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#1 19 May 2021 09:33

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

[La Cour Corbelle] Comptes-rendus de partie

La Cour Corbelle est un jeu de rôle dans la forêt de Millevaux pour se mêler à la noblesse corbeau, jouer, aimer, rêver, apprendre et souffrir avant que sonne l’hallali.

[En développement]


Comptes-rendus de partie par ou avec l'auteur :

1. La nuit d’Orée
Dans le jeu de rôle La Cour Corbelle, le MJ peut faire des interparties en solitaire, pour faire évoluer ses PNJ. En voici un exemple, ponctué par les affres existentiels d'une maîtresse de danse. De quoi jeter un œil à travers le rideau de cette cour si secrète. (temps de lecture : 7 min)

2. L'Oiseau Siamois
Eugénie a joué deux fois le même personnage à Une nuit à la Cour Corbelle, la version one-shot / teaser de La Cour Corbelle. Elle nous livre son ressenti face à cette pratique de jeu atypique qu’est le bac à sable du quotidien. (temps de lecture : 6 min)


Comptes-rendus de partie sans l'auteur :

rien pour l'instant

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illustration : (C) Holy Mane http://www.holymane.com


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#2 19 May 2021 09:33

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : [La Cour Corbelle] Comptes-rendus de partie

LA NUIT D'ORÉE

Dans le jeu de rôle La Cour Corbelle, le MJ peut faire des interparties en solitaire, pour faire évoluer ses PNJ. En voici un exemple, ponctué par les affres existentielles d'une maîtresse de danse. De quoi jeter un œil à travers le rideau de cette cour si secrète.

(temps de lecture : 7 min)

Joué en solo le 19/05/2021

Le jeu : La Cour Corbelle, un jeu de rôle dans la forêt de Millevaux pour se mêler à la noblesse corbeau, jouer, aimer, rêver, apprendre et souffrir avant que sonne l’hallali.

Avertissement : contenu sensible (voir après l'image)

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Library of Congress, domaine public

Contenu sensible : nudité, prostitution

Contexte :

La Cour Corbelle prévoit que le MJ puisse jouer en solo entre deux parties, histoire de faire évoluer ses PNJ. J'avoue manquer de temps pour le faire avec assiduité dans le cadre de ma campagne-test, mais j'ai quand même voulu le faire une fois.
J'ai donc décidé d'interpréter le PNJ Orée en personnage principal. Tout a été joué en théâtre de l'esprit, aucune règle n'a été malmenée durant ce solo :) Le décor est amplement assez posé pour le permettre.
Les PJ de la campagne ne sont pas du tout sous les feux de la rampe dans ce solo. Airelle et Cénacle sont tout juste évoqués, et Dissoulde ne l'est pas. Cela me convient, dans l'idée que la vie des PNJ ne tourne pas autour des PJ.
L'exercice était très plaisant. J'avoue que j'ai d'abord joué un peu dans ma tête, puis j'ai développé les événements à l'écrit, ce qui m'a surtout permis de rajouter des détails, les grandes lignes étant déjà posées dans mon esprit.
Je fais de nombreux sous-entendus à des points abordés dans les parties précédentes ou dans le background des PNJ. Il est donc possible qu'un lectorat non informé ne comprenne pas grand-chose, mais je crois que le sel se trouve là justement, dans cette sensation de jeter un œil à travers le rideau.
Il y a peu de Millevaux dans ce solo, encore une fois on prend son temps et l'aspect drama / cour prend le dessus sur l'habituelle horreur organique, mais si vous y regardez plus près, les thèmes de l'animal et du végétal et de la body horror restent bien présents.


L'histoire :

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The Hunt, par Ulvesang, un dark folk tout de guitares sèches tendus, un voyage initiatique d’une grande majesté où dort une sombre menace.

C'est la noire nuit. Et je suis seule.

Cette journée ne m'a laissée qu'amertume. Elle s'est déversée dans un sillon déjà profond.

Si j'ai accompli ce que je devais faire aujourd'hui, en libérant Merle de ses apprentissages, et en accueillant Airelle et Cénacle, je n'en tire que de la détresse, de la colère et de la peur.

Je sèche pourtant mes larmes. Ma décision est prise. Je dois m'expliquer avec Airelle et lui donner les vraies raisons. Et le plus tôt sera le mieux.

Je retire mes chaussons de danse avec douleur.

Je me faufile hors de la salle de bal, un véritable repaire de fantômes à cette heure-ci, et je me dirige à tâtons à travers l'ambassade, ma chandelle ne m'éclairant qu'à peine.

