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#1 18 Oct 2019 09:41

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Dans le mufle des Vosges : un roman-feuilleton Millevaux

Voilà, je me lance enfin dans la rédaction d'un roman Millevaux. J'ai mis beaucoup de temps pour sauter ce pas, car pour avoir écrit quelques romans, je sais que c'est difficile. Mais aujourd'hui, j'ai un arrière-monde très solide (la forêt de Millevaux) et j'ai aussi trouvé le moyen de générer de l'histoire sans effort : utiliser des jeux de rôles et des aides de jeu. Une après-midi par semaine, je vais donc m'astreindre à écrire à partir de matériau ludique, un peu comme un jeu de rôle solo textuel, mais avec une certaine attention portée au style. Je ne me donne pas de direction précise et aucun personnage n'est sacré : le jeu me dira où ça nous mène. Afin de me motiver, je vous propose donc chaque semaine de découvrir mon travail en feuilleton. Nous verrons où cela nous conduira. En tout cas, je peux vous dire où ça commence : dans les Vosges. Dans le mufle même des Vosges.

Retrouvez aussi le feuilleton en format blog.

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bemep, pierson.jerrylee, Sheena Long, cc-by-nc & Asa Hagström, cc-by & Ske, cc-by-sa & Claire Munier, par courtoisie

Épisodes :

1. Le centre du Monde
Premier chapitre du roman Millevaux "Dans le mufle des Vosges", réalisé grâce au jeu de rôle Les Exorcistes et à quelques aides de jeu !

2.La folie du cordelier
Chose promise, chose due, je continue mon roman Millevaux. Les deux Soeurs exorcistes partent à la rencontre de l’idiot du village coupable de sacrilège.

3. Un exorcisme dans le poulailler
Où l’on en apprend plus sur les lunaires habitants du village, et sur les turpitudes morales de nos deux nonnes exorcistes.

4. Purification
La violence monte au village et la légitimité des exorcistes est remise en cause.

5. Face à la diablerie
Les exorcistes font enfin la rencontre du véritable démon qui faisait peser sa menace sur le village. Et ça va faire très mal ! Je passe ensuite à un nouveau jeu de rôle avec le vénéneux L'Empreinte.

6. Le Vieux nous voit
Emportées par la folie ambiante au sein du village et par leurs vieux démons mémoriels, les deux nonnes exorcistes partent en quenouille.

7. Absolution
Quand les villageois montrent leur vrai visage, les choses sont bouleversées.

8. La veillée
Un épisode entre le recueillement et la fureur, où les liens entre les exorcistes se resserrent sous la menace grandissante.

9. Notre Mère la Truie
Le groupe se serre les coudes à l'heure de la première vraie confrontation avec les Soubise.

10. À trop tirer sur la corde
... Quand tout le monde est noué ensemble, impossible de dévider la pelote sans révéler de troublants liens du destin.

11. La fête aux rognons
Un épisode tout en terroir, pour le meilleur et pour le pire. Et qui se termine par une question au public. Vos réponses orienteront le prochain épisode !

12. Les lâches
Un épisode qui fait mal dans la chair et dans l'âme. Avec une nouvelle question au public à la fin !

13. La main et la couronne
Alors que les adversaires montrent les dents, les exorcistes s'organisent pour la dernière bataille. Retrouvez ici la réponse à la première question au public, et bien sûr une nouvelle question !

14. Tombé du ciel
Entre un prêtre exorciste qui avance ses pions, une escapade enfantine au cimetière et un mystérieux cadavre, un épisode construit avec un programme d'écriture de plus en plus complet et automatisé.

15. Le baptême
Quand tout le monde se prépare à la grande conflagration. Un épisode à nouveau marqué par un grand remaniement méthodologique.

16. L’heure du sacrifice
Enfin uni.e.s, les exorcistes s'apprêtent à tout donner.

17. Déflagration
Le face à face avec la Mère Truie s'avère dévastateur !

18. Le martyre
Suite et fin de l'épouvantable combat contre la Mère Truie !

19. On se couche avec ses morts
Au lendemain du combat avec la Mère Truie, on compte les retombées.

20. La confession
Quand la peur rampe dans les cœurs et que l'amour se fraye un chemin.

21. Barbelé
Aux Voivres, ça ne cesse jamais de friter.

22. Le déluge
Premières étapes de l'exil jouées avec Oriente, frappées sous le sceau d'une pluie maudite et d'un climat de défiance mutuelle.

23. Ces liens qu'on dilue
On dirait que vous avez réponse à tout et remède à tout. / - Pourtant face à ce qui nous attend, je n'ai ni réponse ni remède, mon Père.

24. Les roches druidiques
Toujours sous la pluie battante, la troupe s'entortille dans des domaines forestiers de plus en plus oubliés du Vieux.

25. Nos fantômes
Pour ce nouvel épisode et jusqu'à la fin, on ferme le capot pour se concentrer sur l'histoire.

26. Éternel raccourci
L'expédition se voit contrainte de passer par les forêts limbiques. En terre d'horreur, de culpabilité et de vertige.

27. L'inatteignable lumière du pardon
Dans les forêts limbiques, la vie marche aux côtés de la mort, et même les plus lourds passés remontent à la surface.

28. La Ménie Hennequin
Au cœur du voyage, alors que tout devient de plus en plus surnaturel, on se livre, on s'aime et on se chamaille.

29. Dans le giron du Culâ
Il ne fait pas bon contrarier les habitants des tourbières limbiques !

30. Au revoir Polyte
Quand la forêt se referme sur un destin.

31. À bon port
Enfin, c’est à l’arrivée à Xertigny ! Mais s’annonce-t-elle sous les meilleurs auspices ?

32. L’envoûtement au noir
Pour cette suite du séjour à Xertigny, test de mon projet de bac à sable profond Écheveuille, avec Inflorenza comme système de résolution. Or, les dés ont provoqué une issue des plus tragiques !

33. Le Purgatoire
La troupe d'exorcistes se rend enfin compte dans quel type de guépier elle est tombée. Retour du roman-feuilleton après trois mois d'interruption ! (temps de lecture : 7 minutes)

34. L’Enfer
Plongée au cœur du Jugement Dernier ! (temps de lecture : 7 mn)

35.Millevosges
Les dés sont tellement cruels ! (temps de lecture : 6 mn)

36. Le lac
Quand pointe la lumière au bout du tunnel, on se prend à chérir l’obscurité. (temps de lecture : 6 mn)

37. Les Abysses
Trouver la sortie du purgatoire est au prix de cette visite ! (temps de lecture : 9 mn)

38. L’impossibilité de croire
Quand le passé comme le présent deviennent insoutenables, que reste-t-il comme refuge ? Le périple de retour vers Les Voivres, maintenant joué / écrit avec Bois-Saule ! (temps de lecture : 5 mn)

39. Le château intérieur
Marcher dans la forêt, marcher dans la mémoire, marcher dans ses pensées, marcher dans l'horreur, marcher dans les demeures de ses anciens tourments. (temps de lecture : 9 mn)

40. Le seuil
Le dernier mort-vivant, la prison d'un être déchu et le mur du son à franchir, voici le programme des ultimes errements avant le retour aux Voivres ! (temps de lecture : 9 mn)

41. Nourrir les faibles
Enfin, le retour aux Voivres et un épisode pour se poser. Avec un changement de jeu de rôle pour guider l'écriture, cette fois-ci on passe à Nervure ! (bon, juste deux tirages…) (temps de lecture : 5 mn)

42. La semaine des morts
Quand le système de résolution nous réserve une méchante surprise... Il faut accepter son sort. (temps de lecture : 7 mn)

43. Les petites misères
Mille petites anecdotes et anicroches complètent le tableau d'une nouvelle menace qui se trame. (temps de lecture : 7 mn)

44. Quand les charrues pousseront dans les arbres
Trafic de confessions, fricot au ragondin, danse folklorique et vertige logique, voici le menu de l'épisode du jour ! (temps de lecture : 7 mn)

45. L’amour vache
Un dernier train d'anecdotes pastorales avant une chute brutale. (temps de lecture : 8 minutes)

46. Étrange Vôge
Quand tout ce qu’il y a de plus bizarre au village se déchaîne. (temps de lecture : 8 minutes)

47. Les choses intimes
L'introspection, les êtres et les sentiments qui couvent comme des pommes de terre sous la braise. (temps de lecture :  6 minutes)

48. Le carrefour de l’enfant Rollo
Les peines toutes simples sont les plus lourdes à porter. (temps de lecture : 7 minutes)

49. Dârou ! Dârou ! Vénet do mo so sac !
Comment la chasse d’un animal imaginaire a mis le feu aux poudres. (temps de lecture : 5 mn)

50. Des nouvelles du Vatican
On attaque le dernier volet du roman avec un regard sur le journal intime de la Sœur Marie-des-Eaux et l'apparition inquiétante d'un nouveau protagoniste. (temps de lecture :  7 minutes)

51. Le nid de fourre-t-oi-s’y
Alors que la panique s'empare du village, la Sœur Marie-des-Eaux choisit son camp. (temps de lecture : 7 minutes)

52. Récuse-potot
Quand l'ordinaire entre en collision avec l'horreur. (temps de lecture : 9 minutes)

53. Mission de confiance
Des moments d'introspection et de mise en abîme où la Sœur Marie-des-Eaux rassemble ces forces pour l'ultime affrontement.

54. Que le grain meure
Quand la guerre entre humains et Corax connaît un grave tournant. Reprise du roman-feuilleton après une trop longue trève ! On s'approche du dénouement ! (temps de lecture :  5 minutes)

55. La rafle
Un acte grave coincé entre deux rêveries folles. (temps de lecture :  7 minutes)

56. La curée
Le dernier épisode du roman-feuilleton Millevaux ! L'équivalent de 400 pages ! Un immense merci d'avoir suivi cette épopée post-folklorique pendant tout ce temps ! Je serai ravi de connaître vos impressions sur ce premier jet !


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#2 18 Oct 2019 09:44

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : Dans le mufle des Vosges : un roman-feuilleton Millevaux

LE CENTRE DU MONDE

Premier chapitre du roman Millevaux "Dans le mufle des Vosges", réalisé grâce au jeu de rôle Les Exorcistes et à quelques aides de jeu !

Jeu principal utilisé : Les Exorcistes, de Batronoban et Trickytophe (auquel j'ai aussi pas mal contribué avec le texte de l'Apocalypse de Millevaux et tout le chapitre sur la résolution diceless)

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l'image)

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Ske, Giles Watson, cc-by-sa, sur flickr

Contenu sensible : cruauté envers les animaux


Présentation :

Voilà, je me lance enfin dans la rédaction d'un roman Millevaux. J'ai mis beaucoup de temps pour sauter ce pas, car pour avoir écrit quelques romans, je sais que c'est difficile. Mais aujourd'hui, j'ai un arrière-monde très solide (la forêt de Millevaux) et j'ai aussi trouvé le moyen de générer de l'histoire sans effort : utiliser des jeux de rôles et des aides de jeu. Une après-midi par semaine, je vais donc m'astreindre à écrire à partir de matériau ludique, un peu comme un jeu de rôle solo textuel, mais avec une certaine attention portée au style. Je ne me donne pas de direction précise et aucun personnage n'est sacré : le jeu me dira où ça nous mène. Afin de me motiver, je vous propose donc chaque semaine de découvrir mon travail en feuilleton. Nous verrons où cela nous conduira. En tout cas, je peux vous dire où ça commence : dans les Vosges. Dans le mufle même des Vosges.


Chapitre 1

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Wandervogel des Waldes, par Lord Lovidicus, du dungeon-synth aux accents de folk médiéval, patient, nostalgique et atmosphérique.

Des coups insistants agitent la clenche de fer sur le portail de l'Eglise Saint-Rémy, frappés si forts qu'ils arrivent presque à couvrir le tambourinement de la pluie. Le temps s'écoule et les coups redoublent. Derrière la porte, on finit par entendre : "Une minute, une minute !", un bruit de clefs et enfin la sous-porte s'ouvre sur un prêtre en forme de tonneau, le nez armé de bésicles, les cheveux blancs de la tonsure en désordre. "Restez pas toquer, rentrez, rentrez, restez pas puisées !"

Celles qui ne sont font pas prier pour s'engouffrer, ce sont deux bonnes soeurs accompagnées d'un âne qui a les quatre pieds blancs et les oreilles à l'avenant, et le bout du nez pâle. Les trois sont trempés comme des soupes, dégoulinants, sombres et délavés à la fois. Le curé commence à bouâler quand l'âne tout crotté se fraye un chemin dans la nef, mais la plus jeune des soeurs tape du pied d'un coup si fort qu'il se tait.

"Merci, merci, fait la plus âgée. Je suis la Soeur Jacqueline, et voici la Soeur Marie-des-Eaux. Nous venons du couvent des Soeurs du Très-Saint-Sauveur, et nous sommes mandatées par le diocèse de Saint-Dié."
Encadré par son voile, la Soeur Jacqueline avait un visage tout rond qui la rendait difficile à dater. A la rigueur, la couperose de ses joues aidait davantage, environ la cinquantaine arrosée à la bière de lichen. Elle avait une voix forte mais douce et posée à la fois, qui rassura le curé.
"J'pensais pas qu'la forêt serait aussi drue si bas dans la vallée."
En effet, elles n'en avaient émergé que pour tomber sur le panneau du village, Les Voivres, tout bouffé par des lichens en forme de trompette.
"Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Les Voivres, ça veut dire les Friches."

Soeur Marie-des-Eaux était pour sa part très jeune. Sa robe de novice était ceinturée de porte-accessoires, ce qui dénotait un côté baroudeur plutôt surprenant pour une nonne. Mais elle n'avait pas la tête du métier de toute façon. Elle avait un visage fermé et semblait en permanence sur le qui-vive. Entre l'équipement qui la surchargeait, livres et outils, sa silhouette maigre comme un coup de trique et ses traits androgynes, elle était difficile à genrer. D'ailleurs, le curé s'est surpris à parler d'elle au masculin, et c'est ce que tout le monde faisait en général :
"Comment il a fait pour traverser toute la forêt depuis Saint-Dié ?
- C'est le Maurice, c'est notre âne. Il connaît par coeur cette route du diocèse, on n'a fait que de le suivre, et puis des fois on a demandé notre chemin pour vérifier, ou on a rejoint les caravanes qui nous paraissaient les plus honnêtes.
- J'suis l'abbé Houillon, je ne fais que l'église des Voivres et la chapelotte de Bonne-Espérance. Alors vous avez enfin reçu un de mes pigeons ? Je pensais qu'ils s'étaient tous fait bouffer.

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Flykt, par Forndom, du dark folk éthéré et paganiste au cœur des forêts glaciales du Grand Nord.

- Si nous en avons reçu un, annonça la Soeur Jacqueline. Nous avons un mandat d'exorcisme du diocèse de Saint-Dié.
- Attendez, vous vous allez peut-être vite en besogne ! Suivez-moi, je vais vous expliquer."

L'église des Voivres était assez grande pour un si petit patelin, elle était brute, austère, craquelée de menaçante fissures. Mais les vitraux avaient de la gueule, les couleurs étaient pas trop passées et mettaient un peu de gaité sur la toile de branchages qu'on devinait juste derrière.
Les soeurs notèrent les débris d'un grand lustre, mis de côté. Maurice lapait dans le bénitier.
"Pourquoi ça s'appelle l'Eglise Saint-Rémy ?", demanda la Soeur Marie-des-Eaux. En bonne mémographe, elle posait toujours un tas de questions sur tout.
Pas peu fier, l'abbé Houillon montra du doigt la fresque au-dessus de l'hôtel. Elle était fissurée, écaillée, mais on voyait encore quelques détails.
"L'évêque Saint-Rémy. C'est lui qui a baptisé le roi des Terres Franques.
- Vraiment ?
- Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Les Voivres, c'est le centre du monde."

Puis il leur montra un socle où aurait dû reposer une statue.
Le bruit de la pluie au-dehors donnait l'impression que l'église était sous un bombardement. Saleté d'automne qui commençait.
"J'envoie de temps en temps des pigeons pour donner des nouvelles au diocèse. Voilà ce qui s'est passé la dernière fois. Basile, c'est l'idiot du village, qui vit chez ses parents dans le hameau du Chaudron. Et bien l'autre fois il était dans la grand-rue pour vendre des cordes - il fabrique des cordes -, et les gars du village l'ont fait boire. Alors il est rentré dans l'église, complètement foingé si vous me permettez, et il a cassé le lustre avec un bâton. Il a aussi cassé la main et le visage de la statue de Jésus-Cuit. Mais bon, c'est tout. Ses parents le tiennent enfermé maintenant, il sortira plus. Fin de l'histoire. Je ne crois pas que ça nécessite un exorcisme. Je suis désolé que vous vous soyez déplacées pour rien.
- Bon, fit la Soeur Jacqueline, visiblement soulagée. Mais peut-on quand même vous demander l'hospitalité pour la nuit ?
- Je vous en prie, vous pourrez dormir au presbytère et on va mettre votre âne dans la grange. Mais avant, je tiens à vous inviter au repas de ce soir, à l'Auberge du Pont des Fées. Je dois bénir le cochon. C'est pour la Saint-Constant.
- Volontiers, mais pouvons-nous juste nous retirer un instant pour sécher nos affaires ?"

Dans l'intimité du presbytère, les soeurs retirèrent leurs voiles. La Soeur Jacqueline avait une longue chevelure blanche tissée de gris qui sentait la sueur et la bougie. La Soeur Marie-des-Eaux avait les cheveux courts en bataille et une odeur animale, qui confirmait l'air de sauvageon qu'elle était, toujours au fond d'elle, malgré le vernis de culture qu'on lui avait inculqué à coup de triques - pour ne citer que la méthode la plus douce - au couvent des Soeurs du Très-Saint-Sauveur, et avant, par son mentor mémographe.

La Soeur Jacqueline retira sa robe pour l'essorer. Elle avait des formes généreuses, suaves, ce qui laissait sa consoeur absolument indifférente, elle qui avait tendance à considérer les autres êtres humains comme des sortes de machines, et s'en désintéressait de la minute où elle avait évalué leur niveau de dangerosité et les avait considérés comme inoffensifs. Ce qui était le cas de la Soeur Jacqueline, qui n'était jamais sortie de son couvent, c'était la plus inoffensive et naïve des compagnons de route qu'il lui été donné d'avoir. Même l'âne Maurice avait plus de malice.

Tandis que la Soeur Jacqueline faisait trisser de sa robe l'équivalent d'une ou deux baugeottes d'eau, la Soeur Marie-des-Eaux s'employa à vérifier le tranchant de son Opinel, qu'est-ce qu'une bonne soeur faisait avec un schlass pareil, la Soeur Jacqueline se demandait bien. C'était un couteau de belle facture avec une lame damasquinée. Les ondulations et les noeuds sur son acier répondaient aux lignes du bois du manche. La Soeur Marie-des-Eaux ré-aiguisa le fil avec une pierre trempée dans l'eau. "J'ai vu une meule dans la grange, je ferai ça mieux tout à l'heure."
Elle arrêta son aiguisage en plein milieu et sortir son carnet de mémographe pour fouiller dedans. Elle tourna nerveusement les pages craquantes du volume encombré d'herbiers et de marque-pages, pour s'arrêter sur l'éphéméride.
"C'est le jour de l'équinoxe d'automne. Quel genre de chrétiens sont-ils aux Voivres pour fêter une saison aussi pourrie ?"

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Pilgrimage, par Om, du doom / folk à chant clair, ritualiste, mystique et cyclique, pour un séjour dans les dédales de la raison et de l'égrégore.

Pour se rendre à l'Auberge du Pont des Fées, il suffisait de descendre la grand-rue. Certes, elle était encombrées d'arbres qui avaient poussé charnus en travers des pavés, mais c'était autre chose que le front végétal qui cernait toute la grand-rue. La pluie s'était calmée, mais la bise l'avait remplacée, pour geler l'eau qui était prise dans leurs os. Le ciel couvert de nuages à en crever, n'était qu'une masse pituitaire et scabreuse qui ne laisserait plus passer la lumière du soleil avant le printemps, pour sinon qu'une telle saison existât dans le val de Vôge.

L'Auberge était de bonne taille et le curé leur expliqua qu'on venait encore de loin pour y profiter du gîte et de la bonne chère. La Soeur Marie-des-Eaux se demanda à quel point dans le val de Vôge on était assez stupide pour risquer sa peau à travers la forêt juste dans la perspective d'un bon gueuleton.

A l'intérieur, c'était pour ainsi dire, dans son jus. On rentrait par un petit bistrot où campait Vauthier, le pilier de comptoir, un petit moustachu tout habillé en jaune dans ses sabots, avec le petit carrelage tout décoloré, et l'arrière-salle avec des tableaux de clown qui aurait fait peur au plus déridé des ivrognes.

Le curé les conduisit dans la cuisine tout en couloir pour leur présenter la Bernadette, la tenancière de l'Auberge. Elle leva le nez de ses fourneaux pour les saluer d'une solide poignée de main. La Soeur Jacqueline sentit une vague de chaleur monter et ça ne venait pas que de la cuisine. La Bernadette était souriante, à peu près de son âge, celui qu'il est impossible de déterminer, elle était toute en chair, et on ne sait pourquoi Jacqueline attarda son retard sur le grain de beauté que la cuisinière avait à la joue. Un macaron d'une certaine taille, de ces excroissances qui font partie de nous mais qui en même temps semblent des corps étrangers avec leur volonté propre. Elle fut incapable de bafouiller quoi que ce soit d'intelligible, et voyant qu'elle bresaillait, la Soeur Marie-des-Eaux la bouscula pour adresser une poignée de main tout aussi ferme à la cuisinière et mettre court à ce moment gênant comme l'étaient tous les types de relations humaines.

