COSTUME DE POUVOIR, une ombre tordue rampe jusqu'à LA LUMIÈRE ENFERME ET L'OBSCURITÉ QUI LIBÈRE.
De ma grotte stellaire, du PASSAGE, les yeux me guident jusqu'au lieu du rituel. Là , dans LE COSTUME DU POUVOIR, l'Embaumeur va m'aider. J'espère...
Je ricane, je ricane mais... Ma créature a déserté LE COSTUME DE POUVOIR. Pourquoi ? Quelle trahison ! Qu'à cela ne tienne, j'en créerai une autre, plus grande, plus forte, plus docile. Pour cela, je sculpte les ombres avec précision. Je dessine un être courbé recouvert de plumes. Je le fais disposé à m'aider. Une aura semble émaner de lui. Je répands sur lui la malédiction de Millevaux. Il sera mon acolyte, mon garde du corps, envahi de mauvaise herbe. Les plumes et l'herbe. La faune et la flore... à mon service...
Et maintenant, vole ! Vole vers les Étoiles ! Vole vers le COSTUME DE POUVOIR !
Que se passe-t-il ? Je parlais avec les Yeux et se dessinait l'ébauche d'UN PLAN DANS UNE TÊTE. Ma tête ? Les Yeux parlent toujours mais le Plan a disparu. Ou plutôt, je ne le vois plus. Je ne le sens plus. Quelque chose fait... obstacle.
ROHUM m'a dit où trouver l'Embaumeur. Il m'a dit qu'il m'aiderait pour le rituel. Mais, le PLAN DANS UNE TÊTE, je ne l'ai plus. Ou plutôt, il est là mais je n'y ai plus accès. Qui l'a bloqué ?
Les Yeux me guident vers l'Embaumeur et le COSTUME DE POUVOIR qui me permettra de rentrer chez moi. Une fois le rituel accompli, je devrai foncer jusqu'à l'ÉCHAPPATOIRE en espérant qu'aucune galère ne me tombe encore dessus. Sur un plan purement statistique, c'est possible.
Mais, alors que j'approche de l'antre de l'Embaumeur, je sens la température monter de plus en plus malgré la Nuit Noire et la Pluie Noire. Et pourtant, le vent souffle. Un véritable cyclone. N'y voyant rien, je ne sais pas l'origine de cette météo paradoxale mais plus j'avance, plus j'ai l'impression de danser au bord d'un volcan.
Puis, les Yeux m'indiquent que je viens d'arriver à une espèce de campement, dans un squat pourri. Ils me décrivent un feu de camp, un sac à dos et un tas de couvertures. Il y a des boites de conserves vides par terre. Il fait toujours chaud mais moins que dehors. Est-ce la planque de l'Embaumeur ? Oui, mais il n'est pas là . Le COSTUME DE POUVOIR est là lui par contre. Un gros scaphandre de terre et de bois. Je passe ma main dessus et sens les symboles gravés dessus. Je reconnais des symboles alchimiques. Je reconnais aussi certaines des runes utilisées par Corso. Il y a d'autres symboles aussi que je ne connais pas. Cet artefact est un melting-pot, pour ne pas dire un pot-pourri, de toutes les magies connues et inconnues. Et de truc est sensé me ramener chez moi.
Je découvre une ouverture dans le dos. Je pourrais m'y faufiler. Mais j'ai l'impression que ce ne doit pas se passer comme ça. Déjà , je ne peux pas voler ceci à l'Embaumeur. Ce ne serait pas correct. Et puis, pour le rituel, les Yeux vont me demander quelque chose, hein ? Ce monde-garou est rongé par Yezod, la souffrance. Aussi, vais-je encore offrir un peu de souffrance à ce monde pour pouvoir m'en aller. Alors, les Yeux, que voulez-vous ?
« Repartir à zéro ! »
Quoi ? Je ne comprends pas. Qu'est-ce que ça veut dire, repartir à zéro ? C'est quoi, zéro ? C'est où ? À mon arrivée dans ce monde ? Au début de cette affaire à la con ? Quand Black Rain m'a demandé de ramener la reine aux Soars ? Avant ? À la création de l'univers ? À la mort de l'Hommonde ? C'est quand zéro ? C'est où ? Zéro, c'est rien ! C'est le néant ! C'est zéro. Zéro, c'est pas le début. Le début, c'est un. Zéro, c'est juste avant. Alors les yeux, vous voulez retourner au néant ? Avant le début, avant de naître... Vous voulez mourir avant d'être nés ? Pour renaître ? Ou ne pas naître ? Naître ou ne pas naître, telle est la question ?
Les Yeux sont nés quand je suis arrivé dans ce monde. Avant, c'est ce quai de métro où Caspar s'est transformé pour m'aspirer ici. Alors, c'est là que je dois retourner. Dans le métro. L'ÉCHAPPATOIRE, c'est le métro ! OK, j'enfile cette armure bizarre et je fonce. Et tant pis pour l'Embaumeur.
Une fois dans l'armure, je sens des racines et de fines tiges s'enrouler autour de moi et s'insérer dans ma bouche, mes narines et sous mes ongles. Ça fait mal. L'ultime cadeau de et à Yezod. Sans même avoir l'impression de me déplacer, je me retrouve dans la grotte stellaire de mon PASSAGE. Et de là , je rejoins l’ÉCHAPPATOIRE.
Fenêtre avec vue sur un tas de merde, deux portes. Je vais rentrer chez moi.
Je suis les Étoiles !
Ici et maintenant, pour briller malgré l'obscurité !
Ici et maintenant, pour rentrer chez moi, je dis adieu aux Yeux !
Je suis les Étoiles !
L'espace d'un instant, je suis dans une pièce aux murs blancs. Il y a peu de meubles, des livres sur des étagères blanches elles aussi. Une porte est ouverte. Je vois un homme, de dos, en train de taper quelque chose sur son ordinateur. Je n'ai pas le temps de faire un pas dans sa direction que tout change autour de moi. Mais, dans un coin de mon champ de vision, je vois. Je ne suis pas seul à fuir le monde-garou. Une ombre tordue faite de plumes et d'herbes. Elle se faufile dans les interstices que j'emprunte moi-même entre les mondes. Elle me suit. Merde !
Sur l’utilisation de S’échapper des Faubourgs en solo :
Damien :
Et voila le CR de mon hack solo de S’échapper des Faubourgs. et ben... ça tourne plutôt pas mal. et ça aurait même tourné mieux si j'avais mieux préparer mes tables ^^ mais en vrai, ça tourne. là , j'ai fait court en me limitant à un seul rituel pour pouvoir sortir. mais y a carrément moyen. en fait, j'ai remplacer la rose des vents par une table d'actions à cocher pour mon perso. j'ai utilisé la même pour l'antago que je jouais en plus avec le MJ Solo. et j'ai quand même rajouté une table d' « action du MJ ». malgré mes craintes, ça ne s'est pas révélé superflu. au contraire même, ça a vraiment le potentiel pour rajouter du piment. et maintenant que Haze est de retour chez lui, je vais reprendre mon enquête là où le monde-garou l'avait contraint de la laisser ^^ bonne journée à toi
Thomas :
Tu as utilisé le plan des faubourgs ? Tu as capté que le rituel d'échappatoire c'était une métaphore du suicide ?
Damien :
j'ai utilisé le plan en l'adaptant car je n'ai pas pu l'imprimer. j'ai donc fait des tableaux et tout pour coller le plus possible à l'esprit. après, j'ai rajouté des actions en vue du solo. et là , pour le test je me suis borné à la réalisation d'un rituel dans un des quartiers puis emprunter l'échappatoire. j'avoue ne pas avoir du tout capter la métaphore ^^ d'autant plus que là , il s'agissait concrètement de quitter ce monde pour retourner dans celui d'origine .après, ça n'a pas été sans laisser quelques plumes ni rapporter des emmerdes pour la suite. mais j'ai parlé des Faubourgs sur la page FB du jdr Silent Hill. à mon avis, ça peut très bien tourné aussi et là , par contre, la métaphore du suicide prend toute sa dimension. mais il faudra que je trouve le temps de remettre bien mes notes aux propres et tester ça plus longuement dans une version Silent Hill ou même Chtulhu, selon le type de créatures qui hantent les lieux. et puis, cette mécanique peut très bien servir à narrer les aventures et les visions d'un PJ au bord de la folie. qu'en penses-tu?
Thomas :
Oui, S’échapper des Faubourgs emprunte pas mal à Silent Hill donc un crossover serait absolument pertinent. Et en effet, ça peut aussi être un bon outil pour motoriser un cauchemar à l’intérieur d’une campagne:)
Commentaires de Thomas après lecture du récit :
A. Intéressant de prendre comme prétexte pour une partie de S'échapper des Faubourgs que le protagoniste s'est fait happer par un Wereworld. D'où vient ce concept de monde-garou ?
B. Pour info, d'après les règles de S'échapper des Faubourgs, les quartiers de la Mort et de l’Échappatoire ont la même apparence.
C. Peux-tu nous dire d'où vient le concept d'Antéros ?
D. L'homme à la queue de cheval est le deuxième PJ des Faubourgs joué avec ton générateur de PJ ?
E. « Les Yeux savent que c'est injuste mais, pour sauver Précieuse, je dois la tuer dans son sommeil. » Tu as bien capté la logique de S'échapper des Faubourgs qui tend à ce que les PJ soient plus cruels que les « monstres ».
F. Je pense que tu as utilisé The Name of God sur ce solo : ça a eu un gros impact ou c'était juste un peu de couleur ?
G. « Le WereWorld est un monde dans un homme qui est dans un monde. Et dans ce monde à l'intérieur d'un monde dans un homme qui est dans un monde, il y a moi, un homme, avec dedans... un PASSAGE, vers où ? » Mindfuck :)
H. Il y a un sacré jeu avec le quatrième mur de décrire les décors indirectement, c'est-à -dire non pas vu par les yeux du personnage mais décrits à lui par les Yeux, c'est-à -dire le Joueur.
I. Ton costume de pouvoir, scaphandre de terre et de bois, m'évoque les golems dans le cauchemar Golems de Cœlacanthes. L'arrivée dans le dos du Joueur penché sur son ordinateur contribue aussi à m'y faire penser, puisque les golems conduisent vers le Méta-Monde
Réponse de Damien :
A. C'est une création personnelle ^^ un flash que j'ai eu.
B. J’avoue qu'au bout d'un moment, je suis tellement dans mon truc que j’oublie les règles ^^
C. De Nuit Noire, très bon roman (euphémisme) de Christophe Siébert.
D. Ça vient de Muses et Oracles ce genre de détails.
E. Normalement, dans The Name of God, ce sont les autres joueurs qui jouent les Yeux. Là , c'est tombé comme ça au hasard du tirage de mots-clé.
F. Les 2Â ! l'air de rien, ce jeu est vraiment bon.
G. ^^ on fait ce qu'on peut.
H. Les Yeux viennent vraiment de The Name of God mais j'aime bien faire du méta-jeu aussi. J'en profite d'être en solo. À plusieurs... on va dire que c'est pas forcément bien vu ^^
I. Mais ça vient clairement de Cœlacanthes, oui :)
Hors ligne
HAUTE HELENG
La découverte de l'Archipel des Mille Îles, une aventure exploratoire et décoloniale qui va ensuite boucler sur l'univers de Millevaux. Un récit et une partie enregistrée par Claude Féry
(temps de lecture : 4 min ; temps d'écoute : 1h13)
Joué le 03/11/2019
Le jeu : Upper Heleng, un zine par Sedek Siew et Munkao pour jouer sans règles dans les forêts de l'archipel des mille îles
écouter / télécharger le mp3
Jutta M. Jenning, cc-by-nc-nd
Aujourd'hui nous avons joué et Xavier, après m'avoir dit que cela ferait une chouette campagne, m'a dit que j'avais glissé du Millevaux dedans... De fait, nous avons joué les premiers jours de notre voyage en Haute Heleng, de Sedek Siew et Munkao, avec ma traduction du jeu Knave de Ben Milton, Canaille.
Xavier est Léo, le vaguemestre de Armen Von Rims, naturaliste de la VOC, qui ambitionne de documenter la faune et la flore de ces terres orientales,. Ils sont accompagnés de 6 gens d'armes, eux aussi donnés de la VOC.
Feuille de personnage de Léo
Feuille de personnage d'Armen
domaine public
Questions de Thomas :
Peux-tu nous en dire plus sur Thousand thousand Island, Upper Heleng, La Nuit des Rêves Perdus et le VOC ?
Par ailleurs, j'ai vu plein de très beaux poèmes sur les photos de la tentative seconde de Sève la durée du oui. D'où viennent-ils ?
Claude Féry, par courtoisie
Réponse de Claude :
Les poèmes que je dis sont de Serge Pey, (Mathématiques générales de l'infini). Gabrielle est l'autrice des autres.
Le VOC ou Vereenigde Oostindische Compagnie est la Compagnie Orientale des Indes, acteur majeur de la colonisation de la Malaisie et de l'Indonésie.
Nous jouons en été 1740 à la veille du massacre de Batavia.
A Thousand Thousand Islands, #AThousandThousandIslands sur tweeter, est un contexte OSR de Mun Kao, graphiste et Sedek Siew qui met à l'honneur la cosmogonie, les croyances, la culture de cette région d'Asie. Elle compte 5 numéros, un portfolio, un essai sur la Hantise : Hantu et des livrets de 40 pages qui présentent chacun une région.
Haute-Heleng est le troisième, sous titré la forêt aimée du temps. Le livret présente la forêt d'Heleng comme une créature vivante et décrit de façon très pointilliste des habitants singuliers qui la peuplent.
J'avais utilisé le premier volume pour ma tentative première de Milky Monsters en dépeignant le domaine du roi crocodile.
La nuit des rêves perdus est un module d'Éric Nieudan, en français, pour Oldschool Essentials qui parle de hanteux, de courges et d'onirogobelins.
Claude Féry, par courtoisie
Thomas :
Tout en programme ! Que de voyages en perspective !
Claude :
Voici une traduction à la volée de la présentation de Haute-Heleng
Les sœurs et leurs amants
Au commencement il y eut trois sœurs.
L'Aînée était une femme volontaire. Elle ne savait pas attendre. Les Cieux lui dérobèrent
son cœur. Elle partit à sa recherche, gravit la montagne, se hissa aux plus hautes branches
de la forêt, toujours plus haut vers le ciel, pour s'emparer des étoiles.
Les enfants des Cieux et de l'Aînée sont des démons. Quand elle reviendra au monde,
celui-ci s'achèvera.
La Benjamine était paisible, une penseuse. Elle ne pouvait se résoudre à agir. Alors qu'elle
était assise, les jambes croisées, Profondeur l'enlaça. Il l'aima. Et d'elle jaillir les rivières,
les mers et toutes les eaux.
Les enfants de Profondeur et de La Benjamine sont tous ceux qui écrivent, tous ceux qui
respirent par des branchies ou bâtissent des cités.
La cadette apprit de ses sœurs. Elle sut attendre ou agir, les deux à la fois, ou ni l'un ni
l'autre selon ce qu'exigeaient les circonstances. Le Temps s'éprit d'elle. Ensemble, ils
mûrirent les fruits, emplirent les ruches et donnèrent jour à une abondante descendance.
Les enfants du Temps et de La Cadette sont les dieux et le peuple de la forêt.
Émerveillée, elle se meurt. Le Temps se figea lui-même pour la préserver. Elle est Forêt,
elle vivra à jamais.
Claude Féry, par courtoisie
Thomas :
Je suis persuadé que cette genèse toute en poésie doit parler à tes fibres rôlistes :)
Thomas :
Voici mes commentaires après écoute !
A. Encore un super travail sur la sonorisation
B. Dans le texte du jeu Les Mille Îles, les protagonistes sont-ils asiatiques ou occidentaux ? Je cherche à savoir comment l’univers se place du point de vue de la colonisation.
C. Une aventure d’exploration-survivalisme comme je les aime !
D. J’ai l’impression que le contenu de la partie est plus animaliste que d’habitude :)
E. Cela aurait été intéressant d’inviter Xavier à vraiment se mêler au chant, comme une épreuve un peu GN :)
domaine public
Réponse de Claude :
A. Merci
B. Le texte suppose qu'ils sont étrangers.
Selon ce que j'ai lu de Sedek Siew il a naturellement un contentieux avec le colonialisme.
Il est Malaisien et entend proposer une vision non occidentale d'un univers fantastique né de sa culture.
J'ai pour ma part tenté de mettre en jeu cette dimension coloniale.
Xavier était choqué de l'attitude de Jan.
D. Oui
E. Je n'y ai pas pensé sur le coup, mais il s'est essayé spontanément à imiter ce qu'il entendait sans y parvenir.
C'était en effet une belle épreuve à laquelle confronter la joueuse.
Divulgachage :
B. Le module prévoit que Graine Ailée propose aux personnages de manger à l'heure locale pour éviter les conséquences de l'entrée en Heleng
Tout ce qui n'est pas originaire de la vallée subit les assauts du temps qui ne protège que son amante et ses enfants. Tout vieillit de D12 ans chaque matin (perte de dents, rouille, etc...)
B. Selon les échanges que nous avons eu autour d'Hantu, il y expose sans fard, une partie de ses propres croyances et craintes autour du phénomène de la hantise. Ses modules sont destinés à la mouvance OSR, et le texte est certes très évocateur, mais en conséquence peu prescriptif.
En revanche qui suit ses publications régulières sur Twitter constatera sa volonté de partager la richesse et les subtilités de sa culture.
photo : Claude Féry, par courtoisie
Thomas :
B. Oui j'ai cru comprendre que les colons n'étaient pas à l'honneur dans ta narration :)
F. quand Xavier dit « regardez, une brebis ! », je suppose qu’il réagit à des images que tu lui montres. Je suppose que durant les parties, tu montres beaucoup d’images qui nous échappent à nous, auditoire.
Claude :
F. Il n y avait que les images présentes sur la photographie de la table.
Là c'est lui qui a laissé parler son imaginaire.
D'habitude j'ai une banque d'images que je diffuse en fonction de l'atmosphère souhaitée.
Pour cette partie je me suis limité à la photographie de la vague et des images de la VOC et Batavia.
Hors ligne
LE COÛT D’ENTRÉE
L’agent-mouche décide de partir dans Millevaux pour sauver le monde même si tout le monde s’en fout… et quoi que ça puisse lui coûter. Troisième opus de la campagne solo Millevaux/Trilogie de la Crasse par Damien Lagauzère
(temps de lecture : 20 min)
Joué le 18/05/2019 en solo
Le jeu principal de cette séance : Grey Cells, un jeu d’enquête – course contre la montre par Bogdan Constantinescu
Avertissement : contenu sensible (voir détail après image)
Rob Bakkers, cc-by-nc-sa, sur flickr
Contenu sensible : viol d’enfants, sexe brutal
Contexte :
voici le CR de mon dernier solo. j'ai donc joué dans mon mix des univers de Millevaux et de la Crasse. Côté règles, j'ai utilisé Grey Cells mais il y a aussi des éléments de Cœlacanthes et de l'Empreinte. pour l'Empreinte, j'ai repris le principe de l'Empreinte donc sous la forme de cette mycose mais aussi la structure narrative en un acte unique regroupant les 3 scènes pour le final. pour les règles, par contre, je suis resté sur Grey Cells que j'utilise depuis le début de la campagne et qui a l'avantage, pour moi, de proposer certaines actions de type « méta-jeu » que je trouve vraiment bien pour du solo et d'autant plus que ça colle avec certains pouvoirs de la Mouche dans la Crasse. par contre, une fois n'est pas coutume, le perso prend cher ? je ne l'avais pas prévu...
Parties précédentes de la campagne Millevaux / Trilogie de la Crasse :
1. [La Trilogie de la Crasse] La Reine de la Crasse
Première partie d’une nouvelle campagne Millevaux solo-multisystèmes, en crossover avec la mythologie de la Trilogie de la Crasse et la ville crapoteuse et hallucinée de Mertvecgorod née sous la plume de Christophe Siébert. Où un simple exécutant s’entiche pour la victime qu’il doit convoyer et tente l’impossible pour la retrouver.
2. [S’échapper des Faubourgs] Tuer Précieuse
Une incursion dans un sous-monde où à la fois l’univers de Cœlacanthes et le thème des femmes au destin tragique envahissent tout.
L’histoire :
Oh merde ! Docteur M ! Qu'est-ce que je fous là  ? Je pensais émerger sur les quais du métro. Hein ? Qui m'a trahi ? Mais... j'en sais rien, moi ! En vrai, je ne savais même pas qu'on m'avait trahi. Qu'est-ce que vous sous-entendez par-là , Docteur ? Des doutes... Ouais, je commence à avoir des doutes sur Black Rain. Pas dans le sens où je pense qu'ils sont passés du côté obscur mais dans le sens où je ne comprends pas leurs motivations. J'ai l'impression que ces Soars se sont remis dans la course uniquement parce que Black Rain a relancé la course et non l'inverse comme on me l'a laissé croire. Mais pourquoi déterrer cette affaire de 2011 que tout le monde avait pris bien soin d'oublier ? Ça, je ne comprends pas. Et là , je trouve que Black Rain est louche.
Si j'ai découvert une ressource intéressante ? Vous parlez bizarrement, Docteur ! Mais, oui ! J'ai trouvé la planque du Cafard ! Lewis-Maria s'est aménagé une planque... dans mon propre immeuble ! On y accède par un passage secret dans le local poubelles. J'ai cru comprendre que le Cafard était sensible aux petits cadeaux. Aussi, je comptais arriver dans le métro pour récupérer Caspar et lui offrir le WereWorld en échange d'une visite guidée de son petit zoo plus ou moins humain.
De quoi je souffre. Heu... c'est un peu une colle là . Je ne souffre pas. Ou alors, je souffre de tant de choses que ça n'a même plus de sens de vouloir en faire la liste. Je souffre à cause de la Reine, ma Reine. Je voudrais être sûr qu'elle va bien. Et, si elle est, comme je le pense, captive du Cafard, je voudrais la sauver. Pour faire une bonne action et aussi pour qu'elle trouve un moyen convaincant de m'en remercier. Ben ouais ! Je suis un peu intéressé dans l'affaire ! Et puis sinon, j'ai un peu mal au bras, parfois. J'ai chopé cette Mycose. Elle me parle. Enfin, elle écrit des mots. Là , elle dit rien mais parfois elle change de formes et ça fait des mots. Elle semble aimer le crépuscule. Je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire. Mais on va dire que ça pourrait être pire.
Si j'ai des amis bizarres ? C'est presque indiscret ça, Docteur ! Vu votre... physique, j'ai envie de dire... Vous ! Mais êtes-vous plus un ami que mon psy, Docteur Mugwump ? Ou êtes-vous un pur produit de mon imagination ? Dans ce cas, oui, vous pouvez être mon ami imaginaire. Sinon, il y a Corso. Il est bizarre lui aussi. Déjà , il est mort ! Il a fait un long séjour chez les Cafards et il manie une magie runique qui m'a fait voyager dans un endroit super bizarre. Donc oui, on peut dire que j'ai des amis bizarres.
Si j'étais dans la chambre de quelqu'un pendant qu'il dormait ? Euh, là Docteur, vous êtes à la limite de la limite là  ! Mais bon, OK, on va jouer le jeu. Ben ouais, j'ai été dans la même chambre que la Reine pendant qu'elle dormait. J'aurais pas été contre faire autre chose mais... je l'ai laissé dormir. OK, soyons précis, je l'ai regardé dormir. Mais j'ai fait que ça hein ! Je suis pas un pervers non plus, oh ! Vous êtes bizarre, Docteur ! Même pour un Mugwump ! Je me permets de vous le dire parce que vous êtes sûrement mon ami imaginaire.
Quand est-ce que j'ai su que j'étais amoureux de la Reine ? Bah... dès que je l'ai vue, en fait. Vous l'avez déjà vue ? Non ? Vous seriez amoureux aussi si vous l'aviez vue. C'est pour ça qu'elle est la Reine au regard nonpareil.