Tous ces grands portraits aux murs... Ces statues en gloire... J'en remarque tout le factice et la vanité.

L'ombre qui émerge de derrière un bronze me fait sursauter. Je pense aussitôt à Fantasma et ma dague est déjà sortie de son fourreau.

C'est un visage hideux, dont les ténèbres se réfugient dans les crevasses à la lueur de ma bougie. Iel est en grand costume de chambellan, satin, or et dentelle.

« Geai !
- Je t'ai fait peur ?
- Non... Euh... Si ! Pourquoi erres-tu à cette heure-ci sans lumière ?
- Je fuis les miroirs...
- En... Entendu... Je dois y aller.
- Tu vas peut-être rejoindre un de tes nouveaux élèves ?
- Que... Qu'est-ce que tu vas insinuer ?
- Rien du tout. Tu es libre. Tu as repris ta liberté depuis... l'incident... »

Il lui suffit de mentionner à mots couverts ce qui s'est passé entre nous pour que je perde tous mes moyens. Cela lui accorde un grand pouvoir sur moi et je pense qu'il le sait.

Sa voix... Sa voix éraillée me fait mal.

Il a l'avantage. Il profite de ma tétanie pour relancer la conversation.

« Alors, comment avance-tu sur ton ballet ?
- C'est difficile. Comme tu le sais, j'en suis encore Ă  recruter et former mes danseurs. Il faudra donc Ă©laborer des danses Ă  leur mesure. Et je veux remanier la dramaturgie en profondeur.
- Je te fais confiance pour remanier les choses en profondeur.
- Je t'en supplie, Geai. Ne remue pas le couteau dans la plaie.
- Ce couteau, c'est toi qui l'a planté.
- Que... Que puis-je te faire ? Que puis-je te dire ? »

Un instant, j'ai senti que j'allais vider mon sac et lui dire tout ce que j'avais sur le cœur. Mais l'instant d'après, je me surprenais à courir comme pour échapper à un tueur.

J'ai ouvert une fenêtre et j'ai sauté au-dessus du labyrinthe végétal. Je me suis transformé en corbeau et j'ai vu ma robe tomber dans les méandres de la végétation. Tant pis.

Prendre les courants ascendants me fait du bien. Je passe devant la lune, au-dessus de la forĂŞt, qui est Ă  la fois cet enfer et notre muraille.

Je me décide à dénicher Merle dans son repère.

Même au milieu de la noire-nuit, de nombreuses lumières sont allumées dans les racines de l'Arbre-Monde qui constituent le village des domestiques.

Je crie à en déchirer le ciel puis je fonds en piqué vers une des fenêtres ouvertes.

J'y trouve des moinelles occupées à repasser le linge pour le lendemain. Contraste de ces pauvrettes en blouse affairées sur des robes de grand prix. Je reprends forme humaine. Je suis nue devant elle mais je n'en ai cure. Nous autres Corax imposons notre mode de vie et la nudité en fait partie. Elles dérobent leur regard. Parfois, je me demande si les moinelles réfrènent des désirs.

J'explore ce monde où Merle se plaît souvent à rôder. Vapeurs des fers à repasser, cliquetis des métiers à tisser, sueur des travailleurs occupés jusque tard à satisfaire tous nos désirs. J'évalue un instant le plaisir canaille que mon ancien élève doit y éprouver.

« Voilà un ange tombé au milieu des vilains petits canards. »

Cette voix vient de nulle part et quand Merle se tient devant moi, je réalise qu'il a dû passer par un des nombreux passages secrets qu'il a fait installer dans cet entrelacs de demeures serviles.

Les moineaux et les mésanges, tous perclus de fatigue qu'ils sont, ne font pas attention à nous. J'ai même l'impression qu'ils se détendent après une dure journée, j'entends des plaisanteries entre eux, je les sens exister tout simplement, ce qu'ils ne s'autorisent normalement pas à faire en notre présence.

Merle me fixe avec ardeur comme à son habitude. Je n'aime pas son visage d'enfant farceur avec son maquillage morbide. J'espérais secrètement que dans son domaine et à la noire-nuit, il soit plus naturel.

Il me tient la main. J'ai des éclairs de nos danses, devoir harmoniser mon corps à son corps d'enfant, composer avec sa légèreté, avec sa fougue. Je sens dans ses doigts la tension entre masculin et féminin qu'il se refuse à résoudre.