Un hurlement - braillard - une bouâlante de tous les diables dans la remise, c'est qui les accueillit quand le curé les amena bénir le cochon. La bête était encore bien vivante, encore que les gars des Voivres s'employaient fort à y mettre un terme. C'était un porc d'une envergure exceptionnelle, puant et crotté comme c'était pas permis. Ils étaient une dizaine de gars, en costume traditionnelle, chemise blanche, gilet noir, à le ceinturer avec des cordes - ironie du sort, sûrement celles vendues par Basile - et à le bourrer de coups de sabots. Y'en avait trois rien que sur le dos de l'animal pour le contenir. Fréchin, le maire du village, un type colossal d'un embonpoint baroque, rouge dans l'effort, la moustache frissonnante, un gars qui avait tout de suite une tête sympathique, se vit attribuer l'honneur de la mise à mort.

Le cochon fixa sauvagement la Soeur Marie-des-Eaux dans le regard. Elle sentit quelque chose passer, de complètement fou. Est-ce qu'il l'appelait à l'aide ? Elle porta la main à son Opinel, mais la Soeur Jacqueline l'arrêta d'un geste de la main.

Tandis que les gars maintenaient comme ils pouvaient la tête du porc en veillant à pas se faire mordre, le maire sortit un pistolet d'abattage et le plaqua sur le crâne de la bête. Il y eut une détonation brusque quand le poinçon sortit du canon et traversa l'os. Mais ils devaient pas avoir les bonnes cartouches, peut-être ils n'avaient que des cartouches à vache, où peut-être qu'il avait pas appuyé au bon endroit, car le cochon tomba pas raide mort comme c'était prévu. Il se redressa sur ses pattes, se cambra, envoyant valser les paysans dans tous les sens, et il gueula de toutes ses forces, un truc qui fit vibrer toute la remise et qui raisonna dans les fibres des muscles et de la cervelle de tout le monde, un appel, une plainte, des borborygmes de sang et de salive, une voix.

"La langue putride.", siffla la Soeur Marie-des-Eaux entre ses dents. Elle frissonnait comme un fétu et la Soeur Jacqueline jeta un manteau sur leurs épaules pour s'épargner la suite du spectacle.

"Môôôônnnn la vache !, protesta Fréchin avant de poinçonner deux ou trois fois de plus la gueule du cochon. Elle tomba sur la terre battue en soulevant des kilos de poussière et de merde, et tout le monde sauta sur la fraîche carcasse pour la débiter avec les couteaux et les feuilles de boucher. Il y avait foutrement assez de sang pour faire du boudin pour toute l'année, et on dit même que cette nuit-là, on avait perdu le père Fanfan et on l'a retrouvé prisonnier dans une des saucisses qu'on avait faite avec l'animal.


Lexique :

clenche = poignée
puisé = trempé
bouâler = râler
chapelotte = petite chapelle
foingé = saoul
schlass = couteau
baugeotte = grand panier en osier à deux poignées
bise = vent du nord
brésailler = lambiner, rester à rien faire ou tourner en rond


Bilan :

Je pensais que j'arriverais plus loin dans la fiction, mais j'ai perdu un peu de temps sur la mise en place, pas mal de recherches internet sur le terroir vosgien et sur la religion, et puis j'avais des images fortes en tête depuis une semaine de brainstorming, donc j'ai voulu prendre le temps de les mettre en place.
Du fait de cette avancée lente, je n'ai pas vraiment utilisé les règles des Exorcistes, mais en revanche la création de personnage m'a bien aidé et j'ai pas mal d'idée en réserve juste à partir de ce qu'on sait de l'historique des Exorcistes.
Comme aide de jeu, je n'ai finalement utilisé qu'un seul tirage de l'Almanach (un truc qui parle de cordes et d'égrégore, d'où la profession de Basile) et trois tirages aléatoires de musiques d'ambiance.
En tout cas, je suis assez content du résultat, j'utilise beaucoup d'anecdotes de mon vécu ou de choses entendues ici ou là, et c'est très plaisant de passer tout ça à la moulinette de la fiction. J'ai aussi aimé placer des termes-clefs de Millevaux sans les expliciter pour le moment, j'espère pouvoir continuer dans cette veine d'une introduction très progressive de l'univers.
Bref, ça m'a fait beaucoup de bien et j'ai hâte d'être à la prochaine session d'écriture !


Jauges communes :

Sainteté : 6
Bougies : 0
Chemin de Croix : 0


Feuilles de personnage :

Deux Soeurs du Très-Saint-Sauveur (ordre chanoine, couvent à Saint-Dié)

Soeur Jacqueline

Vice :
+ La luxure

Vertu :
+ La prudence

Description physique et personnalité :
Cinquantaine, visage rond et couperosé par la bière de lichen, yeux un peu fixes. Bonne vivante. Assez affectée par l'oubli, n'a pas de souvenir d'avoir jamais quitté le couvent de Saint-Dié

Bref historique :
Il est possible qu'elle ait eu récemment une vie en dehors du couvent. Il est aussi possible qu'elle ait été cloîtrée pour contrer son penchant à la luxure, et qu'on l'ait incité à oublier son passé (onction à l'eau bénite d'oubli ?)

Mots-clefs :
- Soeur Exorciste
- Inspire la confiance
- Cuisinière
- Contemplative
- Intuitions

Lien avec autre PJ :
A sauvé la vie de Soeur Marie des Eaux mais ne s'en souvient pas. Aurait été sa formatrice ou sa compagne d'apprentissage en exorcisme ?

PNJ Favori :
Bernadette, la tenancière du Pont des Fées


Soeur Marie-des-Eaux

Vice :
La colère

Vertu :
La force

Description physique et personnalité :
Jeune, borgne (cache-oeil), cheveux courts, visage androgyne (tout le monde la genre au masculin). Un air de froide détermination. Paranoïaque et violente. A reçu une formation de mémographe et tient un registre de tous ses souvenirs (pattes de mouche)

Bref historique :
A connu une jeunesse très traumatique (elle a notamment aimé un horla, mais celui-ci est mort quand ils se sont embrassés, étonnement c'est la chose qui l'a marqué le plus alors qu'elle a été victime de choses plus violentes), au terme duquel elle a d'abord reçu une formation de mémographe puis de soeur exorciste. En guerre contre les figures du mal. Assez attachée au voeu de chasteté. Fascinée par le texte de l'Apocalypse.

Mots-Clefs :
- Soeur Exorciste
- Opinel
- Mémographe
- Combattante
- Âne

Lien avec autre PJ :
A sauvé la vie de Soeur Jacqueline, s'en rappelle mais ne veut pas lui remettre ça dans les dents. La naïveté de Soeur Jacqueline a failli leur coûter la vie en enfer.

PNJ favori :
Basile, le cordelier (ses cordes sont vecteurs d'égrégore, elles lui ont révélé la statue de Jésus)


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#3 22 Oct 2019 05:48

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : Dans le mufle des Vosges : un roman-feuilleton Millevaux

LA FOLIE DU CORDELIER

Chose promise, chose due, je continue mon roman Millevaux. Les deux Soeurs exorcistes partent à la rencontre de l'idiot du village coupable de sacrilège.

Joué / écrit le 21/10/2019

Jeu principal utilisé : Les Exorcistes, de Batronoban et Trickytophe (auquel j’ai aussi pas mal contribué avec le texte de l’Apocalypse de Millevaux et tout le chapitre sur la résolution diceless)


Avertissement : contenu sensible (voir détail après l'image)

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James C Farmer, cc-by-nc-nd, sur flickr

Contenu sensible : mort d'enfant (graphique), cruauté envers les animaux


Passage précédent :
1. Le centre du monde


L'histoire :

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Antlia, par Drome, un drone expérimental qui dresse tout un paysage de fermes hantées pour l’éternité.

Le banquet battit ensuite son plein. On jeta un ou deux tocs dans la grande cheminée et la grande salle s'emplit d'une odeur de résine et de suie qui fit du bien aux nerfs et aux corps, si bien que les plus inaptes à la fête finirent manifester l'enthousiasme que la bière de lichen n'avait pas encore réussi à réveiller. Seule la Soeur Marie-des-Eaux gardait cet air renfrogné que seules les personnes comme elles, atteintes de douleurs chroniques, pouvaient affiché, ce renfermement indéridable des traits, cette torture de la chair imprimée dans la face, parce que quand les gens des Voivres trinquaient en l'honneur de l'automne, rejoints par la Soeur Jacqueline qui ne se faisait jamais prier pour partager les instants de convivialité, et bien la Soeur Marie-des-Eaux restait prisonnière de ses os qui lui rentraient dans les organes, elle continuait donc à grincer des dents et ne daignait même pas faire semblant d'être heureuse d'être là.

Elles étaient en bout de table avec Fréchin et l'abbé Houillon, la place d'honneur dos à la cheminée, avec les craquements du bois qui se joignait aux conversations. A l'autre bout, accompagné de sa cour avide de ragots, un homme édenté d'âge canonique, avec des lunettes noires qui lui occupaient tout le visage. On le leur désigna comme l'Oncle Mougeot, une sorte de contre-pouvoir dans le village.

La Bernadette, tout sourire, leur servit le cochon qu'elle venait d'apprêter, il était tout en sauce, et les parts étaient généreuses et Fréchin et l'Abbé Houillon eurent même un bout de la tête et de la cervelle, que le curé s'empressa de vanter comme étant la partie la plus noble du plat, les viandes blanches étant le lot des enfants et des sots. La Soeur Marie-des-Eaux refusa son assiette, et obligea la cuisinière à ne lui servir que des oignons. La Soeur Jacqueline porta la viande à sa bouche avec délice, mais elle n'eut le bonheur que d'une bouchée car la Soeur Marie-des-Eaux planta son Opinel sur la table avec un "N'y touchez pas !" qui n'aurait supporté aucune réplique.

La Soeur Jacqueline devait se confesser une chose : son novice lui faisait peur. Pour se consoler de ne pouvoir manger plus de cochon, elle en parla :
"D'où vous vient un si beau cochon ?
- C'est un cochon des Soubise, expliqua l'abbé Houillon. Ils l'ont offert en l'honneur de Saint-Constant.
- Et ils sont là les Soubise ?
- Non. Vous savez, ils ne sortent pas beaucoup de leur ferme. C'est la prochaine après l'Auberge.
- Comment ils font pour avoir un tel morceau ?, demanda la Soeur Marie-des-Eaux.
- Alors là, vous m'interrogez sur les mystères de l'élevage."

Il y eut même du dessert avec de la tarte aux brimbelles qui fit le bonheur de la Soeur Jacqueline et dont Soeur Marie-des-Eaux ne mangea qu'une fourchettée. Et un gars sortit un accordéon tout râpé, on se mit à chanter et à danser. Il y avait des guirlandes de feuilles mortes et de la goutte en l'honneur de l'automne. La Soeur Marie-des-Eaux jetta son verre de goutte dans le feu, mais la Soeur Jacqueline ne se fit pas prier. La mirabelle titrait fort, elle s'empourpra aussitôt, elle se sentait environnée de chaleur à l'intérieur comme à l'extérieur, la gorge lui piquait et la tête lui brûlait. C'était agréable. Il n'y avait pas que des choses terribles dans ce monde.

La Bernadette leur demanda, avec sa voix caractéristique, calme, presque endormie, empreinte de bienveillance :
"Alors comme ça vous venez pour un exorcisme ?"
Ce fut la Soeur Jacqueline qui répondit, car la Soeur Marie-des-Eaux était définitivement dans la bouderie.
"Au départ, oui, nous sommes assermentées pour ça. Mais ça ne sera pas nécessaire. Donc nous profitons de votre hospitalité puis nous repartirons à Saint-Dié."
A voix basse, la Bernadette conclut : "De toute façon, je crois que vous voyez les choses avec un biais. Il faudra que je vous explique tout ça."

Un instant d'après, elle dansait avec la Bernadette. La cuisinière avait des yeux plissés derrière ces lunettes, elle avait un sourire qui était taillé pour accueillir les étrangers. Et elle invitait la Soeur Jacqueline dans son rythme.

La Soeur Marie-des-Eaux était économe sur toutes les ressources du groupe, mais faisait une exception avec les bougies. Ce soir encore, dans la petite chambre dans les combles que la Bernadette leur avait douillettement installée, elle maintint l'éclairage jusque fort tard pour tenir à jour son carnet.

Tout en tâchant de trouver le sommeil, la Soeur Jacqueline la regardait noircir les pages de ses pattes de mouches, une écriture serrée, les mots soudés les uns aux autres et recroquevillées dans une forme d'écriture cryptique, presque larvaire, conçue pour faire durer les carnets le plus longtemps possible et rester hermétique à la lecture des curieux.
"Quelle importance ?, songea la Soeur Jacqueline. Si le petit venait à disparaître, personne ne pourra rien comprendre au charabia de son journal et savoir ce qui lui est arrivé. Lui-même, est-il seulement capable de se relire ?"

Au petit matin, la Soeur Jacqueline mangeait en douce du saucisson offert par la cuisinière, quand elle vit le novice descendre l'escalier, tout équipé. Elle repoussa son assiette vite fait.

"On va quand même aller faire un tour voir Basile. Juste pour avoir sa version des faits. C'est bien au lieu-dit Le Chaudron qu'il habite ?
- Oui, fit la Bernadette.
- Et pourquoi ça s'appelle Le Chaudron ?
- ça, c'est juste des légendes locales.", conclut-elle avec un regard appuyé vers la Soeur Jacqueline.

L'abbé Houillon trouva inutile de les accompagner. A vol d'oiseau, le Chaudron était tout proche et par ailleurs les soeurs choisirent de couper au plus droit en évitant les sentiers communaux, mais la forêt était si épaisse que la traversée prit un temps conséquent. C'était de la pente et des talus, le sol glissant bourré de lombrics et l'ombre des épicéas, et l'âne Maurice renâclait à progresser, démontrant à nouveau sa haine proverbiale du hors-piste. Il ne pleuvait presque plus mais les aiguilles charriaient la flotte de la veille, si bien qu'elles étaient tout autant puisées. Il y avait peu de marques de coupe sur les arbres, apparemment l'activité forestière était moins développée que dans les Hautes-Vosges, à croire que les gens des Voivres se terraient dans la grand-rue et n'en sortaient point. Et à se demander si les animaux étaient à l'avenant, car on n'entendait que le coucou.

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Death will someday set you free, par Ghostly Graves, du folk occulte pour western fantôme.

Elles arrivèrent dans un verger de mirabelliers qui menaçait de se faire engloutir. Une dizaine d'arbres noircis, tordus et souffreteux qui correspondaient à ce que la Bernadette leur avait indiqué comme point de repère (bien qu'elle les eut aussi déconseillé d'éviter les chemins communaux). Il y avait des fruits pourris et des chiures d'animaux aux pieds.
"Il faut descendre comme ça à peu près de biais et ce sera la deuxième ferme.", annonça la Soeur Jacqueline. Puis elle déglutit avec peine. Les grognements qui venaient dans son dos lui avaient coupé le sifflet. La Soeur Marie-des-Eaux fourbit son Opinel.

Trois loups, dégueulasses, tous à moitié brûlés, la chair à vif et suppurente (les séquelles d'une attaque de camp ?), les avaient encerclées sans bruit et maintenant s'approchaient. ça se voyait à leur peut museau qu'ils crevaient de faim. Le novice lança son bras armé vers l'une des bêtes mais elle lui attrappa le bras entre ses crocs et s'y accrocha comme une tique à un mollet. La Soeur-Marie-des-Eaux fit abstraction de la douleur, mais elle se retrouvait bloquée comme un con et déjà un deuxième loup arriva dans son dos tandis que le dernier se mit à gueuler d'un air si sinistre que le novice se rendit enfin compte qu'il était temps d'avoir peur. La Soeur Jacqueline tenta de grimper dans un mirabellier, mais les branches pétaient sous son poids et déjà le loup gueulard courait vers sa couenne, et là-dessus la chanoinesse ne savait plus s'il fallait prier le Vieux ou le Diable pour s'en sortir. Le secours lui arriva d'un endroit inattendu : Maurice décocha une ruade au loup gueulard et le bruit de ses côtes cassées rappela en plus gros celui d'une coquille d'oeuf qu'on écrase entre ses doigts. Le loup mutilé pédalait dans la gadoue, tournant sur lui-même et jappant, au supplice. Les deux autres s'enfuirent sans demander leur reste.

La Soeur Marie-des-Eaux se précipita vers leur bête de somme, lui carressant le flanc. "Je crois que tu es l'élément le plus efficace de notre équipe, mon vieux."

La Soeur Jacqueline était pour qu'on décampe en laissant le loup à son sort. Mais La Soeur Marie-des-Eaux protesta : "Il faut qu'on abrège ses souffrances." Et le novice se comporta d'une façon que la Soeur Jacqueline détestait, parce que ça la déstabilisait totalement : dans les moments d'action urgente comme celui qui avait précédé, la Soeur Marie-des-Eaux était d'une implacable rapidité, comme il se mouvait dans sa propre unité temporelle. Donc sa déclaration ne souffrait pas la discussion, parce que déjà elle était sur l'animal et son bras avait décrit un arc-de-cercle au-dessus de sa gorge et l'Opinel crachait un flot de sang noir.

D'abord il y eut la douleur du choc mental, comme un réseau de neurones qui explose, mais la douleur était une compagne familière, et après il y eut le flachebacque du loup, et ça, nul ne peut s'y habituer.

Le voilà maintenant dans la peau du loup. L'étrangeté de courir à quatre pattes, les affres spécifiques des grands brûlés, l'exotisme de sa propre odeur, fauve. Là avec sa minuscule meute à épier l'enclos aux cochons. Une immense truie qui lui inspire une sainte terreur, seule une faim tenace l'a incité à venir. La puanteur du lisier.

Et cette femme au visage couvert de croûtes, les cheveux sales collés sur sa peau, couverte d'un manteau de pluie qui cache le reste de son corps. Elle porte un paquet qu'elle s'apprête à jeter aux cochons, et elle voit les loups et finalement c'est à eux qu'elle le jette, comme par - compassion -.
Et dans la peau du loup, il dévore le contenu du paquet sans réfléchir, c'est tendre et chaud. Et puis un bout en tombe alors qu'il se dispute le festin avec les deux autres loups : une tête.

Une tête de bébé.

La Soeur Marie-des-Hauts perd pied et roule dans la pente. Elle s'éclate contre une souche, plante ses mains dans l'humus et vomit tout ce qu'elle peut sortir son estomac, essentiellement le peu d'oignons et de brimbelles qu'elle avait mangé la veille, puis de la bile qui vient lui cramer la gorge.

"Saleté... de flachebacques."

La Soeur Jacqueline ne lui donne pas vraiment le temps de reprendre ses esprits, elle l'attrappe par le bras et la force à se relever : il faut pas rester là.

Elles arrivent au pied d'un premier corps de ferme, d'un seul bloc, austère, aux murs lépreux et le longent pour atteindre, entre les arbres et le sol marécageux, un étang rempli de prêles - signe qu'elles sont arrivées à la ferme des Thiébaud.

Elles longent la digue étroite. A leur droite, une fontaine couverte, remplie de lentilles d'eaux et d'animalcules blancs qui pourraient bien être des daphnies et qui pourraient bien être autre chose. A la gauche, la maison des Thiébaud, le crépi dégoulinant, avec deux entrées de cave sur les côtés. Devant, l'étable, on entend une ou deux vaches. Derrière, un sentier de gravier conduit aux autres maisons du Chaudron.

Un paysan en pantalon vert est occupé à jeter des choses contre le mur de l'étable. Il se tourne vers elles, il a l'air débonnaire, un teint encore plus couperosé que celui de la Soeur Jacqueline. Il est comme fondant dans ses habits débraillés, il leur adresse un petit sourire et agite la main en guise d'accueil, sans lâcher ce qu'il tient : un chaton éclaté.

"Fallait pas vous déplacer, j'ai rien pour vous recevoir", leur fit la mère Thiébaud une fois qu'elles furent à l'intérieur. La petite vieille, ridée comme pas permis, le menton en galoche, avait mis une casserolle tordue de chicorée à réchauffer sur le poêle dont les émanations noircissaient le mur. Le père Thiébaud était retourné dans son fauteuil et parlait dans le vide.
"Notre Basile a toujours été simple, faut lui pardonner. (Elle rajusta son châle.) Et puis c'est bon, le problème est réglé, y sortira plus, c'est promis." Elle leur servit leurs tasses de chicorée avec une main tordue par l'arthrose. La Soeur Marie-des-Eaux la regarda avec la sympathie instantanée qui lie les personnes originaires de l'empire des rhumatismes. Il y avait un rameau desséché au-dessus de la bruyante horloge : on était chez des croyants, la foi du charbonnier sans remise en question et sans ostentation.
"Bobi, si Félix est rentré ?, demanda le père.
- Non, pas encore.", fit la mère, l'air un peu inquiet.
Le novice laissa sa consoeur prendre le temps de se réchauffer près du poêle puis demanda :
"Est-ce qu'on peut le voir ?"