Les symptômes de la maladie que m'a refilée la Bête ? Mais de quoi vous parlez ? Non, je ne suis pas malade ! Enfin, à part ce truc au bras là . Mais c'est pas une Bête qui me l'a refilé. Je ne sais même plus comment je l'ai chopé ! Bon, on a fini docteur ? Tant mieux, vous êtes bizarre aujourd'hui. Par contre, je vous préviens, cette porte a intérêt de s'ouvrir sur les quais du métro car j'ai vraiment un truc important à faire.
Je ne sais pas qui je dois remercier entre le hasard et le Joueur mais je me retrouve finalement sur les quais du métro. Caspar est encore là et il n'a vraiment pas la patate. Il est par terre. Il convulse. J'espère qu'il ne va pas me claquer dans les pattes. Pas avant que je ne l'ai conduit chez Lewis-Maria. Ce WereWorld est ma clé. Un haut-parleur, quelque part, diffuse une alarme. Je ne parviens pas à en trouver l'origine. Je n'en comprends pas non plus le sens. L'état de Caspar se stabilise. Il se calme même. Et je comprends que cette alarme ne le concerne pas quand une violente douleur me tord le bras et m'arrache un cri. Je relève ma manche et vois. La Mycose a pris la forme d'un cœur. Pas le cœur d'un jeu de carte mais un organe. Et cet organe palpite. Je crois que la Mycose veut me dire qu'elle est vivante et que je ne dois pas l'oublier. J'ai un peu peur. Mais ça va devoir attendre. Là , je dois traîner Caspar jusque chez Lewis-Maria.
C'est l'avantage des quartiers pourris. Il peut s'y passer n'importe quoi, tout le monde s'en fout. Qu'un type en costard froissé et dégueulasse tire un gars dans la rue jusqu'à un local poubelle, ça n'inquiète personne. En tant normal, ce serait révélateur de ce que notre société va mal et blablabla mais là , ça m'arrange. Une fois dans le local poubelle, je cherche une caméra et un micro. Il y a forcément ça dans un coin. C'est bien planqué mais je finis par trouver. C'est donc plein d'assurance que je plante le WereWorld bien en face de la caméra et que je récite mon speech au Cafard. C'est un met de choix que je lui offre. Le cafard est un gourmet doublé d'un curieux. Un crissement de béton révèle une rampe donnant sur les « espaces bis » de mon immeuble.
Et là , je me demande si ce genre de méthodes va vraiment m'attirer les faveurs de mes supérieurs. Déjà qu'avoir attiré les gros bras des Soars jusqu'au bureau n'était pas pour me faire passer pour un pro, surtout quand ça s'est soldé par un crash du système informatique. OK, c'est vrai, il y a vraiment de quoi passer pour un con, je plaide coupable. Mais est-ce que c'est vraiment en tentant un coup pareil avec un Cafard que je vais de nouveau être pris au sérieux ? On verra... Il parait que la fin justifie les moyens. Elle a intérêt d'être bien la fin. Parce que si je me plante, c'est peut-être plus que ma réputation qui va en prendre un coup. Et les coups viendront pas que de Black Rain.
Je grimpe le long de cette rampe et je pense. Je repense à ce qu'a dit le Mugwump. Il a parlé d'une bête qui m'aurait refilé un truc. J'ai pensé à la Mycose mais... et s'il y avait autre chose ? Et si le Doc pensait à autre chose ? Je repense à l'historiette qui tintait dans mon crâne quand j'ai visité la dimension du Voyeur. Ça parlait d'un journal falsifié, un truc comme ça. Une mémoire falsifiée. Ma mémoire falsifiée. M'a-t-on fait quelque chose ? Le Doc sait-il quelque chose ? Est-ce que c'est Black Rain qui m'a fait quelque chose ? Black Rain... Je sais que ce sont les gentils, qu'on est les gentils. Mais y a plus clair comme gentils, non ? Eux, c'est clair qu'ils ne sont pas clairs. Comme quoi, on peut être les gentils et avoir des trucs à cacher. Même entre gentils. Leur excuse, c'est de dire que tous ces secrets ont pour but de nous permettre d'avoir un regard « neuf », pas contaminé, sur les affaires qu'on nous confie ? Mais pas contaminé par quoi ? L'Entropie ? Millevaux ? Antéros ? Je vais t'en foutre moi, du regard neuf ! Y a du réseau dans ce couloir. Tant mieux. J'ai un accès au DarkWeb. Un générateur d'IP aléatoire. Idem pour un pseudo débile. Je balance ma petite fusée concernant mes « doutes » quant à la probité et l'opacité de Black Rain. Maintenant, je n'ai plus qu'à attendre les réponses, en espérant qu'il y en aura.
Et quitte à jouer au con, autant y aller à fond ! Tant que j'ai du réseau, j'en profite pour envoyer un petit message à Corso. J'espère qu'il gardera ça pour lui et qu'il ne dira rien à Black Rain mais je lui parle quand même du souvenir que j'ai ramené de sa dimension bizarroïde, la Mycose. A-t-il déjà ramené des saloperies lui aussi ? Est-ce qu'il pourra jeter un œil à mon bras ? Est-ce qu'il pourra faire quelque chose ? Putain ! J'y pense mais... pourvu que personne n'intercepte ce message ! Trop tard de toutes façons. C'est parti !
Sa planque n'est pas du tout à l'image que j'en avais. J'avais imaginé un long couloir glauque aux murs de béton crades et humides. Une enfilade de portes blindées avec de gros judas pour espionner les malheureux détenus dans des conditions d'hygiènes déplorables. Et ben non ! Finalement, le Cafard sait tenir son petit intérieur. Ce serait exagéré de dire que c'est douillet mais c'est propre et fonctionnel.
Cette planque s'étire dans tous les espaces creux de l'immeuble. Ce n'est donc pas un long couloir mais tout un réseau de coins et recoins qui se déploie dans les trois dimensions d'espace et, va savoir pourquoi je pense à ça, dans le temps.
Lewis-Maria a un certain sens de l'humour. Il me reçoit dans un salon entièrement blanc. Il est lui-même assis dans un fauteuil de cuir blanc. L'hôte qu'il s'est choisi a quelque chose de grotesque avec ses paupières tombantes et ses cheveux graisseux. Au mur, il y a des têtes d'animaux empaillés. Certains sont de véritables monstres de cinéma. Je ne sais pas de quels mondes ils proviennent mais je suis content que ce ne soit pas du mien.
Je ne sais pas jusqu'à quel point le Cafard se fout de ma gueule mais il agite un petit drapeau blanc dans ma direction. Je pousse Caspar devant moi. Il tombe par terre mais se relève un peu trop vite à mon goût. Je crains qu'il n'ait récupéré toutes ses forces et qu'il ne me joue un tour de con. Aussi, avant qu'il n'ait le temps de réagir, je lui fracasse un tabouret sur la tronche. Le WereWorld dans le coaltar, je m'assois sur le fauteuil désigné par le Cafard. Discutons.
Lewis-Maria est plein d'entrain et semble conciliant. Pour ma part, je me méfie. J'ai beaucoup de mal à croire qu'il est seul ici et qu'une horde de gardes du corps n'est pas prête à me tomber dessus au moindre faux pas. Autant jouer franc-jeu, je lui explique n'avoir cure de Caspar et être tout à fait disposé à le lui céder en échange de quelques informations et de la Reine de mon cœur au regard nonpareil. J'ai conscience de demander beaucoup et d'offrir peu mais je lui assure que nous avons des intérêts communs et qu'il pourrait aussi retirer beaucoup de notre petit échange.
Difficile de lire dans le regard du Cafard. Il doit être doué au poker. Je n'aime pas cet air indifférent qu'il affiche maintenant. Il détourne le regard et... merde ! Trois Soars sortent d'un recoin. Deux m'immobilisent sur le fauteuil. Putain, leur poigne. Ce ne sont pas des porcs mais des ours ! Le troisième me braque son flingue sur le front. Lewis-Maria me confirme qu'il est tout à fait disposé à ce que nous discutions. Tu m'étonnes !
Contre toute attente, il me laisse poser mes questions. Tout d'abord, je veux savoir s'il est près à me remettre la Reine. Oui, mais... ça ne sera pas gratuit. Caspar, c'est pas suffisant. Bon, ce n'est pas un si mauvais point de départ. Je respire un grand coup et balance tout. Je bosse pour Black Rain et... ils semblent l'apprendre. Pourtant, c'est Black Rain qui a remis la Reine aux Soars. Ça aussi, ils l'apprennent. Ils ne savaient pas que Black Rain était derrière cette transaction. Là , j'ai peut-être merdé en étant trop honnête. Trop tard ! Je poursuis. Selon moi, qui ne suis qu'une petite mouche à merde de rien du tout, hein ?, Black Rain leur a remis la Reine pour que les Soars s'en servent comme monnaie d'échange et que Lewis-Maria ici présent accepte de les laisser interroger le détenu qui leur avait fourni la xeno-technologie qu'ils avaient donné aux jeunes terroristes en 2011. Or, aujourd'hui, Black Rain veut en savoir plus sur cette technologie.
Les quatre se regardent, puis le Cafard m'explique que je ne suis pas très loin de la vérité. En fait, en l'état, ils se fichent tous aujourd'hui de cette technologie. L'heure est grave et dans cette affaire la Reine n'est qu'un « petit cadeau », un signe de bonne volonté, sachant que Lewis-Maria accepterait de toute façon de coopérer. Il n'était donc point question de technologie d'un autre monde mais de faire face à une nouvelle manifestation de l'Entropie qui risquait fort d'arriver nous : Antéros ! Conscient d'en avoir déjà dit plus que nécessaire, je tais savoir que Millevaux est également une manifestation de l'Entropie qui se répand entre les mondes. Et j'en profite pour taire aussi que le petit monde intérieur de Caspar est la proie non seulement de la Pluie Noire mais aussi d'une émanation d'Antéros. Ça, ce sera ma petite surprise quand le Cafard décidera de visiter la mémoire de son nouveau jouet.
Quoi qu'il en soit, même si cette technologie n'entre plus dans les données de l'affaire en question, il s'avère quand même que nous poursuivons un même but : combattre l'Entropie. Et ça, que les fins et les moyens de Black Rain soient discutables ne le remet pas en cause. Aussi, soyons lucides, même si cela ne doit pas dépasser le stade des simples circonstances, le Cafard, les Soars et moi sommes alliés sur ce coup là . Mais là , c'est moi qui pose une question.
« Si vous ne trafiquez pas cette technologie, enfin... Qu'est-ce qu'un de tes prisonniers a à voir dans tout ça ? »
Là , j'ai vraiment besoin de comprendre. Je sens la Mycose me gratter. Je me débats un peu et le Soar raffermit sa prise, pensant peut-être que je cherche à m'enfuir ou je ne sais quoi. La Mycose veut m'aider. Ça ne sera pas gratuit, surtout si je me plante. Mais je n'ai pas vraiment le choix. En plus, je n'ai pas le loisir de relever ma manche pour lire ce qu'elle exige. J'accepte donc son offre, les yeux fermés. J'ai l'impression que la Mycose ricane. Lewis-Maria se détend. Il est prêt à parler.
Oui, la Reine n'est qu'un petit cadeau. Oui, de toute façon il aurait accepter d'aider les Soars. Oui, l'un de ses « pensionnaires » sait des choses sur Antéros et sur l'Entropie. Et oui, il s'agissait bien d'aller explorer sa mémoire pour lui arracher ses informations et trouver un moyen de repousser l'Entropie et Antéros aussi loin que possible dans l'espace et le temps.
J'ai l'impression que quelque chose ne va pas. Je sens le Cafard quelque peu distrait. Il y a un problème.
« Si je résume, vous savez quoi faire pour repousser Antéros, au moins provisoirement, mais ça signifie qu'il faut se déplacer. Il faut aller dans le monde d'origine de ce type. Les Cafards peuvent intervenir dans la mémoire de leurs hôtes, mais peut-être pas à ce point là . Et les Soars peuvent voyager mais... Ou alors, c'est juste que vous avez la trouille d'y aller ? »
C'est ça, bordel ! Ils ont vu le monde d'origine de ce type, ou de cette nana d'ailleurs. Et ce qu'ils ont vu leur a foutu la trouille à un tel point qu'ils ont les jetons d'y aller, quand bien même il y aurait là -bas de quoi freiner l'Entropie. Mais, qu'est-ce qui peut bien leur foutre plus la trouille qu'Antéros ?
Et là , y a un blanc dans la conversation...
Les quatre se regardent. Personne n'ose prendre la parole.
À mon avis, il n'y a que deux choses qui peuvent les effrayer à ce point. Soit il s'agit de choses relatives à leurs croyances respectives, leurs dieux ou je ne sais quoi, soit ce monde est tellement rongé par l'Entropie qu'ils ont peur d'y laisser leur peau. Alors ?
Pas de réponse. J'ai l'impression que ce sera la surprise du chef car c'est le meilleur moment de leur expliquer en quoi je peux leur être utile. Je suis une Mouche et pour peu qu'ils me donnent les coordonnées de ce monde, je peux y aller et espérer revenir. Je veux bien y aller sans savoir ce qui m'attend. Je veux bien le faire mais... je veux ma Reine.
Ils acceptent. Bien obligés.
Les Soars me relâchent. Lewis-Maria relâche la Reine et Caspar prend sa place. Une fois dehors, j'ai eu peur que la Reine ne s'en aille comme ça, sans un mot. Mais elle n'est pas comme ça. Alors, on va quand même prendre un café. Elle m'explique que le cafard s'est globalement bien comporté. Sauf quand il a violé sa mémoire bien sûr mais ça... c'était le passage obligé. En vérité, je l'écoute à peine. Je me répète en boucle les coordonnées du monde où je vais devoir me rendre. Je n'ai aucune idée de là où je vais tomber mais si ça a foutu les jetons à des Soars et un cafard, alors je dois avoir peur moi aussi. Mais bon, je vais y aller.
La Reine pose alors sa main sur la mienne. Elle me remercie, se lève et propose de payer l'addition. Chevaleresque, je la laisse faire. Dès qu'elle est partie, je relève ma manche et lis le message de la Mycose.
« Plus c'est capillotracté, plus c'est vrai ! Qu'est-ce qui a poussé ses parents au suicide ? Découvre ce qu'il leur est arrivé. »
Mais de qui parle-t-elle ? De la Reine ? Non, du pensionnaire évidemment. Dans son monde d'origine, ses parents se seraient donc suicidés. Et la Mycose veut savoir pourquoi. Bon, OK. Plus c'est capillotracté, plus c'est vrai ! Peut-être que finalement tout ça est en lien avec mon affaire. Et peut-être qu'au final j'apprendrais quelque chose sur cette technologie de 2011 parce que, soyons lucide, à ce sujet je n'ai vraiment rien à dire à Black Rain.
Je retourne au bureau. Je passe pour un abruti en déclarant ne rien avoir appris sur cette technologie et évoquer la menace d'Antéros ne semble pas me racheter aux yeux du chef. Franc et idiot jusqu'au bout, je profite de me faire engueuler pour lâcher que les Soars ne soupçonnaient pas l'implication de Black Rain dans la transaction avec la Reine et que si j'emploie le passé c'est que... bref, on s'est compris. Je crois que je pourrais écrire un bouquin sur l'art de flinguer sa réputation au boulot. Mais je ne m'arrête pas là . Je pousse le bouchon encore plus loin et explique que je vais aller dans un autre monde dont je ne sais rien et potentiellement mortel en espérant trouver un moyen de contrer Antéros. Là , le chef comprend que cette histoire de technologie ne m'intéresse plus vraiment. Je le sens bouillir mais il est suffisamment intelligent pour comprendre que quoi qu'il dise, j'irai quand même. Par contre, j'aimerais bien avoir accès à quelques dossiers avant si c'était possible. Il m'envoie me faire foutre.
Une fois dehors, j'ai l'impression que s'il avait pu, le chef m'aurait viré. Mais je ne comprends pas son hostilité. OK, j'ai commis quelques boulettes. Entre le crash du système informatique, avoir divulgué l'implication de Black Rain aux Soars et expliqué lâcher complètement cette affaire de technologie alien, il y a des motifs de m'en vouloir mais... j'ai quand même trouvé des preuves comme quoi notre monde est menacé directement par L'Entropie sous une de ses formes les plus inédites, à savoir : Antéros ! Et en plus, je lui déclare être d'accord pour risquer ma peau dans un monde inconnu mais assurément dangereux, voire mortel. Ça devrait suffire à m'attirer un peu de sympathie. C'est louche !
De retour chez moi, je ne peux m'empêcher de coller mon oreille contre un mur. Peut-être que Lewis-Maria est derrière. Je me connecte sur le forum où j'avais lâché mes petites fusées du doute sur Black Rain justement. Est-ce qu'on m'a répondu ? Non, mais... Quelqu'un a posté quelque chose qui n'est pas sans rapport. Je clique.
Le pseudo de ce type est NeinUnd. Il parle de fatalité et évoque directement Black Rain qu'il accuse d'être responsable de quelque chose mais sans préciser quoi. Il déclare connaître des secrets militaires. Il parle de conquérir un pays. Il utilise des tournure de phrases extravagantes et je ne suis pas sûr que tout ça soit très sérieux. Mais bon, quand même, il connaît l'existence de ce site et de Black Rain. Affaire à suivre...
Et je profite d'être devant mon écran pour écrire à Corso. Je m'excuse de ne pas être passé le voir. Je le remercie pour l'aide qu'il s'est proposé de m'offrir et en profite pour lui demander un autre « petit » service. Je lui raconte mon entrevue avec le chef. Malgré ça, j'ai besoin de quelques renseignements avant le « grand saut » vers ce monde étrange qui a réussi à ficher les chocottes à des Soars et un cafard. J'ai les coordonnées de ce monde, là n'est pas le problème. Mais j'aurais voulu savoir si Black Rain avait un dossier dessus. Là dessus et aussi sur un certain Paul Singer. C'est lui, le pensionnaire.
La réponse ne se fait pas attendre. Corso est vraiment quelqu'un sur qui compter. Les coordonnées de ce monde sont connues. Et il est bel et bien rongé par cette forme d'Entropie qu'on appelle aussi Millevaux. Et pour ce qui est de Paul Singer, il apparaît effectivement dans plusieurs compte-rendus consacrés à Millevaux justement. Dans certains, on déclare qu'il est devenu fou. Dans d'autres on raconte qu'il est devenu la Voix de la Bouche, sans préciser ce que cela signifie. Enfin, il se ferait à l'occasion appeler Dionysos. Corso termine son mail par un « bon courage » qui me plonge dans une grande fatigue. Je pars donc pour Millevaux ou, en tout cas, un Millevaux et je vais devoir trouver pourquoi les parents d'un dingue se sont suicidés. Sur ce point, la réponse est peut-être tout simplement dans la question.
Le voyage jusqu'à cet autre monde se passe normalement. C'est l'arrivée qui est moins confortable. Je suis coincé dans des souterrains. Là , à vue de nez, pas de sortie. Aucune lumière blanche au bout du tunnel. Pas de sons de trompettes ni de voix angéliques. Au moins, ça veut dire que je ne suis pas mort. Je suis dans le noir, mais vivant !
Les parois sont humides. Une eau noire suinte. Je porte un doigt mouillé à mon visage et constate que ça ne sent rien. Pourtant, je suis sûr que c'est la Pluie Noire qui s'infiltre. Au moins, je suis à l'abri de ça. J'attends que mes yeux s'habituent à l'obscurité et j'avance. Au bout d'un moment, il y a de la lumière. Mais pas vraiment de trompette, ni de voix angéliques.
C'est une espèce d'usine moitié mécanique-moitié végétale. Là , des enfants sont malmenés par des créatures d'au moins deux mètres de haut. Leur tête est faite de plaques d'os. Certaines ont plusieurs paires de bras. D'autres sont comme des espèces de poissons géants et rampent à même le sol. Ces trucs bousculent les enfants, leur branchent entre les jambes des sortes de branches électriques. Elles les violent tout en les gavant de farine. Il y a des gosses de tous les âges et des deux sexes. Qu'est-ce que c'est que cet endroit. Putain ! Si Paul Singer est passé par là , je comprends que Lewis-Maria et les Soars aient flippé ! Et ses parents, si eux aussi sont passés par là quand ils étaient mômes... que leur propre enfant subisse la même chose a pu leur paraître insupportable. Est-ce-là l'influence d'Antéros ? Est-ce une manifestation de l'Entropie ? Est-ce ça qui se cache sous la forêt de Millevaux ? Est-ce que c'est ça qui nous attend ? Je ne me sens pas de taille contre ces trucs et me retire dans l'ombre avant qu'elles ne me repèrent. Je ne suis pas fier de ne rien tenter pour aider ses enfants mais, franchement, tout seul, que puis-je faire ? En vrai, si Black Rain cherche vraiment à mettre la main sur des technologies étranges et étrangères en vue d'une opération militaire, de la conquête d'un pays... comme l'affirme ce NeinUnd, c'est ce pays-là qu'il faudrait attaquer ! Merde ! Est-ce que... J'ai toujours considéré Black Rain comme une sorte de « police » du Multivers. Nous sommes des enquêteurs, des investigateurs. Au plus, des espions. Mais pas des soldats. Est-ce possible que, quelque part, nos chefs constituent une armée afin de s'attaquer à l'Entropie ? Ce serait... énorme ! Mais, je ne suis pas là pour ça. Pour l'instant, je dois trouver dans ces souterrains un moyen de détourner l'Entropie, qu'elle prenne la forme de Millevaux ou d'Antéros, de notre réalité. Ça, déjà , ce sera énorme.
Je reviens vers mon point de départ. Et je me rends compte que je suis en train de me gratter le bras. La Mycose ! À mon avis, les parents de Singer se sont suicidés à cause de ce que j'ai vu. Est-ce que cette réponse lui convient ? Je soulève la manche. Elle semble satisfaite mais n'en a pas pour autant fini avec moi. Et moi, je ne suis donc pas près de me débarrasser de cet étrange animal de compagnie. À moins que ce ne soit moi son animal de compagnie.
Au détour d'un tunnel, je remarque une ombre. Furtive, elle me suit depuis un petit moment. Après avoir marché un moment en faisant comme si de rien était, je me retourne brusquement et braque mon arme dans sa direction. Je suis en face d'un homme de l'âge de mon père... ou plutôt de l'âge qu'aurait le père du Joueur. Je ne sais pas trop. Dans le noir, c'est difficile à dire. Ce qui est sûr, c'est qu'il a les mains pleines de sang. Il y a quelque chose de dingue dans son regard et... une bosse énorme dans son pantalon. Il dit s'appeler Gueboura. Il a une offre à me faire. Je crois que je saisis ce qu'il veut mais qu'a-t-il à me proposer ? Et je me rappelle la dernière question du Docteur M. les symptômes du truc que m'a refilé la bête... Je ne sais pas comment mais le Mugwump savait. Il savait que j'allais accepter cette proposition dégueulasse parce que... je n'avais pas le choix ! Ô ROHUM, dis-moi pas que... Si, c'est bien ça. Antéros acceptera de détourner les yeux de mon monde si... Et dire que je me suis fait savonner par le chef avant de partir ! C'est plus une médaille que je mérite là , c'est une statue ! Un jour férié en mon honneur ! En vérité, je n'ai aucune assurance que Gueboura tiendra parole mais franchement, qu'est-ce que je peux faire face à l'incarnation de la violence ?
C'était long mais moins que ce à quoi je m'attendais... Et maintenant, je peux répondre à la question du Mugwump. Les symptômes ? Tu parles de symptômes. Je ne me suis pas seulement fait passer dessus. C'est comme si un troupeau de Soars m'était passé dessus. Je crois que j'ai quelques côtes de cassées mais ça se remettra. Je m'en remettrai. Faudra bien...
Maintenant, faut que je trouve une sortie, que je rentre chez moi.
Mais un sifflement dans mon dos m'indique que je n'en ai pas encore tout à fait terminé avec ce monde de merde.
Je me retourne et je ne vois qu'une longue ombre serpentine. Je m'attendais à quelque chose de plus grand mais pas à quelque chose recouvert de plumes et d'herbe. Une espèce de Quetzalcóatl à la sauce locale. Je soupire. Je pensais avoir suffisamment donné, là . Faut que ça s'arrête maintenant. Je n'ai pas de temps à perdre avec ce truc.
