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DÂROU ! DÂROU ! VÉNET DO MO SAC !
Comment la chasse d’un animal imaginaire a mis le feu aux poudres.
(temps de lecture : 5 minutes)
Joué / écrit le 18/02/2021
Le jeu principal utilisé : pas de jeu pour cette session
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)
Jay Cross, cc-by, sur flickr
Contenu sensible : violences et menaces sur enfant, mort d'enfant
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48. Le carrefour de l’enfant Rollo
Les peines toutes simples sont les plus lourdes à porter. (temps de lecture : 7 minutes)
L'histoire :
Tungunska, par The Wonders of Atomic Mutation, une pièce entre ambient drone, americana et dungeon synth qui vous transportera dans un hiver nucléaire de toute beauté.
Le Fleurance Jacopin donna une pichenette sur la grenouille posée sur la souche. Elle était complètement gelée, toute blanche à travers l'obscurité de la grasse-nuit. Tric, trac, il la fourra dans son sac. Il savait que le batracien était juste en stase et aurait dégelé au printemps s'il ne lui avait réservé un autre destin. Il plongea ses mains dans l'eau du Ru Migaille. C'était froid comme la mort, mais ça en valait la peine ! Il attrappait les grenouilles une par une, le ruisseau en était griboulu.
Çà gigota dans les buissons. Vingt rats, et si c'était le Couche Huit-Heures qui était après lui ?
La pêche avait assez duré. Il jeta son sac par-dessus son épaule et repartit vers les yourtes abandonnées de Champo dont les silhouettes se taillaient dans les ténèbres.
C'est là qu'une forme en robe sortit des fourrés comme un diable de sa boîte !
"Non, non, la SĹ“ur Joseph, j'veux pas aller Ă l'Ă©cole !"
La religieuse le pogna et le poussa contre l'Ă©corce d'un arbre avec violence.
"Je ne suis pas la SĹ“ur Joseph, abruti !"
L'apparition serra ses mains grĂŞles sur le cou du gamin.
"Tu vas me causer oĂą je t'Ă©trangle comme tu le fais avec les chats !"
Il hoqueta et lui fit signe qu'il ne pouvait pas causer, justement.
Alors la Sœur Marie-des-Eaux relâcha ses étreintes, elle reporta une de ses mains sur le front du mioche et de l'autre enfonça la lame de son opinel à l'intérieur de son oreille, à un fil de lui percer le timpan.
"T'as dit que l'enfant Rollo avait couru après les corbeaux avec son fusil à bouchon. Mais je me suis renseigné à la bonne adresse, figure-toi ! Et aucun enfant n'a suivi les corbeaux ce jour-là !
Alors tu vas me dire ce qui s'est vraiment passé !
- D'accord ! D'accord ! Mais m'enfoncez pas le surin dans l'oreille, si vous aimez le Vieux ! Je vais tout vous raconter !"
Vortex, par Wolvennest, un album de psyché-doom absolument fumeux et ritualiste, à la gloire de Shub-Niggurath et des gestes épiques de fin du monde.
Il était donc maintenant aux côtés du Fleurance, ce soir-là , cette noire-nuit là , au carrefour que désormais on n'appellerait plus autrement que le carrefour de l'Enfant Rollo.
Le novice n'en revenait toujours pas de cette capacité qu'il avait, comme beaucoup d'autres des amnésiques de ces régions, à pouvoir s'immerger de façon aussi réaliste dans tout récit du passé. Le Fleurance faisait plus que lui raconter. Il était caché dans les fougères putrides, à croupeton avec lui, à revivre ce moment.
Les arbres étaient penchés autour d'eux en concile resserré.
Au croisement des quatre chemins, l'enfant Rollo, la peau bleue mais bien vivant, un bâton dans une main et un sac dans l'autre.
Le Fleurance murmurait comme si les acteurs du passé risquaient de l'entendre :
"En fait cette nuit-là on l'a invité à chasser le Darou.
- Tu veux dire qu'il a été le dindon de la farce.
- Ben... Au début ça s'est passé comme prévu. On lui a dit de se poster là et qu'on rabattrait le darou sur lui. Mais bien sûr on s'est pas pointés. Sauf moi, j'me suis planqué là parce que je voulais voir sa tête.
- Et bien entendu le darou n'est pas venu non plus puisque c'est une farce.
- Et ben..."
L'enfant Rollo, tremblant de peur et de froid, répétait : « Dârou ! Dârou ! Vénet do mo so sac ! »
Le Fleurance Jacopin mit son index sur sa bouche, intimant le plus profond silence. Pour un gamin tueur de chat à moitié rapace, il faisait soudain preuve d'une saprée faroucherie.
C'est alors que la chose se traîna jusqu'au carrefour.
La Sœur Marie-des-Eaux crut d'abord à un loup, mais c'était plus grêle et ça avait deux pattes plus courtes que les autres. La beusse était vêtue en poil de cul ou en crin d'auroch, difficile à dire, en tout cas son pelage était répugnant. Elle avait une gueule plate garnie de chicots en désordre avec des yeux jaunes tout pisseux. Son grollement était long comme un tambour avec des accents de jubilation.
Les genoux de l'enfant Rollo battaient la mesure l'un contre l'autre.
« Dârou, Dârou...», fit-il en claquant des dents.
« Vénet do mo so sac ? »
D'un bond, le novice fut hors de leur cachette et taillait vers le monstre.
Mais c'Ă©tait vindiou de trop tard !
Le dârou était déjà sur le gamin et l'avait caboulé. Il lui labourait les jambes avec ses griffes, lui fouaillait la gorge et la poitrine à coups de crocs.
C'est alors qu'un rire gras raisonna dans le fouillis des branches. On vit distinctement la silhouette de la Mère Truie.
"On se tire !", boualla le Fleurance Ă plein poumons.
"On se tire !"
S/T, par Bardo Pond, la messe mescal-folk et psyché-drone la plus triste et la plus intronaute de tous les temps marquée par un chant féminin flottant au-dessus d'un océan de drogue.
"Gruiiiiikkkkk ! Père Soubise ! Viens me gratter le dos !"
La Mère Truie se roulait dans sa soue, en attendant la venue de son dernier serviteur.
Distraite, elle engloutit un de ses porgrelets pour passer le temps. Ça croquait sous la dent et elle sentit l'afflux de pouvoir qui revenait en elle en même temps que la poche à merde de sa progéniture se crevait et répandait son jus dans sa gorge.
"Alors Père Soubise, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ? Gruiiikkk !"
"Le Père Soubise ne viendra pas."
L'animal sortit le groin de son abri.
Dehors, Augure se tenait debout, sans peur.
"Comment oses-tu venir me menacer ? D'abord vous arrêtez de me servir d'espion, et maintenant tu viens empiéter sur mes plates-bandes !"
"Je ne suis pas seule."
Des croassements fusèrent de toutes les branches et ce que la truie avait d'abord pris pour des feuilles noires s'avérèrent être des corbeaux perchés. Des nuées.
"Qu'est-ce qui vous prend de me tenir tĂŞte ?
- Quelqu'un que tu connais bien a découvert la vérité pour l'enfant Rollo. Tu es allée trop loin, Mère Truie."
Et la marée noire s'abattit tous becs dehors sur la folcoche.
Mais ces représailles survinrent trop tard.
Le Nônô Élie posa son fusil sur la table avec fracas. Tous les chasseurs du village l'entouraient, et cette fois, personne n'était masqué.
Leur chef était rouge comme une boule de Noël.
"On peut plus les laisser faire ces foutus corbeaux ! Ils ont conduit le petiot au loup ! Ça peut plus durer ! Je vous jure par le Vieux que tout ce que la terre contient de plomb va leur finir dans l'aile !"
Lexique :
Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.
Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet Ă©pisode : 1264
Total : 88866
Système d'écriture
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Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :
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Hors ligne
50. DES NOUVELLES DU VATICAN
On attaque le dernier volet du roman avec un regard sur le journal intime de la Sœur Marie-des-Eaux et l'apparition inquiétante d'un nouveau protagoniste.
(temps de lecture : 7 minutes)
Joué / écrit le 25/02/21
Le jeu principal utilisé : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse
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the streetweeper & n8wood, licence CC-BY-NC, sur flickr
Contenu sensible : exhumation
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49. Dârou ! Dârou ! Vénet do mo so sac !
Comment la chasse d’un animal imaginaire a mis le feu aux poudres. (temps de lecture : 5 mn)
L'histoire :
Not listening, par STBL, un drone tout en échos fuyants pour des réalités qui se dérobent infiniment.
Premier de Descendres
Je croyais être le héros de cette histoire.
Mais mon destin de mémographe est de conserver et témoigner des hauts faits de mes proches.
Aujourd'hui, avec le sentiment d'être aux portes d'événements encore plus tragiques que ceux qui ont précédé, je reprends mon calame sur ce carnet.
Car, moi, Sœur Marie-des-Eaux, je ne suis plus mené par la seule motivation de me souvenir, mais par le besoin d'enseigner.
Il faut que ceux qui me suivront sachent ce qui s'est passé depuis mon arrivée aux Voivres, et ce qui va se passer à présent.
J'ignore combien de temps le Vieux m'alloue encore sur cette terre. Il faut que ce carnet me survive.
Je repense à toutes ces personnes plus grandes que moi et que le Vieux a rappelées, le père Benoît et Champo en premier lieu. Et aussi à ces personnes à qui il refuserait peut-être les portes de son Paradis, mais qui m'ont chéri et protégé. Prescience. Euphrasie.
Je ne suis qu'un pécheur à moitié fou qui consigne des absurdités sur du papier que le vent emportera.
Ce vent que j'entends sur les jouets de bois suspendus à la porte de la yourte dans laquelle je viens de m'installer. Je n'avais ma place ni au presbytère, ni à l'Auberge du Pont des Fées.
J'ai entendu les cocottes des sapins crisser sous un sabot. J'ai mis le nez dehors et ai vu une forme dans le brouillard et la nuit brune, qui sortait de la forêt comme un diable de sa boîte. À sa main, une lanterne l'éclairait à peine.
C'était la Bernadette. Elle est venue "en gage de bonne amitié".
Je n'ai plus aucun ami ici, alors je ne sais que penser de son empressement. Je me suis même pris à penser qu'elle était venue poser des charges pour m'envoûter, comme elle l'avait fait avec la Sœur Jacqueline. Ce n'est qu'à contre-cœur que je l'ai laissé entrer sous la yourte, et je n'ai pas desserré la main de mon opinel dans ma poche au cours de notre entrevue.
Nous avons parlé des derniers événéments. À demi-mots des deux côtés, mais on se comprenait.
"Les horlas se font la guerre, a-t-elle dit. On est lĂ que pour compter les points.
- Je ne sais pas. Je crois que ce concept de horla cache une réalité plus complexe.