L'abbé Houillon avait dit vrai : pour couper court aux craintes du villageois, les Thiébaud avaient enfermé leur fils dans le poulailler et comptaient l'y laisser pour toujours.

C'était une petite dépendance au-dessus de l'entrée de cave, on y voyait guère parce que la fenêtre était couverte d'une vitre de plastique translucide. L'odeur d'ammoniaque était forte et faisait du lieu une sorte de dimension parallèle, qui n'était pas tout à fait notre monde. Il y avait des poules partout dans ce qui avait jadis été une maison d'habitation, dont aujourd'hui les surfaces étaient recouvertes de paille et de déjections. On les invita à monter l'échelle de rondins. Les parents ne pouvaient pas les suivre, de crainte de se casser le cou, et ils verrouillèrent derrière elles.

Il y avait peu de poules sous les combles, mais le coassement incessant venu du palier rappelait l'indignité de la situation. Elles mirent du temps à trouver Basile, vu que le seul oeil-de-boeuf dégageait peu de lumière. Il était recroquevillé, il y avait peu de place pour se tenir debout. Il était en train de tresser une corde avec les mêmes grosses mains qu'ont ici tous les gens du village, et les gens des Vosges en général à cause du labeur. Il leur adressa un sourire plus timide que méfiant. Des cheveux gris et un visage pas méchant. La Soeur Jacqueline pensa qu'il avait peut-être le même âge que lui, et ça lui fit drôle.

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Lashing the Rye, par Harvestman, americana dépressive, sur la superstition paysanne et la grandeur des espaces confinés.

"Y'avait une chatte qui s'était cachée un jour dans ce grenier, fit Basile. Elle était pleine et elle savait qu'on tuerait ses chatons. Alors elle s'est cachée ici. Mais ses chatons ils sont devenus trop grands et elle pouvait plus les nourrir. Un beau jour, la mère elle voit quelque chose tomber de l'oeil de boeuf. C'est la chatte, elle faisait descendre ses chatons. Qu'est-ce qu'ils étaient beaux ! Mais bon ils étaient pleins de puces alors le père y les a claqués contre le mur de l'étable. Mais la chatte elle en avait pas descendu un. Elle l'a descendu plus tard et celui-là on l'a gardé, maintenant il est grand, c'est le chat roux, Félix.
- Vous savez pourquoi on est là ?", demanda la Soeur Jacqueline. La Soeur Marie-des-Eaux la laissait mener les interrogatoires car elle était plus douée avec les gens.
"Parce que j'ai cassé le lustre et le Jésus-cuit, répondit Basile avec un tremblement dans la voix.
- Oui. Pourquoi t'as fait ça ?
- Parce que...
- Parce que t'étais soûl ?
- Parce que c'est des voix dans ma tête... Elles m'ont dit de le faire."

En fait il leur inspirait de la pitié. Elles lui firent dire un Pater Noster et un Ave Maria et il leur offrit une corde.

"On est vraiment désolés, fit la mère quand ils furent de retour à la cuisine. Il était un peu ficelle, c'est pour ça qu'il est resté avec nous, il aurait pas pu tenir sa propre ferme. Y s'intéressait qu'aux cordes, et pis à tresser des baugeottes." Elle leur montra quelques uns de ses ouvrages, c'était finement exécuté, et puis il y avait aussi une bombonne à jus de pomme, entourée d'un tressage d'osier de sa main.
"L'ennui, c'est surtout qu'il a cassé le Jésus-Cuit. Du coup ils attendent que le diocèse en rapporte un nouveau, y va sûrement vous demander de faire la commission. Du coup, le Jésus-Cuit cassé, il est dans notre grenier maintenant.
- On peut le voir ?, fit la Soeur Marie-des-Eaux.
- Ah oui, montez, c'est là-haut à droite après l'escalier. Je vous suis pas, j'peux plus monter les marches."

En haut de l'escalier elles tombèrent sur un palier qui communiquait avec les chambres des Thiébaud et de leurs fils. Il y avait une lampe à huile sur une commode, dont la Soeur Jacqueline s'empara.
Elles poussèrent une porte toute simple que tenait un cale-porte formé d'un boudin de tissu avec une tête de chien. Le pont était saturé par l'odeur des oignons qu'on avait mis à sécher, il y avait des carcasses rouillées d'engins agricoles et des bombonnes de jus de pomme couvertes de poussière. Elles montèrent un escalier de bois des plus instables pour accéder au deuxième étage du grenier. Il y avait des cartons remplis de livres laissés à la crasse et aux moisissures. C'était tentant de s'arrêter pour les consulter, tout ce qui contient de la mémoire nous attire comme le miel pour les mouches, mais ça aurait été inconvenant de s'attarder. La Soeur Marie-des-Eaux s'aventura au fond des greniers. Il n'y avait plus de bois de porte pour accéder à la chambre mansardée du fond. Elle regarda le plancher en premier lieu, car les planches hors d'âge menaçaient de tomber sous son poids, et elle interdit même l'accès à la Soeur Jacqueline, qui pesait deux fois plus lourd qu'elle. Elle sentit un présence, et quand elle se tourna vers la fenêtre, elle sursauta. Car il y avait vraiment quelqu'un !


Lexique :

Goutte : liqueur forte, habituellement à la poire où à la mirabelle.
Peut : laid, méchant
Bobi : Interjection
Pont : premier étage d'un grenier, qui communique avec l'extérieur pour faire passer les engins agricoles.


Bilan :

On avance à pas de loup dans l'action, mais je suis content de cette mise en place pépère. J'ai beaucoup exploité les idées que j'avais imaginées lors de mon premier brainstorming, mais j'ai un peu plus utilisé le système : j'ai rajouté deux croix sur le chemin de croix (une quand Soeur Marie-des-Eaux a interdit à Soeur Jacqueline de manger de la viande, une quand l'âne les a sortis d'un mauvais), ce qui va leur causer des ennuis dès qu'on rajoutera une troisième croix. J'ai aussi allumé une bougie à cause de la blessure de Soeur Marie des Eaux et j'en allumé deux autres parce que les règles disent de le faire à chaque fois que l'histoire avance. une bougie par session d'écriture me semble donc un minimum.
J'ai aussi été surpris par le résultat. Je n'avais pas imaginé que la Soeur Marie-des-Eaux tuerait le loup mais c'était dans l'enchaînement logique. Et du coup, j'ai amené une règle héritée d'Ecorce : quand on tue quelqu'un, on prend un choc mental (que j'ai décrit comme peu impactant tout simplement parce que la Soeur Marie des Eaux est coriace, mais aussi parce que dans ma tête, c'est l'équivalent de la Tueuse dans Ecorce ; le choc mental ne l'impacte pas.) et on a un flachebacque de la personne qu'on a tué. J'ai tiré sur l'Almanach et ça a amené cette histoire de bébé que j'ai reliée aux Soubise : très pratique parce que ça me surprend et en même temps je fais avancer ma deuxième intrigue.
J'ai prévu une prochaine journée assez pépère mais après il va y avoir de l'action et vu comment les jauges auront monté, ça va faire mal :)


Jauges communes :

Sainteté : 6
Bougies : 3
Chemin de Croix : 2


Feuilles de personnage

Deux Soeurs du Très-Saint-Sauveur (ordre chanoine, couvent à Saint-Dié)

Soeur Jacqueline

Vice :
+ La luxure

Vertu :
+ La prudence

Description physique et personnalité :
Cinquantaine, visage rond et couperosé par la bière de lichen, yeux un peu fixes. Bonne vivante. Assez affectée par l'oubli, n'a pas de souvenir d'avoir jamais quitté le couvent de Saint-Dié

Bref historique :
Il est possible qu'elle ait eu récemment une vie en dehors du couvent. Il est aussi possible qu'elle ait été cloîtrée pour contrer son penchant à la luxure, et qu'on l'ait incité à oublier son passé (onction à l'eau bénite d'oubli ?)

Mots-clefs :
- Soeur Exorciste
- Inspire la confiance
- Cuisinière
- Contemplative
- Intuitions

Lien avec autre PJ :
A sauvé la vie de Soeur Marie des Eaux mais ne s'en souvient pas. Aurait été sa formatrice ou sa compagne d'apprentissage en exorcisme ?

PNJ Favori :
Bernadette, la tenancière du Pont des Fées


Soeur Marie-des-Eaux

Vice :
La colère

Vertu :
La force

Description physique et personnalité :
Jeune, borgne (cache-oeil), cheveux courts, visage androgyne (tout le monde la genre au masculin). Un air de froide détermination. Paranoïaque et violente. A reçu une formation de mémographe et tient un registre de tous ses souvenirs (pattes de mouche)

Bref historique :
A connu une jeunesse très traumatique (elle a notamment aimé un horla, mais celui-ci est mort quand ils se sont embrassés, étonnement c'est la chose qui l'a marqué le plus alors qu'elle a été victime de choses plus violentes), au terme duquel elle a d'abord reçu une formation de mémographe puis de soeur exorciste. En guerre contre les figures du mal. Assez attachée au voeu de chasteté. Fascinée par le texte de l'Apocalypse.

Mots-Clefs :
- Soeur Exorciste
- Opinel
- Mémographe
- Combattante
- Âne

Lien avec autre PJ :
A sauvé la vie de Soeur Jacqueline, s'en rappelle mais ne veut pas lui remettre ça dans les dents. La naïveté de Soeur Jacqueline a failli leur coûter la vie en enfer.

PNJ favori :
Basile, le cordelier (ses cordes sont vecteurs d'égrégore, elles lui ont révélé la statue de Jésus)


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#4 31 Oct 2019 20:07

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : Dans le mufle des Vosges : un roman-feuilleton Millevaux

UN EXORCISME DANS LE POULAILLER

Où l'on en apprend plus sur les lunaires habitants du village, et sur les turpitudes morales de nos deux nonnes exorcistes.

Joué / écrit le 31/10/2019

Jeu principal utilisé : Les Exorcistes, de Batronoban et Trickytophe (auquel j’ai aussi pas mal contribué avec le texte de l’Apocalypse de Millevaux et tout le chapitre sur la résolution diceless)

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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normanack, cc-by, sur flickr

Contenu sensible : cruauté envers les animaux


Passage précédent :
2. La folie du cordelier


L'histoire :

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Black Goat of the Woods, par Black Moutain Transmitter, entre synthés à la Carpenter, musique de giallo et dark ambient, une promenade en forêt où la tension ne redescend jamais.

Une silhouette dans les ténèbres. La main et le visage fracturé.

La Soeur Marie-des-Eaux était tendu, l'Opinel en avant, à bout de nerfs, respirant à haute cadence.

C'était juste la statue du Jésus-Cuit que Basile avait abîmée et qui était remisée là depuis.

Le novice replia sa lame, mais il quitta le grenier avec le sentiment que quelque chose clochait.

Elles bénirent la maison des Thiébaud et firent quelques prières avec les parents, pour les rassurer. La mère Thiébaud tartina la Soeur Marie-des-Eaux de teinture d'iode, un genre de placebo pour gérer sa morsure de loup.

"Alors il est pas possédé par le démon, mon petit ?
- Non, non... Pourquoi ça s'appelle le Chaudron ici, demanda la Soeur Marie-des-Eaux
- Oh, c'est juste une histoire, d'une peute femme par là qui faisait des choses dans un chaudron. Le père, quequ'cétait-y d'l'histoire de la femme au chaudron ?
- Oh, division, je peux pas tout m'rappeler !
- Il faut toujours que tu passes ton temps à me raminer !
- Bobi, si Felix est rentré ?"


"Et que le Seigneur Vieux soit sur vous, et que sa volonté soit faite, en forêt comme au ciel, lui qui veille sur nous avec son fils Jésus-Cuit, et l'Esprit-Chou."

C'était à peine rentrées au village que les deux soeurs durent se joindre à la messe de l'après-midi. L'abbé Houillon baptisait un nourrisson. Il rappela en chaire l'importance de baptiser les enfants au plus tôt pour ne pas qu'ils errent dans les forêts limbiques en cas de décès. Il en appela aussi à un rapide retour d'une nouvelle statue que le diocèse ne manquerait pas de faire parvenir, par l'entremise des deux chanoinesses qu'il présenta cordialement. Il y avait pas mal de monde, apparemment les voivrais étaient pieux, et les figures locales ne manquaient pas de se montrer, le maire Fréchin, la cuisinière Bernadette, l'oncle Mougeot à cancanner dans les rangs du fond. Mais pas de trace des Soubise.

"C'est drôle, leur confia l'abbé Houillon après la cérémonie, mais après toute cette affaire, on se sent mieux pendant l'office. Avant, j'étais exténué, en sueur, fatigué, et les ouailles pareilles. Comme si les prières nous tiraient des efforts surhumains. Et là aujourd'hui, je me sentais tout léger. C'est peut-être le changement de saison. Mais bon, c'est pas tout ça, je regrette que vous ayez été blessé, remettez vous vite et ensuite vous pourrez rentrer au calme à Saint-Dié, dans la montagne.
- J'ai envie de rendre visite aux Soubise, d'abord, répondit la Soeur Marie-des-Eaux."

La Soeur Jacqueline passa son tour. Elle insista d'ailleurs pour que son novice reste à se reposer, mais que voulez-vous, une tête de mûle pareille pourrait donner des leçons à Maurice.

La doyenne préféra traverser la grand-rue, direction l'Auberge du Pont des Fées proposer son aide pour le repas. C'est sur le chemin qu'elle croisa un étonnant cortège. Des marmots encordés qui descendaient le village, menés par un homme du même non-âge que la Soeur Jacqueline, le teint tanné, avec un drôle de chapeau et des yeux bridés. Comme la Jacqueline était accorte avec les gens, il s'entame vite une discussion ponctué par les chants et les plaintes des gamins pressés. L'homme s'appelait Champo et il conduisait les enfants entre leur maison et leur école, c'était là son métier au village. Difficile de savoir qui habite à un endroit depuis quand vu qu'on ne se souvenait de rien, mais - et quand bien même c'était peut-être lui le seul véritable autochtone - Champo ne faisait pas couleur locale.

"Vous voyez cette corde, il y a un noeud par enfant. Ils sont tous encordés et moi je tiens la corde, c'est le moyen le plus sûr de leur faire traverser la forêt pour le sentier de l'école. C'est la corde de vie. C'est Basile qui l'a faite. Je dis qu'il y a quelque chose de sa bienveillance dedans. Et on en a besoin. Parce qu'il y a pas que les renards enragés et les crevasses dans la forêt comme danger. Il y a les tulpas aussi.
- Les tulpas ?
- Oui, c'est dans ma religion. Ce sont des choses qui ont une apparence humaine. Elles sont fruits de nos pensées. "
En bout de cordée, il y avait un gamin au greugnot tout noir de saleté que les autres tenaient visiblement à l'écart, et qui inspirait un mélange de dégoût et de pitié. C'était le plus jeune des Soubise.

C'est autour d'une tartine de fromage de tête - en profitant de l'absence de la Soeur Marie-des-Eaux - que le trouble de la Soeur Jacqueline s'accrut. Comme si aux Voivres on en savait plus long que dans le catéchisme. Alors qu'elle savourait la terrine constituée de morceaux de tête de porc, la Bernadette lui avoua :
" Vos exorcismes, je crois pas que ça soit utile à plus qu'à rassurer les gens un temps.
- Pourtant, c'est que le diocèse nous a enseigné. Quand la médecine est incompétente, c'est qu'il faut pratiquer un exorcisme.
- Le truc, c'est que c'est pas le Diable qui est derrière tout ça. C'est autre chose. Mais on vous apprend pas ça dans vos livres. Dans le Petit Albert, par contre, il y a les réponses, pour sûr."

On ouvrit la mirabelle offerte par le Père Thiébaud. Elle était vraiment forte, c'était pas loin de l'alcool pur. On trinqua à la sécurité des habitants des Voivres, et la Soeur Jacqueline avait un beau sourire.


"Vous voyez, ici je suis une esclave."

Madeleine Soubise avait d'abord été très réticente à ouvrir les portes de sa ferme à l'ecclésiastique. Mais la Soeur Marie-des-Eaux dégageait une telle aura de souffrance qu'elle finit par se reconnaître en elle, et la concevoir comme une alliée qui vivait des affres comparables. La cuisine où elle lui avait servi une chicorée trop épaisse était d'un grand dénuement. Sol de terre battue, papier peint déchiré, un gros poele qui occupait toute la place, et deux chiens pelés qui occupaient le reste. L'intérieur sentait fort la vache et pour cause, Madeleine Soubise sentait la vache et l'étable était juste derrière la porte, d'ailleurs quand la Soeur Marie-des-Eaux demanda les commodités, elle lui indiqua cette porte : on faisait directement dans le fumier. La fermière portait manteau même en intérieur, elle transpirait. Elle avait la peau toute rouge là où elle n'était pas couverte de croûtes sourdant du pus : un eczéma que la pingrerie des Soubise interdisait de soigner.

Tout le paradoxe des Soubise était là. De l'aveu de Madeleine, la ferme sortait des cochons gros comme des mammouths, mais tout le reste était à vau-l'eau. La Soeur Marie-des-Eaux n'avait croisé que des vaches maigres jusqu'à l'os au milieu d'un péteuillot qui constituait toutes les terres des Soubise. Pour tout dire, il avait failli louper la ferme, le bâtiment était en ruine, entièrement recouvert de lierre et des arbres en ressortaient. Mais il y avait des sous dans la caisse. Une gôyotte qui ne servait jamais, puisque les Soubise n'achetaient rien et se refusaient tout confort.

"Je peux voir vos cochons ?
- Pour sûr non, il faut pas les déranger, si je vous les montrais, je me ferais sacrément houspiller."
On aurait dit qu'elle parlait du Père Fouettard plutôt que de parler de son mari.
La Soeur Marie-des-Eaux ne put voir aucun des membres de la famille des Soubise.
"Vous attendiez un enfant récemment ?
- Non, non, pas du tout !"

Le soir venu, la Bernadette lui confirma que c'était impossible à vérifier, attendu que Madeleine Soubise ne se montrait jamais, et que son entrevue avec le novice avait tout d'un événement exceptionnel.

Le novice s'était senti épié à son départ de la ferme. Par quelqu'un, ou par quelque être.

La convalescence lui servit d'excuse au novice pour refuser de manger plus qu'une ou deux patates, et la Soeur Jacqueline se fit encore taper sur les doigts quand elle voulût accepter du pâté lorrain, la bonne tourte à la viande de porc marinée dans du vin rouge. Les hommes prisaient de la fougère séchée, et Fréchin paya une tournée générale de sirop de bourgeons de sapin, qui ravit le palais privé de viande de la Soeur Jacqueline.

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Malkhut, par Dédale(s), un bourbier de dark ambient bruitiste et texturé, qui s'enfonce dans des territoires de plus en plus ténébreux, humides, caverneux, utérins, vers un abandon de soi et une transe horla habitées de gargouillis, de grognements et de chauves-souris toutes de malignité tressées.

Alors ce fut la chambre, et encore des cordes de bougie passées à griffonner dans le carnet. Ensuite la Soeur Marie-des-Eaux rabacha des extraits de prière d'exorcisme :

"Cessa decipere humanas creaturas, eisque æternæ perditionis venenum propinare : desine
Ecclesiæ nocere et ejus libertati laqueos injicere. Vade satana, inventor et magister omnis
falIaciæ, hostis humanæ salutis."

C'était des prières à retenir par coeur et à ne surtout pas tourner en latin de cuisine ; aussi le novice avait raison de les réciter tous les soirs, et la Soeur Jacqueline lui emboîta le pas bien que la tête tournée par les excès de bonne chère de la journée.

Mais ensuite, la Soeur Marie-des-Eaux poussait le zèle à réciter des fragments de L'Apocalypse, un texte apocryphe, et à mesure que la bougie faiblissait, sa voix se faisait de plus en plus cassée et haletante, les flammes rendaient son visage spectral :

"Et l'Homme qui survivra à la chute, son esprit chutera encore à l'intérieur de lui-même. Sa mémoire comme une Babylone spirituelle s'effondrera sous le poids de sa démesure. Il oubliera tout ce qui lui était cher, l'odeur de l'amandier et le rire de son enfant, mais il oubliera aussi ses péchés.

Car après la chute, la colère de Dieu n'aura de cesse que de tourmenter les survivants, pour qu'ils vivent dans la crainte de son Nom. Cette colère sera l'amoncellement, comme une tourbe primordiale, de tout ce que les Hommes ont oublié de vertueux et de vicieux. Et ce limon spirituel grossira des craintes divines et vénielles des Hommes, et de toutes leurs pensées, qu'elles soient des prières ou des péchés de tentation ou d'intention. Comme le Nil qui s'enfle de tous ces alluvions, grande sera la colère de Dieu et elle s'incarnera dans mille fléaux, elle les gonflera de son limon. Ainsi, chacun verra la forêt et ses êtres se peupler de ses hantises les plus intimes, porteuses du souffle punitif du Très-Haut ; ainsi chaque homme et chaque femme souffrira dans son propre enfer, créé par Dieu à son image pour le mettre à l'épreuve et le punir du péché d'orgueil des générations précédentes, et du péché d'ensauvagement des générations futures."


La Soeur Jacqueline se réveilla au milieu de la nuit, dans les odeurs doucâtres de la fumée de bougie. Le corps de son novice bruissait comme du bois mort.