Il ne les montre pas mais je sens bien qu'il a de grandes dents. Respirer me fait mal à cause de mes côtes fracturées. Je sors mon flingue. Est-ce que ça peut vraiment quelque chose contre un truc pareil ?
Non !
Et ce truc a effectivement de grandes dents ? Je le sens passer.
Je dis :
Je suis les Étoiles !
Ici et maintenant, pour donner une étincelle au mortel que je suis, je... me... détache...
Je suis les Étoiles !
Je ne suis plus moi-même. Je ne suis plus l'individu Damon Haze. Je me fonds dans l'ombre de ce serpent de plumes et d'herbes. Je me fonds dans le cosmos. Je suis l'espace dans lequel se répands le sang de l'Hommonde. L’espace d'un instant, je vois tout, je sais tout. Mais j'ai peur. Peur de ne pas pouvoir faire quoi que ce soit. Peur de ne pouvoir que... subir, comme avec Gueboura. Et si c'était ça, la leçon d'Antéros ? On ne peut que subir... Je m'abrite derrière de grands discours, de grands monologues intérieurs. Mes hypothèses les plus capillotractées se révèlent parfois justes et j'en tire une grande satisfaction, une grande... fierté. Mais finalement, tout ça n'est rien. Je me vis en tant qu'observateur, investigateur, témoin de l'histoire mais... à quel moment suis-je vraiment acteur ? Que fais-je à part subir ? Entre rien et pas grand chose, quelle est la différence ? Et si je devais passer moins de temps à observer, à monologuer pour agir ? Et si je devais arrêter de me cacher derrière mes grandes tirades qui n'ont finalement pour but que de cacher aux autres comme à moi-même ma peur de passer à l'action ? Peur de quoi ? De mal faire ? De me planter ? De décevoir ? D'être déçu ?
Que dois-je faire ? Persister à penser qu'être un témoin, un investigateur, est quelque chose d'important ? Qu'observer et penser, c'est agir ? Et mourir... Ou accepter que je me cache derrière ces grands discours parce que j'ai peur et que, finalement, je ne fais que subir ? Et vivre...
J'ouvre les yeux et je vois Corso penché au-dessus de moi. Il a l'air étonné. Moi aussi. Ce n'est pas très rassurant de se réveiller sur le lieu de travail d'un médecin légiste. Mais bon, il a quand même l'air content de me voir.
Corso me fait un rapide check-up. Mes côtes vont se remettre. Il va me falloir pas mal de repos mais je vais récupérer. Le chef me rend visite. Je le sens toujours aussi énervé contre moi mais j'ai quand même l'impression qu'il m'en veut moins. Certes, je n'ai rien trouvé concernant cette affaire de technologie d'un autre monde mais on dirait quand même que j'ai contribué à sauver le notre. C'est pas rien quand même. Grâce à ROHUM, les Mouches peuvent lire les pensées superficielles des humains. Je pourrais essayer sur le chef et tenter d'en savoir plus sur les projets de Black Rain. Est-ce que ce que sous-entend NeinUnd est fondé ? Est-ce que Black Rain est vraiment en train de monter une opération militaire contre l'Entropie ? Mais je ne me sens pas l'énergie pour le faire.
Je ne sais pas comment je dois comprendre ça mais, quand il s'en va, il se tourne une dernière fois vers moi et dit :
Alles unter Kontrolle.
Commentaires de Thomas :
A. D'où viennent les questions posées par le Docteur Mugwump ? On dirait du For the Queen et/ou du The Beast mais je n'en suis pas sûr. A noter qu'avec la désormais pléthores de jeux descended by the queen sur la plateforme for the drama, tu as un réservoir de questions inépuisable. [Note du 14/01/22 : Damien ne m’avait pas répondu, mais plus tard j’ai effectivement appris qu’il utilisait la plateforme For the Drama pour piocher des questions]
B. « Par contre, je vous préviens, cette porte a intérêt de s'ouvrir sur les quais du métro car j'ai vraiment un truc important à faire. Je ne sais pas qui je dois remercier entre le hasard et le Joueur mais je me retrouve finalement sur les quais du métro. » La réalité se contorsionne totalement aux règles du méta, transformant les traditionnelles ellipses en téléportation :)
C. « Un crissement de béton révèle une rampe donnant sur les "espaces bis" de mon immeuble.» J'adore le terme employé pour décrire des structures en vertige logique :)
D. Arriver dans le cauchemar Sous la coupe des Horlacanthes, ça craint comme porte d'entrée vers Millevaux :)
E. Apparemment le personnage ressent la douleur. Mais je croyais que c'était une mouche ? De mon souvenir de La Trilogie de la Crasse, les hommes-mouches sont une nuée de mouches dans une enveloppe humaine. Mais ça ressent la douleur ?
Hors ligne
NAISSANCE À LA NUIT
Suite de la découverte de l’île de Haute Heleng, la forêt aimée du temps. Un enregistrement par Claude Féry.
(temps de lecture : 2 min ; temps d'écoute : 26 min)
Le jeu : Upper Heleng, un zine par Sedek Siew et Munkao pour jouer sans règles dans les forêts de l'archipel des mille îles
Joué le 06/11/2019
DeeAshley, cc-by-nc
Suite du témoignage audio de notre découverte de Haute Heleng.
Commentaires de Thomas après écoute :
A. L’évocation de la pluie avec l’accompagnement musical est parfait
B. Un épisode cinématique où Xavier ne se voit pas proposer quelque chose à faire
C. Est-ce normal que ça coupe à 26 min ?
Claude :
B. Et C. Cette seconde partie de la session de découverte a initialement été jouée sur près d'1h30.
Nous avons convenu, lors du bilan, que nous ne retiendrions pas ce que nous avions joué au delà de la cinématique.
Xavier a été très impressionné par les scènes.
Les explorateurs étaient possédés, les uns après les autres.
Chaque homme qui s'éveille à une mine de déterré. Le regard est vide, absent. Ils s'éloignent de la case, sans prêter attention à lui pour disparaître dans la forêt enténébrée.
L'atmosphère est devenue de plus en plus oppressante.
Une odeur de charogne flotte parmi les rares encore assoupis.
Puis le coolie qu'il considérait comme un ami s'est éveillé et s'est enfui comme une bête traquée, pour se réfugier derrière la margelle du puits communautaire.
Léo s'est approché, préoccupé du sort de son ami de fraîche date.
Lorsqu'il l'a rejoint son attitude avait totalement changée. D'un ton fielleux il l'enjoint à le retrouver de l'autre côté.
Puis il l'a violemment saisi et l'a projeté dans le puits.
Le côté evil dead l'a un peu déstabilisé
Mais ce qu'il n'a pas toléré c'est que Ling soit atteint et devienne hostile.
Nous avons donc convenu de reprendre après la cinématique sur le réveil du petit groupe.
Au programme la rencontre avec Breloque, le père de Graine-Ailée, de retour de sa chasse (aux intrus), qui est devenu chien et protège sa fille. Elle va proposer un pacte à Léo, manger les fruits selon la tradition, pour devenir un enfant de Forêt et échapper au Temps
Lors de la partie de Sève il a recruté Alexane pour qu'elle joue avec lui à Haute-Heleng
Nous avons joué les oppositions et les découvertes avec les règles de Canaille.
A ce niveau il était réceptif et demandeur (il veut écrire un jdr de voyage dans le temps pour jouer avec son grand copain, à la recherche du présent)
La session a été fructueuse sur ce plan. Il voulait jouer à l'ancienne. Mais ce qui ressort de notre discussion c'est qu'il est client pour du fantastique léger et poétique façon Haute-Heleng, pas version rêves perdus, surtout sans grand frère à la table pour le rassurer.
Réponse de Thomas :
Merci beaucoup pour ces précisions ! C'est évidemment plus riche quand on connaît la suite de la partie. Je vois que le clan Féry est une grande lignée de créateurs de JDR. Tous mes encouragements en la matière !
Hors ligne
LA POUBELLE DU MULTIVERS
Désavoué, l’agent-mouche Haze se la joue en solo et part en enquête à l’aveuglette dans les recoins les plus sordides du multivers, où Millevaux progresse toujours plus. 4Ème épisode de la campagne solo Millevaux / Trilogie de la Crasse par Damien Lagauzère !
(temps de lecture : 37 min)
Cette partie débute par un rêve d'Anton Vandenberg et un entretien avec le Dr Mugwump joué avec les hack de Pour La Reine mis en ligne par Matthieu Bé. Elle a pour cadre La Trilogie de la Crasse de Batro et Christophe Siébert ainsi que la RIM du même Siébert. Il y a aussi des bouts du Millevaux de Thomas Munier ainsi que quelques uns de ses Vertiges Logiques. Et enfin, dans le désordre, j'ai aussi joué avec Grey Cells, Good Society, Synthetis, Silent Hill, Bois-Saule et j'espère ne rien avoir oublié !
Le jeu principal : La Trilogie de la Crasse, par Batronoban et Christophe Siébert, multivers crapoteux pour humanoïdes abusifs.
Avertissement : contenu sensible (détail après illustration)
Pacific Southwest Forest Service, USDA, cc-by
Contenu sensible : tentative de viol
Parties précédentes de la campagne Millevaux / Trilogie de la Crasse :
1. [La Trilogie de la Crasse] La Reine de la Crasse
Première partie d’une nouvelle campagne Millevaux solo-multisystèmes, en crossover avec la mythologie de la Trilogie de la Crasse et la ville crapoteuse et hallucinée de Mertvecgorod née sous la plume de Christophe Siébert. Où un simple exécutant s’entiche pour la victime qu’il doit convoyer et tente l’impossible pour la retrouver.
2. [S’échapper des Faubourgs] Tuer Précieuse
Une incursion dans un sous-monde où à la fois l’univers de Cœlacanthes et le thème des femmes au destin tragique envahissent tout.
3. [Grey Cells] Le coût d’entrée
L’agent-mouche décide de partir dans Millevaux pour sauver le monde même si tout le monde s’en fout… et quoi que ça puisse lui coûter.
XxXxX
L’histoire:
Dans le bus numéro 6, il n’y a personne à part moi et le chauffeur.
Dans le bus numéro 6, il fait une chaleur d’enfer.
À tel point que j’ai viré mon manteau et mon gilet.
Soudain, le bus numéro 6 s’arrête. Et je sens que c’est mon arrêt. Alors je fonce vers la porte. Sans prendre le temps de récupérer mon manteau. Déjà les portes se sont refermées, et le chauffeur a redémarré. Je me mets à courir derrière le bus numéro 6 comme un dératé. J’ai l’impression que ça dure des heures. Mais bien sûr je ne le rattrape pas.
En revanche, je suis sorti de la ville.
Je me retrouve sur la place principale d’un village ceinturé par la jungle.
Au centre de la place, une grande case. Devant la case, une demi-douzaine de femmes noires. Assises à même le sol. Enchaînées les unes aux autres.
OK. Alors là ça va pas être possible, je me dis.
En serrant les dents, j’entre dans la case. Qui se révèle un hôtel tout ce qu’il y a d’occidentalisé. Bon. Je ne m’en formalise pas plus que ça. Il y a plus urgent. J’avise le réceptionniste. Lui demande où se trouvent les toilettes. Poli comme une pierre, le gars m’indique le couloir à droite. Couloir dans lequel je m’engage aussitôt.
Derrière la dernière porte verte sur la gauche, un cri atroce.
Derrière la porte entrouverte il y a une espèce de serpent volant qui rampe sur le mur, et j’ai l’impression qu’il me sourit.
Et il y a un type barbu avec dans la main un horrible fouet, qui ressemble à un fléau. Il le brandit et s’apprête à frapper une femme avec.
Je gueule.
SALE PUTAIN D’ENFOIRÉ DE TES MORTS, JE VAIS TE L’ARRACHER, TA SALE BARBASSE DE MERDE, ET TE LA FAIRE BOUFFER POIL PAR POIL.
Instantanément, le mec se fige. Et lâche son arme.
Le téléphone sonne.
C’est pour vous, dit l’affreux.
Je décroche sans chercher à comprendre.
À l’autre bout du fil, une femme avec un accent créole. Qui me parle en français. Et me dit qu’on a retrouvé mon manteau.
Je lui demande comment elle m’a retrouvé. Comment elle connaît mon nom. Comment elle sait que ce manteau m’appartient. Comment elle sait que je suis ici, bordel.
Nous avons un dossier sur vous, elle me répond. Sur vous et votre famille. Depuis la première guerre mondiale.
Plus d’endroit où fuir.
Plus de trou où disparaître.
Le monde est devenu trop petit.
Bob Morane est mort.
Alors, Docteur, osez me dire que ce rêve n'est pas plein de sens cachés ! Cet Anton fait des rêves. Ils ont un sens pour lui mais un autre pour moi. Ses rêves sont des messages, assurément ! Déjà , dès le début, le chiffre 6 est mentionné 4 fois ! 6666 ! allez, de 6666 à 666 il n'y a qu'un pas que j'ose franchir. Et puis, la référence à cette chaleur. C'est évident, non. C'est une référence à l'Enfer. C'est tiré par les cheveux, j'en conviens. Mais c'est un rêve aussi. Donc, rien n'est forcément aussi clair que si tout cela avait dû être énoncé consciemment. Et la jungle ? C'est une forêt. C'est Millevaux, bien sûr ! Alors ? Est-ce que ce rêve n'est pas une mise en garde contre cette forêt infernale qui nous menace. Certes, j'ai réussi à éloigner cette menace et... vous savez comment, mais pour combien de temps. Vous noterez, Doc, que cette jungle onirique encercle un hôtel tout ce qu'il y a de plus occidental. C'est ce qui me permet de voir dans ce rêve Millevaux encerclant la RIM. Et ce serpent volant rampant sur le mur, ça ne vous rappelle rien ? L'ombre d'herbe et de plumes sur laquelle je suis tombé à l'intérieur du WereWorld. Je n'en ai pas fini avec ce truc ! Même cette femme à l'accent créole ! C'est une référence au vaudou ! Et qui dit vaudou, dit les Lwas. Et le Joueur sait bien que derrière les Lwas il y a la Loi et les hors la loi... les Horlas ! C'est encore une mise en garde contre Millevaux. Et si Anteros s'était foutu de ma gueule ? Et s'il n'avait jamais été question d'envahir notre monde ? Et si vraiment, il n'y avait...
Plus d’endroit où fuir.
Plus de trou où disparaître.
Vous pensez vraiment que...
Le monde est devenu trop petit ?
Elle a dit qu'ils ont un dossier sur moi. J'ai peur.
Hein ? Ce que j'ai dû sacrifier pour occuper ce poste ? Je ne sais pas trop quoi répondre car... en réalité, j'aime ce job ! Alors peut-être que j'ai sacrifié un certain confort. Un confort matériel mais aussi un confort intellectuel ou spirituel. Mais, en vrai, j'aime ça. Donc je n'ai pas le sentiment d'avoir sacrifié quoi que ce soit. En fait, j'ai plus l'impression que le sacrifice véritable est à venir et que ce que m'a fait subir Anteros n'est pas grand chose à côté de ce qui m'attend.
Ce que je cherche à préserver au sein de l'équipe ? Ma place ? Bof ! Pas vraiment. En vrai, je ne sais pas si c'est ça que je cherche. Si vous parlez de Black Rain comme d'une équipe, en vérité je m'en fous un peu. Black Rain n'est qu'un moyen comme je ne suis qu'un moyen pour Black Rain. En fait, je pense plutôt que ma véritable équipe est en cours de formation. Elle inclurait Corso bien sûr mais peut-être, aussi, Lewis-Maria. Ce cafard n'est peut-être pas aussi pourri qu'il en a l'air. À nous trois, on devrait pouvoir faire quelque chose de bien, je pense... J'espère. On verra.
Quoi ? Moi ? Une réputation sulfureuse au sein de Black Rain ? Vous rigolez Doc ? Je crois surtout qu'on me prend pour le dernier des abrutis. Je ne suis même pas sûr qu'on m'a vraiment cru quand j'ai raconté ce qui m'est arrivé avec cette incarnation d'Anteros. Je ne serais pas surpris que certains pensent que j'ai juste voulu faire mon intéressant ! Enfin, passons...
Une boisson ? Je ne prépare aucune boisson, Doc. À quoi pensez-vous ? Au Foutre de Mouche ? C'est malin ! Ne m'attirez pas d'emmerde, s'il vous plaît. Pour l'instant, personne ne m'est tombé dessus à ce sujet et j'aimerais bien que ça continue. Vous n'êtes pas sans savoir que certains agents de Black Rain sont mort à cause de ce trafic. J'aimerais que cela ne m'arrive pas.
Si j'ai un plan pour survivre au cas où... En vérité, je n'ai aucun plan. Si Antéros, Millevaux, Shub-Niggurath ou Dieu sait qui d'autre devait envahir notre monde, je crois que je tenterais juste de me tirer dans un autre monde, le plus loin possible.
Aujourd'hui, je rends une petite visite à Lewis-Maria. Maintenant qu'il ne retient plus la Reine captive, je me rends compte que je l'aime bien. Et je me rends compte aussi que son petit zoo privé contient des pensionnaires tous plus intéressants les uns que les autres. En effet, certains viennent de la RIM mais beaucoup sont aussi issus d'autres mondes. Explorer leurs mémoires permet d'en apprendre pas mal sur ces univers-là . Tous ne sont pas répertoriés par Black Rain et ça me permet de recueillir les coordonnées de réalité à explorer. Des sources d'informations, des bases de repli au cas où. Et puis, le cafard se révèle plutôt sympathique et intéressant. Comme il a visité les mémoire de chacun de ses pensionnaires, il est au courant de plein de trucs et a plein d'histoire à raconter. Par contre, je n'en dirai pas autant des Soars qui l'entourent. Enfin, de certains Soars. Je ne les connais pas encore très bien mais je crois que certains sont plus louches que d'autres et qu'ils jouent double voire triple jeu. Lewis-Maria leur fait confiance puisque, officiellement, ils sont tous alliés contre l'Entropie mais, moi, je me méfies quand même. Surtout de celui qui se fait appeler Trevor. Lui, il ne me plaît vraiment pas.
Ce matin, c'est le bordel ! Je me rends dans les locaux de Black Rain afin de consulter la liste des mondes répertoriés. En fait, j’hésite à la compléter avec les coordonnées que m'a donné Lewis-Maria. Le cafard n'est pas idiot et il sait bien qu'il y a de grandes chances que j'en parle à Black Rain. C'est mon job. Peut-être qu'il espère s'attirer une certaine bienveillance de la part de Black Rain. Peut-être qu'il pense qu'en nous lâchant quelques informations on lui fichera la paix. Alors, est-ce que je dois jouer le jeu ?
Non ! Je ne jouerai pas le jeu. Je garderai ces informations pour moi car j'ai un problème plus urgent à régler. Je me suis fait refouler de Black Rain. D'après le gars à l'entrée, je ne fais pas partie des effectifs. J'ai insisté et suis quand même parvenu à obtenir qu'on me laisse entrer. Là , il s'est avéré que personne n'avait jamais entendu parler de moi. Personne ne m'a reconnu. Pour le coup, j'ai lâché assez d'informations pour convaincre le chef de vérifier ses fichiers. Je suis bien dedans. Il a même trouvé les rapports de mission que j'ai rédigés. Il n'y a donc aucun doute quant à mon appartenance à Black Rain. Mon dossier est à jour. « Nous avons un dossier sur vous, elle me répond. Sur vous et votre famille. » Tout est en règle. Sauf que... personne ici ne se rappelle de moi. C'est comme s'ils avaient tous perdu la mémoire. Ou plutôt, c'est comme s'ils m'avaient oublié moi, juste moi. Et soudain, j'ai chaud. Très chaud. Je me sens mal. J'étouffe. Je regarde autour de moi...
Plus d’endroit où fuir.
Plus de trou où disparaître.
Le monde est devenu trop petit.
À reculons, je me dirige vers la sortie. Personne ne cherche à me retenir mais je lis quelque chose qui ne me plaît pas dans le regard du chef. Il passe là une ombre. Une ombre serpentine faite d'herbes et de plumes...
J'erre dans les rues. Au loin, le soleil se reflète dans les façades de l'Ultramarin. Et j'y vois courir cette ombre serpentine faite d'herbe et de plumes. Je repense à Quetzalcóatl évidemment, mais à la sauce forestière. Et avec la mycose qui court le long de mon bras, je vois là les champignons qui l'accompagnent. L'ombre de Millevaux plane sur la RIM. Les Horlas sont à nos portes. Cette amnésie me concernant qui frappe tout le monde au bureau n'est pas un hasard. Trevor est louche. Le chef aussi. Et c'est dans ses yeux que j'ai vu courir le serpent. On nous cache des choses à Black Rain. NeinUnd a parlé d'une opération militaire. J'ai pensé à un plan secret contre l'Entropie mais... et si le chef avait ses propres plans ?
Je soulève les manches de ma veste et ma chemise et explique à la mycose que je vais avoir besoin d'elle. Ça me gratte. Elle a compris. Je ne sais pas en quoi elle peut m'aider à filer le chef mais on ne sait jamais. Sauf que les heures passent et le chef ne quitte pas les locaux de Black Rain. Et la mycose perd patience. Elle me le fait savoir en se « resserrant » autour de mon bras. Je ne sais pas comment elle fait ça mais ça fait très très mal. OK, j'ai saisi le message. Va falloir chercher ailleurs.
Je ferme les yeux sous l'effet de la douleur et, quand je les ouvre, je le vois. Un homme à moitié à poil et peint en vert. Il me sourit et me tend la lance qu'il tient dans la main. Et j'ai un flash alors même que je m'en saisis.
Je vois... une forêt... et un arbre aux branches calcinées. Quand j'en fais le tour, je vois un miroir incrusté dans le tronc. Des lumières y dansent, formant des figures totalement aléatoires autour d'un centre indéfini. Cela me fait penser à un attracteur étrange. Aucune figure nette ne se dessine mais, quand je tente de reconstruire mentalement le trajet de ces lumières, je crois deviner la forme du serpent d'ombre, de plumes et d'herbe. Ce truc m'aurait suivi jusqu'ici ? Est-ce sa faute si tout le monde m'a oublié à Black Rain ou est-ce une manigance du chef parce que je commencerais à saisir certaines choses ? Je fais le tour de l'arbre, espérant trouver le type en vert. Il est là et jubile. Je lui tend sa lance mais il refuse de la prendre. Il me montre le miroir. Là , une image se forme et je vois le chef dans un... tombeau. Il est mort ! Je ne reconnais pas cet endroit mais on dirait un de ces vieux monuments de Mertvecgorod. On dirait qu'il va falloir que je fasse la tournée des cimetières. Et m'assurer, aussi, de ce que le chef est bien mort.
Et la vision s'achève subitement ! Le type en vert a disparu mais j'ai toujours la lance entre les mains.
Je fonce chez moi. On me regarde bizarrement avec ma lance à la main mais on me fiche la paix. Ce n'est certainement pas la chose la plus bizarre que verront les gens aujourd'hui. Dans le hall de mon immeuble, je bifurque vers le local poubelle et me fiche devant la caméra de surveillance de Lewis-Maria. La porte secrète s'ouvre.
Dans le petit salon où m'attend le cafard, je ne me sens pas très à l'aise. Trevor est là et je ne sais pas si je vais pouvoir parler aussi librement que je ne le souhaitais en arrivant. Je laisse le silence s'installer. À Lewis-Maria de le rompre.
« As-tu vu ce western, « Braquage dans le désert de pierres » ? C'est l'adaptation d'un bouquin de Franck Masson. Ce qui est fascinant dans ce film, comme dans le livre, c'est que le désert de pierres n'en est pas vraiment un. Ou plutôt, ça change. La forêt, sans y parvenir toutefois, tente d'envahir le désert. C'est plus qu'un simple western. C'est une... métaphore. Tu saisis ? »
Évidemment, je n'ai ni lu ce livre, ni vu ce film. Mais, la présence de Trevor m'incite à enchaîner. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai l'impression que Lewis-Maria tente de me dire quelque chose malgré la présence du Soar. Aussi,
« Oui, mais euh... Je n'ai pas bien saisi la dernière scène. »
Je resserre ma poigne autour de la lance. Je sens le regard du cafard mais n'y vois pas de convoitise. C'est tout l'inverse pour Trevor. Il veut cette lance !