« J'ai à te parler, Merle. Je te dois des explications.
- Dans ce cas, faisons les choses comme il se doit. »

Il hèle des moineaux afin qu'ils m'habillent. Ce moment passé à l'écart de lui (à moins qu'il ne me surveille depuis une cache) me fait du bien. Je me laisse vêtir sans mot dire, je deviens cette sorte de poupée qui n'a plus besoin de se réfléchir et de me tourmenter.

Merle a choisi pour moi une robe bleue tout en volumes, avec des flots et des vagues aux bras et aux épaules. Alors que nous sommes attablés sous la lumière couvante des candélabres, son regard s'attarde un instant sur ma plaque sternale à nu, dont les ombres dessinent une maigreur que je sais parfaite. Il y a tout un festin de viandes et de vins, je ne toucherai à rien et il le sait, ça le fait sourire.

« Tu sais... Si je t'ai rendu ta liberté... Je ne t'ai pas dit toutes mes raisons. »

Il me fixe avec une intensité qui me fait peur. Pourtant, c'est lui qui devrait avoir peur de moi.

« Je... Je ne suis pas de bonne compagnie et tu le sais, Merle.
- Et alors ? Tu veux me protéger de toi, c'est ça !
- Écoute, Merle, tu n'es qu'un...
- Qu'un enfant, c'est ça ! Je ne suis pas un enfant, et tu le sais ! Je n'ai pas besoin de ta compassion...
- Tu veux faire tes preuves, mais tu les as déjà faites. Nous savons tous ce que tu vaux, et qui furent tes parents...
- Ce que je veux, c'est vivre ! Ce que je veux, c'est être pris au sérieux !
- Et crois-tu que tu le seras en jouant avec le feu !
- C'est ce que nous faisons tous. Jouer avec le feu. Moi aussi j'y ai droit.
- Tout... Tout cela n'a rien d'un jeu.
- Il faut bien que ça en soit un. Car sinon, cela n'aurait aucun sens.
- Merle. J'ai fait une erreur en venant te voir. Bonsoir. Prends soin de toi...
- Bonne nuit, Orée. Mais arrête de vouloir panser les ailes que tu as toi-même brisées. »

Mais quand je le quitte, je sens que c'est moi qui suis brisée. D'une certaine façon, il a gagné. Ce petit tyran ironique a réussi à devenir une victime. Encore une fois, c'est moi la méchante.

J'erre dans les coursives chaudes et les clairs-obscurs des demeures domestiques. Enfin, je croise une rouge-gorge, elle s'arrête sur mon passage. Elle n'est pas en tenue de courtisane, mais porte quand même des habits de charme. Sa gorge enfle et décroît avec sensualité. Voilà qu'elle roucoule :
« Vous avez l'air accablé, votre excellence. Je rêverais de faire quelque chose pour vous soulager. »
Son parfum, capiteux, évoque des nectars exotiques. Son œil est noir avec des feux rouges autour. Elle tourne la tête, on sent que ses plumes sont douces sans même avoir besoin de les toucher. Je ne peux détacher mon regard de son bec verni.

« Je suis lasse., me surprends-je à lui répondre.
- Alors je veux être votre nid de réconfort. », dit-elle.

Plus tard, je me réveille à ses côtés, dans un lit garni de pétales de rose. Je vois son corps nu, une boule de plumes rouges. Elle a l'air moins tendre, moins belle que hier soir. Je sens sur moi toutes les séquelles de cette nuit.

Je me lève.

Sans m'habiller et sans dire au revoir, j'ouvre la fenêtre et je m'envole pour m'arracher à tout ça.


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

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#3 26 Oct 2021 10:55

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : [La Cour Corbelle] Comptes-rendus de partie

L'OISEAU SIAMOIS

Un même personnage, deux destins, sur deux sessions parallèles d'une Nuit à la Cour Corbelle. Retour d'une joueuse en performance sur l'expérience du bac à sable du quotidien. Un récit par Eugénie.

(temps de lecture : 6 min)

Article initial sur le blog JenesuispasMJmais

Joué avec l'auteur le 19/06/21 (essai 1) et le 20/08/2021 (essai 2)

Le jeu : La Cour Corbelle, un jeu de rôle dans la forêt de Millevaux pour se mêler à la noblesse corbeau, jouer, aimer, rêver, apprendre et souffrir avant que sonne l’hallali.

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Asa Hagström, cc-by

Un petit soubresaut de blog pour évoquer une très chouette expérience jouée cette année : j’ai eu la chance de jouer une partie et demie de La Cour Corbelle proposée par Thomas Munier. A ce stade, le jeu est à l’état de notes, je ne sais pas s’il est jouable par un autre MJ que Thomas, mais si ça peut donner envie à certains ou certaines de s’en emparer, c’est cadeau c’est bonheur !