La doyenne était en nage, envahie d'un sentiment qu'elle ne pouvait définir, le ventre lourd et chaud. Sans doute à passer du temps à causer avec elle dans la journée, elle avait rêvé de la Bernadette. Elle était avec elle sur un radeau qui dérivait au fil de l'eau entre les arbres et...

Elle avait fait un rêve érotique.

Elle tourna et se retourna dans sa couche, et comme pour chasser son émoi, mais presque à contrecoeur au vu de la phrase enquiquinante qu'elle réinvoquait, elle se repasse les dernières paroles de Soeur Marie-des-Eaux émises en guise de bonne nuit :
"Demain, nous irons exorciser Basile."

Elles mirent un temps fou à pouvoir l'annoncer à la Mère Thiébaud car quand elles retournèrent chez elle, elle était en train d'éviscérer un poulet, et l'odeur de la tripaille, prenante, et la vue des entrailles étalées sur la toile cirée avaient bloqué les soeurs un temps, sans parler des bonnes manières, et vous prendrez bien une chicorée, qu'elle fit réchauffer dans la casserole sans se laver les mains, la même chicorée qui se faisait réchauffer dix fois avant d'être finie. Elle avait les ongles des pouces longs et noirs.

La mère Thiébaud ne fut pas du tout rassurée par ce revirement de position, et elle pleurnichait tout en aidant à porter les seaux d'eau bénite vers le poulailler : "Mon petit il est pas possédé par le Malin, c'est sûr, il est bien trop innocent pour ça...
- Si c'est le cas, alors il n'a rien à craindre. Ce n'est qu'une procédure de sécurité."

Le Père Thiébaud traînait à la suite, les mains croisées derrière le dos, et raminait : "Oh l'travail, oh l'travail..."

Champo les avait accompagnées, il semblait clair qu'elles avaient besoin d'un guide pour se rendre à nouveau au Chaudron vu les péripéties de la veille. Il les avait encordées comme des enfants mais elles n'avaient pas bronché. Maintenant, il se tenait sous le poulailler, ce n'était pas son rôle de les suivre là-haut.

"Ne t'inquiète pas Basile, ça va bien aller, dit la Soeur Marie-des-Eaux en lui tenant le visage, essayant de lui transmettre au-delà des mots l'affection qu'il avait à son égard et qu'il ne prodigait pas vraiment aux autres membres de l'humanité.

La Soeur Jacqueline avait allumé six bougies autour d'eux, et elle priait à voix basse, tentant de calmer l'atmosphère. L'odeur d'ammoniaque était peu supportable et les poules qui caquetaient en bas rompaient le sacré.

Basile tremblait de peur, il ne comprenait pas ce qu'on lui voulait. Et quand la Soeur Marie-des-Eaux annonna les premières paroles en latin d'une voix forte et tendue, il ne put retenir un long cri désarticulé :

"Deus cœli, Deus terræ, Deus Angelorum, Deus Archangelorum, Deus Patriarcharum, Deus
Prophe-tarum, Deus Apostolorum, Deus Martyrum, Deus Confessorum, Deus Virginum,
Deus qui potestatem habes donare vitam post mortem, requiem post laborem ; quia non est
Deus præter te, nec esse posset esse nisi tu creator omnium visibilium et invisibilium, cujus
regni non erit finis : humiliter majestati gloriæ tuæ supplicamus, ut ab omni infernalium
spirituum potestate, laqueo, deceptione et nequitia nos potenter liberare, et incolumes
custodire digneris."

Et il cachait son visage dans ses mains quand le novice brandissait la croix. Il se pissait dessus.

Il attrappa un bout de ficelle auquel il avait des noeuds, un chapelet d'amateur, et il égrénait les prières qu'il connaissait.

"Notre Vieux qui êtes aux cieux,
que ton nom soit plantifié,
que ton peigne vienne,
que ta volonté soit faite dans la forêt comme au ciel..."

La charpente du poulailler craquait comme un navire en perdition.

Maintenant c'était le moment le plus désagréable, et la Soeur Jacqueline se dévoua pour ouvrir le bal.

Il fallait pleurer, alors elle se frotta le visage avec de l'oignon, elle savait que les larmes sincères viendraient plus tard, bien assez tôt. Les yeux injectés de sang, elle se confessa :

"Notre vieux, je confesse le péché de lexure par pensée.
J'ai convoité une personne, j'ai convoité la cuisinière."

La Soeur Marie-des-Eaux se tourna vers elle avec un visage tordu par la désapprobation. Cela n'était pas du tout correct de sa part de la manifester, mais le novice n'avait aucune notion des conventions.

"Que vas-tu mettre en oeuvre pour expier ton péché ?, demanda-t-il. C'était la requête rituelle.
- Nous irons dormir au presbytère, je ne lui adresserai plus la parole et je ferai pénitence."

La Soeur Jacqueline se redressa. Les larmes sincères étaient venues bien rapidement. Elle pris le relais du novice pour brandir le crucifix vers Basile et prêcher en latin :

"Per Christum Dominum nostrum. Amen.
Ab insidiis diaboli,
Libera nos Domine."

C'était au tour de la Soeur Marie-des-Eaux de morfler :
"Notre vieux, je confesse le péché de colère par intention. J'ai envie de frapper plusieurs personnes aux Voivres, de planter mon Opinel dans leurs chairs. J'ai envie qu'ils souffrent comme ils font souffrir et qu'ils meurent comme ils tuent. Pardonnez-moi mon vieux de vouloir me substituer à votre sainte justice."

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Frjee feather EP, par Forest Swords, un post-rock dub psyché et mazouté à souhait !

"Que vas-tu mettre en oeuvre pour expier ton péché ?
- Je vais m'infliger ce que je voulais leur infliger." Et lentement, le bras empesé par son pansement, il ouvrit sa robe pour se larder la poitrine. La Soeur Jacqueline eut le temps de lui retirer la lame, pesant de tout son corps, avant qu'il n'ait pu s'entailler vraiment sérieusement, mais déjà il y avait du sang partout.

Il régnait une atmosphère de folie furieuse, entre le sang, l'ammoniaque, les gémissements de Basile, la sueur. A la lueur des bougies, l'air était comme tordu, une manifestation commune lors des exorcismes mais qui semblait prendre ici une ampleur inhabituelle et nouait le ventre.

Basile était résorbé en position foetale, et les soeurs s'écroulèrent sur lui, fourbu.

Comme à chaque fois, il n'y avait pas eu de démon à exorciser. Basile était juste ce qu'il était, un simple d'esprit, influençable, qui avait commis une bêtise sous l'emprise de la boisson, et elles venaient de mettre en grand péril ce qu'il lui restait de santé mentale, juste pour vérifier un soupçon.

A leur sortir, Champo les regarda avec l'air attéré d'un témoin impuissant. On avait fait du mal à son ami, et c'est en se sentant bien merdeuses qu'elle réempoignèrent la cordée pour retourner aux Voivres.

Le sherpa se garda d'émettre un jugement, il fit même mine d'être jovial sur le trajet du retour, au milieu des sapins huileux qui bavaient sur le sentier, et derrière le rideau de ténèbres qui cachait des choses hostiles.

En revanche, il ne fit aucun commentaire, à part ce mot, à l'arrivée :
"Vous savez, les tulpas ne sont pas tous néfastes. Certains sont de bon conseil et essayent de nous prévenir du danger des autres."

Elles le quittèrent pour se rendre à l'office du soir, elles étaient à moitié cassées mais elles ne pouvaient se dérober à leur devoir et elles avaient besoin de la communion pour se laver de ce qui était advenu.

La Soeur Jacqueline évita le regard de la Bernadette, à contre-coeur.

La Soeur Marie-des-Eaux refusa les soins que la cuisinière lui offrait, par solidarité avec la doyenne, qui se chargea, du coup, d'examiner les chairs meurtries du novice, dans la chambre, à la lueur de la bougie, alors qu'il griffonnait les mésaventures de la journée dans son fichu carnet.

La Soeur Jacqueline frissonnait d'émotions contraires à voir Soeur Marie-des-Eaux torse nu, corps grêle et noué de cicatrices comme autant de chemins de vie, palpitant de jeunesse et de colère.

Il y aurait supplément de Pater et d'Ave à murmurer durant la nuit.

"La Soeur Jacqueline, Champo vous a-t-il expliqué ce que c'était des tulpas ?"

Et c'est au coeur de la nuit qu'un cri du novice réveilla la doyenne, et peut-être tout l'étage avec :

"Cette histoire de tulpa, c'est la clé ! On a fait fausse route depuis le début !
- Qu'est-ce que vous racontez ?
- Demain, on retourne au Chaudron."


Lexique :

raminer : critiquer, disputer
Division ! : juron
péteuillot : zone de gadoue
gôyotte : cagnotte, fortune cachée
greugnot : visage, bouche



Jauges communes :

Sainteté : 5
Bougies : 5
Chemin de Croix : 1


Bilan :

J'ai utilisé une aide de jeu intitulée Session Zéro, pour étoffer le passé de mes deux personnages principaux. Session Zero est un jeu de rôle créé par Meghan Cross, traduit par Axel Roll et
publié gratuitement avec l’aimable autorisation de Meghan Cross.
Relecteurs : Angela Quidam, Gaël Sacré, Matthieu Braboszcz
Le jeu implique de tirer 5 cartes par personnage, mais je n'en ai tiré que 3, pour ne pas alourdir. Je ne sais pas encore à quel point je vais exploiter ça, mais vous pouvez retrouver les trois souvenirs (oubliés) de chaque nonne dans les deux feuilles de personnage.
J'ai atteint une fois trois croix et j'ai donc considéré que les nonnes étaient désormais sous la surveillance des Soubise.
J'ai fait deux trois tirages de l'Almanach, mais pas de Muses & Oracles.
La prochaine session va nous faire arriver à un pinacle de l'économie de jeu des Exorcistes, et ça va permettre de clôturer après le climax de chapitre que j'avais envisagé...


Feuilles de personnage :

Deux Soeurs du Très-Saint-Sauveur (ordre chanoine, couvent à Saint-Dié)

Soeur Jacqueline

Vice :
+ La luxure

Vertu :
+ La prudence

Description physique et personnalité :
Cinquantaine, visage rond et couperosé par la bière de lichen, yeux un peu fixes. Bonne vivante. Assez affectée par l'oubli, n'a pas de souvenir d'avoir jamais quitté le couvent de Saint-Dié

Bref historique :
Il est possible qu'elle ait eu récemment une vie en dehors du couvent. Il est aussi possible qu'elle ait été cloîtrée pour contrer son penchant à la luxure, et qu'on l'ait incité à oublier son passé (onction à l'eau bénite d'oubli ?)

Mots-clefs :
- Soeur Exorciste
- Inspire la confiance
- Cuisinière
- Contemplative
- Intuitions

Lien avec autre PJ :
A sauvé la vie de Soeur Marie des Eaux mais ne s'en souvient pas. Aurait été sa formatrice ou sa compagne d'apprentissage en exorcisme ?

PNJ Favori :
Bernadette, la tenancière du Pont des Fées


Passé oublié (tiré avec Session Zéro) :

Personne n’est parfait. Quel est le plus gros mensonge que vous ayez jamais énoncé ? À qui
l’avez-vous révélé ? Pourquoi avoir menti ?
J'étais la servante d'une Mère Truie. Je l'ai révélé (sous la torture) à l'archevêque de Saint-Dié. J'ai menti parce que j'étais infiltrée chez les chanoinesses, mais l'archevêque m'a sauvée de l'emprise de la Mère Truie et m'a accordé l'eau d'oubli.

Les anniversaires sont toujours prétextes à de grandes fêtes. Décrivez votre anniversaire le
plus mémorable. De quel anniversaire s’agissait-il ? Qu’est-ce qui l’a rendu si mémorable ?
C'est l'anniversaire de mon entrée au couvent. Il est mémorable parce que j'ai vraiment le droit de manger beaucoup à ce moment et parce que personne n'évoque jamais la date exacte de mon entrée.

Un amour passé fait toujours partie de votre vie. Depuis quand étiez-vous amoureuse ?
Qu’aimiez-vous le plus chez cette personne ? Comment votre histoire s’est-elle terminée ?
J'ai été amoureuse d'une batelière qui menait les pélérinages vers la fontaine d'oubli. J'aimais la langueur de cette personne. L'histoire s'est terminée quand j'ai dû boire l'eau d'oubli.

Soeur Marie-des-Eaux

Vice :
La colère

Vertu :
La force

Description physique et personnalité :
Jeune, borgne (cache-oeil), cheveux courts, visage androgyne (tout le monde la genre au masculin). Un air de froide détermination. Paranoïaque et violente. A reçu une formation de mémographe et tient un registre de tous ses souvenirs (pattes de mouche)

Bref historique :
A connu une jeunesse très traumatique (elle a notamment aimé un horla, mais celui-ci est mort quand ils se sont embrassés, étonnement c'est la chose qui l'a marqué le plus alors qu'elle a été victime de choses plus violentes), au terme duquel elle a d'abord reçu une formation de mémographe puis de soeur exorciste. En guerre contre les figures du mal. Assez attachée au voeu de chasteté. Fascinée par le texte de l'Apocalypse.

Mots-Clefs :
- Soeur Exorciste
- Opinel
- Mémographe
- Combattante
- Âne

Lien avec autre PJ :
A sauvé la vie de Soeur Jacqueline, s'en rappelle mais ne veut pas lui remettre ça dans les dents. La naïveté de Soeur Jacqueline a failli leur coûter la vie en enfer.

PNJ favori :
Basile, le cordelier (ses cordes sont vecteurs d'égrégore, elles lui ont révélé la statue de Jésus)

Passé oublié (tiré avec Session Zéro)

Il y a quelqu'un de spécial à qui vous avez ouvert votre cœur. Décrivez votre premier amour :
Était-ce réciproque ? Qu’est-ce que vous aimiez le plus chez cette personne ?
Je pense que c'était réciproque. C'était un être de cicatrices et de souffrance, alors il me comprenait sans parler, c'est ça que j'aimais le plus chez lui. Notre amour était réciproque et c'est ça qui l'a perdu, il est tombé en miettes quand je l'ai embrassé.

Un son particulier vous fait toujours sourire. De quel son s’agit-il ? Comment est-ce devenu
un son rassurant pour vous ? L’entendez-vous encore maintenant que vous avez commencé à
voyager ?
C'est le son de l'eau courante. Cela évoque la vie et la pureté qui continuent à se trouver un chemin, malgré tout. Je ne l'ai pas beaucoup entendu durant mon périple, aussi je m'intéresse à découvrir où sont les ruisseaux aux Voivres, on m'a parlé des Forges Quenot.

Vous aviez un compagnon fidèle en grandissant. Décrivez l’animal qui a accompagné votre
enfance. Comment est-il devenu votre compagnon ? Est-il toujours votre animal ?
C'était un lapin dodu et je l'emmenais partout avec moi. Mais un jour, on m'a fait manger du civet et j'ai appris que c'était mon lapin. C'est le dernier souvenir que j'ai de mes parents.


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#5 06 Nov 2019 07:31

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : Dans le mufle des Vosges : un roman-feuilleton Millevaux

PURIFICATION

La violence monte au village et la légitimité des exorcistes est remise en cause.

Joué / écrit le 05/11/2019

Jeu principal utilisé : Les Exorcistes, de Batronoban et Trickytophe (auquel j’ai aussi pas mal contribué avec le texte de l’Apocalypse de Millevaux et tout le chapitre sur la résolution diceless)

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux


Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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Timothy Vogel, cc-by-nc, sur flickr

Contenu sensible : cruauté envers les animaux, suicide, infanticide


Passage précédent :

3. Un exorcisme dans le poulailler


L’histoire :

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A Night in the Woods, par Dino Van Bedt, post-americana sans paroles, avec drone et field recordings, une traversée séminale et ténébreuse de la forêt de Millevaux. Composé spécialement pour Millevaux !

La lumière de la presqu'aube, filtrée par les ramures des arbres, vient effleurer le visage du novice, et avec ses rais et les cris des corbeaux vint le cortège des souffrances et des rhumatismes qui lui rappellent qu'il est vivant et le tirent du sommeil. Machinalement, il effleure sa plaie des doigts. Sans y réfléchir, il avait planté son Opinel dans le sillon d'une ancienne blessure, et l'avoir rouvert avait sorti un souvenir traumatique des tréfonds où il dormait.

Belle, dans le sang de la révolte.
Blanche, dans le chaos de la guerre.
Seule
Parmi les chapelles, les arbres, les morts...
La Madone à la kalach

Alors qu'il était plus jeune, la Soeur Marie-des-Eaux l'avait suivie. Elle avait cru en elle, elle avait cru qu'en prenant les armes on ferait tomber les maires et les curés et les gendarmes, et que tout le monde serait libre, et qu'il serait enfin libre, pas seulement physiquement, mais mentalement. Et les voilà qui entrent dans le diocèse, les armes à la main, juste la Madone et les sauvageons qui la suivaient, et Marie-des-Eaux se fait planter une baillonnette dans le thorax, et la Madone tombe sous ses yeux, le sang de la Madone macule son visage et ses mains, Marie-des-Eaux crie et les gendarmes et les curetons le clouent au sol...

La Soeur Marie-des-Eaux s'écroule de son lit, dans un bruit si fort qu'il tire du sommeil la Soeur Jacqueline, pourtant si peu matinale.

Alors, elle sort aussi du lit et s'emploie, à contrecoeur, à rassembler son bâluchon.

La Soeur Marie-des-Eaux met un temps infini à se redresse, perclus qu'il est de ses douleurs anciennes comme récentes, et complètement chamboulé à la suite de ce flachebacque. Pourtant, il ne désirait rien moins que de se souvenir, c'est ancré dans ses gènes de mémographe. Mais avait-il pourtant envie de revivre de telles choses ? A quel point son engagement sacerdotal était-il sincère ou le fruit d'une aliénation ? Fallait-il creuser encore davantage dans cette direction où viser au déni qui permettait à une Soeur Jacqueline de vivre sereinement ?

"Nous devons faire preuve de plus d'humilité et donc nous priver de votre hospitalité, Bernadette. Croyez bien que j'en suis navrée."

La Soeur Jacqueline avait la voix tremblante et rougissait au point d'occulter sa couperose.

"Je ne m'en fait pas, conclut la Bernadette en lui tendant une réserve de beignets de pommes de terre dans un torchon huileux. Je sais que vous reviendrez."

La Soeur Jacqueline décampa pour échapper à son sourire.

Mais la Soeur Marie-des-Eaux s'était attardé dans le bar. Dès l'ouverture, Vauthier était là pour la première tournée de schnaps. L'ivrogne local semblait être le seul à partager avec Champo la passion pour les vêtements de couleur jaune, encore que les sessions étaient mouchetés et ravaudés de diverses façons. Il était tout ratatiné autour de son sourire et de sa moustache, on avait envie de faire copain avec lui. On avait envie de lui payer un coup, et c'était bien là le projet de Vauthier dont la langue se délia dès lors que le novice se sépara d'un caps pour lui payer le prochain verre.

"C'est vrai qu'on a fait boire Basile. Il nous faisait de la peine, tout dégingandé à vendre ses cordes au village. On a voulu le dérider.
- Qui ça, "on" ?
- Ben, moi pis surtout ceux qui avaient le moyen de payer des coups : le fils Fréchin et le fils Domange.
- On peut leur parler ?
- Pour sûr. Mais Fréchin, c'est le fils du maire, alors son père a comme qui dirait mis de la graisse sur la charrue, pour qu'on bwâle pas trop dans le village. Il a fait pression pour que les Thiébaud rachètent le Jésus Cuit et enferment leur fils, et il a payé un tonneau de bière de lichen au père Houillon pour qu'il en fasse pas toute une histoire. Mais depuis, le fils Fréchin y parle pas de cette histoire et il s'est même pas repointé au bistrot.
- Et le fils Domange ?
- Oui, vous pouvez allez le voir, mais gaffe c'est un caractériel. Je lui laisse me payer des coups mais j'pense quand même qu'il a été fini à la pisse d'âne. Vous buvez pas un canon ?
- Non. Ce schnaps que vous buvez là, c'est une liqueur d'oubli. Je tiens au peu qui me reste.
- Vous avez tort. L'oubli, c'est une bénédiction. Je ne suis plus fâché avec personne, je fais tous les jours de nouvelles rencontres et j’ai n’ai plus le fardeau d’une épouse. Moi, l'oubli, je trinque à sa santé, vindiou !"

La Soeur Jacqueline fit quelques allers et retours entre le presbytère et des maisons où les vieux avaient besoin de soins et de prières. Elle n'arrivait pas à se défaire de l'idée qu'on l'observait derrière le couvert du feuillage. Pourquoi fallait-il que la forêt soit ainsi collée au cul des maisons !

C'est dans une des quelques friches où on avait pu couper les ronces et mener des bêtes que la Soeur Marie-des-Eaux trouva le fils Domange. Il était petit et tanné, avec des yeux de fouine et une odeur entre celle du biscuit et du fumier. Il voulait faire rentrer une vache à l'étable, et la bête avait dû trouver une paquerette à déguster, parce qu'elle voulait pas avancer. Le fils Domange l'agonit de vindiou et de vinrat et de coups de pieds, mais comme la bête avançait encore pas assez à son idée, il se saisit de sa fourche, les piques pointées sur elle.