- MĂ©fiez-vous. Les horlas sont plus simples que vous ne le croyez. Ils sont juste comme nous : insatiables."
Puis la cuisinière m'a laissé seul avec mes pensées.
Je n'avais toujours pas le cœur de prier, mais j'ai eu l'impression d'y voir plus clair en moi.
Durant toute ma carrière d'exorciste, je me suis appliqué à traquer les démons sans montrer aucune pitié. Mais j'ai aussi eu l'occasion d'en connaître mieux certains, et, oui je l'avoue, d'en aimer certains.
Aujourd'hui, je m'interroge sur tout, sauf sur une chose. Je sais que j'ai une mission dans ce village. Et ce n'est peut-être plus celle d'un bourreau. Je suis pessimiste sur ce qui va se passer plus tard car les prédictions de l'Apocalypse commencent à s'accomplir. Mais je suis optimiste concernant l'attitude que je vais adopter. J'ai le sentiment, inédit, de savoir que je saurai me comporter avec cœur dans les épreuves qui viendront.
Je revois des endroits de mon passé en impression sur ma rétine.
L'ossuaire...
Oui, je n'ai pas toujours choisi le camp des humains. Je vaux surtout choisir le camp des justes.
Un tourbillon m'a pris et j'ai compris que plus rien ne serait comme avant.
La Haine Primordiale, par Nors'Klh, du dark ambient martial toute de fureur rentrée qui orchestralise la montée en puissance du mal.
Second de Descendres
J'ai voulu dessiner dans ces pages le portrait de l'Euphrasie. Le fusaie sous mes doigts osseux hésitait de toutes parts. L'épaisseur du sourcil, l'intensité du regard. Autant de choses que j'échouais à saisir.
J'ai compris que j'étais déjà en train d'oublier son visage.
J'ai déchiré la page.
Alors que l'acédie est plus forte que jamais et que je sens entre le Vieux et moi une distance aussi fine et impénétrable qu'un suaire, alors que mon incapacité à prier me cloue au sol et me tient éloigné du ciel, je repense à mes conversations avec Augure, une personne que je trouve aussi fière qu'étrangère.
"De quelle terre venez-vous ?", lui ai-je demandé.
Elle a levé les yeux vers les nuages et a répondu :
"Aucune."
En ayant choisi de prendre ma retraite dans ce qui fut la demeure de Champo, je me demande si je suis entré en ermitage ou en paganisme.
Je me surprends à fouler la terre gelée, cette terre faite pour enfouir des corps, et à la trouver plus pleine de vérité que le discours des hommes ou le regard du Vieux.
Les outardes, si peureuses avec leurs barbes sous le bec et leurs pattes de poule, viennent picorer jusqu'Ă moi et je peux presque les toucher.
Je me tiens trop éloigné du village. Cela pourrait compromettre la mission que je me suis assigné de les protéger contre leur gré.
Je m'en suis rendu compte ce soir-même. C'est presque de force que le Sibylle Henriquet m'avait remorqué jusqu'à la grand-rue, pour un baptème à donner.
C'est ainsi, pour ainsi dire par accident, que j'ai appris qu'un homme d'église était arrivé aux Voivres.
Il avait son chariot parqué devant le lavoir, et à son bord une bande de fier-à -bras jouaient aux dés. J'en ai compté six, ils avaient tous des armes.
Je suis remonté en toute hâte au presbytère, c'est là que je l'ai trouvé, en grande conversation avec le Nônô Élie et ses chasseurs. Ils étaient dehors, il n'avait pas pris la peine de se déchausser ou de s'installer, signe que leur discussion était marquée du sceau de l'urgence.
J'ignore pourquoi, ça m'a rappelé une histoire que me racontait la Mélie Tieutieu :
"C'est l'homme-là qui pour tuer son chien l'a accusé de la rage. Et ben son chien il est devenu enragé et lui a bouffé la tête."
C'était un jeune homme, je ne lui donnais pas plus de quelques années que moi.
Je n'ai que très peu d'inclinaison pour les sentiments amoureux, même mon sacercoce mis hors de compte. Je dois cependant reconnaître que c'est un bel homme. Il est mal rasé comme le sont ceux qui voyagent et sont dans l'action, les cheveux longs sous la tonsure lui retombent sur le front et les yeux. Une tâche blanche de naissance lui recouvre le nez. Il porte une robe de moine blanche et un capuchon très simples, dans une toile grossière, et une immense croix de bois pour tout ornement.
Il a écarté les chasseurs, reconnaissant ma robe de religieuse, et a pris la peine de se présenter à moi :
"Bonjour, ma Sœur. Je suis Dom Pasquale Moretti. Je suis un Inquisiteur et j'ai été mandé au diocèse de Saint-Dié par le Vatican. L'évêché a reçu un pigeon voyageur laissant entrevoir de graves problèmes dans cette paroisse, problèmes que ces habitants sont justement en train de me confirmer. Je suis ici pour régler toutes ces questions.
- Le Père Benoît, exorciste de Saint-Dié, m'a souvent dit qu'on n'avait plus de nouvelles du Vatican depuis longtemps.
- Ce prêtre, dont on vient de m'annoncer le décès, ainsi d'ailleurs que l'infortuné père Houillon. Vous êtes, je suppose, la Sœur Marie-des-Eaux."
Je n'ai pas répondu. J'ai tout de suite compris que j'avais affaire à un charognard. J'espère qu'il a bien senti mon œil unique se concentrer sur lui et le vouer aux gémonies.
"Il faudra qu'on parle, mais j'ai plus urgent encore à faire. Vos amis ici présents m'ont parlé d'un étrange cas de mort tombé du ciel. Nous allons aussitôt procéder à son exhumation."
Je n'avais aucune envie de supporter sa présence, mais je les ai quand même suivis au cimetière, histoire de savoir ce qui allait se passer.
Maintenant que j'avais fréquenté l'Euphrasie et l'Augure, je me doutais bien de ce qu'ils allaient découvrir, et j'avais besoin d'observer leur réaction. Je me disais que s'ils me poseraient des questions, je ferais celui qui n'était pas au courant.
C'est ainsi que nous nous trouvâmes une dizaine à trouer la presque-nuit de nos flambeaux, embarqués dans le cimetière avec des mines de profanateurs.
Je marchai au milieu des sépultures et le temps me semblait ralentir. Je repensais à la nécropole de Xertigny, qui abritait tous les morts des ères passées, et aussi à tous les enterrements auxquels j'avais assisté depuis ma venue aux Voivres.
Le soi-disant Dom Pasquale Moretti n'a pas touché à une pelle ou à pied-de-biche, laissant cet ouvrage à ses mercenaires et aux chasseurs. Il n'était pas du genre à se salir les mains.
Quand il s'est penché sur le cercueil ouvert, j'ai su que rien ne serait plus comme avant.
À l'intérieur, il y avait le squelette d'un corbeau encore paré de quelques plumes.
J'ai compris que la guerre corvine était déclarée.
Et moi, j'en suis déchiré car mon cœur est à moitié Corax.
Il faut que je revoie Augure au plus vite.
Je suis rentré sous la yourte aussi vite que j'ai pu.
J'ai fermé à clef depuis la première fois de ma vie.
J'ai retiré ma robe et me suis allongé sous les chaudes couvertures. Le poêle donnait toute la chaleur qu'il pouvait. La lame de l'opinel glissait sur ma peau nue, sa froideur me faisait du bien et me rappelait sa présence.
Je fixe la porte et je ne trouve ni le sommeil ni la prière. Je m'attends à ce que des coups y soient frappés. À ce que l'inquisiteur auto-proclamé vienne me demander des comptes.
Lexique :
Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.
Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet Ă©pisode : 1816
Total : 90682
Système d'écriture
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Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :
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LE NID DE FOURRE-T-OI-S’Y
Alors que la panique s'empare du village, la SĹ“ur Marie-des-Eaux choisit son camp.
(temps de lecture : 7 minutes)
Joué / écrit le 04/03/2021
Le jeu principal utilisé : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse.
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
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Bob Jagendorf, eric schepers, road less trvled
Contenu sensible : disparition d'enfant, harcèlement d'enfant
Passage précédent :
50. Des nouvelles du Vatican
On attaque le dernier volet du roman avec un regard sur le journal intime de la Sœur Marie-des-Eaux et l'apparition inquiétante d'un nouveau protagoniste. (temps de lecture : 7 minutes)
L'histoire :
Un moment d’égarement, par Sholari111. De la musique de chambre avec un piano fataliste pour forêts humides et hantées et parfois quelques grésillements d’égrégore.
Trois de Descendres
Au cours de la nuit, j'ai été tiraillé par des rêves. J'étais dans les forêts limbiques, plus blêmes que jamais, et Euphrasie se tenait face à moi. Elle me jugeait. Elle n'avait plus de visage. Des milliers de corbeaux étaient perchés dans les arbres à en faire ployer les branches.
Quand je me suis reveillé, en nage malgré le poêle éteint, j'ai compris que mes bonnes résolutions pacifiques n'avaient pas fait long feu.
Je dois me battre.
Et je ne me battrai pas dans le camp des humains.
Je sais qu'ils veulent s'en prendre aux Corax et ce sont eux que je vais défendre. Je le dois à Frazie.
Je me suis donc levé et sans plus tardé, j'ai tranché dans le brouillard et accouru au village pour voir où les choses en étaient.
L'inquisiteur n'avait pas chômé. Je l'ai trouvé dans le presbytère, où il avait convainqué toutes sortes de villageois pour les interroger dès la nuit-brune, à la lueur des cierges.
Il a insisté pour que j'y assiste. J'ai compris qu'il voyait en moi un allié. Un fanatique comme lui. Alors qu'il alignait les questions les plus intimes, sans user de violence physique, mais avec toute la menace que représentait ses gardes-chiourmes et son propre air de supériorité, je me suis dit qu'il avait de bons éléments pour me juger son égal.
Moi aussi j'ai usé de sales méthodes.
Et je suis peut-être prêt à recommencer si ça me semble nécessaire.
Cela a été au tour de la Sœur Joseph de comparaître. Les chasseurs, formant milice, l'avaient trouvée dans le village, ils lui étaient tombé sur le râble et l'avaient embarquée dans leur gibecière.
"Qu'est-ce que vous faisiez dès potron-minet à rôder dans la grand-rue ?, a-t-il demandé.
- Je cherchais des enfants... Euh, pour les amener Ă l'Ă©cole, je veux dire, votre Ă©minence.
- Ne me nommez pas ainsi, je ne suis pas cardinal. Vous pouvez m'appeler votre excellence.
Tu cherchais des enfants, disais-tu ?"
J'ai senti que l'interrogatoire virait à l'accusation. La Sœur Joseph était en train de se décomposer, et ça n'arrangeait pas son affaire.