« La scène finale..., enchaîne le cafard. Sur la place principale de cette petite bourgade, avec le collecteur de taxe enchaîné. Il est têtu, hein ? Il voulait prévenir la victime, réconcilier ceux qui s'étaient déchirés. Mais, c'est là que réside la métaphore. Qu'est-ce qui était vraiment déchiré ? C'est pour ça que le film s'achève sur ce plan sur les nuages qui s'écartent pour laisser passer un rayon de soleil... un peu comme la main de Dieu. Tu comprends ? »
Je comprends surtout que les choses peuvent mal tourner si je m'entête à rester là . Je pense vraiment que Lewis-Maria, s'il ne sait rien, se méfie au moins autant que moi de Trevor. Non, il doit forcément savoir quelque chose. Normalement, lui et les Soars sont alliés. Mais peut-être que Trevor fait cavalier seul ou qu'il a retourné sa veste et s'est mis au service de l'Entropie.
De retour chez moi, je repense aux mots du cafard. Le désert que tente d'envahir la forêt. Ça, c'est Millevaux. Le final, sur la place principale... la place principale de Mertvecgorod... ça peut autant être la Zona que l'Ultramarin. Mais c'est sur la façade de l'Ultramarin que j'ai vu courir l'ombre du serpent de plumes et d'herbes. Le collecteur de taxe enchaîné et têtu. Un fonctionnaire, un officiel. Un membre de Black Rain ? Le chef ? Le chef tentait-il de réconcilier quelqu'un, jouait-il l’intermédiaire entre deux factions ? Mais lesquelles et pourquoi ? Mais qu'est-ce qui était réellement déchiré ? Les nuages... Là encore, c'est une métaphore. Quelque chose s'est déchiré, mais pas forcément des gens. Et le chef aurait tenté de réparer tout ça ? Et il en serait mort ?
Si j'interprète correctement ce qu'a essayé de me dire Lewis-Maria, le chef est mort car il aurait tenté de refermer une brèche entre notre monde et Millevaux. Et le serpent d'ombre l'aurait tué. Si j'ai raison, le tombeau où j'ai vu son corps est peut-être un lieu clé de cette histoire. Et l'ombre que j'ai vu dans le regard du chef n'était pas le signe de sa traîtrise mais de ce que le Horla l'avait déjà trouvé. Ou alors, c'est moi l'officiel, le collecteur. C'est moi qui vais devoir refermer cette brèche que le chef, volontairement ou non, sous l'influence du Horla, a tenté d'ouvrir.
C'est ce qui est pénible avec cette culture du secret chez Black Rain, c'est qu'on ne sait pas et qu'on ne peut pas savoir. Alors, mon chef avait-il ses propres plans, ses propres directives dont il ne nous a rien dit ? Avait-il retourné sa veste au service de l'Entropie ou était-il involontairement tombé sous la coupe d'un Horla ? Et l'amnésie qui frappe Black Rain à mon sujet, quel sens cela prend maintenant ? Quelque chose ou quelqu'un a-t-il essayé de m'éloigner de tout ça, de quoi ? C'est pas comme si j'étais la Mouche la mieux vue du bureau...
On frappe. À travers le judas, je reconnais Trevor. Le Soar n'a peur de rien pour se trimballer comme ça dans le couloir. Il a l'air plutôt décontracté. À sa place, avec une tête pareille, j'aurais trop peur de tomber sur quelqu'un. Bref, j'ouvre la porte et le fais rentrer en vitesse. Il jette un œil autour de lui, appréciant la déco, ou plutôt l'absence de déco. Je lui propose un café. Il accepte mais précise qu'il serait ravi si celui-ci était un peu... chargé. Je comprends l'allusion et fouille parmi les quelques bouteilles d'alcool en ma possession. J'ai du Porto. Je ne sais pas si ça se marie bien avec le café mais ça a l'air de lui convenir.
On s'installe dans ce qui fait office de salon. Je devrais être un peu gêné de le recevoir dans un tel bordel mais si tel était le cas, ça voudrait dire que son avis est important. Or, je veux vraiment qu'il sente que j'en ai rien à foutre de lui et de sa présence. Il ne mérite pas que je fasse des efforts. Je suis chez moi. Je ne l'ai pas invité. C'est mon bordel. Je m'y sens bien et je l'emmerde.
Et soudain, son sourire s'efface. Il m'annonce qu'il souhaite me recruter. Il veut en effet lever une armée. Contre l'Entropie ? Oui ! Contre l'Entropie. Je repense à la rumeur qu'a fait courir NeinUnd sur le Net et me demande s'il ne serait pas en lien avec le chef. Et si oui, sait-il qu'il est mort ? C'est le bon moment de m'en remettre à ROHUM pour savoir ce que Trevor a dans le crâne. Et il s'avère qu'il n'est pas en lien avec le chef. Ils ne se connaissent pas mais Trevor appartient à une organisation plutôt opaque. Il n'est donc pas exclu qu'il s'agisse d'une sous-cellule secrète montée par Black Rain. Ce serait même assez le genre. Dans ce cas, Trevor roulerait pour Black Rain, dans le cadre du projet dont a parlé NeinUnd mais, finalement, sans même savoir qui l'a recruté lui-même. Et il viendrait pour me recruter justement. J'ai presque envie de rire mais je me contrôle. Je fais semblant d'écouter ce qu'il me dit, me concentrant plutôt sur ce qui, dans ses pensées, tendrait à confirmer qu'il serait en train de me faire une proposition afin d'intégrer une sous-cellule de... Black Rain ! C'est un comble. Mais il pense aussi à son peuple. Je sais vaguement qu'il est divisé en castes. C'est un système rigide et intolérant. Je crois le voir venir. Il s'agirait non seulement de combattre l'Entropie mais aussi, et peut-être même surtout, les hautes castes de son pays. C'est presque tentant. Je ne sais pas ce que Lewis-Maria sait de Trevor. Je ne sais pas s'il se méfie vraiment de lui, ni pourquoi, mais je suis tenté de penser que si l'homme-porc joue un double-jeu, c'est peut-être qu'il est manipulé, sans le savoir, par Black Rain. Le chef l'aurait donc recruté dans le cadre de son opération militaire contre l'Entropie. Pour autant, je ne lis pas dans les pensées de Trevor quoi que ce soit qui fasse le lien entre l'Entropie et les hautes castes Soars. Cela aurait pourtant pu être un levier pour le convaincre. En tout cas, il me confirme que l'organisation pour laquelle il souhaite me recruter a des objectifs similaires à ceux de la petite association qu'ils ont fondé avec Lewis-Maria. C'est juste que là , il y a moyen de taper plus fort. Alors, est-ce que j'en suis ? Je botte en touche en demandant un temps de réflexion. Il accepte mais je le sens un peu déçu.
Je repense à l'offre de Trevor. Et si je me plantais ? Et si son organisation n'avait rien à voir avec ce que je crois être les plans secrets du chef ? Dans les deux cas, ce serait l'occasion d'en apprendre plus sur ce qui se trame. Mais je repense aussi au chef. Au chef... mort. A priori, personne n'est au courant de son décès. D'un autre côté, comme tout le monde m'a oublié à Black Rain, ce n'est certainement pas moi qu'on préviendra en premier, sauf si on me considère comme suspect.
Je me connecte et une rapide recherche me fait reconnaître le lieu de ma vision. L'Ossuaire de la Zona. C'est glauque. Toute la déco semble faite en ossements humains. Pas étonnant que cela puisse être un lieu de rituel. Je serai curieux aussi de savoir si on trouverait pas là -bas une rune Hshl. Ce qui m'étonne, par contre, c'est qu'il s'agit d'un lieu public. Un corps aurait donc dû être découvert rapidement. Donc, soit on ne l'a pas encore découvert, ce qui serait surprenant ; soit on a fait disparaître le corps discrètement, ce qui le serait moins et témoignerait des moyens à disposition du meurtrier. Et là , me vient l'idée que cette vision n'est peut-être pas une vision du passé mais de l'avenir. Si tel est le cas, ça veut dire que j'ai une chance de sauver le chef. Outre une bonne action, ce sera aussi l'occasion de redorer mon blason au sein de Black Rain. Et il en a vraiment besoin.
Le métro me dégueule non loin de la cathédrale abritant l'ossuaire. Rentrer est facile, il suffit de payer. Mais une fois à l'intérieur, c'est autre chose. L'air de rien, il y a des guides et des gardiens. La question n°1 est de savoir si j'ai une ouverture. Et la réponse est oui ! Maintenant, la question n°2 : vais-je être capable de saisir cette opportunité et me rendre dans l'ossuaire sans qu'on me remarque ? Là , c'est autre chose. Je me frotte le bras, espérant un coup de pouce de la mycose. Je me frotte plus fort. Ça me gratte. Ça fait mal, en fait. Je relève ma manche. La mycose est toujours là mais elle n'est pas seule. Qu'est-ce que c'est que ces boutons ? Ça fait mal ! Putain ! Un zona ! J'ai chopé un zona ! Est-ce que cette saloperie m'aurait infecté ? Ça fait hyper mal ! Je regarde autour de moi. Personne ne semble n'avoir remarqué. Je crois comprendre. Ce ne sont pas les gardiens qui vont m'empêcher d'accéder à l'ossuaire. C'est la mycose. Cette saloperie a déclenché cette maladie pour m'empêcher d'entrer. Pourtant, je dois rentrer là -dedans. Comment tromper cette mycose qui ne me quitte jamais ? Corso a dit qu'il pouvait quelque chose pour moi. Il ne sait plus qui je suis mais peut-être qu'il m'aidera quand même. Si je lui envois un mail...
Je quitte la cathédrale précipitamment et rentre dans le premier cybercafé que je trouve. Là , j'envoie un mail à Corso et je lui explique qui je suis et ce qui m'arrive. Je lui rappelle aussi que, malgré son amnésie, il avait promis de m'aider. Et je finis en lui disant que j'ai vraiment, mais vraiment besoin de lui pour me débarrasser de cette saloperie. J'hésite un instant à divulguer cette information mais peut-être que ça l'aidera à se décider. Alors, je lui laisse entendre que le chef court peut-être un grand danger.
Je fonce ensuite chez moi, espérant que Corso aura répondu durant le trajet. Et c'est le cas. Corso ne se rappelle toujours pas de moi mais accepte quand même de m'aider. Par contre, il veut en savoir plus. Pas de problème de ce côté là . Il ne s'en souvient pas mais nous sommes amis. Je lui demande de venir chez moi. Je lui redonne l'adresse qu'il a certainement oublié aussi. Je l'attends. Qu'il vienne aussi vite que possible.
Corso aura pris son temps mais j'en aurai profité pour me reposer. J'en avais vraiment besoin. Je le fais entrer. Je le vois observer les lieux. Il ne semble vraiment pas reconnaître mon appart. Je le fais s'asseoir et lui propose un verre qu'il accepte avec réticence. A-t-il peur que je ne l'empoisonne ? Je relève ma manche et lui montre la mycose. Il regarde mon bras avec circonspection. Je lui rappelle qu'il m'avait dit pouvoir faire quelque chose. Il confirme avoir une idée mais ne se rappelle évidemment pas m'avoir promis quoi que ce soit. Il se cale dans mon fauteuil et, avant toute chose, exige que je lui raconte tout. Alors, je lui explique être une Mouche mais que quelqu'un a fait en sorte que tout le monde m'oublie à Black Rain. Je lui raconte avoir chopé cette saloperie qui me ronge le bras en mission à Millevaux. Millevaux est ou serait une variante de l'Entropie, comme Antéros et Shub-Niggurath. D'ailleurs, je pense que Millevaux n'est rien d'autre qu'un avatar de Shub-Niggurath connu, parfois, sous le nom de Titan-Millevaux. Bref, je lui raconte avoir également été suivi, lors d'un voyage à l'intérieur d'un WereWorld, par ce que je pense être un Horla. Une espèce de serpent fait d'ombre, de plumes et d'herbe. J'ai confié le WereWorld à un cafard travaillant en lien avec un groupe de Soars. Ils affirment combattre eux aussi l'Entropie mais au moins l'un d'entre eux joue un double jeu dans le sens où il veut mettre à mal le système de castes des Soars. Je lui explique aussi qu'une rumeur sur le Net affirme que Black Rain mettrait au point une opération militaire et que je soupçonne le chef d'être au courant. Aussi, je crains que ma vision concernant sa mort ne soit liée à cette activité là . Ne sachant pas si ma vision est une vision du passé ou du futur, il y a peut-être encore une chance de sauver notre chef. Alors, je demande à Corso si notre chef est encore de ce monde. Mais, à ma grande surprise, il refuse de me répondre. J'insiste, en vain. Je ne comprends pas ce qu'il veut me cacher. Bon, qu'il s'occupe au moins de mon bras et me débarrasse de ce truc.
Corso sort alors de son sac du désinfectant, du fil, un bistouri mais aussi quelques runes. Il se lance alors dans un mix de rituel magique et d'intervention chirurgicale. Je ne sais pas ce qui fait le plus mal entre la lame du scalpel ou les réactions de la mycose qui s'accroche littéralement à mon bras. Corso ne dit rien quand j'avale de grande goulées d'alcool. En vérité, l'intervention ne dure que quelques minutes mais cela m'a semblé beaucoup plus long. Je suis crevé et j'ai vraiment très très mal au bras. Mais au moins, la mycose n'est plus là et le zona non plus.
Le zona ! L'ossuaire ! Je préviens Corso qu'il faut y retourner au plus vite. Je songe d'ailleurs qu'il y a peut-être là -bas une rune Hshl. Et si le chef est mort mais que son corps a disparu, c'est peut-être par-là qu'on l'a évacué. Il faut absolument y aller. Corso m'aide à me relever. Je comprends qu'il ne me dira rien mais, au moins, il va venir avec moi.
Et alors qu'on allait sortir de chez moi, j'ai une idée. Et si, au lieu de prendre le risque de se faire repérer, voire pire, à l'ossuaire, on utilisait les runes de Corso pour faire un repérage depuis la dimension du Voyeur ? Corso demeure impassible mais ne s'y oppose pas. J'ai l'impression qu'il pense que ce n'est pas une bonne idée mais qu'il s'en fiche puisque c'est moi qui irais dans la dimension du Voyeur. S'il se souvenait que nous sommes amis, il tenterait sans doute de m'en dissuader.
Corso prépare son espèce de pentacle et commence à disposer les runes. Il me demande ensuite sous la « protection » de quel ancien je préfère me placer. Je n'en ai aucune idée mais comme tout ça ressemble de plus en plus à une histoire de fou, je choisis Xel'lolath. Corso effectue ensuite les diverses phases du rituel et un petit scorpion vert à trois pattes apparaît. Il se réfugie alors rapidement à l'autre bout de l'appart afin de ne pas se trouver dans l'aire d’explosion de la créature. Un flash de lumière m'aveugle. Quand j'ouvre les yeux, tout est en noir et blanc.
« J'pense qu'on devrait pas enterrer les morts.
La terre les dévore ou les vomit.
On devrait pas faire de messe non plus.
Çà les fait revenir. »
Qui a dit ça ?! Je regarde autour de moi. Il n'y a personne. Je suis dans un sous-sol. Il n'y a plus un bruit. Je ne sais pas pourquoi mais je suis soudain pris de panique à l'idée de tomber sur quelque chose de... mort ! Je suis pourtant venu ici pour observer un ossuaire et, peut-être, trouver le cadavre de mon chef de service. Mais, est-ce à cause de cette voix que je viens d'entendre, la perspective de tomber sur quelque chose de mort me remplit d'effroi. Pourtant, il va bien falloir que j'avance et trouve une fenêtre sur l'ossuaire.
À mesure que j'avance dans l'éblouissante obscurité de ce monde en négatif, je me rends compte que je dois être dans le sous-sol d'un bâtiment en ruine. Ça et là , les murs envahis par la mousse se sont écroulés et je vois de la terre et des racines. Plein d'une soudaine angoisse dont je ne saisis pas l'origine, je m'attends, à tout moment, à tomber sur une fenêtre sur l'ossuaire. Je n'ai qu'une peur, c'est que là , ces os prennent vie ou que le cadavre du chef reprenne vie lui aussi et s'en prenne à moi. Il ne m'aime pas, je le sais. Il est déjà si difficile de contenir ses inimitiés quand on est vivant, mais comment contenir ses pulsions quand on est mort ? Corso y arrive mais ce n'est pas un mort comme les autres.
Ces sous-sols sont obscurs. Mais dans ce monde en négatif, j'y vois plutôt bien. Je cherche une fenêtre ou une porte d'où je pourrais espionner notre monde. Je cherche aussi une rune Hshl et, pourquoi pas, un passage vers l'ossuaire ou ailleurs. La dimension du Voyeur offre des fenêtres vers les autres mondes mais, après tout, une fenêtre, ça se brise. Alors ?
Alors, c'est bien ça ! Corso n'a pas été assez loin dans son exploration. Il s'est contenté d'espionner les autres mondes, un peu comme Lewis-Maria se contente de violer les mémoires des pensionnaires de son petit zoo. Mais, partout où il y a une fenêtre, il y a aussi un accès vers un ailleurs. D'ici, je ne peux pas seulement observer, je peux aussi me déplacer. Il n'y a évidemment aucun moyen de vérifier cette hypothèse mais, en l'absence de rune Hshl autour de moi, j'en viens à me demander si cette dimension n'est pas une rune en soi. Et en cela, elle sera donc une formidable porte vers ailleurs, vers partout. Est-il vraiment possible que Corso l'ignore ? Ou alors, n'est-ce qu'une folie inspirée par Xel'lolath ? Et si cette angoisse soudaine pour la putréfaction était aussi une blague que me ferait la divinité de la folie ?
Je finis quand même par trouver une ouverture sur l'ossuaire. Je commence par observer tous ces éléments de décoration taillés dans des os humains. Je m'attends à les voir bouger, s'assembler en une créature monstrueuse et se diriger vers moi mais il n'en est rien. Pourtant, il me semble quand même percevoir un tressaillement, une vibration. Je reste prudent et observe. Je me penche, à la recherche du corps du chef. Il y a bien un mort ici, mais ce n'est pas mon chef. D'ici, je ne le reconnais pas mais je reconnais quand même cette silhouette. Pas de doute, c'est un Soar. Trevor ? Oui ! Que fait-il là  ? Pourquoi fait-il mentir ma vision ? L'espace d'un instant, je me surprends à penser que Trevor et le chef sont en réalité la même personne. Existe-t-il un sortilège qui aurait permis au Soar de prendre l'apparence du chef et diriger notre cellule de Black Rain ? Les Soars peuvent-ils faire ça ? Dis-moi, ROHUM. Et ROHUM me dit que non. Les Soars peuvent projeter des visions dans la tête de leurs cibles mais générer une telle illusion et la faire durer, c'est trop dur. Alors, s'agit-il d'une forme dénaturée de la magie Soar ? Après tout, Trevor est un dissident par rapport à son peuple. Mais tout cela n'est peut-être là encore qu'une folie inspirée par Xel'lolath.
Je détourne le regard. Je ferme les yeux et réfléchis. Je ne suis plus sûr du tout de pouvoir me fier à mes sens ni à ma raison. Tout cela a-t-il encore le moindre sens ? Et si j'acceptais l'idée que les plans secrets de Black Rain le restent ? Et si j'acceptais l'idée de ne plus me préoccuper de cette rumeur colportée par NeinUnd sur le Net ? Et si je faisais tout simplement mon job et rien de plus ? Mais quel est mon job ? Quelle est ma mission ? Recueillir des données relatives au meurtre de l'Hommonde. Combattre l'Entropie sous toutes ses formes, qu'il s'agisse d'Antéros ou des Horlas issus de Millevaux. Millevaux, la dimension du Voyeur est une forêt ou au moins elle a été réduite en ruine par la forêt. Cette dimension est rongée par Millevaux et peuplée de Horlas. Je ne l'entends pas mais je sais que quelque chose ricane dans l'ombre. Non, c'est l'ombre elle-même qui ricane. Et elle se moque d'autant plus de moi que c'est moi qui l'ai attiré en invoquant ROHUM. Le serpent d'ombre, d'herbe et de plumes a retrouvé ma trace. Ce truc va me bouffer. Est-ce que la lance du type en vert peut m'aider ? Aucune idée ! Je ne veux pas prendre le risque. Je regarde à nouveau dans l'ossuaire et cherche une rune Hshl. Je la vois ! Il y a donc un portail de l'autre côté. Vers où ? Je m'en fous !
Je brise la fenêtre entre la dimension du Voyeur et l'ossuaire. Une fois de l'autre côté, c'est à toute vitesse que je cherche, au hasard un portail. J'espère juste être plus rapide que le Horla. Je tâtonne les murs et trouve. Je saute !
Où suis-je ? Quel est ce monde ? Est-ce une faculté propre aux Mouches, je n'en sais rien mais j'ai comme une compréhension instinctive de cet endroit. Peut-être que je suis déjà venu mais que je ne m'en rappelle pas. Je sais que c'est un monde plein de vie. Ici, les proies ne manquent pas. On trouve facilement de la nourriture. Il y a des humains, ou du moins une forme de vie qui y ressemble. Ne souffrant pas de la faim, elle s'est développée pour vivre en paix. Il y a des villages et des villes. L'artisanat est mieux vu que la guerre. La dextérité et la finesse sont mieux considérées que la force brute. On admire plus quelqu'un pour le raffinement de son art que pour sa brutalité et les relations d'entre-aide et d'amitié l'emportent sur les rivalités. On dirait que je suis tombé dans un monde plutôt sympa. J'espère ne pas le pourrir en y attirant ce Horla d'ombre.
Et je découvris alors que j'avais une vie dans ce petit monde idéal. J'y suis connu comme un agriculteur avisé. On me connaît. On me respecte. J'ai des amis. Louis-Marie, l'éleveur et Ange l'apothicaire. Tout le monde ici vit en bonne intelligence. Il n'y a pas de guerre entre clan. Le taux de criminalité frôle le zéro. Personne n'a jamais entendu parlé d'Internet ou de téléphone portable mais tout le monde semble s'en moquer éperdument. C'est une sorte d'univers médiéval fantastique, fantastique non pas parce qu'il y aurait des créatures magiques ou des sorciers mais fantastique parce qu'on dirait bien qu'il a évolué en ignorant tout de la guerre et de la bêtise. Que donnera ce monde dans cinq ou six siècles ?
Les gens d'ici ont bien vu que quelque chose clochait avec moi. J'ai expliqué avoir été dans les bois et ne me rappeler que d'une chute sur la tête. Cela a suffit à Ange pour me diagnostiquer une amnésie et tout le monde est aux petits soins, souhaitant que je recouvre la mémoire au plus vite. Une crainte toutefois ne me quitte pas, que le Horla, serpent d'ombre, de plumes et d'herbe ne m'ait suivi. Si oui, on pourra bien dire que j'ai introduit le ver dans la pomme.
Et déjà les ennuis arrivent. Une partie de mes réserves viennent de partir en fumée. Ou plutôt, en pourriture. En une seule nuit, personne ne sait comment, la majeure partie de mes réserves a pourri. Je ne peux voir là que l'influence du Horla. Il est bien là . Il m'a suivi et il semble bien décidé à me pourrir la vie au possible.
Les conséquences de cette « sorcellerie » ne se font pas attendre. Malgré le soutien de mes amis, certains s'inquiètent pour leurs propres réserves de nourriture. Ils craignent que le même mal ne les frappe et ils m'en tiennent pour responsable. Mon amnésie m'interdit de leur opposer quelque argument valable que ce soit et, dans mon dos, on se demande ce qu'il m'est vraiment arrivé dans les bois. Ma position est clairement menacée. Ce petit paradis n'en est un que tant que tout va bien. En cas de problème, je crois comprendre qu'ils sont ici prêts à tous les extrêmes. Ils n’hésiteront pas à s'amputer d'un membre gangrené.