Cela activait une sorte de pilote automatique chez la Soeur Marie des Hauts, qui fonça à travers les hautes herbes, sans plus vraiment rien voir de ce qui se passait, juste une bouillie de rayons et de branchages. Mais il souffrait de deux blessures graves sans convalescence, et il trébucha et se ramassa dans les bouses à deux mètres du fils de paysan, quand ce dernier planta la fourche dans la panse de la vache. Elle pousse un beuglement aussi court qu'incongru, et s'écroula dans l'herbe comme un navire qu'on saborde. Elle pissait le sang par la panse, et elle rendit l'âme la tête dans les bras de la Soeur Marie-des-Eaux, elle la regardait avec des grands yeux aux cils garnis de mouches, et visiblement elle voulait lui communiquer quelque chose, mais cette tentative fut victime de l'éternelle tragédie du langage entre les hommes et les bêtes, et elle creva comme ça sans avoir rendu son message.

Le fils Fréchin se tenait debout, les bras ballants. "Vindiou, le père va me tuer."

La Soeur Marie-des-Eaux était un genoux à terre, dans un état lamentable, son bras bandé tout raide tenant son Opinel.

"Il aura pas besoin."

Il le plaqua contre un arbre et lui coinça son schlass juste en dessous de la bite.

Sous le coup de la colère, la plaie à la poitrine du novice se rouvrit. Le fils Domange voyait un nuage de sang couvrir sa robe et comprenait plus rien. Il ne dut son salut qu'à la réouverture de sa blessure, qui rappela à la Soeur Marie-des-Eaux son voeu de non-violence de la veille.

"Petit merdeux, tu vas me dire tout de suite tout ce que tu sais sur la fois où vous avez fait boire le Basile.
- Pitié, monsieur, on voulait juste s'amuser ! Plus on lui payait des canons, plus il nous parlait des voix qui y'avait dans sa tête. Et pis ils nous disaient qu'elles voulaient le protéger, et ceux du village. Qu'y avait un problème avec la statue du Jésus-Cuit. Et puis quand il a été bien foingé, il s'est levé, il est sorti et pis il a pris une longue bûche dans le tas de bois de l'Auberge et il est allé à l'église.
- Tu m'feras un Notre Vieux et deux Je vous salue Marie." Et de conclure en lui pétant le nez d'un seul coup de poing. Elle entendit parfaitement le shroc de la cloison défoncée et ses jointures lui firent un mal de chien pendant un sacré moment.

ça lui rappelait son geste avec plus de délice que n'importe lequel de ses gribouillis mémographiques ne l'aurait fait.

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A Given to the Rising, par Neurosis, du post-hardcore sludge et massif, le plus forestier des albums de Neurosis, une chasse morbide vers le secret de l'existence.

"Je vous salue Marie, vous êtes bénie entre toutes les femmes,
et Jésus-Cuit le fruit de vos tripailles est béni"

Tout le monde se retourna quand la Soeur Marie-des-Eaux arriva en retard à la messe. Impossible de faire une entrée discrète avec les lourds panneaux de fer et de bois. A voir la gueule que tira le père Houillon, il savait que ça allait quimper dur sur sa couenne.

Il se traîna vers un banc du fond, derrière un pilier, comme si son espoir de disparaître pût être exaucé.

"Soeur Marie-des-Eaux, nous avons à te parler."

Il y a des phrases comme celles-là qui font leur chemin à travers les broussailles de l'oubli et nous ramènent comme l'odeur écoeurante des souvenirs de merde et des surprises pourries.

ça faisait d'autant plus mal que l'abbé Houillon n'était pas seul à se tenir là dans ce presbytère. La Soeur Jacqueline le flanquait en hochant la tête d'approbation. Le novice lui décocha le regard qu'on réserve aux traîtres, mais la Jacqueline était trop rassurée par la présence du père Houillon pour se sentir dans son tort.

"Ecoutez, je suis reconnaissant au Diocèse de vous avoir envoyées toutes les deux, et vous lui transmettrez ma gratitude. Mais je ne pense pas que l'archevêque approuverait votre attitude. Le diocèse ne pratique l'exorcisme que sur demande, et personne ne vous a rien demandé. Et surtout pas de vous bagarrer comme un chiffonnier avec mes ouailles. Je pensais vous demander de rester encore vous reposer, mais c'est allé trop loin. Rentrez à Saint-Dié maintenant."

Il était de plus en plus écarlate. Malgré son bouillonnement intérieur, la Soeur Marie-des-Eaux se retint de répondre, ça n'aurait fait qu'empirer les choses.

"Ma Soeur, ajouta la Soeur Jacqueline, je pense que tu dépasses les bornes de notre mission apostolique. Il faut revenir à la raison.
- Les bornes de notre mission ?, éclata le novice, C'est toi qui dépasses les bornes ! Tout ce que tu veux, c'est pouvoir poser ton cul alors que des diableries sont à l'oeuvre !
- Il suffit !, éclata le prêtre. Vous faites vos bagages et vous partez ! Mais avant, Soeur Marie-des-Eaux, j'exigerai de vous entendre en confession !"
La Soeur Marie-des-Eaux lui claqua la porte au nez.
"Allez au diable, si c'est ce que vous voulez !"

Il ne se fit pas prier pour reprendre le chemin avec Maurice. Pas question de traîner et de faner l'haleine du prêtre dans le confessionnal. La Soeur Jacqueline suivait derrière. Elle n'avait pas osé dire au revoir à la cuisinière, alors elle mangeait un beignet de patates pour se souvenir d'elle.

Champo les croisa avec sa corde. Il tirait une tête de six pieds de longs.
"Vous savez pas ?
- Quoi, on sait pas ?
- Ben, Basile.
- Quoi, Basile ?
- Il s'est pendu dans le poulailler.
- Comment ça ?
- Si c'est pas possible, finit Champo entre deux sanglots, égrainant les noeuds de sa corde de sherpa. Basile le disait souvent. La corde de vie... (il montrait les noeuds qui servaient à encorder les enfants) La corde de mort..."
Il montrait l'extrêmité de la corde, nouée pour former une massue. Bien maniée en la faisant tournoyer au dessus-de sa tête, une telle arme aurait pu assomer un ours.


Les deux soeurs avaient suivi les indications de Champo pour trouver le ruisseau de la Forge Quenot, au milieu de la forêt après l'Etang Lallemand. Les cabanes de chasse étaient abandonnées, trônant comme des miradors d'une autre époque. Il y avait un fatras d'orties et de sous-bois qui faisait de l'endroit un secret bien gardé. Elles passèrent entre des roches plates néolithiques que les voivrais évitaient soigneusement comme des vestiges païens qu'elles étaient. Mais la roche la plus impressionnante, avec une large cupule évasée, indéniablement une stèle de féminité, portait des empierrements tous frais. Les cultes druidiques existaient donc bien aux Voivres, à l'abri des regards.

C'est le ruisseau des Forges Quenot que les soeurs avaient demandé à voir.

Le temps était venu pour la désobéïssance et l'action, et pour cela il fallait d'abord bénir les eaux et se purifier.

Penchée sur le ruisseau et craignant d'y chuter, la Soeur Jacqueline se retenait à des arbustes d'une main et faisait ses ablutions de l'autre. Mais la Soeur Marie-des-Eaux se dénuda et y plongea entièrement, la morsure de l'eau glacée lui rappela qu'elle était vivante, et la lava de ses souvenirs les plus malsains.

La Soeur Jacqueline était statufiée devant ce corps noueux et marqué de cicatrices en rangs aussi serrés que les pattes de mouche sur le carnet de mémographe. Elle sentait qu'elle avait chaud et elle ne comprenait pas trop pourquoi.


C'est ce moment là que choisit le mal pour attaquer, et le fait qu'elles avaient consacré le lieu n'y changea rien.

D'abord le vent trembla comme une feuille, puis ce fut une véritable bourrasque, un vortex de racines qui s'emparèrent d'elles et les traînèrent dans le plus hideux des cauchemars, et ni la pugnacité du novice ni la foi de la doyenne ne furent de taille à résister.

"je vous aime tous,
mais, je vous en prie,
sauvez mon enfant !"

C'est d'abord cette voix grognante qui leur parvient à travers le diaphragme des mondes qui se collisionnent. Elles sont complètement sonnées, elles sentent dans leur crâne même, comme si il y avait un problème d'osmose, qu'elles ne sont plus dans le même monde. Quant à savoir si elles sont dans un rêve, dans un souvenir, dans le futur ou dans je ne sais quelle foutue autre endroit des forêts limbiques, impossible à déterminer. C'est une salle souterraine dédiée à la chose médicale vu l'abondance de lits en fers-blancs. Il y a des grands piliers avec des arcs-boutants qui soutiennent des voûtes de pierres bourrées de racines, on est dans la crypte d'un château ou d'une cathédrale. De la brume suinte des pores du plancher jusqu'à leurs genoux. Sur un lit, une femme au corps sublime, le ventre tendu, est en plein travail.

Elle a une tête de cochon.

Et visiblement, vu qu'elles sont les seules et que leurs bras sont déjà maculés de sang, les soeurs sont responsables de l'accouchement.

ça se présente très mal. L'enfant est coincé. Il y a trop de sang. Sa tête est trop grosse. On entend des couinements.

Elles s'esquignent sur la patiente mais c'est très difficile. Soeur Marie-des-Eaux est trop nerveux pour manier le forceps, la Soeur Jacqueline s'en charge mais malgré ses efforts et sa douceur, l'enfant n'avance pas et elle a peur de trop déformer son étrange tête.

Une nouvelle fois, la mère supplie qu'on sauve son enfant.

La Soeur Marie-des-Eaux avise une scie.
"Il faut préserver la vie ! On doit sauver l'enfant, il n'est pas baptisé !"

Il pousse la Soeur Jacqueline, trop tard pour les forceps.

Mais la doyenne emploie toute sa volonté et met la Soeur Marie-des-Eaux au sol d'un seul coup de poing.

Avant que sa tête ne heurte le dallage et lui coupe les circuits de la consicence, le novice entend :

"T'as rien compris. C'est pas un enfant."

Et elle écrase sa tête entre les forceps jusqu'à ce que ça fasse schlorp.

Elle vient de sauver la mère.

Et les racines et les ronces de cette vision d'enfer les relâchent et elles se retrouvent dans l'eau, complètement hagardes


Bilan :

Peu d'aides de jeu sur cet épisode (un seul tirage de l'Almanach. je me rends compte d'ailleurs que je devrais privilégier mes autres aides de jeu, Oriente et Muses & Oracles, car les tirages de l'Almanach sont un peu trop denses en univers), mais en revanche, j'ai bien utilisé l'économie du jeu Les Exorcistes, et atteint 6 bougies ce qui m'a permis de jouer un moment-clé du jeu, une Réminiscence. Pour le coup, j'ai utilisé une Réminiscence du livre (la première de la liste), en millevalisant juste un peu le décor. Par le fait du hasard, j'ai eu à jouer cette Réminiscence dix minutes avant la fin de ma session d'écriture, ce qui correspond au chrono d'une Réminiscence, donc c'était rigolo de devoir respecter peu ou prou la limite de temps.

J'ai eu beaucoup de plaisir sur cette session d'écriture, on monte en tension, c'est chouette.

L'épisode s'est un peu écrit tout seul parce que j'avais accumulé une liste de scènes (choses que je fais quand je maîtrise en campagne) et je les ai juste ordonnées au début de la session et ça m'a fait un plan que j'ai suivi.

Je pense en avoir fini avec Les Exorcistes, j'ai exploité les aspects majeurs de l'économie, donc je pense que la prochaine session se fera avec un autre jeu. J'hésite entre Inflorenza, qui va beaucoup plus driver la narration et y injecter de l'aléatoire, ou L'Empreinte, si je veux mettre en scène une menace des Soubise qui se fait imminente. On plonge dans l'inconnu, car avec ces deux systèmes, je risque d'abîmer ou de tuer mes persos. Mais il faut prendre ce risque : le proverbe "rien n'est sacré" employé pour l'univers de Millevaux et certains jeux Millevaux doit tout autant s'appliquer à mon écriture romanesque.


Lexique :
vindiou, vinrat : jurons
bwâler, quimper : râler


Jauges communes à la fin de la session :

Sainteté : 6
Bougies : 0
Chemin de Croix : 2


Feuilles de personnage :

Deux Soeurs du Très-Saint-Sauveur (ordre chanoine, couvent à Saint-Dié)

Soeur Jacqueline

Vice :
+ La luxure

Vertu :
+ La prudence

Description physique et personnalité :
Cinquantaine, visage rond et couperosé par la bière de lichen, yeux un peu fixes. Bonne vivante. Assez affectée par l'oubli, n'a pas de souvenir d'avoir jamais quitté le couvent de Saint-Dié

Bref historique :
Il est possible qu'elle ait eu récemment une vie en dehors du couvent. Il est aussi possible qu'elle ait été cloîtrée pour contrer son penchant à la luxure, et qu'on l'ait incité à oublier son passé (onction à l'eau bénite d'oubli ?)

Mots-clefs :
- Soeur Exorciste
- Inspire la confiance
- Cuisinière
- Contemplative
- Intuitions

Lien avec autre PJ :
A sauvé la vie de Soeur Marie des Eaux mais ne s'en souvient pas. Aurait été sa formatrice ou sa compagne d'apprentissage en exorcisme ?

PNJ Favori :
Bernadette, la tenancière du Pont des Fées


Passé oublié (tiré avec Session Zéro) :

Personne n’est parfait. Quel est le plus gros mensonge que vous ayez jamais énoncé ? À qui
l’avez-vous révélé ? Pourquoi avoir menti ?
J'étais la servante d'une Mère Truie. Je l'ai révélé (sous la torture) à l'archevêque de Saint-Dié. J'ai menti parce que j'étais infiltrée chez les chanoinesses, mais l'archevêque m'a sauvée de l'emprise de la Mère Truie et m'a accordé l'eau d'oubli.

Les anniversaires sont toujours prétextes à de grandes fêtes. Décrivez votre anniversaire le
plus mémorable. De quel anniversaire s’agissait-il ? Qu’est-ce qui l’a rendu si mémorable ?
C'est l'anniversaire de mon entrée au couvent. Il est mémorable parce que j'ai vraiment le droit de manger beaucoup à ce moment et parce que personne n'évoque jamais la date exacte de mon entrée.

Un amour passé fait toujours partie de votre vie. Depuis quand étiez-vous amoureuse ?
Qu’aimiez-vous le plus chez cette personne ? Comment votre histoire s’est-elle terminée ?
J'ai été amoureuse d'une batelière qui menait les pélérinages vers la fontaine d'oubli. J'aimais la langueur de cette personne. L'histoire s'est terminée quand j'ai dû boire l'eau d'oubli.

Soeur Marie-des-Eaux

Vice :
La colère

Vertu :
La force

Description physique et personnalité :
Jeune, borgne (cache-oeil), cheveux courts, visage androgyne (tout le monde la genre au masculin). Un air de froide détermination. Paranoïaque et violente. A reçu une formation de mémographe et tient un registre de tous ses souvenirs (pattes de mouche)

Bref historique :
A connu une jeunesse très traumatique (elle a notamment aimé un horla, mais celui-ci est mort quand ils se sont embrassés, étonnement c'est la chose qui l'a marqué le plus alors qu'elle a été victime de choses plus violentes), au terme duquel elle a d'abord reçu une formation de mémographe puis de soeur exorciste. En guerre contre les figures du mal. Assez attachée au voeu de chasteté. Fascinée par le texte de l'Apocalypse.

Mots-Clefs :
- Soeur Exorciste
- Opinel
- Mémographe
- Combattante
- Âne

Lien avec autre PJ :
A sauvé la vie de Soeur Jacqueline, s'en rappelle mais ne veut pas lui remettre ça dans les dents. La naïveté de Soeur Jacqueline a failli leur coûter la vie en enfer.

PNJ favori :
Basile, le cordelier (ses cordes sont vecteurs d'égrégore, elles lui ont révélé la statue de Jésus)

Passé oublié (tiré avec Session Zéro)

Il y a quelqu'un de spécial à qui vous avez ouvert votre cœur. Décrivez votre premier amour :
Était-ce réciproque ? Qu’est-ce que vous aimiez le plus chez cette personne ?
Je pense que c'était réciproque. C'était un être de cicatrices et de souffrance, alors il me comprenait sans parler, c'est ça que j'aimais le plus chez lui. Notre amour était réciproque et c'est ça qui l'a perdu, il est tombé en miettes quand je l'ai embrassé.

Un son particulier vous fait toujours sourire. De quel son s’agit-il ? Comment est-ce devenu
un son rassurant pour vous ? L’entendez-vous encore maintenant que vous avez commencé à
voyager ?
C'est le son de l'eau courante. Cela évoque la vie et la pureté qui continuent à se trouver un chemin, malgré tout. Je ne l'ai pas beaucoup entendu durant mon périple, aussi je m'intéresse à découvrir où sont les ruisseaux aux Voivres, on m'a parlé des Forges Quenot.

Vous aviez un compagnon fidèle en grandissant. Décrivez l’animal qui a accompagné votre
enfance. Comment est-il devenu votre compagnon ? Est-il toujours votre animal ?
C'était un lapin dodu et je l'emmenais partout avec moi. Mais un jour, on m'a fait manger du civet et j'ai appris que c'était mon lapin. C'est le dernier souvenir que j'ai de mes parents.


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#6 15 Nov 2019 10:30

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : Dans le mufle des Vosges : un roman-feuilleton Millevaux

FACE À LA DIABLERIE

Les exorcistes font enfin la rencontre du véritable démon qui faisait peser sa menace sur le village. Et ça va faire très mal ! Je passe ensuite à un nouveau jeu de rôle avec le vénéneux L'Empreinte.

Joué / écrit le 14/11/2019

Jeu principal utilisé : L'Empreinte, de Thomas Munier, survivre à une transformation qui nous submerge

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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Dan Noyes, cc-by-nc-nd, sur flickr

Contenu sensible : cruauté envers les animaux, suicide, mutilation

Passage précédent :
4. Purification


L'histoire :

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Dwelling In A Dead Raven For The Glory Of Crucified Wolves, par Wolfmangler, du drone dark folk riche en cuivres et en chant sinistre, à la fois murmuré et grogné, pour une chasse funèbre entre chiens et loups.

Soeur Marie-des-Eaux encaisse mal le choc. Quand Soeur Jacqueline reprend ses esprits et revient au monde matériel, c'est pour voir le novice se noyer dans le ruisseau des Forges Quenot.

Elle s'empare de sa main grêle et tire de toutes ses forces. Un instant, ça ne semble pas être suffisant, mais le temps d'après le corps du novice suit tout seul. Champo avait dévalé le talus et avait tiré l'autre poignet. Le novice ne s'étale pas en remerciement, il s'empare aussitôt de sa robe pour la jeter sur sa nudité. Le sherpa n'a pas l'air intéressé par la chose, mais ça ne change rien à la pudeur de Soeur Marie-des-Eaux, qui n'a vraiment confiance qu'en Jacqueline. Un peu confiance.

Les voilà maintenant en haut du talus. Champo a allumé un feu et elles se réchauffent à proximité de la pierre maternaire. Craquements d'escarboucles qui procurent une fausse intimité, une fausse sensation de réconfort. En forêt, il faut toujours être aux aguets.

"Je pense que vous voulez retourner chez les Thiébaud. Je voudrais vous accompagner.
- Pour quelle raison ? Vous nous tenez sans doute responsable de la mort de Basile.
- Je ne raisonne pas en termes de cause à effet, de bien ou de mal. Certes, votre exorcisme lui a fait du mal, mais c'est trop tôt pour faire un lien avec son suicide. Et c'est trop tôt pour savoir si vous avez bien fait ou mal fait. Mais je pense une chose : il y a ici des forces néfastes, et les habitants des Voivres sont trop péteux pour prendre les choses en main. Vous êtes des étrangères et vous venez nous aider alors que tout le monde vous crie de vous mêler de vos oignons. Moi, je pense que vous êtes bien intentionnées et que c'est mon devoir de vous aider, pour protéger les gens de ce village, en priorité les enfants.
- On ne peut pas accepter, c'est un païen, siffla la Soeur Marie-des-Eaux.
- C'est surtout un homme de bien, coupa la Soeur Jacqueline. Qu'il soit baptisé ou non, c'est un don du ciel pour la mission que tu veux tant dont on s'acquitte."

C'est donc à trois qu'ils remontèrent la grande-rue, en direction du Chaudron. Quand la Soeur Jacqueline vit la Bernadette sur le pas de la porte, son coeur se serra. Quelque chose se noua dans ses tripes, comme si ses chairs se calcinaient, comme si la merde lui remontait le long des intestins, ça faisait un mal de chien comme elle n'en avait jamais connu. Elle s'approcha de la Bernadette, et comme cette dernière ne la repoussait pas, elle se sentait étrangement mieux. L'odeur de graillon et de transpiration de la cuisinière était comme un baume pour le feu qui lui bouffait le bide.
"Alors vous remontez au Chaudron ?
- Oui.
- Soeur Jacqueline, je vous en prie, faites quelque chose pour moi.
- Tout... ce... que... vous voudrez...
- Ramenez-moi la corde du pendu. Elle ne doit pas tomber en de mauvaises mains.
- O... oui...
- Faites attention aussi au petit. Je comprends pas pourquoi il veut pas se faire soigner. Je comprends pas comment il arrive à tenir debout avec toutes ses fractures.
- C'est... C'est sa rage qui le maintient en vie.
- C'est ça, c'est un renard enragé. Prenez garde à sa morsure."