Moi, j'étais au plus mal et en plus une crise de manque me cueillait de plein fouet. J'avais besoin de mémoire. De me rappeler d'Euphrasie, de Champo, de tous ces visages qui fondaient dans ma tête. Je pouvais faire le deuil de mon enfance, mais perdre mon passé proche, ça m'est insoutenable.
"Quand êtes-vous arrivée aux Voivres ? Avec quelle mission ?
- Je... Je ne m'en souviens plus, a bredouillé l'institutrice.
- Évidemment."
Je n'en pouvais plus. Je bouillais intérieurement, et je suis sûr que cet enfoiré le voyait. Je pouvais discréditer la Sœur Joseph, mais j'en senti que ça reviendrait à trop m'exposer, et donc à compromettre mes futures chances de protéger les Corax.
J'ai même tâté la lame de l'opinel dans ma poche, mais ouvrir la gorge de ce type n'était pas une option non plus. Soit ces dogues m'allumaient avant, soit je me mettais définitivement à dos tout le village en tuant un nouvel ecclésiastique.
Alors, j'ai fermé ma gueule.
Et la Sœur Joseph a été mise à l'isolement.
Et depuis j'ai cet arbuste qui pousse dans ma poitrine et traverse mes organes : la pousse du remords.
Et en rentrant dans la yourte pour rédigé ce foutu journal, j'ai bien compris que j'avais peut-être loupé ma chance et laissé l'inquisiteur enclencher une machine infernale. Comment l'arrêter à présent ?
Tactile Ground, par Robert Rich, de l’ambiant microtonal pour un monde du silence riche d’une vie aussi apaisante qu’angoissante.
Quatre de Descendres
Euphrasie, je vais mal.
Je m'y vois encore. Je suis dans mon château intérieur. Nous sommes dans un grand salon envahi par les branches et les rejets. Je prends une chicorée avec toi. La nappe de la table est bouffée aux mites, griboulue de moisissure. J'essaye de te parler à toi que, oui, j'ai aimée. Mais je ne sais pas quoi te dire.
Et tu ne me réponds pas.
Je tente de me concentrer sur les détails de ta personne. Les soies de ta moustache. Les motifs de ta robe. Mais tout m'échappe.
Et je reprends connaissance, je suis les deux sabots planté dans un guéret. Les entrailles vides de la terre labourée sont ouvertes, insemées. Le vent la fouaille en vagues frigorifiques.
Le Père Bourquin me fixe, avec son menton en galoche et ses yeux de fouine. "J'en reviens pas que j'ai oublié de semer cette parcelle. C'était ma meilleure. Que l’Esprit-Chou me souffle dans le cou ! Mes excuses pour le juron. Par pitié, ma bonne sœur, bénissez ma ferme. Je crois ben que le père Moretti a d'autres chats à fouetter, et moi, qu'est-ce que je vais devenir ?"
Il y a quelque chose de malaisant Ă voir pleurer un paysan. C'est contre-nature.
Je ne peux pas me permettre ces absences, à un moment qui requiert toutes mes facultés. Par le Vieux, je peux pas.
J'ai constaté qu'au crépuscule, les gens rentraient pas chez eux. Ils étaient encore dehors, en tenue de chasse, à faire la ronde avec leurs fusils. Il fallait que j'aie une discussion avec Moretti, alors je suis allé le voir au presbytère. Je m'attendais bien sûr à ce que mon caractère de merde fasse tout foirer.
"C'est vous qui avez décrété la loi martiale ?
- Je n'ai rien ordonné du tout, mon cher. J'ai juste parlé à cœur ouvert avec les villageois. Je leur ai exposé ce que je savais au sujet de créatures qu'on appelle les Corax, qui sont des changeformes hommes-corbeaux et qui servent le Malin. Ils ont pris d'eux-même la décision de faire des rondes.
- Vous...
- Ah, j'oubliais de vous dire. Un autre enfant a disparu. La petite Odile Vautrin."
Par le con de la Vierge Marie, qu'est-ce que ça voulait bien dire cette fois-ci ?
La Mère Truie était encore en état ?
Le Dârou rôdait toujours ?
Ou bien les Corax m'avaient dupés ?
J'ai pas attendu une explication de plus. J'ai embarqué une torchère et je me suis joint à la battue. Dehors, la bise aurait gelé un canard et pour tout dire, elle a plusieurs fois manqué de souffler ma flamme, mais je m'en foutais.
Il fallait retrouver ce mĂ´me.
J'ai marché aux côté de ces chasseurs que je savais mes ennemis, mais je n'ai vu que des hommes attérés d'avoir perdu un enfant.
Nous nous sommes de plus en plus éloignés les uns des autres, et j'ai échoué au Grand-Bois, je ne voyais même plus les lumières, je n'entendais plus les cris.
J'étais juste dans le ventre de la forêt, mais j'avais trouvé des traces de petits sabots, alors j'ai persévéré.
Je savais une chose de moi : mon courage est sans limites. Je n'ai jamais reculé devant le danger. Mais je prenais conscience d'une chose, en fouettant les ramilles pour me frayer un passage, en boualant à m'en faire percer la voix, c'est que le courage ne suffit pas.
Il ne suffit pas Ă sauver les autres.
Et ce n'est pas du désespoir que ça m'a inspiré. Cela a surtout renforcé ma misanthropie. Cette haine de mes semblables que seul l'amour du Vieux peut atténuer encore. La haine des lâches, la haine des méchants et la haine des intrigants. Je les vois partout autour de moi et les figures d'innocence sont à leur merci.
Car mon courage ne suffit pas Ă les sauver.
Mais j'ai entendu un cri léger, comme un chevrotement de biche blessée qui m'a fait sauter le cœur jusqu'aux yeux, et j'ai couru, j'ai couru, j'ai arraché les ronces et les aubépines à l'opinel, et j'en ai extraite la petite Odile Vautrin, labourée d'éraflures et au bort de la catalepsie, mais vivante.
Les autres enfants l'avaient emmenée cette nigaude à la chasse aux œufs dans le nid de fourre-t-oi-s’y, à savoir le buisson d’orties et d’auberpines d'où je l'avais tirée.
Ces imbéciles n'ont pas compris la leçon. Leurs farces à répétition ressemblent à l'appel de la forêt. Ils s'ensauvagent et la seule qui pouvait y mettre bon ordre, est maintenant sous séquestre.
Voilà comment s'est conclue cette misérable journée.
Euphrasie,
Tu me manques.
Sans toi, je suis prisonnier sous la glace.
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Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet Ă©pisode : 1555
Total : 92237
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Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :
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52. RÉCUSE-POTOT
Quand l'ordinaire entre en collision avec l'horreur.
(temps de lecture : 9 minutes)
Joué / écrit le 08/03/2021
Le jeu principal utilisé : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse.
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
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Lidine Mia, cc-by-sa
Contenu sensible : humiliation, blessures graves
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51. Le nid de fourre-t-oi-s’y
Alors que la panique s'empare du village, la Sœur Marie-des-Eaux choisit son camp. (temps de lecture : 7 minutes)
L'histoire :
Everywhere at the end of time, par The Caretaker, une épopée sonore sur l’oubli, à base de vinyles de la Belle Epoque, de plus en plus scratchés et déformés, une œuvre belle de bout en bout, mais de plus en plus éprouvante au fur et à mesure que les souvenirs, la raison et le sentiment de sécurité s’effacent. Un parcours poignant à la fois apaisé et angoissé par des intermèdes de nostalgie heureuse.
Vingt de descendres ?
Je ne suis pas certain du jour exact, je n'ai pas osé demander.
J'ai eu une très longue absence. J'ai repris connaissance au milieu du site néolithique des Forges Quenot.
Ma robe était dans un état de saleté intégral. J'avais perdu ma coiffe. J'avais mal partout.
J'étais allongé sur la pierre de fertilité, en connexion directe avec tout ce que cette terre recèle de paganisme.
Qu'est-ce qui a bien pu m'arriver pendant tout ce temps ? Je l'ai oublié.
Je me suis traîné jusqu'au village, ne faisant une halte par la yourte que faire une toilette rapide. J'avais besoin de comprendre comment les choses avaient évolué là -bas.
J'ai rasé les habitations sous le couvert des arbustes nus comme des araignées mutantes. C'était au crépuscule, juste avant l'heure de traire les vaches.
C'est là que j'ai vu tous les gamins et les gamines. Ils se sont retrouvés dans la cour derrière l'église, ils portaient tous un seau de bois qui contenait quelque chose de fumant.
Ils se dirent : "Bon, on fait quoi maintenant ?".
Et c'est tout à leur désœuvrement qu'ils entamèrent une partie de poule-renard-vipère.
Je les voyais se courir après, j'entendais les cris, je sentais presque les pincements et les coups. La vie sauvage dans son plus parfait déploiement, si prompte à ressurgir derrière un infime vernis d'humanité. La chasse de tous par tous.
C'est alors qu'est arrivé le Fleurance Jacopin, les mains dans les poches, quelque bestiole crevée dans sa besace. Ils se sont tous tourné vers lui et l'ont dévisagé.
"Les copains, je vais vous proposer un jeu extra..."
Ils continuaient Ă le regarder.
Je me suis moi-même concentré sur ces enfants. J'ai vu les bleus sur les genoux, les écorchures au visage, les yeux tuméfiés.
"Tu sais bien que nos parents nous ont mis la schlague de notre vie, dirent les mômes au Fleurance. Pour la chasse au Dârou et pour le nid de fourre-toi-s'y.
Tout c'est ta faute !
RĂ©cuse potot !
RĂ©cuse potot !"
Ils empoignèrent tous et toutes leurs seaux, ils étaient chargés de fumier, et ils le lancèrent à l'unisson sur le Fleurance jusqu'à ce qu'il soit couvert de paille et de merdre, une sorte d'épouvantail qui geignait, puait et dégoulinait.
Puis ils ont pris les seaux par les anses et ont commencé à lui taper dessus avec, en bouâlant :
"RĂ©cuse potot !
RĂ©cuse potot !"
J'ai aucune amitié pour le Fleurance Jacopin mais ça allait trop de loin.
Il s'est enfui à toutes jambes, perdant un de ses sabots dans la foulée, les sauvageons lui ont donné la chasse dans un hurlement choral, et moi je leur ai couru après pour faire cesser ça.
Les uns à la courre des autres, nous avons dévalé la grand-rue avec un déchirement de gorges déployées.
Le Fleurance a stoppé net devant une porte de grange et il s'est laissé rattrapper par ses poursuivants parce qu'il avait juste perdu l'usage de ses jambes.
Et ce qu'on a vu nous a tous planté sur place.