Une invitation Ă  la Cour Corbelle

La guerre des Grours contre les humains a pris un tour particulièrement méchant et les Corax ont décidé de réunir les représentants de toutes leurs philosophies pour voter la participation ou non des Corax à la guerre, et de quel côté et dans quel but.

Le fonctionnement de la Cour Corbelle implique l’invitation de citoyens lambda de toutes les obédiences, choisis ou tirés au sort, pour une nuit où ils pourront rencontrer les représentants. Ces citoyens sont libres et peuvent simplement profiter de la fête, ou poursuivre un but très personnel, ou s’impliquer dans les relations diplomatiques, ou tenter de changer les votes…

Les PJ sont ces citoyens.

La Cour Corbelle est pensé comme un Bac à Sable du Quotidien : un bac à sable dans lequel les PJ peuvent aller vers ce qui les intéresse, sans aucun panneau indicateur car il n’y a pas spécialement d’histoire à raconter. Juste vivre une nuit dans une réalité virtuelle, une nuit d’ivresse et de faste, parmi les oiseaux, les ours, les goupils et les humains.

La Cour Corbelle n’a pas de système de résolution, à la manière du JDR sans règles : la logique fictionnelle fait foi, et l’absence officielle d’intention du MJ (il n’y a pas d’histoire, pas de direction vers laquelle emmener les PJ) est un garde-fou pour la liberté des joueuses.

Une liberté particulière, mais pas feinte

Pour la petite histoire, j’ai joué deux fois à La Cour Corbelle.

La première fois, nous étions 3 joueurs et joueuses et avons passé un certain temps sur la création de personnages (très chouette) et je me suis… endormie après un court temps de jeu, alors que nos PJ arrivaient à la salle de bal. Rien à voir avec de l’ennui ou quoi, j’étais simplement épuisée. J’en suis encore bien désolée pour l’abandon de mes camarades, j’aurais adoré jouer cette partie avec eux en entier. Elle a été apparemment fabuleuse.

La 2e fois, nous étions 3 joueurs et joueuses encore (mais pas les mêmes), nous avons été beaucoup plus rapides sur la création (et j’ai repris le même personnage) et la partie a été là aussi fabuleuse. Mais au fond assez différente de ce que j’avais commencé à jouer précédemment.

Et c’est un point qui me paraît important de souligner : à la manière d’un bac-à-sable en jeu vidéo, la Cour Corbelle était sensiblement la même, à une poignée de détails près, certains dialogues étaient quasiment identiques car nous avons interagi de la même façon avec les mêmes PNJ, le déroulé global de la fête et du fonctionnement des votes était le même. Mon propre personnage était le même. Mais les autres PJ étaient différents, ont impulsé une dynamique différente (entre nous et vis-à-vis de la Cour) et ont entrainé des choix différents.

Dans ma première partie, un PJ général Grours ayant perdu tous ses fils à la guerre s’est particulièrement impliqué dans la diplomatie et les intrigues politiques, rendant très prégnants la violence, l’amertume, la réalité d’une guerre qui remonte jusqu’à la Cour. Le thème était dans le jeu en filigrane, mais c’est lui qui l’a mis sous la lumière.

Dans ma 2e partie, un PJ érudit Grours pataud et sympathique a donné à la partie une dimension à la fois embarrassante et drôle, avec des relations de Cour et des philosophades évoquant plutôt le panier de crabes universitaires que le destin militaire. Là aussi les accroches au protocole, la perfidie de Cour et la philosophie sont des thèmes du jeu, mais c’est ce personnage qui les a provoqués dans la partie, de par ses réactions balourdes et ses propres intentions.

Une particularité d’un bac à sable du quotidien, c’est la garantie que les choses pré-existent à l’arrivée des PJ. Nous étions coincés dans un huis clos particulièrement riche, impossible à saisir en une seule partie, et nos choix nous ont permis d’en découvrir des facettes très différentes.

La liberté dont je parle n’est pas celle de renverser la table, de changer le monde d’un coup de dés, ou d’imposer un virage radical dans une histoire en train de se raconter. Mais nous avions la liberté de nos actes et le respect de nos intentions à défaut de la garantie d’un impact majeur sur l’univers.

J’ai pu choisir où aller et avec qui parler, et le fait d’y jouer deux fois de suite m’a montré que le MJ ne trichait pas en nous recollant les mêmes PNJ sous le nez où qu’on aille, et ne changeait pas non plus les PNJ de place/de thème pour varier d’une partie à l’autre. L’univers était stable. A nous de bouger dedans.