La Bernadette lui prit sa main. La doyenne sentit le contact physique avec une acuité qui lui fit peur. Le fourmillement dans ses articulations, les ongles de la cuisinière enfoncés dans sa peau, le frottement de leurs deux épidermes. Puis la Soeur Marie-des-Eaux la tira de façon bourrue et la séparation fut douloureuse comme un déchirement musculaire.


Il régnait une pluie pisseuse qui détrempait les chemins et collait aux frusques, charriant une odeur de grès qui donnait presque la nausée.
Champo les fit passer par un chemin différent, pour brouiller les pistes. Au détour de la ferme des Fournier, avant les Faignottes, ils empruntèrent un chemin tout encombré de pierres semées avec anarchie dans l'humus. Ils passèrent à côté d'une maison en ruines, "le château de paille", d'après leur guide, d'où dégorgeaient des masses de foin moisi.

La Soeur Jacqueline jetait des regards nerveux derrière son épaule.
"On nous suit... On nous guette..."

Crâ !

Seul le cri d'un corbeau répondit à cette remarque. Il y avait un tel fouilis de broussailles et de branches noueuses, que les tréfonds de la forêt étaient difficile à discerner, malgré la chute des feuilles.

Leur éventuel espion bénéficiait de l'avantage du terrain.

Puis il y eut une côte à descendre, avec des ornières si profonde que les deux soeurs, percluses qu'elle étaient, n'arrivaient pas à avancer sans l'aide du sherpa qui tirait leur cordée comme à la manoeuvre.

Enfin un chemin à niveau mais tout aussi accidenté que les précédents, longeant un étang obstrué par les lentilles d'eau, un verger de pommiers retourné à l'état sauvage, et juste avant l'écurie des Thiébaud, un entrepôt passablement abandonné, dont le dernier usage semblait être pour le stockage des stères de bois en attente de la découpe, et qui était rendu à l'empire des buissons d'orties, des ronces, des poutres effondrées et des bâches déchirées.

Ils trouvèrent les Thiébaud dans leur cuisine. Dans un triste état. La nourriture était carbonisée dans la poêle sur la cuisinière à bois, le père soliloquait dans son fauteuil et la mère était au trente-sixième dessous, du vomi sur son tablier à fleurs, hagarde. Ils étaient tellement diminués qu'ils étaient à peine conscients du sort de leur fils.

"Bobi, si Félix est rentré ?"

La Soeur Marie-des-Eaux se mit en tête de chercher le chat, dans l'espoir que ça leur redonnerait un peu le moral.

Au pied du poulailler, la Soeur Jacqueline et Champo trouvèrent l'Elie, un chasseur du village. Il était là, le fusil cassé, en bottes de plastique et béret, avec son chien, et comme qui dirait il occupait tout l'espace avec se bedaine et ses yeux de faucon, un peu ici en terrain conquis comme le sont partout les chasseurs. Il portait un jeune chevreugne dans ses bras, avec une grande douceur, comme on porte un enfant. Un enfant avec trois impacts de balle au flanc, et le chargea dans la benne de son tracteur avec délicatesse, amoureusement pour ainsi dire.

La Soeur Jacqueline se dit qu'il avait de la veine que la Soeur Marie des Eaux soit en train de chercher le chat.

Il expliqua qu'il était sur la trace d'un gibier quand il est passé devant la ferme des Thiébaud, et s'est arrêté pour les saluer. Voyant leur état, il s'est dit qu'il irait voir le Basile, et c'est lui qui l'a découvert.
"Je l'ai décroché. Je pouvais pas le laisser comme ça."

L'Elie est le seul équipé d'une CB dans le village, un outil à la fois pratique pour le chasseur et le cancanneur qu'il est. C'est ainsi qu'il a prévenu la mairie et que Champo a été mis au courant par proximité. Ensuite, il a repris sa chasse et là il s'apprêtait à rentrer. Champo l'aida à descendre Basile en bas du poulailler pour le mettre dans la benne contre le chevreugne. On aurait vraiment dit deux enfants, tous deux avec une tête paisible dans la mort.

"Félix ? Minou, minou !"

La Soeur Marie-des-Eaux était monté sur le pont, c'est toujours là que ces cons de chats viennent se cacher.

Au premier étage, il y avait toujours ce relents d'oignons et de jus de pommes ranci mais pas de trace du matou.

Un bruit.

Le novice monta le raide escalier du deuxième avec précaution, il avait l'air aussi esquinté que ses propres abattis et craquait sous ses pieds pareil.

Cette fois, le mémographe qu'il était ne put s'empêcher de s'arrêter sur les cartons de revue. Un observateur extérieur aurait pu le voir feuilleter avec avidité les pages hors d'âge du journal La Liberté de l'Est. Les étranges événéments de l'âge d'or défilaient sous ses yeux, de l'encre qui sentait le moisi, des photos bleuâtres. Deux hommes chauves. Les irradiés de Forbach. Et des considérations sur le danger nucléaire. Voici ce qu'un observateur extérieur aurait pu voir.

La gorge de la Soeur Jacqueline se noua quant au terme d'une pénible escalade, elle arriva dans les combles du poulailler. Trois poules gloussaient sous la poutre principale. Le filet de lumière à travers la vitre de plastique éclairait le noeud coulant que l'Elie avait laissé sur le plancher. Il y avait ça et là tout ce qui restait du Basile : des cordes avec d'étonnants noeuds de marins, des baugeottes finement tressées, des bombonnes de jus de pomme à moitiée parées d'osier, et puis de ridicules jouets en ficelle.

Elle prit la corde de pendu dans ses mains, et songea à l'autre corde que le Basile leur avait offert, qui pendait à sa ceinture.

Elle sentit que quelque chose bougeait.

La Soeur Marie-des-Eaux cligna des yeux, et comprit au fourmillement dans son crâne qu'un temps indéterminé s'était écoulé à compulser des archives sans importance pour ceux qui les produisirent et cruciales pour les personnes d'aujourd'hui qui tombaient dessus.

Des particules de poussière volaient dans la lumière qui perçait du toit.

Il tourna la tête vers la pièce où était remisé le Jésus-Cuit, invisible car dans l'angle mort. Sur le plancher fragile de cette pièce, il y avait un petit corps roux inerte.

La Soeur Jacqueline secouait la poêle sur la cuisinière. Il fallait que la mère Thiébaud mange quelque chose, alors elle avait jeté quelques oignons et des patates dans cet ustensile qu'avaient cuirassé les fossiles noirs d'années et d'années d'huile brûlé.

L'Elie faisait la conversation au Père Thiébaud mais c'était pas évident.

"Bobi, si les Etienne sont rentrés des affouages au Beaulieu ?
- C'est pas bon, ça... Il parle de chantiers agricoles qui datent d'il y a trente ans. Les deux-là, on dirait qu'ils était complètement sucés."

Difficile de savoir si le plus effrayant était que le Père Thiébaud soit retombé dans le passé ou si c'était que l'Elie soit capable en toute conscience de dater des choses aussi anciennes.

ça commençait à sentir bon les oignons et les patate, et ça faisait un peu oublier la misère généralisée.

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The Dynamic Gallery of Thoughts, par ...and Oceans, du black metal orné de claviers de toutes parts, maléfique, mélodique et racé.

Le novice s'avança pour se pencher sur le chat. Le plancher grinça.

Félix était mort. Il était tout sec, comme momifié. Comme sucé.

La Soeur Marie-des-Eaux sentit une force qui lui chopa le cerveau à pleine mains et commença à presser.

Cela aurait pu sonner n'importe qui d'autre, mais cette attaque sournoise et violente activa son mode guerre.

Le novice vit aussitôt volte-face, l'Opinel lancé en arc-de-ciel comme une prolongation naturelle de son bras. Son poing vient se briser à moitié sur la surface de son assaillant.

La statue de Jésus-Cuit !

Tous dans la cuisine entendirent des bruits de lutte monumentaux et se précipitèrent dans le salon en croyant que ça venait de là.

C'est ainsi qu'ils virent le plafond s'effondrer sous le poids de la statue et du novice. Sous la secousse, l'horloge comptoise du salon perdit l'équilibre et s'éclata sur le dos de la Soeur Marie-des-Eaux. La statue était explosée en trois morceaux et - une foutue - CHOSE - en émergeait, comme un amas de ronces d'où pendaient des grappes d'humeurs visqueuses et des ocelles qui luisaient d'un éclat noir. La chose s'aggrippait au corps du novice par ses crampons, labourant sa robe et ses chairs. Le novice chercha à frapper son ganglion central, une masse de métastases orné d'un sphuncter suceur, mais les ronces lui bloquèrent le poignet en en faisant gicler le sang dans une scène christique. Une ronce-sphuncter se jeta au visage du novice - "Non, non, NOOON !" - et lui rentra dans l'oeil, directement, traversant l'orbite comme une pointe dans une planche. Et maintenant, elle n'avait plus qu'à aspirer sa cervelle. Plus rapide qu'une absorption télépathique.

Spprr---lotch !

C'est en résumé le bruit hideux que produisit la chose quand la Soeur Jacqueline écrasa la poêle chaude sur son ganglion central.

C'en était fini du véritable démon qui hantait Les Voivres.



L'écurie de l'Auberge du Pont des Fées était calme. Les chevaux respiraient avec silence. La chaleur et l'odeur du crottin formait comme un cocon. La Soeur Jacqueline soignait l'oeil de son novice du mieux qu'elle pouvait. Celui-ci n'avait pas eu la force de refuser qu'on se replie à l'auberge, mais refusait encore que la Bernadette s'occupe de lui. Il brossait le dos de Maurice et lui donnait de l'avoine par petites poignées que l'âne avalait goulument, avec une tranquille approbation. Cela apaisait le novice et occultait un peu l'immense douleur qui le crevait de toutes parts.

Après l'attaque de la chose dans la statue, ni le maire ni le prêtre n'avaient eu à coeur de maintenir l'exil des deux nonnes. Tout juste si le père Houillon avait rappelé qu'il y aurait séance de confessionnal dès qu'elles seraient un peu sur pied.

Le mal qui tirait le ventre de la Soeur Jacqueline s'était un peu adouci depuis qu'elles étaient revenues à l'Auberge, mais elle ressentit le besoin de laisser là le novice et trottiner jusqu'aux cuisines sous prétexte d'aider. Dès qu'elle vit la Bernadette affairée aux fourneaux, penchée sur ses gamelles le front humecté de sueur et les lunettes embuées, elle sentit que ça la bouffait moins.

"Vous prendrez bien du saucisson tant que la Soeur Marie-des-Eaux n'est pas là pour faire la police."

La Soeur Jacqueline hocha la tête. La cuisinière lui tendit une rondelle rouge presqu'à portée de sa bouche. La doyenne s'en empara, c'était graisseux au toucher et chaud et acide sous la langue.

"Je ne comprends pas ce que votre novice a contre la charcuterie. C'est tout le terroir des Vosges.
- Elle aime les créatures du Vieux plus encore que les hommes, je crois.
- En attendant, faudrait bien qu'elle prenne des forces. Parce qu'elle vous expose à un grand danger, sachez-le. Et ça m'inquiète parce que je tiens à vous."

Ces derniers mots eurent plus d'impact que la Soeur Jacqueline ne l'aurait imaginé. Elle se sentait fondre comme si elle était elle-même une rondelle graisseuse de saucisson dans une bouche gourmande. Elle essaya de passer un coup de balai dans ces pensées.

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What has become of the one i love ?, par Yseulde, du post-americana lunaire et lo-fi pour un feu de camp introspectif à l'infini.

"Ce que vous avez vu... au Chaudron. C'était un horla. Il se nourrissait de l'énergie mentale des gens qui allaient à la messe.
- Un horla ?
- Bien entendu, vous n'avez jamais entendu parler de ce terme. Ils vous ont pas bien préparé vos curés exorcistes, au Diocèse. Ils vous ont tout expliqué de travers, avec leurs histoires de diable."

Elle tira un tiroir pour montrer le noeud coulant qui y était caché au milieu des couteaux de cuisine.

"Encore merci pour ça. J'en ferai bon usage.
- Bon usage ?
- Ecoutez, Soeur Jacqueline, je vous suis reconnaissante pour ce que vous avez fait pour le village et je veux vous aider. J'ai appris dans le Petit Albert deux ou trois choses qui pourraient vous être utiles. Vous voudrez bien de mon aide ?
- Naturellement.
- Tant mieux, parce que si vous continuez à taper dans les taupinières, vous pourriez bien trouver d'autres horlas. Maintenant, je vais vous montrer comment cuisiner des rognons."

La chair de foie de veau rissolait dans la poêle, emplissant les narines de son fumet. La main ridée de la Bernadette tenait le poignet de la Soeur Jacqueline pour la guider, doucement mais fermement.


La voix de la Soeur Marie-des-Eaux égrénait les faits de la journée et de la veille. Il avait besoin de dire à haute voix ce qu'il inscrivait dans son carnet mémographique maintenant qu'il était borgne.

ça raisonnait dans la tête de la Soeur Jacqueline allongée, en proie à la brûlure qui lui tenaillait le ventre et descendait, et bien consciente que ça n'aurait pas été convenable d'aller visiter la cuisinière à cette heure-ci pour se calmer.

La voix du novice énumérait le récit de leur calvaire d'une façon monocorde qui dénaturait ce qu'elles avaient vraiment vécu, et renforçait la conviction que la Soeur Jacqueline avait sur la vacuité du dogme mémographique.

Puis ce fut, alors que la bougie s'étouffait dans sa fumée, l'habituelle litanie des prières d'exorcisme et de l'Apocalypse :

"Et ceci sera l'œuvre du Démon. Car le Démon est entré dans la demeure de l'Homme quand celui-ci lui a ouvert la porte et l'a accueilli à bras ouverts. Il a laissé le Démon marcher dans les rues et les palais de Babylone et il lui a servi du vin et l'a appelé Fils de l'Homme.
Et le Démon lui a donné ce qu'il nommait des bienfaits : la vie, la fertilité, l'abondance, et toutes les bêtes et les choses à son service.
Et l'Homme s'est bandé les yeux, il a goûté au fruit tendu par le Démon et il a mordu sa chair grouillante d'asticots sans prendre garde à son goût infect. Et l'Homme a sacrifié les êtres et les choses innocentes au Nom du Démon, il a embrassé la bouche du Démon, et il a dit : « J'embrasse la bouche du Fils de l'Homme."

La Soeur Jacqueline murmurait en écho pour faire acte de participation, mais sans conviction. Et la voix de son infortuné novice s'éteint dans un souffle comme la flamme de sa bougie, pour sombrer dans un sommeil où la fatigue extrême, l'exténuation terminale du corps, avait pour un temps triomphé sur la souffrance.

Mais pour la Soeur Jacqueline, la nuit s'étirait comme une rivière polluée, dans la rumeur des chats-huants, le roulis des feuilles mortes et la brûlure qui la tiraillait encore plus dans l'inaction. Elle descendit le main le long de son ventre et se massa les bourrelets dans l'espoir que ça se calme.



Lexique :

péteux : peureux
pont : grenier
baugeotte : gros panier à anse double


Bilan :

Un long préambule joué sans jeu de rôle attitré, puisque rédiger la fin de l'arc du Jésus-Cuit m'a pris les deux premières heures, sans suport des Exorcistes, et avant de créer mes feuilles de personnage avec L'Empreinte, réservée au nouvel arc consacré aux Soubise. Avec cette création, j'entérine le fait que Champo fait directement partie de l'équipe. Je flippe un peu parce que je pense que mes personnages vont en baver, avec d'importants risques de mort, mais je m'attends à ce que la nouvelle menace soit vraiment balèse et donc je dois pas les surprotéger. Allez, comme on n'est quand même qu'au début du roman, je règle la difficulté du jeu en mode intermédiaire. Je me dis que Champo servira de fusible, mais sait-on jamais, ce n'est peut-être pas lui qui va y passer, et quelque part ça m'arrangerait, j'aimerais bien faire une session d'Oriente centrée sur lui.

Bon allez, je change d'avis. Je passe en mode cauchemar pour montrer ce que L'Empreinte a dans le ventre et pour sortir de ma zone de confort. En revanche, je vais rester à un jet de dé par acte.

J'ai en revanche utilisé Oriente et Muses et Oracle, un tirage de chaque, pour raconter le voyage au début de l'épisode. J'ai passé beaucoup de cartes Oriente avant de trouver mon bonheur avec la carte "Quelle bête vous suit partout ?", qui fait le lien avec le fait que les Soubise ont mis les soeurs en filature. Je tire une carte Muses et Oracles et là, parfait, je tombe sur une icône de corbeau. Y a-t-il un lien entre les Corax et les Soubise ou la Mère Truie ? La suite nous le dira !

J'ai encore une fois utilisé des anecdotes très personnelles mais je me garderai bien de vous dire lesquelles.


Notes liées aux règles de l'Empreinte :

Menace : une Déité Horla (la Mère Truie)
Lieu de départ : Les Voivres
Avancement :
Acte I - Introspection + Tentation


Feuilles de personnage

Champo (créé avec L'Empreinte)
Vocation : Vagabondage
Métier : guide
Attitudes : Combattre la menace / Fuir la menace


Soeur Jacqueline

Feuille créée avec L'Empreinte :

Vocation : Sorcellerie
Métier : Nonne exorciste
Attitudes : Ressentir de la fascination pour la menace / Agir selon ses propres objectifs dans l'ignorance de la menace

Feuille créée avec Les Exorcistes :

Vice :
+ La luxure

Vertu :
+ La prudence

Description physique et personnalité :
Cinquantaine, visage rond et couperosé par la bière de lichen, yeux un peu fixes. Bonne vivante. Assez affectée par l'oubli, n'a pas de souvenir d'avoir jamais quitté le couvent de Saint-Dié

Bref historique :
Il est possible qu'elle ait eu récemment une vie en dehors du couvent. Il est aussi possible qu'elle ait été cloîtrée pour contrer son penchant à la luxure, et qu'on l'ait incité à oublier son passé (onction à l'eau bénite d'oubli ?)

Mots-clefs :
- Soeur Exorciste
- Inspire la confiance
- Cuisinière
- Contemplative
- Intuitions

Lien avec autre PJ :
A sauvé la vie de Soeur Marie des Eaux mais ne s'en souvient pas. Aurait été sa formatrice ou sa compagne d'apprentissage en exorcisme ?

PNJ Favori :
Bernadette, la tenancière du Pont des Fées

Passé oublié (tiré avec Session Zéro) :

Personne n’est parfait. Quel est le plus gros mensonge que vous ayez jamais énoncé ? À qui
l’avez-vous révélé ? Pourquoi avoir menti ?
J'étais la servante d'une Mère Truie. Je l'ai révélé (sous la torture) à l'archevêque de Saint-Dié. J'ai menti parce que j'étais infiltrée chez les chanoinesses, mais l'archevêque m'a sauvée de l'emprise de la Mère Truie et m'a accordé l'eau d'oubli.

Les anniversaires sont toujours prétextes à de grandes fêtes. Décrivez votre anniversaire le
plus mémorable. De quel anniversaire s’agissait-il ? Qu’est-ce qui l’a rendu si mémorable ?
C'est l'anniversaire de mon entrée au couvent. Il est mémorable parce que j'ai vraiment le droit de manger beaucoup à ce moment et parce que personne n'évoque jamais la date exacte de mon entrée.

Un amour passé fait toujours partie de votre vie. Depuis quand étiez-vous amoureuse ?
Qu’aimiez-vous le plus chez cette personne ? Comment votre histoire s’est-elle terminée ?
J'ai été amoureuse d'une batelière qui menait les pélérinages vers la fontaine d'oubli. J'aimais la langueur de cette personne. L'histoire s'est terminée quand j'ai dû boire l'eau d'oubli.


Soeur Marie-des-Eaux

Feuille créée avec L'Empreinte :

Vocation : Combat
Métier : Nonne exorciste
Attitudes :
Combattre la menace / Se rapprocher par erreur de la menace


Feuille créée avec Les Exorcistes :

Vice :
La colère

Vertu :
La force

Description physique et personnalité :
Jeune, borgne (cache-oeil), cheveux courts, visage androgyne (tout le monde la genre au masculin). Un air de froide détermination. Paranoïaque et violente. A reçu une formation de mémographe et tient un registre de tous ses souvenirs (pattes de mouche)

Bref historique :
A connu une jeunesse très traumatique (elle a notamment aimé un horla, mais celui-ci est mort quand ils se sont embrassés, étonnement c'est la chose qui l'a marqué le plus alors qu'elle a été victime de choses plus violentes), au terme duquel elle a d'abord reçu une formation de mémographe puis de soeur exorciste. En guerre contre les figures du mal. Assez attachée au voeu de chasteté. Fascinée par le texte de l'Apocalypse.

Mots-Clefs :
- Soeur Exorciste
- Opinel
- Mémographe
- Combattante
- Âne

Lien avec autre PJ :
A sauvé la vie de Soeur Jacqueline, s'en rappelle mais ne veut pas lui remettre ça dans les dents. La naïveté de Soeur Jacqueline a failli leur coûter la vie en enfer.

PNJ favori :
Basile, le cordelier (ses cordes sont vecteurs d'égrégore, elles lui ont révélé la statue de Jésus)

Passé oublié (tiré avec Session Zéro) :

Il y a quelqu'un de spécial à qui vous avez ouvert votre cœur. Décrivez votre premier amour :
Était-ce réciproque ? Qu’est-ce que vous aimiez le plus chez cette personne ?
Je pense que c'était réciproque. C'était un être de cicatrices et de souffrance, alors il me comprenait sans parler, c'est ça que j'aimais le plus chez lui. Notre amour était réciproque et c'est ça qui l'a perdu, il est tombé en miettes quand je l'ai embrassé.