Sur la porte, il y avait un corbeau cloué par les ailes et le cœur. C'était une prise du Nônô Élie, il venait tout juste de l'y mettre, et se tenait là , fier de son trophée.
De l'oiseau il coulait un flux improbable de sang.
Et il a commencé à se transformer. Les plumes ont tombé une à une, révélant une peau de poulet dont les pores se refermèrent peu à peu, à mesure que le corps enflait et que les écailles des pattes s'étiolaient.
Le corps fut bientôt trop massif pour les clous, et c'est un paquet de chair rouge qui chut sur la dalle gelée.
Les ailes déplumées se tortillaient en tous sens et devinrent des bras. Le bec s'arracha de la tête et des cheveux poussèrent sur le crâne avec un bruit abject.
Ce n'Ă©tait plus un corbeau mort, c'Ă©tait une femme morte.
Belle et maigre et nue avec une marque en forme d'œil scarifiée sur le front.
J'ai compris alors quelque chose de fondamental.
Ce que le Nônô Élie avait fait, en toute connaissance de cause, c'était un exorcisme.
Je me suis tourné vers le chasseur, il avait la face rouge, le visage gonflé et les yeux qui lui sortaient presque de la tête, impossible à lire, tendu entre la jubilation et la désolation.
Cet homme Ă©tait un exorciste, comme moi.
Je lui ai allongé une patate dans la gueule à assomer un taureau, mais le cœur n'y était pas.
La colère avait reflué en moi, pour faire presque aussitôt place au chagrin.
La perte d'une personne que je n'avais même pas eu l'occasion de connaître.
L'insondable tristesse au fond du miroir qu'on me tendait.
Je suis parti.
Je suis parti par les sentes et les chemins, sous la pluie mordante d'hiver qui s'est déclarée.
Dépenaillé et déconcerté.
J'ai mis mes mains grêles sur les yeux, et seuls les arbres m'étaient témoin.
Et j'ai pleuré.
J'ai pleuré tout le sel de mon corps et je crois que ça m'a fait un peu de bien.
Et c'est dans cet Ă©tat que la presque-nuit m'a cueilli.
Moi qui plus jamais ne serai un exorciste, mais un simple servant du Vieux.
Moi qui avais été l'instrument d'une guerre sainte dont les Voivres n'est qu'un lointain écho, une guerre qui a retenti dans toutes les Vosges et bien plus loin encore dans la forêt d'autour qui recouvre ce qui jadis avait été le monde.
Deconstruction of the World, par Sophia, du dark ambient orchestral pour le jour de sortie de l’abri antiatomique.
Vingt et un de Descendres
Les douleurs corporelles sont revenues en force.
Comme je ne pouvais pas fermer l'oeil, je me suis levé. J'ai jeté mes habits de religieuse au poêle. J'ai enfilé des habits de Champo, ils étaient trop amples et trop courts pour moi, mais j'ai retrouvé l'odeur de vieux et de cigarette, j'ai eu l'impression de le sentir auprès de moi, faire partie de moi.
Dehors, les jouets à vent s'agitaient en tout sens et tintinabulaient comme jamais. L'air polaire a frappé mon visage et ébouriffé mes cheveux qui repoussaient.
C'est la tempête du siècle que j'ai dû traverser pour aller jusqu'au presbytère. Dans le village, les chiens poussaient des gueulements de Jugement Dernier et secouaient leurs chaînes comme des damnés. Je voulais une explication avec l'inquisiteur et ça ne pouvait plus attendre.
Je le trouvai lui-même éveillé, au fond de la cave.
Ça empestait le brûlé et les murs étaient noirs de suie. La lampe à graisse l'éclairait tout zébré d'ombre et de lumières, alors qu'il interrogeait encore et encore la Sœur Joseph, en larmes sur sa chaise.
"Vous finirez bien par me dire ce que vous savez au sujet de vos alliés en noir."
"Vous êtes devenu fou, lui lançai-je. C'est vous qui avez provoqué tout ça."
Il se tourna vers moi, et je ne sais comment il y parvint, mais son visage exprima toute la colère du juste :
"Comment osez-vous ? Vous prenez des habits séculaires, et maintenant vous êtes dans le camp des démons ?
- C'est vous le démon."
J'ai vraiment été à un doigt de lui ouvrir la gorge comme le maire Fréchin le fait avec les chapons pour la Noël qui approche.
"Vraiment ? Alors suivez-moi et constatez de quoi vos amis sont capables !"
Ce qu'il me montra dans l'alcôve d'à côté, je n'étais pas du tout préparé à le voir.
Je me retrouvai happé dans le récit qu'on me fit des récents événements, ainsi qu'un loup traqué tombe dans une fosse en plein bois.
Je suivais la marche du Dieudonné Florentin à travers les champs, auprès de cette terre que la neige se refuse à recouvrir, alors que les plantules offrent leur museau à la morsure du gel.
C'est un jeune paysan qui tourne vieux célibataire et qui sent un peu trop la bouse et s'est empêtré dans des habitudes qui le rendent ridicule, se moucher dans ses manches de gilet, porter son béret de travers, ou priser en respirant trop fort.
Il a un visage d'innocent qui tourne au bonasse avec les ans.
Il me parle alors qu'il piétine sous les arbres morts.
Il sort un beignet de carnaval de sa musette. Un morceau rassis qui forme pourtant une jolie tresse, et dégage encore des arômes de gras, de sucre et de printemps.
"C'est la Colotte Dautreville qui m'a cuisiné ce beignet. J'ai jamais voulu le manger.
J'ai jamais trouvé de fille parce que les filles ça me fait peur. Elles ont des rires que je comprends pas et pis des grandes figures qui mijotent. Pour sûr j'aime les filles, mais j'ose pas les aborder. J'ai même jamais dansé avec aucune au bal de la Saint-Jean, pour que je me souvienne.
Mais à Mardi-Gras, y'a eu le rituel du dônage. Toutes les personnes à marier du village étaient tirées du lit et devaient présenter devant l'église. Et là , y'a eu le Nônô Élie qu'à lu la liste des "dônés". Ils mettaient tous les garçons et les filles célibataires par couple pour des fiançailles de paille.
ça m'a fait vraiment tout drôle quand j'ai entendu mon nom :
"Je dône le Dieudonné Florentin...
Ă la Colotte Dautreville".
Y'avaient tous les curieuses et les jaseurs du village à cette fête bien sûr, et ça les a fait tous bien rigoler, parce que moi je suis plus si jeune et la Colotte est tout juste sortie de son corset, si vous voyez ce que je veux dire. Le Dônage c'est pas qu'un office pour arranger des couples, c'est aussi une occasion pour se moquer et nous deux on avait été les dindons de la farce.
Donc une semaine après, comme le voulait le coutume vu que j'étais son fiancé de paille, je suis allé chez ses parents pour manger les beignets.
Bon, je dirais pas qu'ils Ă©taient contents de me voir.
C'est la Colotte qui avait préparé les beignets et tous les deux on s'est pas décroché un mot de l'après-midi, tout ce que j'ai eu le cran de faire, c'est la regarder, et sa peau c'était une sorte de tissu tout fin, et elle avait les joues qui piquaient un de ces fards, et ses yeux c'étaient genre les yeux d'une biche et elle avait un visage tout rond, une vraie galette qui sentait aussi bon que ses beignets, et levée pareil, pleine de bon air.
Alors le pet-de-nonne, euh, si vous me pardonnez l'expression, je l'ai fourré dans ma musette pour me rappeler à jamais ce moment.
Dans la foulée, les dônés peuvent se déclarer si ça se trouve qu'on se plaît, mais j'ai jamais, jamais eu le courage.
Tout ce que je fais, c'est me promener comme maintenant et sentir ce qui reste d'odeur dans le beignet pour habiter cette après-midi à tout jamais."
C'est là que j'ai remarqué que les arbres étaient à nouveau recouverts de feuillage.
Un feuillage aux couleurs de la nuit.
Un essaim de corbeaux s'en Ă©chappa et fondit sur le pauvre puceau. Et j'ai rien pu faire, puisque techniquement j'Ă©tais mĂŞme pas lĂ .
"C'est comme si j'étais passé sous une schlucht qui dévalait", finit-il dans un râle.
Il était allongé sur un plateau de pierre dans la cave.
Déchiré de partout, labouré, une pelote de sang.
Ce qu'on chasse finit toujours par nous chasser.
J'étais venu dans cette cave pour prouver que j'avais raison, et j'en suis ressorti en ayant compris que la haine était désormais dans les deux camps. C'est pour ça que j'ai même pas eu le cœur de tuer Moretti cette nuit-là .
Pourtant, je dois retourner voir les Corax. On peut pas en rester lĂ , et pour tout dire j'ai bien peur qu'ils m'attirent encore.
Je suis reparti sans plus tarder, la Bernadette arrivait pour soigner le blesser et je voulais pas la croiser.
Au milieu de la lune, je suis comme ça redescendu aux Forges Quenot, je me suis dévêtu et j'ai pris un bain glacé dans le courant furieux de la rivière, et la tempête me fouettait et j'en voulais encore plus, pour me sentir en chair et en os, il me fallait de la douleur, pour la première fois ce n'était plus un fardeau ni une faille pour explorer ces souvenirs, c'était juste un rappel à la vie, les éléments qui me percutent et mes os qui entaillent mes muscles, c'était une raison de continuer.
Car ma vérité m'attend au bout du chemin.
Et l'eau finira par nous laver de toutes nos peines.
Lexique :
Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.
Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet Ă©pisode : 2366
Total : 92237
Système d'écriture
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Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :
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MISSION DE CONFIANCE
Des moments d'introspection et de mise en abîme où la Sœur Marie-des-Eaux rassemble ces forces pour l'ultime affrontement.
(temps de lecture : 10 minutes)
Joué / écrit le 19/03/2021
Le jeu principal utilisé : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux
Autre jeu utilisé : Millevaux choc en retour, la version la plus minimaliste de Millevaux.
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse.
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)
magicArtwork, cc-by-nc-nd, sur flickr
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52. RĂ©cuse-potot
Quand l'ordinaire entre en collision avec l'horreur. (temps de lecture : 9 minutes)
L'histoire :
The Eye of Every Storm, par Neurosis, l'aboutissement du post-hardcore, le calme avant la tempête, un calme pachydermique, extatique, rugueux, sincère et terrifiant, un ours qui lèche ses blessures avant la mort, avant le dernier assaut.
Vingt-deux de Descendres
« La biche brame au clair de lune
Et pleure Ă se fondre les yeux :
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune.
Pour raconter son infortune
Ă€ la forĂŞt de ses aĂŻeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure Ă se fondre les yeux.
Mais aucune réponse, aucune,
Ă€ ses longs appels anxieux !