Toutefois, mes « vrais » amis me restent fidèles. Louis-Marie me propose une alliance commerciale de circonstance afin de redonner confiance au reste de la population. Le contrat qu'il me propose est honnête. Il ne profite pas de la situation. Et qu'il négocie ce contrat avec moi montrera aux autres que lui, au moins, n'a pas peur d'une contamination de son troupeau par mes stocks. Je l'en remercie. Mais, malgré ça, j'ai peur que le Horla ne se lance dans une attaque plus directe.
La peur que ce Horla ne s'en prenne à ce monde qui avait l'air si charmant avant que j'arrive me met mal à l'aise. Aussi, alors que je repère une rune Hshl en me promenant dans les bois, je me mets en quête de trouver un passage vers... n'importe où en espérant que le Horla m'y suive...
Quel est ce nouveau monde ? On dirait une ville abandonnée. Il fait sombre. L'air est humide. Parfois, les murs effondrés font place à des plaques de métal ou du grillage. C'est pareil pour le sol. Alors, le grillage laisse apparaître de profonde abysses. Je fouille mes poches. On dirait que j'ai récupéré mon arme. Et j'ai aussi fait le plein de munitions.
J'erre dans ces rues sans trop savoir où je vais. Je perçois au loin, parfois, des ombres bizarres et je préfère ne pas m'approcher. J'entends des bruits étranges aussi et des cris. Je rase les murs, l'arme au poing. Puis, je le vois, Corso. Il erre là , lui aussi. Je l'appelle. Il me reconnaît et court vers moi. J'ai beau savoir que ce n'est pas le Corso de mon monde d'origine, ça me fait plaisir de le voir. Je lui explique être arrivé ici en empruntant un passage près d'une rune Hshl. Je lui explique avoir fui un Horla. Je lui dis aussi que je ne sais pas où je suis. Lui non plus ne sait pas vraiment où il est. Il a seulement répondu à l'appel de cette ville : Silent Hill. La ville est déserte, uniquement peuplée de créatures bizarres lui rappelant de mauvais souvenirs. Je lui propose de rester avec moi. Évidemment, il accepte.
Dans le brouillard, une ombre au loin finit par se dessiner. On dirait une femme. Elle titube. J'accélère, mais Corso me retient. Il lui paraît plus prudent de ne pas se précipiter. Il a eu une très mauvaise surprise. Il laisse échapper un nom : Edes. Ça ne me dit rien. Je n'insiste pas. J'avance quand même. Je reconnais la Reine. Que fait-elle ici ? De loin, à la voir comme ça, on dirait qu'elle est blessée. Je la rattrape et me rends compte qu'elle est pire que blessée. Elle ne ressemble plus vraiment à la Reine, non. Elle est nue. Ou plutôt, on dirait qu'elle est recouverte d'une seconde couche de peau flasque et translucide qui masque ses traits et les détails de son corps. Il n'y a qu'une seule ouverture, au niveau de son sexe d'où s'échappe un tentacule verdâtre. Qu'est-ce que cette saloperie ? Je la braque avec mon arme. Pour autant, elle ne me menace pas. Je crois qu'elle ne sait même pas que je suis là , coincée dans cette seconde peau. Corso me rattrape et me demande si je la reconnais. Oui, évidemment mais... Je sens la pression de sa main sur mon épaule. Il doit se dire que ce serait un acte charitable de l'abattre mais je ne peux m'y résoudre. A-t-on un but dans ce monde ? Corso pense que oui mais il ne le connaît pas.
Une sirène se fait entendre. La silhouette de Corso s'efface. La Reine s'agite sur elle-même puis disparaît elle aussi. Et autour de moi, tout n'est plus que métal rouillé. Et quelque chose dans ma tête me dit que tout cela est un formidable mensonge. Que ce monde est un mensonge. Mais de quel monde s'agit-il ? De celui que je viens de quitter ou de celui où je viens d'arriver ?
Et en parlant d'arriver, qu'est-ce que c'est que ce truc qui arrive vers moi ? Un cafard géant ! Sur deux pattes ! Il n'a pas l'air hostile. Lewis-Maria, sauf qu'il n'est pas à l'intérieur d'un de ses hôtes. Il se passe quelque chose de bizarre. Autour de lui, une araignée ne cesse de tisser une toile suintant un liquide vert. Et plus il s'approche, plus j'ai l'impression que le cafard bouge bizarrement. Ces gestes sont saccadés. J'ai même l'impression, par moment, qu'il clignote ou qu'il se téléporte sur des distances courtes. Pourtant, comme pour le Reine, je n'ai pas l'impression que ce monstre me veuille du mal.
Le cafard s'approche et semble rire. Enfin, je crois que ce cliquetis de touche de vieille machine à écrire est une sorte de rire. Avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, il est tout près de moi et me prend par les épaules. Il m'entraîne avec lui. Nous marchons dans les rues métalliques et rouillées de cette nouvelle version de Silent Hill. Je lui demande ce que je fiche ici. Il me regarde avec ce que je crois être un regard lourd de sens. Il me dit que je suis quelqu'un d'intelligent, de réfléchi, que c'est là une de mes qualités principales et qu'elle me sauvera la vie. Je dois, affirme-t-il, continuer à me poser des questions car ce sont les réponses que je trouverai, les plus capillotractées soient-elles, qui me permettront de me sortir de cette spirales d'illusions et arriver, peut-être, à une sorte de réalité. On est à Silent Hill parce qu'on a des choses à se reprocher, me dit-il. On a tous quelque chose sur la conscience. Et quand c'est trop lourd, Silent Hill nous appelle et nous donne l'occasion d'y réfléchir et d'alléger un peu notre fardeau... ou de mourir. On a le choix.
Loin de moi l'idée de penser que je suis irréprochable mais je n'ai entendu aucun appel. Je suis arrivé ici par hasard en empruntant un passage à proximité d'une rune Hshl. Dans ce cas, me dit le cafard, Silent Hill n'est pas la fin de mon voyage. Ce n'est qu'une étape. Et le but de ma visite ici ne serait donc, pour l'instant, que de trouver la sortie. Mais, aucun doute selon lui, un jour la ville m'appellera. Alors, il me laisse là et repart dans le brouillard.
Je reprends mon errance dans ce Silent Hill altéré où tout n'est que métal rouillé. Et je tombe sur une nouvelle scène complètement dingue. C'est Corso que je vois se battre, ou plutôt se débattre, avec une femme. Une jeune femme blonde. Elle a l'air complètement dingue. Elle a des ailes dans le dos. Mais pas des ailes d'oiseau. Ses ailes sont faites de bois et de feuilles. Et elles saignent. Au début, je n'arrivais pas à déterminer qui avait le dessus mais vu la tournure des événements, c'est clair que Corso l'emporte. Mais il est en train de l'emporter d'une façon qui ne me convient pas du tout puisqu'il est en train de déshabiller son adversaire. Je sors mon flingue et, sans vouloir faire de mauvais jeu de mot, tire un coup en l'air. Corso s'arrête immédiatement. Il a l'air effrayé. Je sais que ce n'était pas dans son intention d'aller aussi loin. Il n'est pas comme ça. Qu'est-ce qui a pu le pousser à de tels actes ? Subit-il lui aussi l'influence de Xel'lolath ? Choisir le dieu de la folie pour invoquer le petit monstre ouvrant les portes de la dimension du Voyeur était peut-être la plus grosse connerie de la journée. Pourtant, dans ce chaos, je me surprends à garder mon sang-froid. Je ne possède rien. Je n'ai que ce que je suis. Et je suis, parait-il, un homme avisé, réfléchi et doté d'une solide volonté. C'est le moment de faire la preuve de tout ça. Je m'approche de mon ami tout en rangeant mon arme. La femme - l'ange ? - à côté de lui se rhabille et arbore un air dédaigneux. Elle s'appelle Edes, me dit-il. Et, comme lui, c'est un ange. Et, comme lui, elle a été abandonnée quand Dieu a fui Shub-Niggurath et Millevaux. Je crois qu'il y a une confusion. Ce n'est pas mon Corso. Je ne comprends rien à ce qu'il me raconte. Mon Corso est un mort-vivant, pas un ange. Et Dieu n'a pas fui face à Millevaux puisque Millevaux n'a pas envahi notre monde et que Dieu... n'existe pas. C'est un autre Corso, venant d'un autre monde, qui me prend pour un autre Haze. Je lui mens. Je lui dis que je sais, que je comprends. Je tente de l'apaiser pendant que la femme, cette Edes, reprend une certaine contenance tout en nous regardant avec méfiance. Corso se sent mal après ce qu'il a fait à Edes. Il veut lui demander pardon, il me dit. Mais il n'ose pas la regarder. Il me parle. Il déverse toute sa culpabilité sur moi comme si elle n'était pas là . C'est lui qui parle et c'est moi qui la regarde. Je ne sais absolument pas comment ils en sont arrivés là tous les deux mais j'espère qu'elle va lui pardonner. Même si ce qu'il s'apprêtait à faire est impardonnable. Je me rappelle ce que Lewis-Maria m'a dit au sujet de Silent Hill et ce Corso en a gros sur la conscience. Cette scène a certainement déjà eu lieu quelque part et aucun Haze n'était là pour l'arrêter. Pauvre fille...
Et soudain, la terre se met à trembler ! Les plaques de métal constituant le sol se tordent et se fendent. À travers, de la lave commence à s'écouler. Corso et la femme restent immobiles, figés. Elle a l'air apaisée. Corso voudrait bouger mais quelque chose le retient. On dirait que sa culpabilité le retient aimanté aux plaques d'acier. Il lutte contre lui-même pour échapper à cette coulée de lave qui a déjà atteint Edes dont les ailes commencent à se consumer. Corso est toujours immobile. Les traits de son visage trahissent sa lutte intérieure. Il pourrait bouger et s'enfuir s'il le voulait vraiment. Il veut vivre mais il sait qu'il ne le mérite pas. Sa mort va être horrible. Alors je sors mon arme et abrège ses souffrances.
Je cours. Je repense aux mots du cafard. Normalement, on arrive à Silent Hill après avoir fait quelque chose de salement dégueulasse, comme ce que Corso a fait à cette Edes. Mais là , j'ai l'impression d'avoir fait quelque chose de dégueulasse après être arrivé. Même Silent Hill déconne quand il s'agit de moi. Je dois me tirer d'ici avant que la lave me rattrape. Je finis par déceler une rune Hshl. Vers quelle réalité ce passage va-t-il m'emmener ? Réalité, ce mot a-t-il encore un sens ? Les mondes s’enchaînent et s’enchaînent. Mon point de départ est-il vraiment la réalité ? Et si ce n'était qu'une étape dans le grand voyage de quelqu'un d'autre ? Moi, je n'aurais finalement fait que prendre le train en marche. Un trou dans un mur. Des chaînes en barrent le passage. Il y a même un cadenas. Mais cet ensemble est suffisamment lâche pour que je puisse passer. Il n'y a là aucune difficulté. C'est sans doute une métaphore...
Je rampe dans ce souterrain, cet espèce d'égout. Au bout d'un moment, je finis presque par me sentir à l'aise là -dedans, comme un rat, comme un cafard.
« On pense à moi ? »
Lewis-Maria ! Que fait-il ici ? Il m'attendait, il dit. Et moi, je lui dis que je pensais que ce trou allait me conduire vers un nouveau monde. Et c'est le cas, il me le confirme. Lui aussi pense que j'ai fait une connerie en choisissant Xel'lolath mais il pense aussi que j'ai ce qu'il faut de volonté pour garder l'esprit droit dans les situations les plus tordues. Il pense que j'ai un don pour la rationalisation, un don pour faire sens. Et c'est ce don qui me permet de ne pas craquer et de m'en sortir. C'est un don précieux, il me dit. Je dois le conserver et m'en servir. Et avant de me libérer le passage, il me dit quand même qu'il n'est pas sûr que j'ai bien agi avec Corso mais il se garde bien de me dire ce que, selon lui, j'aurais dû faire. Là , il m'agace. Je me faufile vers un nouveau monde barjo et je l'entends ricaner derrière moi.
Je ne sais pas dans quel monde je vais débarquer mais j'espère quand même avoir réussi à semer le Horla qui me poursuivait. Puisse-t-il brûler à Silent Hill. Ça aura au moins servi à ça !
Oh merde ! Pas la peine de me demander où je suis. Je suis dans Millevaux. Tout ça pour finalement atterrir dans la forêt maudite, en plein cœur de l'avatar de Shub-Niggurath, du domaine des Horlas, du Horla que je cherche à fuir. Ce monde n'est pas rongé par l'Entropie, il est l'Entropie qui ronge les mondes.
Je suis à l'entrée d'un bunker envahi comme il se doit par la végétation. D'épaisses racines percent le béton et le lierre court partout sur les murs. Le soleil se couche et une tempête se prépare. Le destin me tend la perche. Je vais devoir me jeter dans la gueule de ce loup. Je fais un pas et m'arrête. J'ai l'impression d'oublier quelque chose de très important mais je ne sais absolument pas quoi. Est-ce l'influence de cette succession de sauts entre les mondes ? Est-ce l'influence de cette forêt ? J'ai l'impression que ma mémoire est devenue un gruyère. Ou plutôt, que c'est moi qui suis devenu un gruyère. J'ai l'impression d'être plein de trous. On dit que les voyages nous enrichissent mais mes voyages me donnent plutôt l'impression d'avoir laissé à chaque fois un petit bout de moi. Je ne sais plus vraiment d'où je viens. Si, la RIM, l'ossuaire de la Zona. Mais je me souviens à peine de ce que j'y faisais. Je me rappelle vaguement avoir eu une vision du chef, mort. Je me rappelle de l'éventualité selon laquelle Black Rain monterait une opération armée contre l'Entropie dans le dos même de ses agents. Je me rappelle qu'on m'avait oublié à Black Rain et que je ne savais pas pourquoi. Puis, le tourbillon des mondes. Et maintenant, le pire des mondes où je pouvais tomber. Les égouts du multivers. Millevaux !
Je ne suis pas un gruyère. Je suis une ruine. Comme ce bunker, je tiens bon mais je suis érodé par la tempête et envahi par Millevaux. Le bunker est concrètement envahi par la végétation. Moi, c'est à l'intérieur. Millevaux me ronge. Et à travers elle, c'est toute l'Entropie qui me consume. Antéros m'a menti. Il a abusé de moi dans tous les sens du terme. Quand j'ai accepté son marché dégueulasse, j'ai cru qu'il allait laisser notre réalité en paix mais c'était faux. En fait, il m'a contaminé. Il m'a pourri de l'intérieur. Ce bunker, c'est moi. Enfin, je veux que ce soit moi. Je veux être ce qui tient bon alors même que les éléments se déchaînent contre lui. Mais, si je rentre dans ce bunker, c'est que je vais rentrer en moi-même. Que vais-je trouver ?
Le vent souffle fort. La pluie commence à tomber. Je prends une profonde respiration. J'entre.
À l'intérieur, j'entends le bourdonnement des mouches. Je souris. Je suis une Mouche. Une mouche à merde, un fouille-merde. Mais là , je crains que ces mouches ne soient occupées par un sinistre cadavres. Un corps mort repose dans un coin, un coin de ma mémoire ? Je repense au chef que j'ai vu dans ma vision. Et au Soar aussi que j'ai trouvé dans l'ossuaire. S'agissait-il vraiment de Trevor ? Trevor-l'homme-porc, ça rime. Je m'approche. Bien que très ressemblant, ce cadavre n'est pas humain. Ni Soar. Qu'est-ce que c'est que ce truc ? On dirait un... cafard ? Lewis-Maria ? Mais avec un truc en plus. On dirait que, par parties, il a été redessiné par Giger ou Druillet. Je compte cinq tuyaux à l'aspect biomécanique sortant de son abdomen. Et de ces tuyaux dégoulinent... de la viande. Des saucisses de viande. Et je vois les mouches se nourrir de cette viande pourrie. Et comme je suis une mouche, je me vois me nourrir de cette viande pourrie. Cette image s'imprime dans mon crane et me file la nausée. Qu'est-ce que ça veut dire ? Je recule. J'ai vraiment la gerbe. Je me réfugie dans un coin et vomis tout ce que je peux. C'est à dire pas grand chose finalement puisque je ne sais plus de quand date mon dernier repas. Je secoue la tête pour chasser cette image de mon esprit. Je me retourne vers le cadavre du cafard. Et je me vois encore, à quatre pattes, en train de bouffer les saucisses sortant des tuyaux biomécaniques du cafard. Je vomis de nouveau. Dehors, la tempête fait rage. Je ne peux pas rester là , ni sortir. Je m'enfonce...
Et si cette vision m'avait lancé un message ? C'est vrai que je ne sais plus depuis combien de temps je n'ai rien mangé. Et là , j'ai faim. Ce n'est pas seulement ma tête, mémoire ou mon être qui se vide. C'est aussi mon estomac. Et, très concrètement, je n'ai rien à me mettre sous la dent. Pour autant, je ne peux pas me résoudre à faire demi-tour pour me nourrir de ces saucisses de cafard. Impossible ! Je crois que je préférerais... En fait, je ne sais pas ce que je préférerais. Mais j'ai de plus en plus le sentiment, alors que je m'enfonce dans ce bunker, que je me désagrège, autant physiquement que moralement. Vais-je devenir un nouveau cadavre dont se repaîtront les mouches ?
Je crois avoir percé le secret, le but de toute cette histoire. Me perdre ! Il s'agit de me perdre. L'amnésie me concernant qui a frappé Black Rain ne doit rien au hasard. C'était le début. Le début de ma perdition. Perdu aux yeux de l'organisation qui m'emploie, je me suis jeté à corps perdu dans cette quête de mémoire. Savoir quoi ou qui leur avait fait perdre la mémoire. Leur faire retrouver la mémoire. Revenir dans leur mémoire. Retrouver ma place dans l'organisation. Ma place dans l'histoire. Et je me suis perdu moi-même. Perdu dans une succession de mondes. J'ai finalement perdu des bribes de moi-même à force de glisser d'un monde à l'autre. Des bribes de mémoires. J'y laisse maintenant ma santé physique et même mentale. Je me suis perdu dans les réalités et je me perds maintenant dans cette métaphore de moi-même qu'est ce bunker envahi par Millevaux. La végétation s'est répandue autant à l'intérieur qu'à l'extérieur du bunker comme de moi-même. Dehors, la tempête fait rage. Et dedans, c'est le noir, des ténèbres gardées par le cadavre d'un cafard. Et moi, dans tout ça, je continues à réfléchir. Je tourne en rond à la recherche d'un quelconque sens à tout ça et je crois que je suis arrivé au bout de ce dont je suis capable. Je n'ai plus rien à part cette lance que m'a donné l'homme peint en vert. Je sais à peine qui je suis. Je ne sais plus trop si je suis la mouche qui dévore le corps du cafard ou le cafard qui se fait dévorer par les mouches. Je ne suis plus chez moi. Je suis dans un monde maudit. Je suis perdu entre les mondes, perdu en moi-même. Je me désagrège lentement. Et alors que j'ai l'impression de me perdre et de filer droit vers le néant et l'oubli je me dis que... j'ai oublié !
J'arrive au fond de moi-même. Là , dans le noir, je sens une paroi molle, souple. À travers, je perçois un peu de lumière. Je repense à Fight Club, ce moment du film où le personnage joué par Norton se retrouve dans sa caverne intérieure et où un pingouin lui dit « Glisse ! »
Alors, je glisse moi aussi... Un léger Vertige me fait chanceler et... Et je passe, encore une fois, de l'autre côté.
Une foule ! Une foule m'acclame ! Où suis-je ?
J'ai la tête en bas. Je suis scotché à ce qui semble être le sommet d'une vaste sphère de métal. En hauteur, ou en bas, je ne sais pas, une foule bizarroïde d'êtres mutants et foutraques hurlent. Certains hurlent mon nom. D'autres hurlent ceux de Corso et Lewis-Maria. D'autres encore acclament la Reine. Trevor est là , lui aussi. On est tous là . Enfin, presque... Presque, non dans le sens où il manquerait un de mes compagnons mais plus dans le sens où chacun de mes compagnons est presque celui que je connais.
La foule crie soudain plus fort. Une porte s'ouvre. Le Horla d'ombre, d'herbe et de plumes ! Mais en plus grand. Tellement plus grand ! On va tous crever !
Commentaires de Thomas :
A. Peut-on avoir un lien vers les rêves d'Anton Vandenberg ?
B. Pour avoir un aperçu du Millevaux d'Afrique Noire, voir le compte-rendu de partie d'Inflorenza Afromilval.
C. On n'a plus de nouvelles de la Reine ?
D. « Elle inclurait Corso bien sûr mais peut-être, aussi, Lewis-Maria. Ce cafard n'est peut-être pas aussi pourri qu'il en a l'air. »
Un homme-mouche, un ange et un homme-cafard. On n'est pas loin de l'équipe des Gardiens de la Galaxie :)
E. Si l'homme-cafard a le pouvoir d'explorer les mémoires, ça peut faire de lui quelqu'un d'assez puissant dans Millevaux, car là -bas, la mémoire c'est le pouvoir :)
F. Le fait que les agents de Black Rain oublient notre héros alors qu'il est toujours dans les registres ressemble fort au syndrome de l'oubli de Millevaux : une attaque dirigée ?
G. L'histoire de cet agent flanqué de sa mycose intelligente commence à ressembler à un buddy movie :)
H. « Je vois... une forêt... et un arbre aux branches calcinées. Quand j'en fais le tour, je vois un miroir incrusté dans le tronc. »
J'aime beaucoup l'image.
I. « À mesure que j'avance dans l'éblouissante obscurité de ce monde en négatif » :
L'ossuaire est un passage vers les forêts limbiques, elles-même je suppose un nœud vers Millevaux ?
J. « Je ne l'entends pas mais je sais que quelque chose ricane dans l'ombre. Non, c'est l'ombre elle-même qui ricane. »
J'adore :)
K. Comment tu génères les différents mondes que visite la Mouche ?
L. « Elle est nue. Ou plutôt, on dirait qu'elle est recouverte d'une seconde couche de peau flasque et translucide qui masque ses traits et les détails de son corps. Il n'y a qu'une seule ouverture, au niveau de son sexe d'où s'échappe un tentacule verdâtre. »
Très sympa cette description. Elle te vient d'où ?
De façon générale, tu as un jeu de rôle pour générer du Silent Hill, ou ça te vient juste de ta culture du jeu vidéo ? Je précise au passage, que ces aspects techniques m'intéressent de plus en plus, car je projette de plus en plus sérieusement d'écrire un roman ou une série de romans Millevaux en me servant de jeux de rôles comme base d'écriture, ce que tu fais déjà depuis un moment en somme.
[Note, février 2022 : un de ces romans a déjà été écrit, Dans le Mufle des Vosges, voir ici article Le jeu de rôle, un outil pour l’écriture de roman]
M. « Mais, si je rentre dans ce bunker, c'est que je vais rentrer en moi-même. Que vais-je trouver ? »
Très intéressant que la Mouche, dans son voyage dans le multivers, débouche dans une entrée de Millevaux qui est aussi une entrée sur son propre inconscient.
N. « La foule crie soudain plus fort. Une porte s'ouvre. Le Horla d'ombre, d'herbe et de plumes ! Mais en plus grand. Tellement plus grand ! On va tous crever ! »
Très sympa la fin en cliffhanger !
O. Peux-tu m’expliquer ce qui vient de The Good Society ? Peut-être le premier univers idyllique dans lequel débarque la Mouche ?
Réponse de Damien :
A. En fait, il n'y a pas un lien particulier, il les poste sur sa page FB.
B. Merci ^^
C. Alors ça dépend où tu en es. Ce perso aura finalement joué un rôle plus important que celui auquel je pensais au départ mais elle aura aussi fini... bizarrement ^^
D. Je n'y avais pas pensé 0_0 avec une pincée de Millevaux on a un Groot du feu de dieu !
E. A condition qu'il y ait encore quelque chose à se rappeler dans la tête de celui dont il pille les souvenirs mais... ça pourrait le faire oui de jouer les races de la Crasses dans Millevaux.
F. Ça, c'est dans le cadre d'une sorte de Vertige Logique. En fait, plutôt que de faire un personnage qui aurait oublié j'ai fait un monde qui aurait oublié le personnage. Et là , je l'ai limité à Black Rain.