Un son particulier vous fait toujours sourire. De quel son s’agit-il ? Comment est-ce devenu
un son rassurant pour vous ? L’entendez-vous encore maintenant que vous avez commencé à
voyager ?
C'est le son de l'eau courante. Cela évoque la vie et la pureté qui continuent à se trouver un chemin, malgré tout. Je ne l'ai pas beaucoup entendu durant mon périple, aussi je m'intéresse à découvrir où sont les ruisseaux aux Voivres, on m'a parlé des Forges Quenot.

Vous aviez un compagnon fidèle en grandissant. Décrivez l’animal qui a accompagné votre
enfance. Comment est-il devenu votre compagnon ? Est-il toujours votre animal ?
C'était un lapin dodu et je l'emmenais partout avec moi. Mais un jour, on m'a fait manger du civet et j'ai appris que c'était mon lapin. C'est le dernier souvenir que j'ai de mes parents.


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#7 21 Nov 2019 11:31

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : Dans le mufle des Vosges : un roman-feuilleton Millevaux

LE VIEUX NOUS VOIT

Emportées par la folie ambiante au sein du village et par leurs vieux démons mémoriels, les deux nonnes exorcistes partent en quenouille.

Joué / écrit le 19/11/2019

Jeu principal utilisé : L'Empreinte, de Thomas Munier, survivre à une transformation qui nous submerge

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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Fedee P, cc-by-nc-nd, sur flickr

Contenu sensible : érotisme, violence sur les enfants


Passage précédent :

5. Face à la diablerie
Les exorcistes font enfin la rencontre du véritable démon qui faisait peser sa menace sur le village. Et ça va faire très mal ! Je passe ensuite à un nouveau jeu de rôle avec le vénéneux L’Empreinte.

L'histoire :

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Anro, par Sachiko, de la musique tribale ritualiste pour un trip chamanique qui commence mal et qui finit complètement de travers.

ça lui faisait drôle de toucher sa propre peau, ce n'était pas une chose qu'on était habituée à faire au couvent. Elle passa son ongle à l'intérieur de son nombril et ça lui fit comme l'impression d'un contact étranger et ça lui remuait des choses dans le ventre, elle entendit des gargouillis et sentit des volumes circuler dans ses tripes.

A partir de ce moment, le massage commença à l'apaiser, mais elle sentait aussi que son mal ne ferait qu'empirer si elle arrêtait trop vite. Elle devait même monter en intensité, et la chaufferie descendait de son ventre jusqu'à son bassin.

Elle pensa à la Bernadette, et c'était une pensée bien innocente parce qu'elle associait sa brûlure à la cuisinière et si la voir calmait son ardence, y penser et la visualiser pourrait peut-être aussi y contribuer.

Elle concentra sa rêverie sur le visage de la Bernadette et s'imagina passer ses doigts dans ses cheveux comme franchissant une broussaille inexplorée. Elle frémissait de tout son corps, il faisait un froid de caveau dans la chambre et les ronflements de la Soeur Marie-des-Eaux pareils à des râles accroissaient la tension. Incidemment elle imaginait des histoires si son novice se réveillait, la surprenant en plein acte d'auto-médication et spéculait beaucoup de choses sur ses possibles réactions.

Elle revint en pensées à la Bernadette. Sa main pesait comme un chaud poids mort sur elle-même, engourdie et parcourue de fourmillements, pour ainsi dire autonome. Elle s'attarda sur le grain de beauté posé sur la joue de la cuisinière, gonflé comme un soufflé. Dans son rêve, la Bernadette lui accordait un sourire de laisser-faire, alors elle approcha son doigt vers la tumeur, quel mal y avait-il à ça, et la toucha d'abord timidement, puis la massa avec un doigt, puis deux.

Et cela réveilla une turbidité en elle depuis longtemps endormie, elle se sentit comme investie par un limon qui s'étirait vaseusement dans ses entrailles, elle passait sa main dans des fougères et des raies manta qui pour fossilisées qu'on aurait pu les croire, étaient bien réactives et palpitantes, et elle se sentit comme un marécage empli d'une langueur qui venait du fond de la préhistoire.

De la seule main qui lui obéissait encore, elle se couvrit la bouche pour que la Soeur Marie-des-Eaux n'entende pas ce qui remontait de sa gorge.

Je ferai une prière. Oui, je ferai une prière demain pour expier.


Blam !

En guise de lever, la Soeur Marie-des-Eaux chuta de son lit comme une masse. Un flachebacque lui était revenu en rêve et l'avait littéralement flanqué par terre.

C'est quand la chose lui avait crevé l'oeil. Le choc avait été si brutal et porteur de mort imminente que ça avait réactivé sa mémoire profonde.

C'était dans les tunnels rances de la Ligne Maginot, comme traversant son orbite, que le flachebacque l'avait projeté, au milieu des mille bruits d'humidité, gargouillis viscéraux et goutte-à-goutte. C'était la planque où la Madone à la kalach l'avait formé avec d'autres enfants-soldats. Elle la revoit en train de remonter sa mitraillette avec les lianes dégoulinantes derrierre elle comme un rideau, et son visage aux trois quarts recouverts d'un masque de bois rouge vernis, qui lui donne justement ces traits imperturbables, sa beauté de statue. La Soeur Marie-des-Eaux est aux aguets parce que c'est un souvenir lucide, sur lequel il peut influer et enquêter. Il s'apprête à poser des questions et s'y prend avec beaucoup de précautions, car à partir de ce moment il va lui être impossible de discerner le passé réel du passé revisité. Une lampe à huile hors d'âge éclaire la scène à grand-peine, ménageant plus le mystère que la vérité.

Il est couché sur une froide dalle de béton couverte de lichen. Dans les mains son carnet de mémographe qui arbore ses toutes premières pattes de mouche. Quelque chose a changé dans leur relation. D'une maîtresse à penser politique, la madone serait devenue sa mentoresse en mémographie ? Il sent qu'il vient d'avoir un flachebacque, sûrement aidé par la madone. Une technique de mémoire corporelle qui lui a permis de faire remonter le passé de ses organes et de ses douleurs. La Soeur Marie-des-Eaux est devant un choix mortel : laisser la tourbe noire de ce souvenir remonter ou poser des questions.

"Tu t'agites trop. N'essaie pas de remonter. Tu vas ressentir une très grande douleur mais c'est signe que tu touches au but."

Sa voix était monocorde. Mono-corde. Comme artificielle. Mais en même temps une des choses les plus rassurantes que la Marie-des-Eaux ait jamais expérimentées.

Alors il fit le deuil de ses questions et s'abandonna aux conseils de sa mentoresse. Celle-ci s'assista par des touchers rituels, ses mains étaient molles, sans poids et glaciales. Elle agissait sur ses points de pression pour réveiller les douleurs profondes. La Marie-des-Eaux avala une grande goulée d'air froid et plongea en lui-même aussi profondément qu'il n'était jamais allé, et ce fut comme une immersion dans un bain de carbone en fusion. Ce n'était pas douloureux à proprement parler, mais plutôt comme un déchirement ontologique qui lui écartelait les os et les muscles, une détresse à laquelle ne pouvait répondre qu'un cri blanc à faire trembler les voûtes de la ligne Maginot.

Et pourtant, le souvenir profond n'était qu'une scène de paix.

L'endroit où il arriva comme en passant au travers d'une vierge de fer, ce fut dans les bras de son amant, et quelque chose lui criait que ça avait été son seul amant, c'était quelque part à Douaumont dans une forêt au parfum de cordite et de gaz moutarde à l'apparence tranquille d'un piège en sommeil, eaux empoisonnées au plomb, humus truffé de mines, arbres criblés de shrapnels.

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Water’s Ruins par Loki Fun Lilith, du dark ambiant noisy, inondé dans une cave sous un marais sous un arbre sous une voix d’outre-tombe.

La Marie-des-Eaux s'étonne d'avoir accès aux odeurs avec une telle acuité alors qu'il était au fond du fond d'un souvenir, et pourtant l'arôme de plumes mouillées lui remontait en plein des ailes de Préscience qui entouraient son corps pour le consoler d'un trauma, qui lui encore échappait à sa portée. Il la surmontait de deux pieds et sa tête - ou plutôt ses trois têtes de belette - reposait sur la sienne. Son haleine était chaude et musquée.

La Marie-des-Eaux plongea son regard dans les yeux noirs de Prescience, se sentant pour la seule fois de sa vie en confiance avec quelqu'un, sachant que Prescience avait accès tout de lui et ne s'en servirait jamais contre lui. Du moins, c'est que la Marie-des-Eaux du passé ressentait, mais celle du présent n'osa pas interférer, préférant connaître ce qu'elle avait expérimenté à l'époque.

Des tirs de carabine crevaient le silence, comme si une traque était sur le point d'aboutir. Mais Prescience était calme. Et la Marie-des-Eaux était sur le point d'avouer une chose qu'il savait déjà.

Et l'oxygène disparaissait de la forêt, comme happé. La Marie-des-Eaux retint sa respiration autant qu'elle pu, serrant le corps anarchique de Prescience, mais rapidement il n'en tint plus et remonta à la surface, et comme écharpé par les ronces sur son passage, se réveilla avec une violente décharge et s'écroula du lit.

La Soeur Jacqueline eut bien du mal à en sortir de son côté, comme fondue dans le matelas, et honteuse et percluse.

Elles descendirent au bistrot où une chicorée les attendait dans des tasses en étain, aux côtés de deux assiettes de fèves, de la porcelaine de collection avec des motifs naïfs de forêt et d'amoureux qui venaient de chez l'oncle Mougeot, grand pourvoyeur en antiquités. Le Vauthier levait déjà le coude au schnaps, comme on avale un détergent alors qu'il n'y a plus rien à lessiver. Il leva son verre à la vue du novice et de ses bandages, comme en signe de compassion.

La Bernadette entama la conversation avec la doyenne, qui ne sut s'y soustraire, magnétisée. La Soeur Marie-des-Eaux vit une silhouette derrière la vitre translucide de l'entrée et se présenta à la porte pour ouvrir. C'était Champo.

"Je vous ai cousu un cache-oeil. J'y ai brodé un mandala qui vous portera bonheur."
Derrière, on entendait les marmots chanter la comptine :
"Cuit, cuit, Jésus cuit.
Cuit, cuit, Jésus cuit, on l'a bouilli !"
Les mômes s'arrêtèrent à la vue du bandage ensanglanté.
" Je vous remercie. Mais je vais devoir le personnaliser."
Il décrocha le crucifix de bois qu'il avait en sautoir et l'accrocha au cache-oeil. Si les gens n'accordaient pas encore assez de crédit à son titre de nonne exorciste, cet apparat allait pouvoir aider.

Il y avait un marmot en bout de corde, les autres le tenaient à l'écart et se plaignaient de son odeur.
"Qui c'est celui-là ?
- C'est Hippolyte, le dernier-né des Soubise."

D'un pas aussi décidé que sa convalescence le lui permettait, la Soeur Marie-des-Eaux se diriga vers le gamin tout marmosé de noir et tout débraillé qui servait de souffre-douleur aux autres.

Il le chopa par le col et lui glissa son Opinel sous les narines.
"Dis-moi ce que tes parents trafiquent avec les cochons !"

ça se sentait que le mouflet en menait pas large, il était sur le point de fondre dans ses sabots et de lâcher tout ce qu'il savait sous la menace de l'exorciste au surin.

C'est alors que Champo tira en arrière le poignet de la Soeur Marie-des-Eaux avec un noeud coulant de sa corde. Il voulait protéger le môme placé sous sa tutelle et aussi sauvegarder le peu de réputation de l'exorciste.

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Within The Darkness Between The Starlight, par Nhor, entre piano à fleur de peau et black metal atmosphérique, un temple gothique de nature, d'émotions et de ténèbres.

Mais ce dernier fit passer le sherpa par-dessus son épaule, et en un éclair il avait déjà ramassé sa lame et il serrait la gorge du petit avec le noeud coulant tout en pointant son arme à un millimètre de l'oeil.

"Viens ouâr par ici, toi !
- Pitié monsieur, si vous aimez le Vieux et notre seigneur Jésus-Cuit, me faites pas de mal...
- Alors mets-toi à table, petit merdeux !"

C'était trop pour Champo, il voulait pas perdre le môme, il sentait dans sa mémoire en miettes qu'il en avait déjà trop perdu et qu'en perdre un de plus, ça lui déracinerait le coeur, alors il repoussa la Soeur au prix d'une serieuse estafilade sur la joue. Il avait l'Opinel planté dans la chair, et il le serrait de l'autre main à s'en faire saigner comme un cochon, il fixait l'exorciste en tremblant, avec un regard à s'en débrider les yeux.

La Soeur Jacqueline tira la Soeur Marie-des-Eaux : "Mais qu’est c’que t’broyes ?". Elle ne comprenait même pas à quoi ça rimait, vu que l'intérêt du novice pour les Soubise lui était passé au-dessus de la tête. Elle entraîne son novice à l'intérieur de l'auberge, au plus vite, pour éviter le scandale.

"Soeur Marie-des-Eaux ! Le Vieux nous voit !
- Quoi qu'c'est qu'il peut voir à travers les arbres ?"

Mais celui qui a vraiment impressionné la Soeur Marie-des-Eaux au point de lui faire renoncer à son interrogatoire violent, c'est Champo. Sa plaie à la joue s'est ouverte et pleut le sang. Des racines de colère en sont sortis et irriguent les rides de son visage. Voici ce qui se passe quand on provoque un homme dans un monde où les émotions font tout vriller.


"Faut qu'on te soigne, Champo. La Bernadette est guérisseuse, elle va t'arranger ça."

Le sherpa voulut bien se faire examiner par la cuisinière après avoir mené les enfants à l'école.

ça se passait, comme toutes les choses importantes, dans la cuisine et ses fumets. La Bernadette avait fait bouillir des pinces et dans le four y'avait des coualés à chauffer. La Soeur Jacqueline se dit que ces petits bonhommes en brioche dont les arômes lui remontaient dans les narines faisaient partie d'un réseau de signes qu'elle peinant encore à déchiffrer. Mais bon, la cuisinière lui offrit en guise de frichtic un maugin et de la confiotte de gratte-cul alors elle pensa à autre chose. Et puis ça la calmait toujours d'être à ses côtés.

"Vous avez tellement bouâlé qu'un horla vous a poussé dessus.", fit la Bernadette en retirant à la pince des vermicelles violettes de sa blessure.
- Moi j'appelle ça un tulpa. ça fait partie de moi, c'est moi qui l'ai créé.
- Ben soit je te le laisse et il va bien s'enticher, soit je te le retires mais alors je te retires un bout de toi-même.
- T'es une sâprée bonne femme, toi. Ben tant pis, je peux pas prendre le risque que ça se développe. Retire-le moi."

Et elle enleva de sous la peau de son visage et de son cou, et peut-être que ça venait du coueur, tout un amas dégueulasse de pseudopodes, comme une étoile de mer, qui portait le souvenir d'une personne chère au coeur de Champo, une personne qu'il n'avait pas su sauver, et maintenant après être perdue en forêt, elle était aussi perdue de sa mémoire, comme si Champo avait lui-même accepté qu'on scie la corde de vie qui la reliait à lui.


Lexique :

Marmosé : barbouillé
broyer : faire, fabriquer
coualés : petits bonshommes en brioche (équivalent des manalas alsaciens)
bouâler : râler
frichtic : casse-croûte
confiotte : confiture
gratte-cul : Fruit de l'églantier
maugin : tarte au fromage blanc


Bilan :

J'essaye de diversifier mes tirages d'inspi, alors j'ai utilisé La Stèle au cœur des Plaines pour localiser le flachebacque et le sous-flachebacque de la Soeur Marie-des-Eaux.
Durant ce flachebacque, où je teste mon premier vertige logique pour ce roman, j'ai été tenté de prendre des décisions autonomes pour le novice, mais il m'a sauté aux yeux que ce n'était pas ludique, aussi j'ai imaginé le dilemme "souvenir profond OU question" (Inflorenza Minima's style) et je l'ai tranché aux dés.

J'ai composé Prescience avec un tirage de Muses & Oracles et deux tirages de la table des détails forestiers.

Le lexique vosgien m'a été bien utile pour remettre un peu de patois dans tout ça.


Le mode cauchemar à l'Empreinte, ça pique les yeux. Je peux pas laisser les empreintes se développer sur mes personnages si je veux qu'ils survivent. Ce qui m'a donné une bonne scène de guérison d'empreinte pour Champo. Bref, les règles ont permis de commencer à mettre en avant le sherpa et c'est bien cool.


Notes liées aux règles de L'Empreinte :

Menace : une Déité Horla (la Mère Truie)
Lieu de départ : Les Voivres
Avancement :
Acte I - Introspection + Tentation + Agression
Acte II - Introspection


Feuilles de personnage :

Les feuilles de personnages sont maintenant centralisées et mises à jour sur cet article


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#8 26 Nov 2019 09:33

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : Dans le mufle des Vosges : un roman-feuilleton Millevaux

ABSOLUTION

Quand les villageois montrent leur vrai visage, les choses sont bouleversées.

Joué / écrit le 25/11/2019

Jeu principal utilisé : L'Empreinte, de Thomas Munier, survivre à une transformation qui nous submerge

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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Christophe Surman, cc-by-nc-nd, sur flickr

Contenu sensible : cruauté sur les animaux, érotisme, abus sexuel


Passage précédent :

6. Le Vieux nous voit
Emportées par la folie ambiante au sein du village et par leurs vieux démons mémoriels, les deux nonnes exorcistes partent en quenouille.


L'histoire :

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Aokigahara, par Flowers for Bodysnatchers, dark ambient forestier à pianos fragiles.

"Pourquoi vous entêtez-vous à accompagner les exorcistes ?, risqua La Bernadette.
- Avant, répondit-il sans que la présence de la Soeur Jacqueline, je le faisais parce qu'elles agissaient pour nous protéger. Maintenant, je reste avec elle pour les empêcher de nous faire du mal."

La Soeur Marie-des-Eaux sortait par l'écurie. Il avait tout son paquetage sur le dos, ce qui n'était pas une chose rare, il était conditionné à agir comme s'il fallait toujours être prêt à décamper. Il caressa le museau de Maurice pour se calmer un peu. C'est ça, il avait besoin de se calmer.

"Où allez-vous ?, lui demanda la Bernadette.
- Je dois aller me confesser. Le Père Houillon me l'a demandé et je pense que ça va m'aider à y voir plus clair.
- Vous voudriez bien me rendre un service ?
- ça dépend...
- Oh pas grand-chose... J'aurais juste voulu que vous me rameniez un morceau de bois du confessionnal.
- Bernadette... Je vais le faire parce que je sens que vous pourriez nous être utile, mais ce que vous me demandez ne me plaît pas. Je vous garde à l'oeil. Je vous garde à l'oeil de près."

"C'est çà, mon petit. Garde-moi à l'oeil", soupira la Bernadette une fois que la Soeur Marie-des-Eaux s'était allé vers l'église en passant par les taillis, comme un écolier fautif.

Le novice passa par le presbytère, évitant la grand-porte. Il pesta quand il vit qu'il y avait quelqu'un d'autre dans la nef en plus du père Houillon. Le Sybille Henriquet achevait la statue du Jésus-Cuit en bois qu'on lui avait commandé. L'ouvrage était rustique mais exhalait une simplicité bienvenue, à l'image du sculpteur, un petit gars qui avait l'air de toujours sourire, histoire de montrer ses quenottes noircies par les cigarettes de foin et la rude bouffe locale. Il sentait la colle à bois, la sciure et le tabac froid, et il avait une petite boucle d'oreille, ce qui était la seule excentricité de ce gars en salopette. Il s'éclipsa, comprenant qu'il était de trop.

"Ainsi donc vous nous faites l'honneur de votre présence, ironisa l'abbé Houillon.
- Finissons-en."

L'intérieur du confessionnal était obscur, comme on pouvait s'y attendre, et empestait le moisi et l'odeur de pieds. On y respirait avec peine, des spores vous rentraient dans la bouche et les narines. Tout le bois était mou, et il fut impossible de trouver une partie sèche de banc pour s'assoir.

Elle ne voyait pas le prêtre mais sa présence derrière le vantail était palpable, et son souffle asthmatique remplissait tout l'espace.

"Bénissez-moi mon Père, car j'ai péché.
- Je te bénis. Parle en toute confiance. Le Vieux est avec nous et t'écoute.
- ...
- Tu peux parler. Alors, comment qu'c'est ?
- Vous savez, ce diable qu'était dans le Jésus-Cuit. Y vous barattait le lait de la tête pour s'en goinfrer.
- Oui, c'est possible. Il faudra ouâr ce qu'en dira le diocèse.
- Qui qu'c'est-y qui m'fait croire que vous faites pas la même chose ? Que vous vous bâfrez pas de nos confessions ? Et si je ressortais d'ici vidé de mes souvenirs ?
- Whoit donc, on se calme, vous êtes pas un poulet et je vais pas vous vider. Dites ce que vous avez sur le coeur, si vous voulez l'absolution.
- Je m'en suis déjà confessé pendant l'exorcisme.
- Je ne suis pas sûr que ça soit régulier. Confessez-vous ici. Au pire, dites-vous que c'est juste une couârie.
- Pfff... Bon. Avec mon opinel, des fois je ressens le besoin de trancher des choses."