Et le cou tendu vers les cieux,
Folle d’amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune. »
Cette nuit, je me suis rappelé de cette poésie de Maurice Rollinat que me récitait la Madone à la Kalach pour m'endormir, et, je pense, pour cultiver ma haine. J'étais étonné de me rappeler par cœur d'une récitation, aussi l'ai-je notée de craindre de l'oublier pour de bon.
Mes rapports avec Moretti se sont considérablement crispés.
Notre dernière entrevue, à la faveur de la grasse-nuit, après une errance dans les bras du brouillard, était lunaire.
Il m'a trouvé dans la grand-rue, j'ignore moi-même ce que je faisais là . Il était avec ses fiers-à -bras en pleine ronde, et m'a «invité» à venir le suivre dans une maison qu'il venait d'exorciser.
Nous nous y sommes retrouvés à l'intérieur d'une masure bouffée aux mites et infestée de lierre, auprès de quelques rogatons qu'il grignotait tout en parlant. « Hum, c'est une maison hantée, mais je pense que vous en avez vu d'autres. » Il y avait deux soudards derrière lui, deux derrière moi, et je ne me suis rarement senti aussi peu en sécurité. J'ai compris que je devais jouer sur du velours.
Il m'a invité à jouer une partie du jeu du destin. Je pensais que les jeux d'imagination étaient proscrits par l'église, mais il m'a dit qu'entre clercs, une expérience de pensée de tant à autres était salutaire. Foutaises. Il voulait juste me mettre à l'épreuve.
« Voici les règles du jeu du destin :
Notre monde tombe en ruines
La forĂŞt envahit tout
L’oubli nous ronge
L’égrégore donne corps à nos peurs
L’emprise transforme tout
Les horlas se tiennent tapis près de nous
Les protagonistes d’un périple sont liés par une quête commune
Quand on tente une chose importante, on réussit et une chose grave se produit ensuite. Ainsi veut la loi du choc en retour
Certains envoûtent un être cher pour dévier le mauvais sort sur lui...
Mais qui oserait une telle extrémité ? »
Il m'a fixé les yeux dans les yeux. C'est une chose que je déteste, mais je me suis fait violence et je n'ai pas décillé. Il m'entraînait dans un bras de fer moral, tentait de dicter ses règles, mais j'étais résolu à lui donner du fil à retordre.
« Votre personnage serait, disons...
Une enfant sauvage, partie en guerre.
Et mon personnage serait... Un Corax, venu d'on ne sait où. Des tréfonds de la forêt.
Notre quête serait liée. Mettons que nous cherchons tous les deux un arbre. L'arbre à rumeurs. Il entend les ragots, les soupirs que le vent colporte, les cris des somnambules et
des bĂŞtes battues. Il s'en nourrit.
L'arbre à oreilles. »
Je ne sais pas pourquoi, mais à ce moment, j'ai eu en tête l'image très nette de l'Onquin Mouchotte, debout au centre du village, dominant tout.
« Mais laissons-vous un peu la parole...
Ă€ quoi ressemblent les ruines ?
- Elles sont indescriptibles. Ce sont les restes d'un monde ancien dont ne pourrons rien comprendre. Des carcasses d'édifices. Les nefs de l'ancien temps, dont seules les cimes de clochers émergent encore de terre. Je cherche l'arbre à oreilles pour comprendre mon passé.
- À moi de décrire la forêt. Elle n'est que tourbe et conifères gorgés de l'éponge acide du sol, où s'étend le ululement des choses. C'est là que vous y rencontrer mon personnage, le Corax. Je ne suis qu'un grand corbeau avec des chaussures d'hommes. Je lisse mon bec avec mes plumes et je dis : Je sais où est l'arbre à oreilles, je peux t'y conduire.
- Comment pourrais-je faire confiance Ă un Corax pour me guider ?
- Parce que nous sommes dépositaires de la mémoire. Vous autres humains, l'oubli vous ronge, n'est-ce pas ? Parle-moi de l'oubli.
- Il n'y a pas grand-chose à en dire. C'est comme... une vague permanente qui emporte à chaque passage un peu plus de nous. Une punition du Vieux pour nos péchés.
- Nous, les Corax, nous ne perdons pas la mémoire. Et même, nous naissons avec la mémoire de nos ancêtres. En tant que créatures damnées, nous somme exempts du châtiment divin.
- Alors, pourquoi veux-tu trouver l'arbre Ă oreilles, Corax ?
- Tu le sauras en temps voulu... »
Je me détestais de jouer ainsi la méfiance envers les Corax. Mais il fallait encore que je donne un peu le change. Si l'inquisiteur avait décider d'incarner un homme-corbeau, ce n'était pas innocent. Il me testait.
Les soudards nous écoutaient, entre incompréhension et fascination.
« Je vais maintenant vous parler de l'emprise, reprit l'inquisiteur. La force qui transforme les êtres et les choses. Même les prières les plus ardentes ne peuvent nous en prémunir. Et vous, enfant-soldat, en quoi vous transformez-vous ?
- En adulte. Et ça me fait peur.
- Bien joué. Parlez-moi de l'égrégore, alors que vous cheminez de concert avec ce Corax à travers les épaisseurs humides de la forêt.
- L'égrégore... C'est un terme qu'ignorent les profanes, encore plus que celui d'emprise. C'est même un terme qu'un exorciste n'utilise pas sans se signer (ma réfléxion l'obligea à faire le signe de croix, ce qui me fit jubiler). L'égrégore est une croyance selon laquelle nos peurs, nos émotions et nos superstitions créent le monde de la surnature. Il ne serait ni magie ni miracle qui ne relève de l'égrégore, c'est-à -dire une manifestation de nos instincts les plus ataviques.
- Alors, l'arbre à oreilles, crois-tu qu'il contient la vérité ?
- Il contient la croyance.
- Ne veux-tu pas dire qu'il contient la foi.
- Non. L'égrégore n'est pas une manifestation chrétienne, bien qu'elle s'abreuve aux rites chrétiens et que l'eau bénite et l'hostie soient chargées en égrégore. Mais toute manifestation de l'égrégore est diablerie.
- Alors, cet arbre tu le cherches pour la connaissance, ou pour le brûler ?
- Je suis une enfant sauvage. Tires-en tes propres conclusions.
- Bien, parlons maintenant des horlas. Les démons issus de l'emprise et de l'égrégore. Alors que nous nous approchons de votre but, il nous reste un pont à traverser. Mais sur son seuil se tient une dame verte. Il fait noire-nuit. Traverses-tu le pont ?
- Oui. Je ne me dérobe jamais.
- Alors la dame verte, qui est juste le fruit des superstitions paĂŻennes, te pousse du haut du pont, Ă moins que tu ne la supplies.
- Je ne supplie pas. Je préfère le jugement de l'eau à la soumission.
- Alors, moi, le Corax, je passe en toute liberté. Car je t'ai envoûtée pour avoir à passer le pont sans danger. Je me tourne vers toi, en train de te noyer, et je te dis : « Vois-tu, tu aurais bien fait de ne pas me faire confiance. Car toi et moi, nous ne serons jamais semblables. J'appartiens aux horlas. Je me nourris de l'égrégore et je pratique la sorcellerie. Je n'ai aucun intérêt à aider les humains car au final nous sommes une espèce supérieure, et vous n'êtes à nos yeux que des objets, vous n'avez pas plus de valeur que le limon de la terre, et tu le comprendras quand tu retourneras à la vase. Maintenant, je te laisse, je vais cueillir le fruit de l'arbre de la connaissance pour en faire le pire usage qui soit. »
Pendant un instant, j'ai paniqué. Vraiment paniqué.
Parce que j'étais en train de me noyer. Je sentais l'eau dans mes poumons, j'étais incapable de parler. J'ai compris qu'il voulait m'enfermer dans cette réalité, m'y torturer.
Mais je me suis battu intérieurement. Les eaux ne pouvaient me faire de mal. Je me suis battu, comme à chaque fois, et j'ai refait surface. À la lueur du candélabre, cette demeure maudite avait perdu son aura. Je n'avais devant moi qu'un bouffon qui croyait m'impressionner avec des histoires, et quelques mercenaires qui ne mettraient pas leur vie en danger pour quelques deniers.
Je me suis levé et j'ai pris congé.
« Merci pour la démonstration. Je sais tout à fait en qui je peux avoir confiance. »
J'ai marché dans l'obscurité jusqu'au petit matin. Le soleil était juste un pain qui n’a pas levé. J'ai vu aux fenêtres festonnées de givre qu'il ne dégélerait pas du jour.
Et dans le ciel Ă travers la voussure des arbres, j'ai vu passer le vol des corbeaux, et j'ai compris qu'ils ne renonceraient pas Ă l'existence.
Vingt-trois de Descendres
Eating or Vomiting Its Tail, par Johan G. Winther, entre power electronics, drone et americana, de plus en plus loin en perdition volontaire parmi les arbres, en communion avec les esprits et les monstres, les cycles se répètent.
Cette nuit, j'ai fait un rĂŞve, comme un cauchemar.
J'étais à la lisière d'une forêt. J'y ai vu des percées, ces petits écartements du bois qui suggèrent une piste, et je m'y suis aventuré.
Je me suis retrouvé sur une sente qui fourrageait à travers le bois, et j'ai compris que c'était ma forêt de mémoire. J'accompagnais Champo alors qu'il guidait les enfants vers l'école de la Grande Fosse avec sa corde à nœuds.
« Ça me fait drôle de te revoir. J'ai souvent peur de t'oublier.
- Alors, Marie, comment ça se passe maintenant ? En sais-tu davantage sur toi-même ?
- Non. J'ai délaissé mes habits de nonne. J'ai mis ton manteau de sherpa, comme tu peux le voir. Je cherche encore quelle est ma vraie mission sur cette Terre.
- Les enfants, on fait une pause. »
On s'est arrêtés sur un tertre, et il m'a roulé une cigarette de foin. Ça arrachait la gueule mais c'était bon de la fumer avec lui, bien au chaud dans ce souvenir.
Les enfants chantaient une comptine dont j'Ă©tais incapable de saisir le sens.
Cette revoyotte m'a donné la force de sortir de la yourte. Je suis allé à l'Auberge du Pont des Fées, en plein crépuscule, faire un point sur la situation.
« C'est pas bon, m'a dit la Bernadette. On dit partout dans le village que vous êtes un gourou, que vous cherchez à répandre une nouvelle religion et que je suis votre prêtresse.
- C'est Moretti qui fait courir ces ragots ?
- Je pense plutôt que c'est l'Onquin Mouchotte. Il ne nous aime pas ni l'une ni l'autre. On fait trop contre-pouvoir. »
Je m'attendais à beaucoup de choses, mais à me retrouver dans le même sac que cette sorcière. J'aurais pourtant dû me douter que ça me pendait au nez.
Au dehors, tout Ă©tait silencieux dans la grand-rue, le calme avant la tempĂŞte.