G. cela aurait pu mieux tourner ^^
H. Typiquement, c'est le genre de scène issue d'une pioche de mot-clé ^^ mais je trouve que ça rend bien alors je continue ^^
I. J'aurais tendance à dire que l'ossuaire est un passage vers... un peu n'importe où. En vérité, rien n'est vraiment tranché, définitif ni gravé dans le marbre à ce sujet.
J. De rien ^^
K. Au pif ! C'est vraiment selon l'intuition, ce qui me vient à l'esprit à ce moment là ou suite à un tirage de mots-clé.
L. Pour Silent Hill, j'utilise l'aide de jeu écrite par Remy Broknpxl. C'est vraiment bien foutu et c'est topable à partir d'ici
On m'a dit aussi que mes CR ressemblait à des fanfics mais ce n'en est pas. Cette impression vient de ce que j'écris pas tout ce qui est technique. Je n'écris que l’histoire, pas les jets de D ou les tirages de cartes comme je l'ai fait pour un Millevaux justement. On est pas du tout obligé de jouer en solo comme ça. On peut juste se faire l'histoire dans sa tête sans prendre aucune note. Après tout, quand je jouais en groupe, je n'en prenais quasiment jamais. Mais pour moi, en solo, l'écrit remplace l'oral. Mais je me suis dit qu'un jour je me ferai une partie sans prendre de note justement, sans PC ni rien du tout. Ça me fera bizarre ^^
M. D'une part, j'aime bien faire de Millevaux un élément récurrent de mes parties, même si c'est juste anecdotique. L'air de rien, c'est là , j'aime bien. Et puis, ce que j'aime bien aussi dans le fait de jouer à partir de mots-clé, en mode cut-up et en faisant du méta-jeu, c'est la possibilité que ça offre de se prendre la tête pour faire sens. Tout ou presque devient symbolique et j'aime bien me casser la tête avec tout ça. C'est ce qui me manquait dans les parties tradi. En solo, je suis servi ^^
N. Pour être franc, je ne bosse pas du tout la forme de mes CR. Je ne les relis pas, c'est « brut » quoi. Donc, si quelque chose rend bien... c'est vraiment un coup de bol ^^
O. J'ai bien aimé la structure narrative de ce jeu, son alternance de scène entre une résolution d'action, les ragots, la réputation et l'écriture d'une lettre. Avec le solo, je m'intéresse de plus en plus aux jeu dont les règles ne servent pas tant à simuler les actions des personnages qu'à construire un récit bien particulier. The Wicked One est intéressant pour ça aussi et je m'en inspire pour Mantra.
Réponse de Thomas :
E. On pourrait imaginer que le Cafard arrive à retrouver les souvenirs enfouis… Mais tout simplement, le peu de souvenirs qu’il peut piller ici et là fait de lui quelqu’un de riche. Et donc de puissant.
M. Puisque tu aimes le jeu symbolique, tu es mûr pour La Clef des Nuages. J’ignore comment adapter ce jeu en duo vers le solo, mais je suis sûr que tu trouverais comment faire :)
Damien :
E. Cela pourrait être drôle s'il avait accès à des souvenirs que l'hôte a oublié.
M. Et hop ! Dans mes favs !
Hors ligne
LA PORTE DE LA RUINE
Alors que Millevaux a envahi Mertvecgorod, Haze se retrouve baby-sitter d’une femme qui s’avère être une porte entre les mondes… 5ème épisode de la campagne solo multisystèmes Millevaux / Trilogie de la Crasse par Damien Lagauzère.
(temps de lecture : 12 min)
Le jeu principal de cette séance : Gate Watch, garder la porte entre les royaumes
Autres jeux utilisés : Mantra, La Trilogie de la Crasse
Avertissement : contenu sensible (voir détail après illustration)
Iñaki MT, cc-by-nc-nd, sur flickr
Contenu sensible : tentative de viol
Parties précédentes de la campagne Millevaux / Trilogie de la Crasse :
1. [La Trilogie de la Crasse] La Reine de la Crasse
Première partie d’une nouvelle campagne Millevaux solo-multisystèmes, en crossover avec la mythologie de la Trilogie de la Crasse et la ville crapoteuse et hallucinée de Mertvecgorod née sous la plume de Christophe Siébert. Où un simple exécutant s’entiche pour la victime qu’il doit convoyer et tente l’impossible pour la retrouver.
2. [S’échapper des Faubourgs] Tuer Précieuse
Une incursion dans un sous-monde où à la fois l’univers de Cœlacanthes et le thème des femmes au destin tragique envahissent tout.
3. [Grey Cells] Le coût d’entrée
L’agent-mouche décide de partir dans Millevaux pour sauver le monde même si tout le monde s’en fout… et quoi que ça puisse lui coûter.
4. [La Trilogie de la Crasse] La poubelle du multivers
Désavoué, l’agent-mouche Haze se la joue en solo et part en enquête à l’aveuglette dans les recoins les plus sordides du multivers, où Millevaux progresse toujours plus.
L’histoire :
Millevaux ! Je suis de retour à Millevaux ! Je ne peux pas croire que la Magicienne se soit à ce point foutue de ma gueule ! Et elle s'est doublement foutue de ma gueule car j'ai les pieds dans la flotte, dans la boue d'un marais aussi putride que la Langue des monstres qui hantent cette forêt.
Il fait presque nuit. La tempête fait rage. Je suis dégoûté et trempé. Je suis seul et c'est tant mieux. En qui puis-je avoir confiance ici. Tout le monde est taré ! Taré ou un monstre! Si je vois quelqu'un, je le bute ! Non, en vrai, si je vois quelqu'un, je me tire dans la direction opposée.
En vérité, je ne suis pas seul. Allongée dans la mousse trempée, il y a cette fille. L'air est saturé d’Égrégore. J'ai peur. J'ai peur de cette fille. Elle... dort ? Elle est inconsciente en tout cas. Je devrais me tirer. La buter. Et me tirer. Mais je me souviens des mots que la Magicienne n'a pas prononcé. La Gate, c'est la fille. C'est la Gate. Et moi, je suis le Watcher.
Autour de moi, autour d'elle, je sens l’Égrégore... bouger, prendre forme. Elle se combine et je me rappelle ce que je n'ai pourtant jamais su. Je me rappelle quelle est ma mission. Je suis le Gate Watcher. Et elle, Eurydice, elle est la Gate, le point de passage, un point de passage, entre Millevaux et me monde d'où je viens. Sur le coup, je ne comprends pas trop comment cette fille peut faire office de portail. Je sais qu'elle a des visions, mais c'est tout. Ce n'est pas une espèce de sorcière. Juste une barjo que je soupçonne d'être accro à la came des Soars. Puis je comprends comment la Gate pourrait me permettre de me tirer d'ici. Si je la tire, je me tire. Et elle est inconsciente. Je pourrais la tirer... et me tirer. Mais j'ai une mission. Et au terme de cette mission, j'aurais une vision. Enfin, elle aura une vision, rien que pour moi. Et puis bon, je ne peux quand même pas abuser d'une fille comme ça. Je ne suis pas un pourri non plus ! Par contre, je n'en dirai pas autant de la population locale. Donc, je protégerai Eurydice de ceux qui veulent lui passer dessus pour passer de l'autre côté. J'aurai ma vision et je trouverai un autre moyen de rentrer chez moi.
La tempête fait rage et Eurydice dort. Je n'ose pas la réveiller. Je me penche au dessus d'elle pour lui épargner un peu de pluie et réfléchis à là où je pourrais bien la conduire. Je pourrais trouver une ruine, une carcasse d'un véhicule géant comme on en trouve parfois. Et avec un peu de bol, je pourrais la remettre en marche. Mais finalement, est-ce que l'endroit le plus sûr ne serait pas dans ma tête. Même morte, je conserverais son souvenir intact. Et si je lui passais en rêve, ce serait pas pour de vrai mais... est-ce que je pourrais quand même me tirer de Millevaux ? Si je la tire pour de faux, pourrais-je passer de l'autre côté pour de vrai ? Faut vraiment pas que je pense comme ça ! Ce serait bien qu'elle se réveille.
Il y a toujours du vent mais au moins il ne pleut plus. Eurydice a fini par se réveiller. Elle n'a pas eu l'air surprise de me trouver là mais à quand même tenu à ce qu'on repose un peu les bases de notre relation. Je lui demande qui est au courant qu'elle est la Gate. Tout le monde, elle me dit. Ça commence fort. Tout le monde est donc un ennemi potentiel. Elle me confirme aussi qu'elle « fonctionne » bien comme je le soupçonne. Je m'étonne que personne ne lui soit déjà tombé dessus. Elle ne rentre pas dans les détails mais je comprends qu'on lui est déjà tombé dessus. Mais il était le Gate Watcher, là  ? Je lui demande qui l'a faite ainsi. « Le Lion, bien sûr ! » qu'elle répond. Bien sûr... Et est-ce que je peux quand même compter sur quelques alliés ? Elle répond « Le Golem et Kid, bien sûr ! » Bien sûr...
Et à son tour, elle m'interroge. Quand est-ce que j'ai su que j'étais un Watcher ? Bah, y a pas très longtemps en fait, quand je l'ai vue. Je précise que je ne suis pas d'ici. Je viens de l'autre côté et... j'aimerais bien y retourner. Si elle voit ce que je veux dire. Mais, je prendrai une autre route, évidemment. Bref, ça ne fait que quelques heures que je suis officiellement son nouveau Watcher. Qui était l'ancien d'ailleurs ? Le Golem ? Je ne suis pas vraiment surpris. Ce qui me manque ? Bonne question. Je ne sais pas trop en vérité. Déjà , je veux rentrer chez moi. On m'a parlé d'une vision aussi. Si ça m'est arrivé de me planter ? Mais tout le temps, jeune fille ! Tout le temps. Je ne fais que ça, me planter. Et m'en sortir par une pirouette, le plus souvent en m'enfuyant dans un autre monde. Et ça n'empêche pas les emmerdes de me rattraper. Mon plus grand talent ? Et bien, je ne voudrais pas être prétentieux mais... je crois que je ne suis pas entièrement idiot. Je suis une Mouche, une sorte de détective métaphysique et je suis plutôt bon dans ce domaine. Trouver des indices, des informations, tisser des liens entre les faits, faire sens et tout ça quoi. Si j'ai un mentor ? Pas vraiment non. Ou alors, le Joueur peut-être. Je vois que le Joueur, ça lui parle mais on dirait qu'elle n'en a pas une compréhension aussi fine et précise que moi ou la Magicienne. Eurydice est un PNJ important mais... ce n'est qu'un PNJ finalement. La personne qui compte le plus pour moi ? La Reine, bien sûr ! Et ne me demande pas pourquoi car je n'en sais rien moi-même.
Et donc, elle me résume ainsi : je suis Damon Haze, la Mouche, le détective métaphysique. Je ne suis Watcher que depuis quelques heures et mon meilleur moyen de faire face aux emmerdes et de me tirer dans un autre monde. J'aurais aimé que ça lui arrache un sourire mais je la sens vraiment pas rassurée avec un Watcher pareil. Je la comprends.
La nuit est brune. Nous marchons. Eurydice, Kid, le Golem. Je lui parle de Lateralus. Sait-elle que ce texte existe ? Elle me dit n'en avoir jamais entendu parler. Dois-je la croire ?
La nuit est brune et il y a du brouillard. Nous avons marché longtemps. Nous sommes arrivés dans ce qui reste d'une barre d'immeuble en ruine. Ça empeste. Je ne sais pas pourquoi mais cet endroit me rappelle quelque chose. Eurydice ne dit rien et me suit sagement. On monte par les escaliers. Il y a eu un ascenseur mais c'était il y a longtemps. Aujourd'hui, la cage est envahie par des lianes et autres plantes grimpantes. Et je suis sûr qu'il y a des bestioles aussi.
Je me laisse guider par mes pas, mon instinct et je me retrouve... dans mon appartement. Ou plutôt, ce qu'il reste de mon appartement. C'est dingue mais j'en suis certain. C'est chez moi ici. Tout est en ruine, envahi par la forêt et l'humidité mais je reconnais ce qui a été mon chez moi, avec vue sur la Zona. Est-il possible que ça explique cette horrible odeur ? Par delà l'espace et le temps, la décharge continuerait d'empester ? Je jette un œil à Eurydice. Elle demeure impassible. Elle a trouvé un bout de bois ou un caillou ou je ne sais quoi avec lequel elle écrit quelque chose au bas d'un mur. « C'est de la science ! » je lis. Je lui demande ce que ça veut dire. Elle ouvre grand les yeux, visiblement choquée. Par ma question ? Quand même pas ? Je ne sais pas pourquoi, je me retourne. Et je la vois ! May Bai ! Qu'est-ce qu'elle fout là  ? Comment elle est arrivée ici ? Imperturbable, elle est assise sur ce qui a été un canapé-lit déplié. Et elle braque un flingue sur moi.
« Tous les chemins mènent à la RIM » elle dit. Aussi, ça ne l'étonne pas de nous trouver ici. En fait, ça fait même un moment qu'elle nous attend. Je ne comprends pas. Et je finis quand même par comprendre. Elle a dû me voir avec la Magicienne. Elle m'a vu prendre la Noix. Elle s'est doutée que la Magicienne m'enverrait à Millevaux. Après, entre son don pour parler avec les morts et la magie des Soars pour se balader entre les mondes... Bon, je suis bien obligé de reconnaître qu'elle a bien joué le coup.
J'essaye de calmer le jeu. Je lui explique que c'est par hasard que je lui suis tombé dessus. Ses affaires ne m'intéressent pas, je suis sur un autre coup. Pas la peine donc de me buter, elle peut s'en aller tranquille je ne dirai rien à personne et quand je rentrerai, j'oublierai tout ce qui la concerne, promis. Elle m'écoute attentivement. Est-ce que je vais réussir à m'en tirer juste comme ça ? En vrai, je ne mens pas tant que ça car c'est quand même un peu par hasard que je lui suis tombé dessus. Et c'est quand même le hasard qui veut qu'il y ait peut-être quand même un lien entre ses affaires et les miennes. Mais d'ailleurs, est-ce elle et les Soars qui refilent sa came à Eurydice. Oui, évidemment. Bon, tout ça passe tout de suite moins pour le pur fruit du hasard.
Je ne suis absolument pas en position de poser des questions. Pourtant, May Bai ne dit rien et attend. En vrai, je fais la conversation tout seul et j'ai la désagréable impression de lui en lâcher plus qu'elle ne l'aurait souhaité juste en voulant meubler ce silence des plus gênants. Il serait d'ailleurs peut-être moins gênant sans le flingue braqué sur moi. Mais vaut mieux moi qu'Eurydice. En fait, je réponds à ses questions sans même qu'elle ait à les formuler. Elle doit être très satisfaite d'elle-même. Alors, autant y aller à fond.
Je lui explique que mon job consistait à trouver Eurydice. Devinant qu'elle devait se défoncer avec une came hors norme, j'ai évidemment pensé aux Soars, ce qui m'a mis sur leur trace, et la sienne par la même occasion. Je lui dis être au courant pour les Stations Fantômes. Enfin, je sais juste que ça existe mais je sais pas ce que c'est, ni à quoi ça sert, ni comment ça marche. Je lui dis juste que je pense que ça sert à capter les voix des morts. Je me trompe ? Elle fait la moue. Ça ne doit pas être tout à fait ça mais j'ai pas dû taper très loin.
Cette femme est d'un sang-froid absolu. Ça me rend dingue. Je ne veux pas lui perler de Lateralus, de Kid et des Abeilles. Je ne dois absolument rien lâcher là -dessus. Je suis convaincu qu'elle et les Soars sont mêlés à tout ça mais avec ces conneries temporelles, il est plus que possible qu'eux-mêmes ne le sachent pas encore. Et si c'est le cas, si pour l'instant ils ne sont encore que des pions qui l'ignorent, j'ai peut-être une longueur d'avance. Et puis, je dois aussi protéger Eurydice.
May Bai est toujours assise sur le canapé-lit. Derrière elle, ça fait certainement des décennies voire plus que la vitre a explosé. Même si elle me tire dessus, j'aurais quand même pris assez d'élan pour la pousser dans le vide. Je vais peut-être crever là mais ça se tente.
Je lui saute dessus. Elle tire. Je prends une balle dans la jambe. Je la heurte. Elle part en arrière et lâche son arme. Je me retrouve sur elle et la plaque au sol de tout ce qui me reste de force. Elle sourit, lasse. Elle regarde par dessus mon épaule. Moi aussi. Eurydice s'est emparée du flingue et la braque. Je serre les dents pour faire le dur mais en vrai c'est à cause de la douleur. Mais je dis quand même « Alors, c'est quoi les Stations Fantômes ? »
D'un mouvement de la tête, elle montre ce qu'Eurydice a écrit au mur. C'est de la science, elle dit. Un truc qui marche avec du Pétrol'Magie. Le même truc qui sert aux Soars à faire leur came. Ça permet d'entendre les morts mais c'est un effet secondaire. L'effet recherché, c'est d'établir un réseau afin de communiquer avec l'homme de demain, le post-humain. Il aura une mission à accomplir et c'est par l'intermédiaire des Stations Fantômes qu'il sera guidé. Et voilà pour ce qu'elle sait. Pour ce qu'elle a compris. Son job dans l'histoire ? Servir d'intermédiaire avec les Soars et expliquer le pourquoi du comment concernant la captation des voix des morts. Et Eurydice dans tout ça ? Bah... elle sait pas. Et je pense que soit elle ment, soit elle ne sait pas... encore. Mais ça viendra. C'est écrit dans Lateralus. Eurydice a un rôle à jouer là -dedans mais même elle ne le sait pas encore.
Je relâche ma prise sur May Bai. Je laisse Eurydice la surveiller et fais les cent pas en réfléchissant. L'homme de demain, le post-humain, c'est Kid. Guidé par les Stations Fantômes et Eurydice, il était sensé combattre le Seigneur des Recoins et ses abeilles mais ça s'est mal fini. Il a fini les deux pieds dans la boue de Millevaux, comme une sorte de négatif du Golem. Le Golem a finit planté dans la terre comme une fleur ouverte aux ondes. Mais Kid finit seul dans le noir. Il a échoué. Et si... et si ma mission consistait à faire en sorte qu'il réussisse ?
« May Bai, je crois qu'on est pas vraiment ennemis en fait. »
Elle sourit. La lassitude l'a quittée.
Je me relève comme je peux. Eurydice me rend mon flingue. Je me rassois quasiment aussi sec. Ma jambe me fait vraiment mal. Eurydice s'en occupe comme elle peut mais, avec les moyens à sa disposition, je ne peux pas lui en vouloir de ne pas faire des miracles. Au moins, ça ne saigne pas trop.
May Bai jure une fois de plus qu'elle n'en sait pas plus. Elle me redit qu'elle pense elle aussi qu'on a un but commun. Elle n'a pas d'intérêt à ce que Kid échoue. Si ce Seigneur des Recoins doit nous tomber dessus, autant que Kid s'en occupe. Nous, on a déjà assez à faire avec l'Entropie, Antéros et Millevaux. Millevaux... Va falloir sérieusement penser à se tirer d'ici d'ailleurs. Mais j'y pense, si May Bai est arrivée ici grâce à la magie Soar, peut-être pourra-t-elle me ramener avec elle ? Ça se passe comment, le retour ?, que je lui demande. Elle fouille dans sa poche et en ressort un paquet de Billes. Elle sourit. C'est du Vish. La came des Soars. Je ne m'y connais pas trop là -dedans. Je ne sais pas si c'est fait à partir de Pétrol'Magie, de Foutre de Mouches, de restes de cadavres humains... Peut-être un peu des trois. Je me retourne vers Eurydice. Elle a les yeux qui brillent quand elle voit les petites sphères. J'ose un trait d'humour en lâchant qu'au moins on aura pas à utiliser la Gate pour rentrer. Et Eurydice, sans aucun humour quant à elle, précise qu'à cette période du mois, de toute façon, la Gate est impraticable. May Bai sourit. Je tilte.
May Bai regarde par la fenêtre et nous dit qu'il va falloir expliquer à ces gens que la Gate est impraticable justement. Je me penche. Une demi douzaine de personnes s'approche. Même d'ici on voit qu'ils sont difformes. Ce ne sont pas des mutants radioactifs ou des trucs comme ça, juste des gens aux os tordus. Je comprends qu'ils veuillent se tirer d'ici, mais en vrai je pense qu'ils ne seront bien nulle part.
« Et si c'était des mutants radioactifs, demande May Bai, tu ferais quoi ? »
Je leur tirerais dessus, je dis. Mais là , je peux quand même pas tirer sur une bande d'éclopés. Pourtant, eux ne vont pas se gêner, ils feront tout ce qu'ils peuvent pour passer de l'autre côté, elle dit. Et je vois où elle veut en venir. Alors, je me relève et avance péniblement jusqu'à la fenêtre. Je sors mon flingue et leur intime l'ordre de faire demi-tour. Et j'espère vraiment qu'ils vont obéir.
J'entends leurs rires. Ils ne sont pas totalement rassurés, ça s'entend. Mais ils rigolent quand même et avancent. En vrai, ils n'ont rien à perdre. Ces types là ne sont pas vraiment méchants. Ils souffrent. Ils sont bêtes, ils ont mal. Ils espèrent que ça sera mieux de l'autre côté. Ils sont aveugles. Ils ne voient pas Eurydice comme un être humain. Ils voient juste la Gate. Avec un peu de bol, ils ne savent même pas à quoi ressemble la Gate ni en quoi consiste le rite de passage. Je devrais tirer mais je peux pas.
May Bai me prend l'arme des mains. Elle peut tirer. Elle tire. Les tordus s'enfuient en hurlant. May Bai me rend mon arme. Elle se fout ouvertement de ma gueule. Je fais un beau Watcher ! Je regarde Eurydice et, l'espace d'un instant, je me fous de sa Vision. Je veux juste rentrer chez moi, je dis à May Bai. Je lui demande une Bille. Je veux juste rentrer et montrer ma jambe à Corso. Et à ma grande surprise, elle me tend une Bille. Je la regarde. Je regarde Eurydice. Elle ne dit rien. Elle a juste une petite moue qui me fait penser qu'elle voudrait que je reste mais... elle ne dit rien.
Je regarde la Bille dans le creux de ma main. En vrai, là , maintenant, tout de suite, je peux me tirer. Je peux rentrer chez moi. Ou ailleurs... En tout cas, je peux me tirer de Millevaux. Ça veut dire que je laisse tomber Eurydice. Mais May Bai reste avec elle et c'est peut-être pas plus mal. De toute façon, qu'est-ce que je peux faire avec une balle dans la jambe ? Je demande à May Bai si elle veut mon flingue. Elle me dit qu'elle n'en aura pas besoin. Dans ce cas...
Je gobe la Bille. J'avale de travers et je manque de... dé-gobe-biller...
Je voyage de travers.
Où vais-je atterrir ?
Commentaires de Thomas :
A. Dans ma numérotation, ça passe de Millevaux de la Crasse 4 à Millevaux de la Crasse 7. Est-ce à dire qu'il me manque des épisodes. Est-ce parce que ces épisodes ne se passent pas dans Millevaux ? Si oui, puis-je avoir les liens vers les CR sur ton site, à l'attention du lectorat de tes CR que je vais reposter dans Terres Étranges ?
B. « Pas la peine donc de me buter, elle peut s'en aller tranquille je ne dirai rien à personne et quand je rentrerai, j'oublierai tout ce qui la concerne, promis. »
J'adore le courage si caractéristique de la Mouche :)
C. Du fait que j'ai loupé des épisodes, qui est May Bai ?
Réponse de Damien :
A. Cela vient peut-être de ce que je ne te les ai pas envoyé si ça n'était pas joué directement dans Millevaux ou avec un jeu dédié. C'est possible ça. Je te mets le lien vers mon blog au cas où car de tête je ne sais plus.
Cela doit être là dedans^^ :
Épisode 5 : Mantoïd Universe
Épisode 6 : Synthesis
B. Ce courage... c'est le mien ^^
C. Alors c'est un PNJ qui est apparu dans les épisodes plus liés à la Crasse. Tu n'as pas dû les avoir car je n'ai pas dû les jouer dans Millevaux ni avec un jeu de Millevaux.