J’ai pu choisir deux fois de suite de ne pas m’impliquer dans ces histoires de votes et de guerre, d’émissaires et de représentants, sans qu’on me fasse sentir que je passais à côté de l’expérience. J’ai pu rencontrer un chirurgien cinglé, tergiverser sur ma propre nature (suis-je une humaine ou un corbeau ? mon corps mérite-t-il d’être choyé ?) sauver une personne qui avait pris soin de moi et me réconcilier avec moi-même. Tout cela a été fort intense et tout cela m’appartenait.

Et à aucun moment je n’ai été invitée à revenir dans les clous (car il n’y avait pas de clous et c’était officiel) ou à rejoindre un minivan.

Un JDR à la manière d’un roman naturaliste du XIXe

Un aspect particulièrement original de La Cour Corbelle, et qui en fait à mon avis le très grand intérêt, c’est le style choisi par Thomas dans sa maîtrise.

La Cour Corbelle est un festival de description. Pas de haut potentiel ludique ici, mais des tableaux extrêmement détaillés, ou ces longues descriptions des romans du XIXe, qui s’attardent sur les éclats de lumière des gouttes d’une fontaine et des coupes de cristal, sur toutes ces tenues extravagantes, dans leur variété de coupes, de tissus, de boutons ou de rubans, sur les coiffures et les plumages, les dorures, etc. Certaine parlerait de description-porn.

Pour une joueuse narrativo-vegan en goguette, je ne cache pas qu’il y a eu un pli à prendre pour accueillir le truc. Sur la première partie, il m’a fallu du temps pour entrer dans le rythme particulier de ces échanges, où le MJ prend un temps infini de description et le reprend encore et encore, à chaque fois que les personnages posent les yeux sur une nouvelle merveille à découvrir. La première demi-heure de jeu a été presque douloureuse, à attendre qu’on me rende la parole à chaque fois, à vouloir que ce flot s’abrège.

Et puis je me suis laissée séduire par ces volumes d’échanges asymétriques (le MJ parle beaucoup et les joueuses assez peu en comparaison) parce que l’action elle-même était lente. Il ne s’agissait pas de voir une narration se dérouler sous nos yeux sans pouvoir intervenir, ce qui m’aurait fait suffoquer, mais de regarder se déployer un univers particulièrement précis et riche, qui nous attendait pour qu’on interagisse avec lui.

Sur la 2e partie, j’étais préparée à ce rythme-là et j’en ai profité dès le début, tout en voyant un autre joueur éprouver exactement les mêmes difficultés que ma première fois. Et se faire apprivoiser à son tour.

Cette déstabilisation de joueuse m’a fait réaliser que dans mes cercles, la volubilité d’un MJ n’est pas valorisée. Il semble aller de soi qu’être MJ c’est déjà prendre beaucoup (voire trop) de place et qu’il faut essayer de faire court et efficace, pour laisser au maximum la main aux joueuses. Je trouve intéressant de noter que, quand elle est maîtrisée, quand elle correspond à une ambiance particulière et qu’elle ne confisque pas la narration ni ne contraint les choix des joueuses, cette disproportion de description peut être absolument plaisante.

Et elle implique un style partagé. Puisque notre fenêtre de parole à nous joueuses est réduite, nous avons spontannément mobilisé un certain style d’interactions :

Jouer avec nos corps : de fait, nous avons spontanément pris des postures, échangé des regards ou fait des gestes qui étaient clairement ceux de nos personnages. Sans forcément tomber dans le GN, mais en incarnant un peu plus (parfois beaucoup plus) que ce nous faisions habituellement en JDR ;
Ponctuer les descriptions de réactions très claires et courtes, façon sniper ;
Savourer les dialogues : le dialogue en discours direct étant le moment où le ping-pong retrouve sa symétrie, puisque chacun parle autant que son perso, PJ ou PNJ, ce temps-là avait une saveur toute particulière.
Ce qui amène aussi de très beaux moments presque théâtraux, où après un coup d’œil fictionnel qui s’étire le temps d’une longue description à la table, joueuses et personnages se superposent totalement le temps d’un dialogue, puis à nouveau le temps s’étire, etc. Et cette alternance joue à mon avis énormément dans les très belles sensations et l’originalité que j’ai trouvées dans ces parties.

Voilà, j’ai joué à La Cour Corbelle et j’ai beaucoup aimé.


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