J'avais mal partout et plus que jamais besoin de réconfort et dans l'incapacité d'en demander.
C'est alors que la Sœur Jacqueline a commencé à avoir ses contractions.
Est-ce que j'aurais pu prévoir un seul instant, moi qui ai d'emblée vu la Bernadette comme un ennemi pernicieux, passer une nuit entière à ses côtés à prendre soin de ce proche que nous avions en commun, cette brave Sœur Jacqueline, bien en peine de comprendre ce qui lui arrivait, et que nous devions exhorter à pousser.
J'ai vu la cuisinière transbahuter des bassines d'eau chaude et des linges, je l'ai vu transpirer à mes côtés, encourager la parturiante, sans jamais élever la voix, et sans jamais pourtant perdre en fermeté. J'étais à ses côtés quand la Sœur Jacqueline nous broyait les poignets les tympans, je l'ai vu déployer toutes les forces de la nature, la connaissance des simples, les mots qui viennent de la terre, ceux qui soulagent et ceux qui empuissantent, je l'ai entendu pour nous intercéder avec les énergies sauvages dans la langue du renard, de la belette et du putois, je l'ai sentie nous mettre en relation avec l'humus nourricier, je l'ai vue corps et âme dédiée à la Sœur Jacqueline, et quand enfin l'enfant est sorti, nous nous le sommes passé de main en main, comme des adelphes, d'abord la Bernadette, puis j'ai tenu ce corps chaud qui m'a maculé de toute sa force vitale et rouge, j'ai entendu son cri qui nous mettait en prise directe avec l'ici et maintenant, j'ai eu le privilège de le poser sur le ventre de la Sœur Jacqueline, et elle, toute brisée qu'elle était par une nuit de travail, elle a tout de suite su quoi faire, elle l'a mise à son sein et elle a murmuré je ne sais quoi pour que le bébé se calme. Et j'ai vu sur le visage de la cuisinière l'expression d'un bonheur et d'un dévouement qu'on ne peut feindre.
Et pour une fois, je me suis senti inclus, partie d'un tout.
Je n'Ă©tais plus en conflit avec les personnes ici et maintenant et ma mission devenait de plus en plus claire.
J'étais seulement en colère contre les hommes et les êtres au dehors qui se faisaient encore la guerre, une colère si puissante qu'elle ne pourrait se tarir que dans un passage à l'action, rapide, immédiat et brutal.
Je n'ai rien fait pour calmer cette colère, je l'ai laissé monter en moi, me gorger de sa force. Alors que j'étais fourbu et fracturé, elle me galvanisait, j'en avais besoin. J'étais prêt à repartir à l'attaque, à rentrer dans la course de vitesse qui était enclenchée.
Lexique :
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54. QUE LE GRAIN MEURE
Quand la guerre entre humains et Corax connaît un grave tournant. Reprise du roman-feuilleton après une trop longue trève ! On s'approche du dénouement !
(temps de lecture : 5 minutes)
Joué / écrit le 07/05/2021
Le jeu principal utilisé : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse.
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)
Tim Lenz, cc-by
Contenu sensible : nudité
Passage précédent :
53. Mission de confiance
Des moments d'introspection et de mise en abîme où la Sœur Marie-des-Eaux rassemble ces forces pour l'ultime affrontement.
L'histoire :
Vingt-Quatre de Descendres
In a dark tongue, par Harvestman, un manifeste space folk et psyché-drone, aboutissement extra-dimensionnel d’un rituel forestier.
Je vois le corps d'Augure dans une baignoire.
Nous sommes en plein dehors, sur les gravas d'une tour, et la tempĂŞte nous cravache.
Il fait noire-nuit et mon estomac me brûle. Je comprendrai plus tard de quoi il s'agit. Un symptôme avancé de cette faim que j'ignore depuis si longtemps.
La Corax est nue. Maigre et osseuse, mais pourtant elle respire l'harmonie. La peau qui Ă©pouse ses cĂ´tes et sa poitrine est jeune. Des tatouages la parcourent. Racines, se divisant en radicelles, puis en racinelles. La baignoire n'est pas remplie d'eau mais de fourmis.
Augure soupire d'aise. Les insectes grignotent les parasites qui courent sur elle. J'ai du mal à décrocher mon regard des bêtes noires et rouges sur sa chair. C'est cette image plutôt qu'une autre qui me fait comprendre ce qui nous sépare.
"Je suis venu pour vous apporter mes condoléances."
Elle se redresse sur ses bras en forme de baguettes. Elle me sonde du regard.
"L'heure n'est plus aux lamentations. Mais Ă la riposte.
- Ne faites pas ça. On peut encore calmer les choses. Je suis allé à la messe de minuit de la Noël. J'ai parlé aux villageois.
- Pourquoi intervenez-vous, Marie ?
- Parce que je suis un guerrier. Un guerrier guérisseur."
Je n'arrive pas à me décrocher d'elle, c'est quelque chose d'assez rare pour être souligné. Je me rappelle ce que j'ai ressenti pour sa sœur Euphrasie, et aussi ce que je n'ai pas ressenti pour elle, et la sécheresse de mon cœur. Pourtant, elle me fascine. J'ai compris qu'elle est la cheffe de son clan, et qu'elle est beaucoup moins jeune qu'il n'y paraît. Du moins en esprit.
Je regarde par dessus les monticules de pierre qui nous entourent. Mes yeux s'habituent à l'obscurité et je distingue les vestiges d'un village en contrebas. J'entends le bruit de la rivière qui emporte l'eau. Je ne vois pas ses adelphes mais je les sens.
"Alors votre volière est à Fontenoy-le-Château... J'aurais dû m'en douter."
À ces paroles je me demande comment je suis arrivé là . Je comprends alors que je n'y suis pas allé. Tout ça, c'est dans ma tête.
Pourtant, ça continue. Je décide d'accorder de l'importance à cette phantasia.
"Marie, il est encore temps pour vous de quitter Les Voivres. Ne vous mêlez pas à ça.
- Je n'abandonne pas. J'ai choisi de me battre au côté des innocents. Je n'ai pas peur."
C'est Ă ce moment que les choses deviennent de plus en plus Ă©tranges.
Je me retrouve seul dans la bise affamée. Et c'est moi qui suis dans la baignoire. C'est moi qui suis nu, exposé à toutes les nuances du froid, celles du vent, de la faïence, des doigts insectes. Les fourmis sont amassées sur mon pubis et je n'ai plus de sexe.
Je me réveille dans la yourte. Le poëlle s'est éteint et les bourrasques ont ouvert la porte. Mais je suis dans les couvertures qui portent fort l'odeur de Champo et je me sens bien. Presque extatique.
Je respire les draps à pleins poumons. Je ne peux rester nu. J'enfile le pantalon du sherpa, ce qui procure des sensations inédites et je
[le journal s'arrête là pour cette journée]
Vingt-Cinq de Descendres
Steve Reich : Drumming, par So Percussion, une pièce de percussions sur une partition minimaliste, un parcours dans des villages, des maisons et des labyrinthes de bois circulaire, hypnotique, interminable.
Il n'y a pas grand-chose à dire aujourd'hui. Je ne veux pas m'étendre sur ces événements.
Que dire de plus que j'ai repris conscience quelque part en pleine campagne, dans les habits de Champo. Les deux pieds dans la terre enneigée des essarts gagnés par les Fournier sur la forêt.
Ils étaient là aussi, les Fournier. Et sur leur visage se lisait toute la désolation du monde.
Toute la neige, la neige protectrice.
Elle avait été fouaillée.
Les corbeaux avaient bouffé tous les germes durant la nuit.
Drôle de cadeau de Noël.
Et je n'arrivais pas Ă reprendre mes esprits, Ă comprendre ce qui venait d'arriver.
Mais les Fournier, eux avaient déjà compris, que tous les semis d'hiver y étaient passé.
Ils avaient sorti leurs carabine et tiraient des coups de feu Ă Dieu.
Et de ce ciel d'un blanc de suaire, il tombait de drĂ´les de choses.
VoilĂ la mort aveugle.
Vingt-Six de Descendres
[Une jusquiame noire séchée est coincée dans cette page.]
Dès l'aube, je suis allé à l'Auberge du Pont des Fées. Il y avait déjà un attroupement, avec des serpes et des fourches. Le vent en furie emportait les chapeaux mais même la pluie verglaçante les décidait pas à décamper. C'est l'Onquin Mouchotte qui menait la danse.
"La Bernadette et sa nonne ont foutu le camp ! Je vous le dis, c'est une sorceleuse. Elle s’enduit de belladone, de saindoux et de foutre de bouc pour aller au sabbat. Elle fricote avec les Crevax !
- Enfoiré ! Tu dis ça parce que tu veux son restau !"
J'en reviens pas, c'est moi qui ai dit ça. Une pierre dégomma le vieil intrigant à l'occiput. Et c'est moi qui l'ai lancée.
J'ai fait ça sans réfléchir et quelque part, je m'en félicite. Mais j'ai aussitôt compris qu'il fallait détaler. Je me suis senti si léger qu'ils n'ont pas pu me rattrapper. Mon ventre et mes os étaient vide, et mes douleurs musculaires ne faisaient que me porter plus loin.
Il fallait que je les retrouve avant les paysans.
Je suis parti totalement Ă l'instinct, j'Ă©tais juste devenu une bĂŞte. Je les pistais Ă l'odeur.
J'ai dévalé à travers la brande hérissée de repousses, et puis je me suis empêtré dans la vasière. Les plaques de boue gelée éclataient parfois sous mon poids et je m'enfonçais jusqu'au genou. Je m'accrochais à des lianes qui semblaient ligneuses mais elle éclataient de pourriture sous ma traction.
J'entendis enfin le cri du bébé. J'appelai de toutes mes forces. C'est la Bernadette qui vint me sortir de là .
Elle me tira contre elle, contre la Sœur Jacqueline et contre le nourrisson et je n'en étais pas rassasié, de leur chaleur.
La cuisinière me caressait les cheveux, elle me serrait à m'étouffer.
"Pardon, on t'a pas prévenu. On sentait bien qu'on serait associées à ce qui s'est passé, alors on a pris la fuite.
J'ai eu peur de te perdre, Marie...
Je veux plus te perdre...
Marie...
Mon enfant..."
Lexique :
Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.
Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet Ă©pisode : 1214
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55. LA RAFLE
Un acte grave coincé entre deux rêveries folles.
(temps de lecture : 7 minutes)
Joué / écrit le 14/05/2021
Le jeu principal utilisé : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse.