Hors ligne
SAFE ORBIT
Quand Millevaux a colonisé toute la planète, une station orbitale aseptisée semble être le refuge idéal… ou pas. Ça vous tente, un saut dans le futur ? Sixième épisode de la campagne solo Millevaux / Trilogie de la Crasse par Damien Lagauzère
(temps de lecture  : 20 min)
Joué le 23/06/2019
Le jeu principal de cette séance : Remember Tomorrow, de Gregor Hutton, le cyberpunk à la sauce narration partagée
Avertissement : contenu sensible (voir détail après illustration)
crédits : Darwin Bell, Euan, futile boy, Gordana AM, theojunior, licence cc-by-nc
Contenu sensible : viol
Parties précédentes de la campagne Millevaux / Trilogie de la Crasse :
1. [La Trilogie de la Crasse] La Reine de la Crasse
Première partie d’une nouvelle campagne Millevaux solo-multisystèmes, en crossover avec la mythologie de la Trilogie de la Crasse et la ville crapoteuse et hallucinée de Mertvecgorod née sous la plume de Christophe Siébert. Où un simple exécutant s’entiche pour la victime qu’il doit convoyer et tente l’impossible pour la retrouver.
2. [S’échapper des Faubourgs] Tuer Précieuse
Une incursion dans un sous-monde où à la fois l’univers de Cœlacanthes et le thème des femmes au destin tragique envahissent tout.
3. [Grey Cells] Le coût d’entrée
L’agent-mouche décide de partir dans Millevaux pour sauver le monde même si tout le monde s’en fout… et quoi que ça puisse lui coûter.
4. [La Trilogie de la Crasse] La poubelle du multivers
Désavoué, l’agent-mouche Haze se la joue en solo et part en enquête à l’aveuglette dans les recoins les plus sordides du multivers, où Millevaux progresse toujours plus.
5. La porte de la ruine
Alors que Millevaux a envahi Mertvecgorod, Haze se retrouve baby-sitter d’une femme qui s’avère être une porte entre les mondes… 5ème épisode de la campagne solo multisystèmes Millevaux / Trilogie de la Crasse par Damien Lagauzère. (temps de lecture : 12 min)
L’histoire :
J'ai avalé la Bille de travers et me suis retrouvé... ailleurs. Enfin, pas dans mon monde d'origine. En tout cas, il s'est passé quelque chose afin de préserver un semblant de cohérence dans tout ça. J'émerge dans une salle d'attente, visiblement celle d'un médecin et personne n'a l'air choqué par ma présence. Il y a deux autres personnes. Un type bourré de tics nerveux, à se demander s'il est pas défoncé. Et une femme, jeune, plutôt jolie. Rien à voir avec Eurydice mais jolie quand même. Je fais style d'être tombé dans les vapes et d'émerger. Je demande où je suis. Et elle me demande où je crois être, en montrant ma jambe d'un signe de tête. Bon, au moins la Bille a fait en sorte de m'envoyer chez le toubib. Elle me demande si je compte remplacer. Je ne comprends pas. Elle parle de ma jambe. Elle veut savoir si je vais profiter de cette blessure pour la remplacer. Je regarde autour de moi et je percute. J'ai dû atterrir dans un roman de Gibson. Alors non, je dis, ce n'est qu'une simple blessure par balle. J'ai juste besoin de quelques points de suture. Ça devrait suffire. Une voix se fait entendre, venant d'un haut-parleur que je ne parviens pas à localiser. C'est mon tour. Une porte s'ouvre automatiquement. Personne ne vient pour m'aider. Je me lève comme je peux et entre dans le cabinet du médecin dont le matériel date manifestement de l'ère soviétique. Ça pique mais au moins j'ai récupéré une jambe en état de marche.
Une rue bizarre pleine de boutiques pour androïdes, qui vendent des prothèses, des pièces détachées ou des robots sexuels. Deux membres des Free-Limbs sont là pour affaire. Ils sont de tous les coups, du moment qu'il y a du fric à se faire. Là , ils ont récupéré les restes de l'androïde qui s'est jeté sous un métro ce matin. C'était un androïde domestique. On ne sait pas trop ce qui lui a pris. Et les Free-Limbs s'en fichent. Tout ce qui importe, c'est que certaines parties sont encore à peu près en état et peuvent être vendues. En plus, là , ils ont vraiment besoin de fric. Leur dernier coup s'est mal passé et ça s'est retourné contre eux. Maintenant, ils doivent un gros paquet à plus gros qu'eux. Beaucoup plus gros.
Georgia Hatton est un hacker. Un petit hacker, pas de ceux qui deviennent des stars richissimes. Elle, son truc, c'est pas d'accumuler de l'argent, de l'information ou des relations. Ce qu'elle veut, c'est se sentir libre. Et elle se sent libre quand elle est dans la Matrice. Mais son dernier job ne s'est pas passé comme prévu. Ses employeurs se sont révélés être beaucoup plus corrompus que sa conscience ne pouvait l'accepter. Et aujourd'hui, son principal souci est de réussir à mettre un maximum de distance entre elle et eux.
Georgia a peur de rentrer chez elle. Elle craint que son appart ne soit surveillé. Alors, elle reste en mouvement. Elle erre dans les rues. Là , elle s'est acheté un truc à grignoter et regarde les ombres électroniques s'agiter sur le mur d'en face. C'est rigolo. Mais tout s'arrête quand un type ouvre sa fenêtre pour les envoyer se faire enculer. C'est le code. Elle a payé ce voisin pour qu'il la prévienne si des mecs louches arrivaient dans le coin.
Elle cherche les Seigneurs de la Verticalité. Ces types, et ces nanas, font de la chute libre du haut des immeubles. Certains se sont écrasés sur des murs invisibles. On dit qu'il y aurait une ville invisible qui se superposerait à la ville visible, une ville virtuelle. Si c'est le cas, peut-être qu'elle peut s'y planquer. Elle doit trouver ces Seigneurs de la Verticalité avant que ses anciens patrons ne la trouve.
Dans cette station à la météo contrôlée, impossible à l'Entropie de se manifester sous la forme de la Pluie Noire. Millevaux a déjà envahi la Terre et les hommes ont bien compris que la nature n'était plus leur alliée. Il n'y a ici que le minimum de verdure. La plupart de l'alimentation est produit en cuve ou via l'agriculture hydroponique. L'humanité est désormais réduite à une portion infime mais elle est toujours là . Comme la mauvaise herbe, elle résiste. Mais l'Entropie se fait fort d'en finir avec ce monde aussi. L'Entropie a ses agents, ses monstres, ses fous, ses traîtres à l'humanité, ses désœuvrés près à en finir mais qui ne veulent pas partir seuls. Ils agissent dans l'ombre. Mais dans l'ombre agissent aussi leurs ennemis. Malgré la victoire de Shub-Niggurath sur Terre, Black Rain continue à leur poser des problèmes. Les Mouches sont le dernier caillou dans la chaussure, celui dont on arrive pas à se débarrasser.
L'homme est là , devant la statue de cet homme tenant un satellite entre ses mains. L'homme ne peut s'empêcher de penser que ce satellite sert de relais, comme les Stations Fantômes. L'homme est un agent de l'Entropie. Il sait pour Lateralus. Il sait que Kid a échoué et qu'il est sous terre, les pieds plantés dans la boue pétrolmagique de Millevaux. Mais il sait aussi que l'histoire peut être réécrite si Eurydice parvient à remonter le réseau des Stations Fantômes jusqu'à Station One. Aussi, il cherche l'une de ces stations, espérant pouvoir remonter jusqu'à leur point d'origine et détruire Station One avant l'arrivée d'Eurydice. Mais, sa mission est rendue compliquée par les Agents de Black Rain. Sur la Terre, rongée par Millevaux, les Mouches ne sont rien. Mais ici, paradoxalement, c'est lui qui est en difficulté. Et forcément, si Station Fantôme il y a, ce sera ici.
Malgré les apparences, ce doc a fait du bon boulot. Ma jambe ne me fait plus souffrir. Je me ballade dans cette ville qui se révèle être une station orbitale. Le dernier bastion de l'humanité qui a fui la Terre et Millevaux. Nous sommes donc en orbite entre la Terre et la Lune. Ici, pense-t-on, on est en sécurité. Jamais la forêt ne pourra étendre ses branches assez haut pour s'emparer de la station. Je comprends que la végétation est ici extrêmement contrôlée. L'avènement de Shub-Niggurath a sonné de le glas de toute considération écologique. De plus, un département de la police est spécialement dévolu à la traque des cultistes en tout genre. On pourrait penser que c'est une précaution inutile ici. Et pourtant, à la radio, on raconte qu'une bande de terroristes a saboté un des systèmes de régulation du climat artificiel pour faire tomber une Pluie Noire. La pluie Noire, le symbole de l'Entropie. Au vue des récents événements, j'en arrive à me demander si cette Pluie ne serait pas du Pétrol'Magie. Y a-t-on pensé chez Black Rain ? Faudrait que je pose la question, si je rentre. Mais après tout, si les serviteurs de Shub-Niggurath et de l'Entropie sont traqués dans ce monde, il est plus que probable que Black Rain y ait des bureaux.
Et j'en suis là de mes pensées quand j'entends s'élever des cris autour de moi. Une espèce de robot ressemblant à une gargouille médiévale armée d'une longue lance fend la foule et me fonce dessus. Et moi j'ai... mon flingue... Mais pas que ! Je ne sais pas si c'est grâce aux analgésiques que m'a donné le doc ou si c'est juste l'air saturé en je ne sais quoi de cette station mais j'ai l'impression de n'avoir jamais eu d'aussi bons réflexes ! Je roule sur le côté, me rétablis et tire. Bon, la balle n'occasionne aucun dégât mais au moins, j'ai visé juste. Et surtout, étant maintenant derrière cette gargouille, je vois gravé dans le métal des symboles ésotériques caractéristiques de Shub-Niggurath et compagnie. Je ne sais pas si c'est une simple coïncidence mais entre cette attaque et le sabotage à la Pluie Noire... En tout cas, les « méchants » savent que je suis là . Et maintenant, je sais qu'ils savent. Je n'en suis que plus déterminé à trouver Black Rain et à me tirer d'ici. Ce monstre est fort mais lourd. Le temps qu'il reprenne sa position, je me suis déjà planqué dans une ruelle sombre.
Louis-Marie est un cafard. Ce n'est pas une métaphore. C'est vraiment un cafard, un insecte géant. Un tel monstre attire invariablement les cris de terreurs des enfants et les coups des adultes, surtout s'ils sont armés. Pourtant, Louis-Marie est à même de faire face. Il est en réalité quasiment indestructible. Mais il ne cherche pas les ennuis. Il cherche le respect. À l'inverse de beaucoup de ses congénères, il a un vif sentiment de son individualité et veut être reconnu en tant que tel. Or, cette reconnaissance, il n'estime pas la recevoir de la part de ses maîtres. Aussi, il s'est trouvé de nouveaux maîtres aux yeux desquels il espère briller grâce à ses compétences. Black Rain, l'organisation pour laquelle il travaille désormais, lui a confié une double mission. Tout d'abord, il doit trouver une Mouche dénommée Haze. On ne sait pas comment mais ce type vient d'arriver plus ou moins par erreur ici et on veut savoir comment et pourquoi. Et surtout, Louis-Marie doit en apprendre le plus possible au sujet des Stations Fantômes. Et comme rien n'est jamais dû au hasard, il est fort probable que la présence de ce Haze ait quelque chose à voir avec cette affaire. Les Stations Fantômes, Louis-Marie ne sait quasiment rien à leur sujet. Mais Black Rain ne dit jamais rien, c'est pour que les agents conservent un regard « neuf » sur les affaires qu'on leur confie. Bien bien bien, se dit le Cafard. En tout cas, cette histoire de Station sent mauvais. Ça sent la merde et c'est pas étonnant qu'une mouche tourne autour.
Pour l'heure, Louis-Marie n'est pas au top de sa forme. Comme tout cafard qui se respecte, il a un petit penchant pour l'exploration de la mémoire d'autrui. Du point de vue de l'autrui en question, cela s'apparente plutôt à un viol psychique précédé d'un viol tout court puisque Louis-Marie, pour accéder à la mémoire de son hôte provisoire, doit littéralement s'introduire à l'intérieur dudit hôte. Cela n'est pas sans conséquence pour la victime. Cela n'est pas non plus sans conséquence pour le cafard qui en ressort généralement épuisé, suite à l'extase procurée par ces instants délicieux et malheureusement trop rares. Mais après quelques heures de repos, il est de nouveau apte à reprendre le boulot.
Où-suis-je ? C'est trop bizarre ! Je regarde autour de moi. Je suis à côté de l'astroport. Il est 3h du matin. Il y a quelques instants, j'en suis convaincu, je courrais dans les escaliers d'un hôtel miteux pour échapper à une femme magnifique dont je suis sûr qu'elle est un Horla en provenance de Millevaux.
L'hôtel, je m'en rappelle, j'y suis arrivé après qu'on m'a remis un flyer avec, au dos, une phrase étrange. Ce genre de phrase qui est le signe même de l'implication de Black Rain. À l'hôtel, dans une chambre sans serrure, une femme m'attendait. Une Sensitive, je l'ai vu grâce à ma Vision de Mouche. La cellule de Black Rain de ce monde avait fait en sorte de m'attirer ici. Ils avaient même mis un Relais à ma disposition pour que je puisse contacter la cellule de la RIM. Mais ça ne s'est pas bien passé. Le Relais s'est mis à dire des trucs bizarres. J'ai eu des flashs de Millevaux et cette femme est apparue. Elle aussi a dit des trucs bizarres. Elle a parlé d'une secte et d'un dieu. Je ne sais plus trop. L'autre, la Sensitive, était comme paralysée. Ou plutôt, bloquée dans une boucle de mouvements saccadés. C'était bizarre. Je me rappelle avoir pensé à un automate déréglé. Et je me rappelle les avoir plantés, elle et le Relais.
Et maintenant, je suis là , près de l'astroport. Je ne sais pas comment je suis arrivé là . J'ai le sentiment étrange que mes souvenirs ne sont pas réels. Je suis sûr que c'est arrivé et pourtant quelque chose me dit que non. J'ai l'impression que cette partie de l'histoire a été... comme réécrite après un crash du PC. Ce n'est pas ma mémoire. Ces événements ont eu lieu mais quelque chose les effacés. Pas seulement effacés de ma mémoire. Ça a fait en sorte que ça ne soit pas arrivé. Sauf que, quelque part, va savoir pourquoi, je m'en rappelle quand même. Alors ouais, peut-être que c'est pas arrivé mais je me rappelle quand même avoir prévenu la cellule de Black Rain de la RIM de l'existence des Homosantos. Et je me rappelle aussi avoir pensé que cette cellule avait peut-être été infiltré par des agents de l'Entropie. Et je me rappelle que la femme, la Sensitive dont les ongles étaient des petits écrans diffusant des images du Big Bang... ou du Rebond, a aussi dit que Black Rain avait missionné un agent pour me trouver. Lui, il doit exister, c'est sûr. Et je dois le trouver ! Et je dois aussi faire en sorte que cette femme, l'autre, celle qui vient de Millevaux, ne me trouve pas.
À l'autre bout de la station, une autre femme espérait elle aussi qu'on ne la trouve pas. Georgia était toujours sur la trace des Seigneurs de la Verticalité mais prenait aussi grand soin de s'assurer que ses anciens employeurs n'était pas sur la sienne.
Les Free-Limbs sont des racailles. Mais ce sont des racailles avides et efficaces. Aussi, malgré les apparences, ce sont des racailles friquées. Et avec le fric, on s'achète beaucoup de choses, du matériel, des informations, des gens... Tout a un prix, les gens en ont un aussi. Aussi, ils ne leur a pas été si difficile que ça d'apprendre que la nana cherchait les Seigneurs de la Verticalité. Et les Free-Limbs ont acheté des informations sur ces Seigneurs. Ils ont acheté des films aussi. Et ils ont acheté des gens qui leur ont dit où ils avaient vu cette nana qui les cherche.
Les Free-Limbs ont payé des gens pour faire courir une rumeur comme quoi un saut allait avoir lieu du haut d'un hôtel, à l'aube. Et Georgia s'est arrangée pour être aux premières loges. À aucun moment elle ne s'est doutée qu'il s'agissait d'un piège. Et à l'aube, ce n’était pas un Seigneur qui sautait du toit de l'hôtel, c'était plutôt un groupe armé qui lui sautait dessus.
Quand Georgia se rend compte qu'elle est prise pour cible, elle se rend vite compte que ça va lui être très difficile de faire le poids. Elle possède quelques grenades, mais c'est bien tout et ce serait pas très malin, pense-t-elle, de les faire sauter ici. Sauter... Elle venait voir un Seigneur de la Verticalité sauter... mais ce sont ces gangers qui lui ont sauté dessus. Et la seule arme dont elle dispose ferait sauter une partie du quartier. Malgré l'urgence, elle tente de garder la tête froide et de réfléchir. Surtout, ne pas faire n'importe quoi. Déjà , fuir évidemment, courir. Après, une fois qu'elle sera en sécurité, trouver un moyen de se connecter. Là , elle sera sur son terrain. À la vitesse de la Matrice, elle pourra en apprendre assez pour comprendre ce qui se passe et rendre la monnaie de leur pièce à ces types. Mais d'abord, fuir ! Et si elle parvient à se connecter, elle pourra alors lancer un programme « Leurre » qui les perdra un moment. Non ! Elle a une meilleure idée. Dès lors qu'ils ne l'auront plus en visuel, ils devront s'en remettre à leur réseau d'informateurs et à la Matrice. Et via la Matrice, ce n'est pas un simple leurre qu'elle peut envoyer, mais des copies d'elle-même. Ils ne sauront plus où ils en sont.
Pas besoin de grenades ! Sitôt qu'elle est sortie de leur champ de vision, Georgia se connecte et lance son programme. Cette planque n'est que provisoire, c'est évident. Mais ici, elle a quand même le temps de se reposer un peu et de faire quelques recherches sur les Seigneurs de la Verticalité. Elle en profite pour faire état, anonymement, de sa mésaventure. Il est bien évident que les Seigneurs n'apprécieront pas qu'on se soit servi de leur nom pour monter un piège. Maintenant, elle n'a plus qu'à attendre leur réaction. Et au pire, elle tentera de quitter la station à bord d'une navette.
Georgia pensait vraiment avoir trouvé une bonne planque. En tout cas, elle ne pensait pas qu'on la trouverait si vite. Mais, heureusement, cette femme n'a rien à voir avec les Free-Limbs. En fait, elle a un marché à lui proposer. Elle a bien compris que Georgia était en cavale et devait se mettre au vert. Et c'est précisément ce qu'elle lui propose, le vert. Elle peut lui faire gagner la Terre, la forêt. Là , les Free-Limbs ne pourront rien contre elle. Évidemment, ce n'est pas gratuit. En échange, une fois là -bas, à charge pour Georgia de trouver ce qu'on appelle une « Station Fantôme ». Marché conclu !
Cette femme, Torz, a déjà tout organisé. Georgia pensait qu'une navette était prête mais Torz a prévu un autre moyen de transport. Elle a rendez-vous dans un petit immeuble d'un quartier modeste. C'est une planque. Il n'y a rien pour dormir ou faire la cuisine. Aux murs et au sol, il y a plein d'inscriptions étranges peintes en rouges. Il y a d'épaisses tentures aux fenêtres pour empêcher la lumière d'entrer mais surtout pour empêcher qu'on puisse voir ce qui se passe ici. Il y a l’électricité mais la lumière n'est dispensée que par quelques bougies. Torz n'est pas seule. Il y a une autre femme avec elle. Elle est plus âgée. Elle a un côté très masculin, androgyne serait le terme plus approprié. Elle porte un imperméable en cuir en-dessous duquel on dirait qu'elle est nue. Sur la tête, elle a une toque en fourrure grise. Torz la présente comme étant la Magicienne. Elles lui expliquent que le monde n'est qu'une fréquence, que les mondes sont des fréquences et qu'on peut sauter de l'une à l'autre. La station, la Terre, Millevaux, ce sont des fréquences. La Magicienne lui tend une Bille. Georgia s'inquiète mais Torz la rassure. La Magicienne tient quand même à lui préciser que la Terre et Millevaux ne sont pas des lieux sans danger. Une fois là -bas, elle a beau être du « bon côté », elle devra faire face à bien des ennemis d'un genre bien particulier. Et elle lui parle des Horlacanthes. Georgia ne saisit pas bien de quoi il s'agit. Elle n'arrive pas à interpréter le regard de Trz quand la Magicienne évoque ces Horlacanthes. Mais bon, quand faut y aller... Elle prends la Bille que la Magicienne lui tend. Elle hésite un instant et la Magicienne lui dit « Saute ! »
Ce qui ressent Georgia est indescriptible mais elle se demande si ce n'est pas cette sensation que recherchent les Seigneurs de la Verticalité. Et quand elle se retrouve dans la forêt, sur Terre, elle se demande si ce n'est pas cet endroit qu'ils cherchent. Mais elle n'a pas vraiment le temps de se poser des questions. Comme l'a laissé entendre la Magicienne, elle est attendue. Et le comité d'accueil n'a pas vraiment l'air bien intentionné. Un couple d'êtres de plus de 2 mètres de haut est là . Ils sont vêtus de cuir sur lequel on a cousu des plaques de bois et d'acier. Ils portent chacun une sorte de casque fait en plaque d'os qui se prolonge jusqu'aux épaules. L'un d'eux a deux paires de bras. Georgia comprend qu'elle va devoir courir très vite.
Ces deux créatures sont objectivement plus fortes qu'elle. Et en plus, elles sont sur leur terrain. Parlementer risque de ne pas la mener très loin. Malgré tout, elle doit pouvoir trouver à se cacher dans cette forêt, un bosquet, sous une souche, une grotte... Mais avant, elle doit mettre de la distance. Et pour prendre un peu d'avance, une ou deux grenades peuvent l'aider.
Le bruit des explosions est suivi de celui d'arbres qui s'écroulent. Elle ne prend pas la peine de se retourner pour voir ce qui s'est réellement passé. Elle espère juste que ces deux monstres ne pourront pas la rattraper. Elle court aussi vite et aussi longtemps qu'elle peut et se retrouve bientôt en vue d'un bunker à l'abandon à l'intérieur duquel elle se précipite. Elle reprend son souffle et constate que les deux créatures ne sont pas à ses trousses. L'espace d'un instant, elle se dit que c'est quand même une bien étrange coïncidence que la Magicienne l'ait mise en garde contre ce qui semble être ces fameux Horlacanthes. Et l'expression de Torz... Et si la Magicienne avait prévu son coup ? Et si ce comité d'accueil était une sorte de test ? Alors, elle a dû le passer avec succès. Elle doit être considérée comme apte à remplir sa mission, trouver cette fichue Station Fantôme.
Est-ce que le hasard existe vraiment ? Est-ce vraiment un hasard de me retrouver ici, juste à côté de l'astroport ? S'il y a un moyen de quitter cette station, c'est là qu'il se trouve ? Après, jamais une navette ne pourra me ramener chez moi. Pour regagner la RIM, j'ai besoin des coordonnées de mon monde d'origine, d'un Sigil, d'une rune Hshl. Bref, j'ai besoin de trouver cet agent de Black Rain qui soit-disant me cherche. Mais pour l'instant, la seule personne dont je suis sûr qu'elle me cherche, c'est cette femme, ce Horla. Et pour cause, elle est là  ! Comment m'a-t-elle trouvé ? Aucune idée. Mais il va falloir que je me sorte de là .
Problème, cette créature peut se rendre invisible. Problème n°2, elle peut changer d'apparence. Et là , elle a pris... la mienne ! Ça craint. Elle s'approche en souriant. Ce n'est pas moi. Je ne souris jamais de cette façon. Elle me dit que je veux faire couleur locale il va me falloir accepter quelques modifications. On fait des membres cybernétiques de très bonnes qualité et à des prix très abordables, il paraît. Sauf que je ne veux pas perdre mes membres, moi ! Puis elle me parle de la nature. Elle me demande comment on appellerait un histoire de l'écologie, un spécialiste de l'histoire de l'écologie, de l'évolution de ce concept à travers les âges ? Le pire, c'est qu'elle... que j'ai l'air sérieux. Ce truc avec ma tête me dit qu'il y a longtemps, les humains avaient commencé à développer une véritable conscience écologique, « l'Hypothèse Gaïa » et tout ça. Et puis, il y a eu Millevaux. Du point de certains, des survivants qui avaient pu sauvegarder un peu de leur science et de leur technologie, trop de nature n'était pas non plus une bonne chose. Alors, ils ont créé ici ce paradis on ne peut plus artificiel. Mais sur Terre, la nature a vraiment repris ses droits. Millevaux, c'est la nature indomptée mais c'est aussi la nature généreuse. Alors, quelle est désormais la place de Haze dans ce tableau, qu'elle me demande ? Je la fixe avec des yeux que je n'espérais pas ouverts si grands. Ma place, c'est dans mon appart pourri avec vue sur la Zona ! Ça fait chier de le reconnaître mais elle est là ma place. Je dois rentrer chez moi. Et surtout, je ne peux pas laisser ici ce truc avec ma tête car, j'y pense soudain, si l'agent de Black Rain la trouve en croyant me trouver... Merde ! Et elle sourit d'un air las. Je ne peux pas seulement m'enfuir. Je dois trouver ce type et prévenir Black Rain. Et je dois buter ce truc. Mais comment on bute ce truc ? Certainement pas avec un flingue de merde comme le mien. Il faut sûrement un moyen magique ou quelque chose comme ça.
ROHUM ne pourra pas me dire comment la buter. Par contre, il peut me dire ce qui est en train de se passer pour cet agent. Et alors, je pourrais savoir où il est et espérer courir assez vite pour le choper avant elle. Ça, je dois pouvoir le faire.
Je vois une rue. Un saxophoniste joue et seuls des robots lui donnent de l'argent. Non loin, il y a des grattes-ciels, les sièges de diverses corporations. Je mémorise le logo de Heinkel. Si je fais assez vite, le type de Black Rain sera peut-être encore dans les parages.
Alors, je fais un truc complètement débile. Je me fiche un énorme coup de pied dans les couilles. Enfin, je fiche un coup de pied dans les couilles du Horla qui a pris mon apparence. Puis, je me mets à courir en direction du métro le plus proche. Une fois là , je trouverai une moyen de me rendre au siège d'Heinkel.
Sauf que ça ne se passe pas comme prévu. Le Horla est beaucoup plus résistant que je ne le pensais et mon coup l'indiffère au plus haut point. Et c'est le sourire aux lèvres qu'il me laisse quelques secondes d'avance. Puis, il se met à courir !
Georgia s'est réfugiée dans le Bunker en ruine. Il est certes probable qu'il y ait eu ici un émetteur à une époque quelconque. Mais il est quand même peu probable, par contre, que le hasard l'ait conduit pile là où se trouve une de ces fameuses stations fantômes. D'ailleurs, elle ne sait même pas à quoi ça ressemble, ni même à quoi ça sert vraiment.
Dehors, il pleut et il fait froid. Aussi, elle décide de rester là et de prendre un peu de repos. Mais bientôt, du bruit venant de l'extérieur la réveille. Elle jette un œil à l'extérieur. Il y a du monde. Beaucoup de monde. Et ces gens sont moches. Ils sont vêtus de guenilles ensanglantées. Certains sont gravement blessés. Ils saignent abondamment. D'autres ont carrément un membre arraché, à se demander comment ils font pour se tenir debout. Une silhouette s'approche, moins mal en point mais non moins bizarre. Ce truc ressemble à un homme mais il est couvert de boue, de touffes de mousse et d'herbes. Il y a des plaques d'écorce un peu partout sur son corps. Il lève la main droite et dit « Je m'appelle Roger. Nous sommes le Thanatrauma. Le Thanatrauma a une question pour toi. Sais-tu vraiment ce que tu fais ici ? Ta quête est-elle juste ? Aides-tu les bonnes personnes ? Ne devrais-tu pas plutôt l'aider, lui ? »
Alors, Georgia a une vision de la station. Un type est en train de courir. Derrière lui, lui-même ! Il se court après ! Celui qui fuit a l'air vraiment paniqué. L'autre, il y a quelque chose de carnassier dans son regard et son sourire.
Elle est de nouveau dans le bunker. Roger suit du regard un insecte qui virevolte autour de lui. Il dit « La Mouche est ton amie, dit le Thanatrauma. Es-tu toujours déterminée à trouver cette station fantôme ? »
Oh oui ! Georgia est plus déterminée que jamais à la trouver cette station fantôme car elle est convaincue que là est sa porte de sortie. Cette station lui permettra de couper définitivement les ponts avec ses ex-employeurs. D'ailleurs, c'est déjà le cas, non ! Avoir mis le doigt dans cet engrenage, avoir pris la Bille, cela a fait d'elle le pion dans un jeu d'une tout autre envergure. Elle navigue maintenant dans des sphères que même ses anciens patrons ne peuvent pas atteindre. Alors oui, elle va la trouver cette fichue station...
« … dans cette vie ou dans une autre... » dit Roger alors qu'une première vague de morts-vivants s'approche du bunker.
Je suis perdu ! Il y a une chance infinitésimale que j'arrive à trouver l'agent de Black Rain qui me cherche également. Il y a quelques instants, il était non loin du siège de la corporation Heinkel en train d'écouter un gars jouer de la musique. Ça aurait pu marcher, sauf que j'ai un Horla aux fesses et qu'il a décidé de jouer au chat et à la souris avec moi.
Je cours à en perdre haleine. Je passe devant une vitrine. L'espace d'un instant, mon regard se fixe sur un chien empaillé. Le truc a six pattes ! Mais, dans le reflet de la vitrine, je vois un avion se crasher contre un immeuble. L'immeuble n'a rien. L'avion s'écroule. Je tourne la tête. Rien, à part moi-même hilare. Ce horla se fiche de moi. Il veut me rendre barjo avant de m'achever ou quoi ?
« La forêt a plusieurs visages et plusieurs voix. Ne crois pas pouvoir y échapper... »
Je vais quand même essayer d'y échapper. Ça m'embête pour ce type car, si je le trouve, il sera lui aussi la cible du Horla mais bon...
J’atteins enfin le métro. Sur un plan, je localise le building Heinkel. Avec un peu de chance, ce type est toujours dans les parages. Et avec encore plus de bol, le Horla ne m'aura pas suivi. Je sors du métro et cherche le musicien. Il est encore là  ! Et maintenant, l'agent de Black Rain, où il est ? Il y a foule ici. Comment savoir ? Est-il seulement toujours là  ?
Je me rappelle ce souvenir bizarre à propos de l'hôtel. C'était juste avant de me retrouver près de l'astroport. C'était pas vraiment un souvenir. C'était plus comme un passage qu'on aurait voulu effacer et réécrire sauf que... on l'aurait pas bien effacé. Il y avait un flyer avec le nom de l'hôtel. Le flyer a disparu évidemment mais... je me rappelle de l'endroit. Je me remets à courir et cherche une nouvelle entrée de métro.
Une fois dehors, je fonce jusqu'à cet hôtel. Une femme d'un certain âge est à l'accueil. Je ne lui laisse pas le temps de me demander quoi que ce soit et monte jusqu'à la chambre avec la porte sans serrure. Derrière la porte, je m'attends à trouver une femme dont les ongles sont des mini écrans vidéos projetant des images de début ou de fin du monde. Je m'attends à trouver le Relais. Et je tombe sur...
« Louis-Marie, enchanté. J'avoue que je commençais à désespérer de te mettre la main dessus. Heureusement que ces types bizarres m'ont aidé. »
Et là , point de Relais ! Je ne les avais pas vus en entrant mais, dans un coin de la pièce, se trouvent trois morts-vivants. Pas comme ceux qui s'échappent parfois du tas de merde des Cafards. Non, là ce sont des vrais zombies de film d'horreur. Avec des membres en moins, la peau déchirée, les organes internes tout dehors et du sang partout. Et avec eux, il y a ce type. Enfin, pas tout à fait un type. C'est une espèce de tas de boue et d'écorce à l'air humain.
« Je suis Roger. Nous sommes le Thanatrauma. Tu veux rentrer chez toi, Damon Haze. Le Thanatrauma veut trouver la Station Fantôme. Tu veux aussi la trouver. Trouves-là et le Thanatrauma te renverra chez toi. »
Ce truc pue le Horla et Millevaux à des kilomètres. Évidemment que nous voulons tous les deux mettre la main sur la Station Fantôme mais comment peut-il penser une minute que je vais la lui remettre ou lui donner quelque information que ce soit à son sujet ? Est-il à ce point convaincu qu'il n'y a que lui qui puisse me ramener chez moi ? C'est dingue ! Après tout, ce Louis-Marie appartient à Black Rain et il a les coordonnées de mon monde d'origine. Avec un peu de chance, il les connaît déjà et je n'ai même pas besoin de me rendre dans les locaux de Black Rain. L'autre Horla a dit que la forêt a plusieurs visages et plusieurs voix. Mais ces voix sont elles finalement toute accordées entre elles. J'ai un doute. Et si je pouvais faire confiance à ce Roger ?
Je lui demande ce qu'il a à me proposer et... il me tend une Noix.
Je jette un œil dans la direction de Louis-Marie. Il tente de faire bonne figure mais je le sens débordé par la situation. Je réfléchis et le Horla patiente, la main tendue avec la Noix dedans. Je sens que je ne suis pas près de rentrer de chez moi mais... je prends la Noix.
Commentaires de Thomas :
A. « Ici, pense-t-on, on est en sécurité. Jamais la forêt ne pourra étendre ses branches assez haut pour s'emparer de la station. » Le vrai risque est ailleurs : il vient de la contamination par des spores que véhiculeraient des migrants ou des explorateurs venus de Millevaux, spores qui se développeraient d'autant plus dans le milieu aseptisé de la station orbitale, par une sorte de choc biologique. Ce concept est exploité dans ce compte-rendu, La Forêt-Galerie.
B. Louis-Marie, Lewis Maria... Le thème des doubles planaires est récurrent chez toi. Tu es mûr pour jouer à L'Effet Doppelganger :)
C. « J'ai le sentiment étrange que mes souvenirs ne sont pas réels. Je suis sûr que c'est arrivé et pourtant quelque chose me dit que non. J'ai l'impression que cette partie de l'histoire a été... comme réécrite après un crash du PC. Ce n'est pas ma mémoire. Ces événements ont eu lieu mais quelque chose les effacés. Pas seulement effacés de ma mémoire. Ça a fait en sorte que ça ne soit pas arrivé. Sauf que, quelque part, va savoir pourquoi, je m'en rappelle quand même. »
Le thème de la mémoire trafiquée est cool parce qu'il forme un chaînon entre le cyberpunk et Millevaux. C'est quelque chose d'assez exploité dans mon Millevaux cyberpunk, Little Hô Chi Minh Ville.
D. « Comme l'a laissé entendre la Magicienne, elle est attendue. Et le comité d'accueil n'a pas vraiment l'air bien intentionné. Un couple d'êtres de plus de 2 mètres de haut est là . Ils sont vêtus de cuir sur lequel on a cousu des plaques de bois et d'acier. Ils portent chacun une sorte de casque fait en plaque d'os qui se prolonge jusqu'aux épaules. L'un d'eux a deux paires de bras. Georgia comprend qu'elle va devoir courir très vite. [...] . L'espace d'un instant, elle se dit que c'est quand même une bien étrange coïncidence que la Magicienne l'ait mise en garde contre ce qui semble être ces fameux Horlacanthes. »
Mais est-ce que ce sont vraiment des Horlacanthes ? Tu mentionnes pas vraiment de tête de poisson. A moins que ce soit les plaques d'os que tu évoques et qui seraient non pas des casques mais leur tête…
Damien :
A. Les gens pensent qu'ils ne risquent rien. Ça ne veut pas dire que c'est vrai et justifié ^^
B. C'est aussi et surtout un clin d’œil. Dans mes différents solo je réutilise des persos, des noms, des mots, des lieux... De mon point de vue, ça donne aussi une relative cohérence à ce qui peut paraître comme un multivers ou/et une succession d'univers parallèles où chacun à son double, son équivalent.
C. En fait, là j'ai vraiment eu un crash de PC. J'ai perdu tout ce que je venais de taper. J'ai donc recommencé en prenant ce petit incident en compte ^^
D. Oui, ce sont bien des CÅ“lacanthes mais du point de vue de quelqu'un qui ne sait pas ce que sait et n'en avait jamais vu avant.
Hors ligne
L-OW TECH
La grande étrangeté et le puissant décalage que de jouer des histoires de cyborgs dans la forêt. Un récit et une partie enregistrée par Claude Féry.
(temps de lecture : 3 min ; temps d’écoute : 37 min)
Joué le 15/12/2019
Le jeu : Echo, par Kai Poh, un jeu narratif sans MJ où des enfants jouent sur l'épave d'un mécha et rencontrent le fantôme de son pilote.
Peter Prehn, cc-by-nc-nd
(les photos suivantes sont de Claude Féry, par courtoisie)
Nous avons joué avec Xavier et Mathieu une brève session évoquant la disparition de l'artifice L-ow. Nous avons construit notre fiction sur la base du jeu Echo. Avant de débuter la partie nous avons convenu que le pilote serait la conscience sauvegardée d'un artifice et lancé les dés sous l'option low tech. Xavier joue le pilote, Mathieu et moi-même les enfants. Au final peu d'écho dans notre fiction, mais un réel plaisir de jeu partagé.
Commentaires de Thomas :
A. Hé hé je vois que la pelote a désormais sa place dans les objets mémoriels
B. Peux-tu nous parler un peu plus du jeu Echo ?
C. Quand tu dis « peu d'écho dans notre fiction », tu veux dire que l'ambiance du jeu ne s'est pas trop retrouvée ou tu parles de l'écho comme d'un terme technique inhérent à ce jeu ?
Claude :
A. De choix, et elle servira dans la session duo avec Xavier avec le jeu Body/Hack
B. La conscience sauvegardée d'un pilote de mécha est découverte par des enfants qui jouent dans les décombres d'un conflit oublié.
La conscience peut seulement parler et entendre.
Les enfants l'accompagnent jusqu'à ce qui reste du mécha.
Alors, la conscience s'éteint.
C'est un jeu procédural, avec des instances successives pour 3 joueuses ou plus.
3 tables aléatoires sont fournies pour déterminer les lieux d'investigation des enfants.
Le jeu repose sur les émotions et la création commune du cadre.
Voir une présentation d'Echo sur C'est pas du JDR
C. Nous nous sommes éloignés du jeu. Xavier en tant que pilote devait témoigner du conflit auquel il avait participé et nous poser des questions sur le monde qui nous entourait.
De plus nous n'étions pas des enfants émerveillés par notre trouvaille, et dans un premier temps notre aide au pilote/artifice était rétive.
Nous aurions dû jouer trois propositions de carcasse au pilote et n'en n'avons jouées que 2, (Mathieu avait un impératif horaire)
Thomas :
B. Mais alors, faut-il comprendre que c'en est fini de Léo, ou considérez-vous qu'en effet il est envisageable de sauver sa mémoire lors d'une autre session ?
Claude :
B. C'est un flash forward, et les sessions suivantes nous diront le statut de ce futur en fonction des futurs antérieurs que nous jouerons.
Commentaires de Thomas après écoute :
A. Il y a quand même une grande étrangeté, un puissant décalage, que de jouer des histoires de cyborgs dans la forêt
B. Je suis sûr que la machine fait une faute de liaison pour singer l’imperfection humaine:)
C. On n’est pas des humains, on est des gamins : j’aime le jeu de mots
D. Vous utilisez un vocodeur pour la voix de Léo ?
E. Cette partie illustre l’inanité de recourir aux archives numériques et IA pour combattre l’oubli : il est difficile de les comprendre et leurs efforts d’être claires les poussent à mentir en rendant les choses plus symboliques, et elles parlent de choses trop anciennes
F. Un épisode plein de mélancolie
G. Xavier joue très bien le robot
H. Par rapport à l’âge de Petite : vous avez fait un saut dans le temps ?
I. On pourrait considérer que Xavier est le MJ de cette partie
J. J’ai trouvé que c’était une très belle partie
K. ça s’arrête brusquement à 36 min 50 : problème technique ?
Claude :
B l'erreur est humaine nous dit Léo / Xavier
I. K.
C'est ce que nous avons conclu à l'issue de la session. Même si nous jouions dans un temps contraint, (1h30 de préparation musicale) en raison de Mathieu , qu'une camarade de promotion venait chercher pour rejoindre leur port d'attache pour une semaine, Xavier a déclenché la fin de session en évoquant sa perte d'énergie.
Mathieu était a priori inquiet du dispositif, craignant en tant qu'enfant de s'ennuyer ferme, sans prise directe sur le récit.
Or il a pris plaisir à jouer pour...
H. Oui. Elle est une ancienne, la doyenne d'une communauté, (cf la photographie en noir et blanc du couple).
D. Non Xavier est un artifice
B. L'idée que nous creuserons plus tard probablement est qu'il subsistait beaucoup du gamin Léo dans l'artifice
K non fin de partie
F. Je pense que l'évocation d'un sentiment de mélancolie est le propos d'écho.
Si par manque de temps nous avons brûlé une étape et n'avons pas incarné la conscience d'un pilote de mécha mais celle d'un artifice, nous avons joué la mélancolie.
Ce jeu est un jeu profond au sens qu'il propose de convoquer à la table d'intenses émotions.
K. Nous aurions du, en tant qu'enfants évoquer plus notre monde, notre communauté et livrer un témoignage sur ce que cette rencontre avait changé dans nos vies.
Ceci pourrait être repris avec une partie de Le Témoignage...
Pour ma part, avec le souvenir des films Tetsuo et Tetsuo II en tête, nous demeurons dans le domaine d'une forme d'horreur organique.
Petite a amorcé la transformation de Léo en Artifice dans une partie précédente en insérant des pièces mécaniques en remplacement du bras dévoré par le horla, (merci à l'almanach et sa comptine touchante et évocatrice).
La session que nous jouerons avec Body / Hack explorera plus encore cette dimension.
Hors ligne
GRÅTMYRSBARN, PREMIÈRE PARTIE
Ambiance de thriller scandinave à la Jordskott pour ce premier test du jeu de rôle suédois La Sorcière de l’écorce. Un récit et une partie enregistrée par Claude Féry.
(temps de lecture : 4 min ; temps d’écoute : 2h03)
Joué le 01/01/2020
Le jeu : La Sorcière de l’écorce, un jeu de rôle suédois d’horreur folklorique et forestière par Pelle Nilsson et Johan Nohr.
Le scénario : Grätmyrsban, une glaçante histoire d'enfants disparus par Pelle Nilsson et Johan Nohr
Avertissement sur le contenu : Voir détail après l'image
Skye D., cc-by-nd, sur flickr.com
Contenu sensible : enfance maltraitée
Commentaires de Thomas après écoute :
A. Excellent la référence à Néo-Russia pour reconnecter au pick up du missile Alexandre 2
B. Tu précises, et ce n’est pas dans le scénar, que les amis de Veronika sont des gothiques, des « corbacs » : référence aux Corax ?
C. Les références à la ruine dans l’intro sont nombreuses
D. Ton exposition très détaillée est propice à l’ambiance mais nuit à l’agentivité, malgré les quelques options tactiques qu’elle offre
E. La longue enquête introductive donne à la partie des airs de thriller scandinave
F. Les diatribes de Xavier sur les Pokémon donnent une touche de réalisme et de candeur
G. Super sonorisation avec ces cordes grinçantes en boucle qui m’évoquent à merveille une ambiance à la Jordskott
H. Je note que tu as bien délayé puisque l’enregistrement se termine avec la première vraie scène du scénario :) On pourrait dire que le premier épisode est dédié aux procédures de base du jeu et à tes extrapolations.
Claude :
B. Non des gothiques des années 1980 habillés dans le style gothique de Peter Murphy ou Daniel Ash de Bauhaus
D. Le ton proposé par le jeu, quelque part entre Blair Witch et Twin Peaks, me parle énormément.
Le jeu, dans sa règle propose une phase de world building initiale ou toutes les joueuses interviennent. Le scénario substitue à cette règle l'introduction. J'ai voulu dispenser dans cette phase tous les éléments type roman noir que je voulais convoquer à la table, à la manière des romans de Larsson ou Mankell. Je voulais que coexistent des possibilités d'interprétation classiques, soit d'ordre politique, social, ou fantastique. Je n'ai pas su maîtriser mon niveau d'intervention.
B. D. F.
Je me suis trouvé dans une curieuse confusion mentale.
J'ai mis en jeu des souvenirs personnels de mon adolescence pour étoffer les figurants et par association d'idées, et en raison de la tonalité très eighties du canon de Project blair witch j'ai glissé imperceptiblement d'un contemporain d'anticipation, décembre 2020 intégrant quelques éléments de Millevaux, à une ambiance retro quelque chose, pas rétro clone, mais une espèce d'évocation de « mon époque ».
Tu auras peut-être noté la présence de la collection complète de Tales from the loop dans ma ludothèque sans que je n'ai jamais évoqué de partie ou d'affinités avec le jeu.
Son univers me fascine, mais l'idée de devoir rendre accessible à mes joueuses l'atmosphère des années 80 me semblait à priori insurmontable et peu propice à leur immersion.
« Mon époque » c'est celle mythique et nébuleuse à laquelle mes joueuses et néanmoins fils me renvoient sous la forme de :
- Mathieu : « Bah à ton époque c'était beaucoup plus facile d'être sérieux, y avait pas d'ordi et pas même de télé. C'était trop facile de se concentrer ! ».
En introduisant des figurants de mon époque, des condisciples ou des musiciens croisés lors de mon parcours amateur, j'ai éprouvé quelques difficultés à réfréner le besoin de leur transmettre de façon « crédible » l'atmosphère de ces marginaux.
J'ai inventé le figurant de Pelle à la volée en pensant à Mathieu que Xavier et Gabrielle ont immédiatement reconnu et Xavier a naturellement intégré ses Pokémon dans le paysage.
Au prime abord, ça ne colle pas vraiment au monde de Mankell, mais c'est pour moi pleinement dans l'esprit de La Sorcière de l'écorce et dans le ton de Tales from the Loop.
Ça gonflait prodigieusement Gabrielle, mais la négociation de l'achat d'un booster Pokémon à l'épicerie du coin fut un moment où la sauce a pris. Leurs visages étaient éloquents. Ils étaient liés. Tout est lié...
Mathieu :
Note : Je ne dis plus si souvent ça à part pour t'embêter
Claude :
C'est pas faux.
Thomas :
B. J'avais bien compris que c'était ce genre de gothiques (je les appelle les batcave :) ) mais justement je m'étais dit qu'utiliser le surnom de « corbacs » aurait pu être une insinuation à leur éventuelle nature de Corax (tout comme quand on joue au Monde des Ténèbres, les gothiques sont forcément soupçonnés d'être des vampires :) )
D. C'est pas grave en fait. L'ambiance est top donc si ta table aime les longues expositions tout va bien.
B.D.F : J'ai pensé très fort à Tales from the loop et à Stranger Things en écoutant les épisodes. Effectivement, je trouvais ces gothiques très anachroniques mais avec tes explications tout s'éclaire (et participe du phénomène d'hybridation des lieux et des époques typiques de Millevaux, surtout à ta table). Le fait que Xavier joue un enfant (même si ancré dans le 21ème siècle avec les Pokémon) participait à cette impression.
Claude :
« Logiquement le scénario de La Sorcière de l'écorce devrait s'achever sur la récupération du Pick up de Veronika, un modèle très récent, qui n'est que le vieux pick up retapé que conduit Monsieur Clément dans notre partie de Sève, qui se poursuivra en jouant Ballade pour un missile, en route pour Little Hô-Chi-Minh-Ville, (à la radio, sur la route entre Stockholm et la péniche familiale du Norrland, Sven, Pelle, (qui sera normalement joué par Mathieu samedi) , et Chat-Chat ont entendu vaguement parler de l'invasion du Vietnam par la Chine »
Hors ligne