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)
Musée de la broderie de Fontenoy-le-Château, domaine public
Contenu sensible : rafle, mutilation
Passage précédent :
54. Que le grain meure
Quand la guerre entre humains et Corax connaît un grave tournant. Reprise du roman-feuilleton après une trop longue trêve ! On s'approche du dénouement ! (temps de lecture : 5 minutes)
L'histoire :
We are falling, par By The Spirits, du dark folk à la fois désenchanté, majestueux et presque martial, qui se perd dans les tréfonds de la forêt pour émettre le triste constat de la déchéance humaine.
Vingt-sept de Descendres
Réveillé en pleine noire-nuit par des revoyottes qui n'étaient pas les miennes.
Des revoyottes de Champo. Je me suis vu dans son corps, quand il était enfant, avec ce chien de berger qui me suivait partout, me protégeait et gardait les moutons pour ainsi dire à ma place.
J'ai ensuite assisté aux funérailles célestes de mes parents. J'ai vu leurs corps déchiquetés par les corbeaux, et j'ai gravi la montagne pour voir le lieu sacré où ils emportaient leurs âmes. C'est là , au milieu des empilements de pierres ornés de fanions, que j'ai rencontré le père de tous les corbeaux, une entité à tête de corbeaux avec un corps massif parcouru de milliers d’ailes, de becs, de serres et d’yeux. Et j’ai compris qu’il ne fallait pas essayer de communiquer avec cette chose, qu’il fallait fuir, tout de suite. Et mon patou s’est sacrifié pour couvrir ma fuite. Je ne l’ai jamais revu depuis.
Puis j'ai continué à grandir sous l'égide d'une sherpa qui m'a appris son métier. Ensemble, nous avons gravi le Hohneck, réputé invincible. Mais elle y a laissé sa vie et moi j’ai perdu sa mémoire.
Je me suis réveillé de plein fouet. Cette fois-ci, j'avais dormi dans les habits de Champo pour me préserver du froid. Je ne comprenais pas d'où me venaient ses visions mais j'étais reconnaissant de partager un peu de sa vie.
Le lendemain à presque-aube, j'étais au village, je voulais reprendre mes harangues auprès des paysans, quand bien même j'attendais peu d'écoute de leur part après l'incident d'hier. Les crampes d'estomac étaient de plus en plus violentes mais je n'avais pas toujours pas la tête à manger.
Dans la grand-rue, les lavandières qui allaient casser la glace pour laver le linge. Dans mon état de demi-conscience, j'étais pris de demi-visions. J'avais l'impression qu'elles lavaient des suaires d'enfants. Un prospecteur ambulant criait « Peaux-peaux-peaux de lapins ! ». Je n'arrivai même pas à me concentrer sur l'image mentale écœurante de ces êtres qu'on écorche comme on retrousse un gant, car un détail m'obnubilait. Il n'y avait pas d'hommes.
Sauf cet acheteur de peaux de lapins, et le Sibylle Henriquet, qui se précipita vers moi : « Marie, Marie ! Ils ont trouvé où sont les Corax ! Ils sont tous partis là -bas ! Écoute, j'ai toujours pensé que t'étais de notre côté. Alors, si tu prends la défense des corbacs, je suis avec toi ! Il faut qu'on les rattrape ! »
Fragment of Sirens, par Icos, du post-hardcore dans la plus grande tension entre lourdeur et mélodie, une âme en peine qui remonte de terre à n'en plus finir.
Je suis monté avec lui sur son cheval et nous sommes partis à toute vitesse vers Fontenoy !
Sibylle a cravaché au maximum de ce qu'il pouvait tirer de la bête sans mettre sa santé en danger, au travers des bois sans forme aux arbres brogneux, des décombres de ce qui fut jadis Bains-les-Bains, sur les dernières langues de goudron aux abords des flots grondants du Coney.
Arrivés au Moulin Cotant, nous trouvâmes le tracteur du Nono Élie garé en travers de la route.
« Vous avez rien à faire ici ! »
« Vas te faire voir ! », a répondu le menuisier. Et il a envoyé son cheval par-dessus le talus. Nous avons tracé au travers des fûts bombés de broussins. L'animal agita un moment la patte après avoir écrasé une épine, mais il surmonta sa douleur et ne perdit pas en vitesse.
Nous arrivâmes dans Fontenoy-le-Château par ce détour. Les chasseurs et les troupes de Moretti étaient en train de rafler les habitants. Ceux d'entre eux qui se transformaient en corbeau étaient abattus sur place dès leur envol, et retombaient au sol sous forme humaine, nus et brisés. Et ceux qui n'osaient pas se transformer étaient embarqués.
Ă€ voir ce spectacle, des fourmis se mirent Ă ramper devant mon regard. Je savais Ă peine quoi faire. Un frisson de fin de temps me parcourait de part en part. Je ne sentais plus l'Ă©coulement du temps, c'est comme si tout ce monde Ă©tait immobile, et pourtant j'Ă©tais incapable de profiter de ce saisissement pour me bouger et prendre l'avantage.
J'ai vu Augure courir dans les ruelles et je l'ai enjointe à monter avec nous. Ni elle ni moi ne pesions guère, et en effet le cheval put supporter nos poids.
On n'a pu sauver qu'Augure. Elle m'a dit que d'autres s'étaient échappés, mais les voivrais avaient pris une bonne vingtaine d'entre eux, dont des vieillards et des enfants. Des femmes surprises en train de broder, les chasseurs piétinant leur ouvrage. Ils les avaient remportés au village dans des caisses pour qu'ils ne puissent pas s'enfuir sous forme de corbeaux.
J'avais échoué. J'avais totalement échoué.
Au retour aux Voivres, je n'ai pas pu faire grand-chose de plus que de réfugier Augure dans la yourte et de me blottir contre elle pour retrouver un peu de chaleur.
Je savais qu'il faudrait retourner au village et se battre pour sauver ses frères et sœurs et je ne m'en sentais absolument pas les ressources.
Vingt-Huit de Descendres
Origine(s) part 1, par Nors'Klh (ambient orchestral, lyrique et exotique pour la décadence des grandes civilisations)
C'était au cœur de la nuit brune. J'avais passé la journée à trouver une cachette pour Augure, dont je tairai ici l'emplacement. Je commence à penser que mon journal pourrait me trahir, pourtant je ne peux me résoudre ni à le détruire ni à l'arrêter, je ressens un besoin vital de le poursuivre. Mon identité s'effiloche et seule cette discipline permet de lui conservant un semblant de texture. Cependant, je le garde toujours sur moi, je n'ai pas envie que les soudards de Moretti le découvrent en fouillant la route. Si on me capture, on le trouvera donc aussi et il est possible qu'on me torture pour découvrir ce que le journal cache, mais je suis préparé mentalement à cette éventualité.
Si les nuits sont toujours longues par ici, en hiver, elles paraissent interminables, d'immenses tunnels de froid, de sauvage et d'incertitude où je me tourne et retourne tel une âme en peine.
Je suis à nouveau dans mon château intérieur. Je ne contrôle désormais plus rien de ces visites, ni quand j'y arrive, ni dans quelle demeure. Là , je suis dans les jardins, des pendeloques de glace dégoulinent des branches, et il gèle à fendre les os. Sans crier gare, le ciel vire aux ténèbres et un déluge de choses me tombent dessus.
Des cloportes, des crapauds et des scolopendres.
Je veux me réfugier à l'intérieur quand je vois la silhouette d'une religieuse sous un orme. Alors, la curiosité l'emporte sur le dégoût et je vais la voir.
Elle se retourne et son visage est proprement habité. Je reconnais aussitôt celui représenté par la gravure d'un ouvrage que j'ai longuement compulsé.
« Vous êtes... Sainte-Thérèse d'Avila ?
La pluie répugnante qui nous assaille couvre en grande partie ma question et sa réponse.
« Oui, ma Sœur.
- Que faites-vous lĂ ?
- Tu es perdu, mon enfant, je suis venu te guider. Te guider dans ton château intérieur. »
Malgré la peur, l'épuisement, la rage, et par-dessus tout malgré l'acédie qui avait rongé ma foi morceau après morceau, j'ai ressenti un bien-être qui n'avait pas d'équivalent en intensité à part celui des douleurs corporelles que je connais jour après jour. Un bien-être qui se ressentait dans mon corps par une forme de soif inextinguible. La soif de sens, je suppose.
Je lui emboîtai le pas sans plus poser de questions, et nous arpentâmes les demeures de mon château en train de s'effriter, toutes couvertes de vermine et n'en ayant cure.
Nous écrasons des ampoules de sérum moisi sous nos pas. Des louves gravides émergent des fours délabrés et des trous dans les murs. Nous reculons dans le temps, je reviens à notre rencontre et je refuse de la suivre, finalement je la suis, où nous sommes dans un lointain futur, sur les corniches du château, un ange aux ailes de feuilles lance un dard de feu dans le cœur de la Sainte, elle entre en extase mystique.
[passage illisible, Ă©crit en transe]
Nous sommes dans des antichambres, la pollution corrompt les murs. Le marécage nous arrive jusqu'à la ceinture, nous y rencontrons Jésus-Cuit dans sa marmite. Il multiplie les pains de moisissure. Sainte-Thérèse pose sa main sur mon épaule et je sens une sorte d'emprise
[illisible]
J'erre dans la cave à ses côtés. Des échos de l'âge d'or me transpercent les tympans, émissions de radio, crachotis, énumérations, publicités absconses. Des résidus gluants de mes souvenirs achèvent de crever, comme cette masse duveteuse de moisi qu'est devenu Raymond, mon petit frère mort de la rougeole.
La charpente dévore des insectes qui dévorent des plantes, qui mangeant la pierre, qui bouffe la bois, et chaque chose renaît d'une autre en excroissance, par une palingénésie morbide.
[illisible]
La sainte tient mes deux mains. Le château s'effondre tout autour de nous, des racines adventives font éclater les parois et les meubles.
« Dites-moi où est cette corbelle que vous avez cachée...
- Vous n'êtes pas Thérèse d'Avila. »
Je lui déchire le visage à l'opinel.
Derrière la masse de chair en lambeaux, un nouveau visage. Celui de l'inquisiteur.
Et je vois qu'il me craint
[illisible]
Lexique :
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LA CURÉE
Le dernier épisode du roman-feuilleton Millevaux ! L'équivalent de 400 pages ! Un immense merci d'avoir suivi cette épopée post-folklorique pendant tout ce temps ! Je serai ravi de connaître vos impressions sur ce premier jet !
(temps de lecture : 7 minutes)
Joué / écrit le 21/05/2021
Le jeu principal utilisé : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse.
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)
Paul Delaroche, domaine public
Contenu sensible : nudité, mutilation, tuerie
Passage précédent :
55. La rafle
Un acte grave coincé entre deux rêveries folles. (temps de lecture : 7 minutes)
L'histoire :
Vingt-Neuf de Descendres
S/T, par Myrkur, du black métal avec un chant féminin cristallin et nordique, une élégie qui souffle le froid et la glace.
C'est avec dégoût que je découvre la vraie raison d'être de ce journal. Tout me conduisait à rendre compte du misérable rôle que j'allais jouer dans cette tragédie.
Tout le récit précédent n'était donc là que pour conduire les historiens aux lignes qui vont suivre, que j'ai temps de peine à coucher sur le papier, serrant mon calame à m'en faire saigner les paumes, conscient cependant qu'aucun stigmate ne viendra apaiser ou compenser l'horreur dont je fus complice.
Augure voulait se battre. Mais je l'en ai dissuadé. J'ai soupesé vingt fois l'opinel dans ma main, et j'ai jugé que nous n'étions pas de taille. Je lui ai dit de se cacher dans les ravines, la yourte n'était pas un bon refuge.
J'ai fait ce que j'ai cru bon de faire. J'ai repris ma robe de religieuse et je suis allé voir Moretti.
J'ai traversé le Moulin aux Bois alors que le hameau se couvrait d'un blanc pur. Il neigeait enfin. Quelle ironie !
J'ai trouvé l'inquisiteur à l'église. Comme je l'avais pressenti, il préparait le procès des Corax. Alors je me suis proposé comme avocat de la défense.
Cette parodie a duré jusqu'à la nuit-brune. Je m'attendais... A quoi m’attendais-je ? Je m'attendais à avoir mes chances. J'avais ma passion pour moi, je pouvais témoigner de l'aide qu'Euphrasie nous avait apporté, je pouvais témoigner que les corbeaux avaient vaincu la Mère Truie. Je pouvais témoigner qu'ils avaient une âme humaine.
Je m'attendais Ă ce que ma rage parle pour moi, parle pour eux.
C'est une épreuve que j'ai vécu à moitié absent, hanté par les réminiscences des rêves qui m'obsèdent depuis que j'ai connu la chiffonnière, ces fièvres nocturnes, les échos des horreurs dites sur moi, et la matin chaque réveil, fourbu, des plumes noires dans mon lit.
L'église empestait la fiente de pigeon, alors même que ceux-ci avaient été tués par les corbeaux depuis belle lurette, s'est-on bien empressé de me le rappeler. On entendait le merle redire la messe en bruit de fond. L'endroit n'appartenait déjà plus aux humains.
J'avais comme l'impression d'être prisonnier d'une boucle temporelle, les minutes du procès duraient des heures.
Au fur et à mesure que je plaidais, sachant à peine ce que je disais, les lianes rampantes du trouble croissaient dans mon esprit. Je sentais dans mes propres tréfonds que tout ceci était un piège, et je m'échinais à en deviner la nature.
L'inquisiteur poursuivait sa procédure, sans se fatiguer ni perdre mon calme, et je sentais bien que je n'avais aucun sang-froid, et que ma colère ne convainquait personne.
Ils ont fait témoigner les vingt prisonniers, les hommes, les femmes, les enfants.
« Est-il vrai qu'au jour de votre naissance, vous héritez de la mémoire de vos parents, et avec celle-ci, la mémoire des parents de vos parents, et ainsi de suite sur des générations ? », leur demanda Moretti.
Ils jouèrent la carte de la transparence, et racontèrent tout ce qu'ils avaient enregistré, l'arbre généalogique mémoriel qui peuplait leurs crânes, ils avaient des anecdotes très vives sur leurs arrières-grands-parents et arrière-arrière-grands-parents, en fait ils remontaient jusqu'au temps d'apparition de leur race, juste après la catastrophe qui sonna le triomphe de la forêt et la chute de la race humaine.
« Ainsi donc, vous avez volé la mémoire des humains ! », clama l'inquisiteur.
Mais je n'en arrivais pas à la même conclusion. Je tus mon désarroi, car il n'apporterait rien à mon camp.
Toutes ces mémoires...
Elle se contredisaient.
Comme si le passé n'était que fiction. Même pour eux.
Le jury délibéra. Attendu que les prisonniers n'avaient pas participé à la destruction des germes, il retint l’acquittement.
En gage de bonne volonté, l'inquisiteur relâcha Sœur Robert. Elle se jeta dans mes bras. Elle était devenue toute sèche, mais son âme avait tenu bon. Nous sortîmes sous la neige, un frai d'étoiles dans les ténèbres.
J'ai cru m'en tirer à bon compte. J'ai même remercié le Vieux, Jésus-Cuit et l'Esprit-Chou
J'ai cru avoir fait le bon choix.
Quelle sottise !
Trente de Descendres
Hyperion, par Krallice, un black metal spatial et instrumental, lumineux, intense et habité.
La faim est l'arme du malin
La nourriture est péché
Ne pas manger
Contempler dans le miroir
La maigreur de mon corps
Une victoire
Ce sont ses pensées qui me venaient à l'esprit alors que nu, dans la yourte, j'inspectais mon corps avec la glace qui servait à Champo pour se raser.
C'est ainsi que m'a surpris Augure, tapant à la porte sous forme corbelle, croassant de toutes ses forces. Je lui ai ouvert sans prendre la peine de me vêtir. Aussitôt, elle se transforma en humaine, brutale fleur de chair en éclosion accélérée.
« Il faut que tu viennes au village ! Tout de suite ! »
Elle était nue. Elle était plus belle que je ne serai jamais. Elle m'a fixé avec une intensité qui m'a brisé l'âme. Puis elle s'est retransformé en corbelle et a fait volte à tire-d'aile.
En toute hâte, j'ai repris les habits de Champo, et un manteau pour Augure.
Dehors, la sente qui partait depuis les yourtes à travers la sylve jusqu'au Moulin aux Bois était immaculée, escompté les molles traces de mon retour aigre-doux de la veille, et les empreintes des serres de la chevêchette à la recherche des tunnels de campagnols sous la neige.
J'ai couru comme j'avais je ne l'ai fait, je tombais dans la neige, je me relevais, mes os étaient comme du verre et mon ventre était un gouffre brûlant.
Avant d'aller plus loin, je dois préciser une chose. Je voudrais reparler de la Bernadette. Il a dit à plusieurs reprises vouloir nous aider, mais hormis la confrontation avec le fils Soubise aux Feugnottes, elle n'en avait rien fait. Elle s'était juste vanté, elle avait prise de force mon amie la Sœur Jacqueline, et quoiqu'elle puisse dire de l'amour qu'il existait entre elles, et quelle bénédiction soit-elle que la (re)venue au monde de Raymond, je lui en voudrai toujours.
Mais elle m'a quand même aidé. En me confiant la jusquiame.
Quand je suis arrivée au pied de l'église, il faisait un vent à décorner les cocus, charriant la neige su bien qu'on n'y voyait qu'à peine. Et malgré cela, tous les villageois étaient réunis sur le parvis. Une estrade avait été montée pour que personne ne loupe une miette du spectacle.
Enchaînés et encordés les uns aux autres, les prisonniers de Fontenoy. Le premier d'entre eux était monté sur l'estrade. Un soudard lui tenait les bras sur un billot. Et un autre, encagoulé, portait une hache de bûcheron. Les chasseurs, Nono Élie en tête, encadraient les condamnés. Au premier rang, l'Onquin Mouchotte savourait d'assister à la curée.
Le Sibylle Henriquet et la MĂ©lie Tieutieu Ă©taient parmi les curieux. L'horreur se lisait sur eux.
Cette merdre humaine de Moretti. Il avait trahi sa parole, et trahi les procédures mêmes du tribunal inquisitorial.
« Hommes-corbeaux ! Vous êtes accusés d'être l'engeance du Malin. Vous avez causé la ruine de ce village. Il est temps de recevoir votre juste châtiment ! »
J'avais avisé Augure derrière un hêtre, je lui ai donné le manteau, et elle a couru se mêler à la foule avec moi.
Le maire Fréchin a fendu la masse des badauds comme un sanglier force un barrage. « Arrêtez tout de suite ce carnage, au nom de la loi ! »
Mais ça n'a pas suffi. Les chasseurs l'ont accablé de coups de crosse, et celui qu'on croyait invincible s'est retrouvé à terre. Le Nono Élie jubilait. Il se voyait bien être le prochain maire.
« Qu'on leur coupe les ailes ! »
L'homme sur le billot hurla, implora grâce. C'était impossible d'y voir un corbeau. C'était juste un gars moustachu en chemise traditionnelle vosgienne. Tout au plus avait-il ce regard dur et ce nez aquilin qu'on pourrait attribuer à ceux de sa race.
Je me tournai vers Augure, et je n'entendis qu'un battement d'aile. Déjà , elle retombait, nue sur l'estrade, pour combattre auprès des siens.
La hache est tombée, tranchant net le bras du supplicié. Et déjà elle remontait. Le Nono Élie a braqué sa carabine sur Augure.
J'ai vu comment tout cela allait finir. Alors, foutu pour foutu...
J'ai sorti mon journal de ma besace. Je l'ai ouvert. J'ai pris la jusquiame séchée et je l'ai enfourné dans ma bouche. C'était la première fois que je mangeais autre chose que de l'hostie.
Ce qui s'est passé ensuite est indescriptible.
Je me rappelle juste de la douleur, la grêle de coups qu'on m'a porté. Mais ça finit toujours par partir. On finit toujours par s'y habituer.
Je me souviens avoir frappé, sans même savoir qui je visais, sans savoir faire la différence entre ma lame et mon poing, j'ai frappé à m'en briser chaque jointure.
Il y a eu un vol massif de corbeaux, Ă recouvrir le ciel.
Le clocher s'est écroulé.
Il me semble que j’ai survécu juste parce que mon histoire voulait être racontée.
C'est ainsi qu'ils sont morts.
Moretti.
Et ses soudards.
Le Nono Élie.
Et l'Onquin Mouchotte.
C'est ainsi qu'Augure a pu s'envoler avec les siens.
Et moi de vivre avec le regret d'avoir le cœur trop sec pour l'avoir aimé.
Je suis resté aux Voivres.
SĹ“ur Robert attend les enfants, c'est le jour de l'Ă©cole.
Un homme avec un blouson élimé et une casquette de travers tient une corde à nœud pour guider les mômes soir et matin à travers la forêt. Son visage, buriné par le temps. Les yeux en amande et la barbe de trois jours. Il tire de sa lippe brûlée une dernière taffe de sa cigarette de foin.
C'est moi. C'est qui j'ai décidé de devenir.
Le monde ne s’effondre pas mais se rétrécit, toutes nos perspectives de fuite dans l’espace et dans le temps s’obstruent. Pourtant, l’espoir perce-neige
[L’histoire ne se termine pas. Ainsi finit le carnet mémographique de Sœur Marie-des-Eaux. Les dernières pages ont été arrachées.]
Lexique :
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Décompte de mots (pour le récit) :
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