Il en profita pour découper un bout de confessionnal, faisant mine d'illustrer sa parole par du bruit.

"Et j'aurais bien tranché la gueule de ceux qui font du mal aux bêtes aux Voivres. Je peux pas supporter ceux qui font ça.
- Bien, c'est bien. Et c'est tout ?
- C'est tout.
- Eprouves-tu du repentir ?
- Oui.
- Sans mentir ?
- ...
- Au nom du Vieux, de Jésus-Cuit et de l'Esprit-Chou, je te donne l'absolution. Tu réciteras un Notre père qui êtes si vieux."


Quand la Bernadette revint dans le restaurant, ce fut pour trouver la Soeur Jacqueline au plus mal. Elle ne tenait plus sur ses jambes et la Bernadette dut l'aider à monter l'escalier pour qu'elle aille s'allonger. La nonne cumulait le trouble qui jouait avec son corps depuis l'avant-veille et le traumatisme d'un choc mental reçu au moment où elle avait écrasé le ganglion central de la chose qui vivait dans la statue de Jésus-Cuit. Tuer fait beaucoup de mal. Il fait du mal à celui qui tue. Le choc mental est comme une violente décharge électrique qui résonne dans vos os et vos organes des jours et des jours durant. Et il y a le flachebacque, ce souvenir de l'être qu'on tue et qui vous saute à la gueule et s'imprime sur votre vision et dans vos sens comme un filtre persistant.

Il y a d'abord l'abominable sensation d'être dans le corps d'un horla, de respirer par ses sphuncters, de  remuer par ses pseudopodes, de sentir l'hémolymphe circuler dans ses vaisseaux, d'être enfermé dans une statue-galerie, et puis ce mélange de délice et d'horreur à consommer l'énergie mentale des humains massés dans l'église, et de percevoir par là-même des grappes de souvenirs, de prières, de bonnes et de mauvaises pensées, à peine digérées.

La chose n'avait pas à proprement parler de perception du temps, aussi sa compréhension des choses n'était pas nette. Mais ce qui marqua la Soeur Jacqueline, ce fut une sensation. La sensation d'être en concurrence. Il y avait au moins deux forces qui disputaient les vapeurs mentales à la chose enkystée dans le Jésus-Cuit. L'une était massive et complexe, l'autre était multiple et faible, mais déterminée.

Quand la Soeur Jacqueline reprit ses esprits, ce fut avec un haut-le-coeur à la fois dû à la réincorpation et à l'effroyable découverte qui était la sienne. Plus moyen de se voiler la face. Elle était allongée dans des draps, il eut fait froid si le corps de la cuisinière, penché sur le sien, n'irradiait pas autant de chaleur. Elle se sentait molle et comme pesant des tonnes. Elle avait une barre de migraine sur le front et son odorat exacerbé captait la moindre des nuances, les fumets de graisse et d'hormones émanant de la Bernadette, les chaleurs paillées de l'écurie et le lisier qui schlingue charrié par le vent en provenance de la ferme Soubise.

La fenêtre était fermée par un volet, si bien qu'en plein jour il fallait la bougie pour y voir. Mais ça ne manquait pas, les vomissures de cire recouvraient l'endroit comme les fientes dans un poulailler. Il y avait des coqs sans têtes pendus à sécher sur les poutres, et des colliers de coquilles d'escargots remplis d'humus et d'autres matières. Sur la table de nuit, un petit tabernacle peut-être volé dans une chapelle, qui contenait Le Vieux sait quoi, et un livre entouré de ficelles et d'hameçons, ouvert sur une page calée par un bougeoir fait avec une serre de corbeau, et sur les pages tannées une écriture ondoyante certainement effectuée sous auto-hypnose, à faire passer les pattes de mouches des mémographes pour des merveilles de calligraphie. On ne pouvait rien y reconnaître sauf des symboles que la Soeur Bernadette avait appris à identifier lors de sa formation d'exorciste : caractères hébreus et pentacles. Des lichens et des vers couvraient l'ouvrage qui leur faisait office d'habitat naturel. Le Petit Albert.

"Vous ne m'avez pas remontée dans ma chambre.
- Non, ce n'est pas votre chambre, c'est la mienne.
- Vous, vous êtes...
- Une sorcière, je suppose. Mais si je vous ai entraînée ici, c'est pour vous manifester ma confiance en vous et mon désir de vous soutenir.
- Votre désir...
- La sorcellerie, ce n'est pas ce qu'on vous raconte à l'église ou au diocèse. Pratiquer la magie ne fait pas de tous des servants du diable. Ce sont deux choses distinctes à vrai dire. Et vous avez de puissants ennemis, et moi, je peux être votre amie...
- Mon amie...
- Je sens que vous êtes souffrante et je peux vous soulager.
- Me soulager...
- Laissez-vous faire et vous irez mieux et vous aurez fait de moi votre alliée.
- Me laisser faire..."

La Bernadette approcha sa tête sur la tête de la Soeur Jacqueline. Son haleine sentait l'ail et le persil. Elle écarta les paupières de la nonne et lui lécha la cornée. Elle lui enleva son voile et passa ses doigts gonflés dans la poisse de ses cheveux gris en sueur. Elle avait des ongles longs qui griffaient les habits de la nonne, sauf ses annulaires qui étaient coupés courts. Elle s'en servit pour lui explorer les canaux auditifs. C'était vraiment étrange cette sensation à la fois d'être comblée et de servir de marionnette, de s'abandonner. La Soeur Jacqueline était incapable de déterminer si elle consentait ou non à ce qui était en train de se produire. Commettait-elle alors un péché ?

La Bernadette lui prit la main et l'apposa sur son opulente poitrine. "Sens mon coeur". Celui-ci battait comme celui d'un boeuf et en même temps la nonne sentit que le sien était comme planté d'épines. Elle décida qu'elle était victime d'un sort, qu'elle était prise, oui c'est ça, qu'elle était sous l'emprise de la cuisinière, comment appeler autrement ce sentiment de manque et de dépendance qui l'abritait, et ses inclinations ô combien contraires à ce qu'on lui avait enseigné au couvent ?

Si elle était sous l'emprise, oui comme un enfant coincé sous des draps trop chauds, alors elle n'était pas responsable de ce qui suivrait, elle ne commettait pas de péché, elle n'aurait rien à confesser. Si elle couvrait son ventre de baisers, c'était en dehors de sa volonté. Si elle mordait la chair tout autour du grain de beauté de la Jacqueline, c'était dans un état second. Si elle la laissait la malaxer comme une glaise fertile, c'était comme dans un rêve.

Elle oublia le froid d'automne qui traverse les murs comme du beurre, elle n'était plus qu'une fournaise et seule la Bernadette avait le pouvoir de l'accompagner alors qu'elle se sentait littéralement fondre. Elle la laissa retirer sa robe et ses jupons, en fait elle l'aurait aidée si ses mouvements n'avaient pas été si gauches. La cuisinière sortit un bocal de terrinne de la commode, elle en tartina les chairs de la doyenne, et en mit dans sa bouche pour qu'elle l'avalât avec langueur, alors qu'ensuite de sa tête elle se frottait à son araignée intime.

L'expérience qui s'ensuivit rappella à la Soeur Jacqueline l'auto-médication de la vieille, mais en cent fois plus ardent, en cent fois plus réel. Elle avait le sentiment de procéder là à quelque rite inédit dont seul son corps avait le souvenir, une réminiscence païenne que visiblement on avait tenté, l'oubli aidant, de lui enlever au couvent, mais c'eut été comme déraciner un chardon, on ne peut jamais couper tout le rhizome, et là c'était en train de repousser, le feu dans son ventre et le moyen de le satisfaire, par l'entremise de la Bernadette, elles étaient deux femmes dans la fleur de l'âge et leurs corps sinon leurs esprits savaient quoi faire. La Soeur Jacqueline se fit plus entreprenante, elle enleva chaque bouton de la chemise de la cuisinière comme s'il était lourd comme du plomb, elle délivra les mystères gras et ridés qui avaient auparavant peuplé sa nuit, elle parcourut chaque varice avec avidité, elle lécha là où s'était salé, là où c'était mou, là où c'était humide. Alors que la Bernadette allait de son côté droit au but, la Soeur Jacqueline sentit monter en elle des vagissements que seules ses années de couvent purent l'aider à contenir.

Ainsi donc, c'était cela d'être prise dans les sorts.

Et à ce moment-là, la Bernadette sentit en elle quelque chose qu'elle pressentait à peine, et elle se garda bien de faire des remarques à ce sujet pour le moment.

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Static Tensions, par Kylesa, metal, hardcore, punk, stoner, sludge, héroïque et vengeur, l'album de fer et de plomb pour la dernière des expéditions punitives


La Soeur Marie-des-Eaux sortit encore de l'eglise par le presbytère. Il ne comprennait pas cette honte qu'il avait d'aller à confesse. Quelque chose clochait.

Derrière le presbytère, c'était des ronces et des orties, et une masse de chênes aux racines couvertes de glandaies. On était à deux pas de la grand-rue et pourtant en terre étrangère. Et personne n'allait entendre ce qui allait se passer, la main qui bloque d'un rondin la porte du presbytère et les deux paysans qui sortent des fourrés. Y'avait le fils Fournier avec son pif de travers, et aussi celui que le novice identifia comme le fils Fréchin, vu l'air de famille avec le maire. Il était plus jeune et portait fièrement l'habit traditionnel, chemise blanche, gilet noir et sabots. Il avait un peu la gueule de son père mais en plus ovale et il était encore plus grand que lui, avec un grand sourire de petit con. Ils avaient tous les deux des fléaux et pourtant la moisson était passée depuis un temps...

L'opinel du Novice était déjà sorti, mais le gars derrière lui dévissa le poignet et la lame roula dans les fourrés.

Pour une fois, la Soeur Marie-des-Eaux freina ses réflexes de survie et prit une seconde pour analyser la situation. Le gars derrière elle avait disparu. Les deux fils à papa avait pas tout à fait l'air dans leur état normal. On aurait dit des clébards enragés.

Pour le novice, ce fut l'hésitation de trop. Le fils Fournier était petit et pas costaud mais il frappa aussi fort qu'il était bête et lui brisa l'épaule net. Le fléau du fils Fréchin s'écrasa sur ses vertèbres et le cloua au sol.


Lexique :

schlinguer : puer
couârie : discussion


Notes liées aux règles de L’Empreinte :

Menace : une Déité Horla (la Mère Truie)
Lieu de départ : Les Voivres
Avancement :
Acte I – Introspection + Tentation + Agression
Acte II – Introspection + Tentation + Agression (en cours)


Bilan :

Toujours dans l'idée de varier les inspirations aléatoires, j'ai fait deux tirages de Nervure (le prototype, qui comporte juste une centaine de questions orientées à la For The Queen) lors de la création du passé de Champo avec Session Zéro.
Parmi les inspis aléatoires également utilisées : Almanach, Oriente

Une session difficile car j'étais fatigué, j'avais franchement envie de dormir, mais j'essaye de fixer ma session d'écriture à la première après-midi entièrement vacante de la semaine, donc pas question de déroger pour manque d'énergie. Il vaut mieux que je fasse des sessions difficiles plutôt que de trouver des prétextes pour reporter toujours d'un ou plusieurs jours, et finalement louper une semaine, voire ajourner totalement le projet.


Feuilles de personnage :

Les feuilles de personnages sont maintenant centralisées et mises à jour sur cet article

Nouveauté par rapport à la fois précédente :
1 empreinte de plus pour Soeur Jacqueline.
Un passé oublié pour Champo (tiré avec Session Zéro)


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#9 06 Dec 2019 11:42

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : Dans le mufle des Vosges : un roman-feuilleton Millevaux

LA VEILLÉE

Un épisode entre le recueillement et la fureur, où les liens entre les exorcistes se resserrent sous la menace grandissante.

Joué / écrit le 06/12/2019

Jeu principal utilisé : L'Empreinte, de Thomas Munier, survivre à une transformation qui nous submerge

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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Unnar Ýmir Björnsson, cc-by, sur flickr

Contenu sensible : violence, racisme, suicide


Passage précédent :
7. Absolution
Quand les villageois montrent leur vrai visage, les choses sont bouleversées.


L'histoire :

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Tales from the Putrid Swamp, par Bear Browler, sludgecore aux saillies doom et thrash, avec un chant alcoolisé de Tom Waits vénère.

La douleur accélérait le processus mental du novice, il avait l'impression de réfléchir à la situation pendant que les coups pleuvaient au ralenti : "Comment je vais m'en sortir en vie sans les tuer ?"

Il tombe à terre mais en profite pour frapper la cheville du fils Fréchin avec ses sabots. Le grand dadais s'écroule.

"Whoit, où qu'il est passé le gars derrière ?", se demande le novice.

Le fils Domange lui flanque un coup de fléau en pleine gueule, ça lui déboîte la mâchoire dans un grand CROC et envoie valser son cache-oeil.

La gueule en sang, la Soeur Marie-des-Eaux s'aggrippe au fléau du fils Domange, il tire de toutes ses forces.

Le fils Fréchin s'est redressé sur ses genoux, il aggrippe la tête du novice en arrière, les doigts dans le trou de son oeil mort.

"Whoit, où donc tu veux m'emmener la bestiole ?"

C'était la voix de Champo. Il hémergea des fourrés avec Maurice au bout d'une longe. A la vue de la scène, il réagit instantanément en faisant tournoyer son lasso. Déjà il capturait le cou du fils Fréchin.

La Soeur Marie-des-Eaux asséna un coup de sabot en plein dans la peut figure du fils Domange. SHLORK !

Tant pis si je le bute, en fait. Désolé mon Vieux, c'est lui ou moi.

Le fils Fréchin était pas assez beurzou pour ignorer que la situation tournait à leur désavantage. Il avait la gueule en vrac et l'âne menaçait de ruer, alors il s'enfuit dans le taillis sans un regard pour son compère.

Le fils Domange supplia Champo de le relâcher et c'est ce que le sherpa fit.

"Tu le paieras cher, sale métèque !
- Dis-moi p'tit con t'en sais rien si t'étais au village avant moi !"

"Maurice était comme fou, il voulait à tout prix sortir de l'étable, alors je lui ai mis une longe et je l'ai suivi, il m'a conduit jusque là."

Puis il se rendit compte que la Soeur Marie-des-Eaux était vraiment dans un peut état et que probablement il n'avait que faire de ses précisions.

ll ramassa son cache-oeil dans les feuilles mortes et coucha le novice sur le dos de Maurice.

Derrière la porte du presbytère entrouverte, le Père Houillon guettait.


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Phillharmonics, par Agnes Obel, un piano-voix pour chanter les derniers et les plus fragiles des grands espaces, et les histoires minuscules qui s'y tapissent.

La veillée mortuaire du Basile se passa dans une atmosphère de totale étrangeté. Champo et le Nono Elie avaient couché le corps dans son ancienne chambre, où il n'avait plus dormi depuis l'affaire du Jésus-Cuit brisé. Il était tout blanc et comme paisible dans les draps. Entre ses mains, le chapelet en cordelette qu'il avait lui-même fabriqué.

La Soeur Marie-des-Eaux avait tenu à venir malgré les protestations collégiales, alors on l'avait sanglé sur le dos de Maurice, et maintenant il était avachi dans un fauteuil, engoncé dans les affres de ses os brisés. L'odeur des bougies partout et les rideaux tirés rappelait de drôles de choses à la Soeur Jacqueline, alors elle s'abîma dans la prière pour n'y plus penser.

Avec le Nono Elie et Champo, les seuls villageois à s'être déplacés étaient le Sybille Henriquet et la Mélie Tieutieu, descendue de Gremifontaine. Elle dissipait le malaise global en dispensant quelques ragots. Elle avait aussi ramené des beignets de pommes de terre dans un torchon tout huileux. C'était un petit mystère de comprendre comment cette ménagère de quatre-vingt ans avait pu descendre toute seule la forêt à travers la côte de Tachey et le Chaudron, avec son tablier à fleurs et ses beignets.

La mère Thiébaud parlait de ses maladies, et que son zona lui brûlait dans la mâchoire, et que la cataracte lui mangeait l'oeil, et elle croisait ses doigts tordus et arthritiques, en attente qu'on admette que c'était bien elle la plus à plaindre.

Le curé Houillon ne s'était pas épanché au-delà des prière de rigueur, des "Saindoux, priez pour nous", ça se sentait qu'il aurait bien fait l'économie du voyage jusqu'au Chaudron, et puis une mort par suicide ça fait toujours désordre dans la paroisse. Et il faisait tout pour éviter le regard de la Soeur Marie-des-Eaux.

Le père Thiébaud sussurait à voix basse une couârie qui n'était pas destinée aux occupants de cette pièce.

La mère Thiébaud se pencha vers le Nono Elie : "Dis ouâr, toi qui sais toujours tout, pourquoi donc il était enfermé dans le poulailler, le Basile ?
- Whoit, parce qu'il a cassé le Jésus-Cuit !, proféra le chasseur à voix basse.
- Oh, c'est pas vrai que d'moi, j'avais oublié !"

Champo serra les mains et le chapelet de Basile en signe d'amitié sincère.

Cette petite couârie idiote sortit un instant la Soeur Marie-des-Eaux des profondes méditations de la douleur.

La mère Thiébaud perd la mémoire. Mais que la mémoire ancienne, la mémoire proche.

Comme si ça lui était sucé.


Le retour au village fut lent, à passer par les chemins communaux tout enserrés de sapins et de nuit, sous le lustre des étoiles et la clameur des hiboux. Ils passèrent en cohorte, guidés par le père Thiébaud qui parlait à des choses invisibles dans les ténèbres, et il les conduisit jusqu'à la Chapelotte, une petite chapelle en haut de la côte dont il avait la responsabilité et qui tombait en ruines. Le curé Houillon la bénit. La Soeur Marie-des-Eaux s'agita un peu sous son âne et se tourna vers le sherpa :

"Champo...
Merci de m'avoir sauvé la vie."

Le père Thiébaud resta là, perdu dans ses pensées et toute la troupe des villageois traversa le hameau de la Grande-Fosse, sous les cris des chiens nocturnes.

Arrivés au Pont-des-Fées, la Soeur Jacqueline dut s'occuper du novice comme d'un enfant. Elle lui refit ses bandages, il avait des hématomes gigantesques qui s'étendaient sur sa peau dans un développement de différentes couleurs. D'ordinaire, la doyenne aurait été chamboulée par la vue de ce corps maigre et brisé, mais elle était trop absorbée par son sentiment de culpabilité.

Elle dut lui mettre sa plume dans ses mains pour lui permettre de remplir son fichu carnet mémographique de tous les martyres de la journée.

Et puis ce fut encore la pénible récitation de l'Apocalypse, avec le souffle court d'une cage thoracique enfoncée :

"L'Homme entendra les rumeurs folles qui parcourent les rues et les palais de Babylone. Ses frères et ses sœurs ont déjà commencé à remplir le grenier des hantises avec le grain de leurs peurs, de leurs omissions, et de toutes leurs pensées impies et industrieuses comme des fourmis arrachées de la dévotion par des activités profanes et bassement profitables. Déjà l'œuvre de ces pensées agrégées se répand comme du limon dans la Cité et sème l'horreur. Qu'il châtie les mauvais-penseurs pour les empêcher de souiller la trame spirituelle du monde, qu'il s'abîme dans la prière pour dissoudre ce vent mauvais, qu'il répande la bonne parole, ou qu'il purge les lieux déjà souillés par la hantise, l'Homme fera une bonne action du moment qu'il suit les directives du Très-Haut."

Mais très tôt la bougie fut soufflée.


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Zugzwang for Fostex, par Ian William Craig, de l'ambient bruitiste minimaliste avec un son qui part en miette, entre piano éthéré, rêve éveillé et voie ferrée abandonnée.

Le lendemain fut percé par le teuf-teuf du tracteur du None Elie, puis par les cloches qui sonnaient le temps des funérailles.

C'était difficile de savoir qui au village avait une compassion sincère pour le Basile, mais l'église était pleine comme un oeuf. Beaucoup avaient besoin d'en apprendre plus sur les récents événements. La messe se déroula dans le froid et dans la tension, on sentait que la bouche des gens était sur le point d'exploser. Trop de ragots à faire courir.

La Soeur Marie-des-Eaux monta en colère tout au long de l'office, l'hypocrisie des Voivrais le mettait hors de lui. Heureusement qu'il en voyait aussi quelques uns qui ne faisaient pas semblant d'être tristes, la Mélie Tieutieu, Champo, le Sybille Henriquet, peut-être la Bernadette tant qu'à faire. Le village méritait encore d'être sauvé.

Les fils Domange et Fréchin étaient aussi de la partie. Il les toisa du regard. Le Domange baissa la tête, mais pas le Fréchin.

Champo les attendait à l'extérieur quand l'office fut terminé. On le laissait pas entrer dans l'église puisque c'était un païen. Pourtant, c'est lui qui avait aidé à charger le cercueil dans le tracteur du Nono Elie, enfin bref il avait tant et tant fait.

Le cimetière était juste en bas de l'église, à l'entrée du hameau du Moulin aux Bois, il était petit, étriqué entre quatre murs de pierres entassées, encerclé par des arbres gourmands dont les racines puisaient sans doute aux sucs des morts. La pierre tombale de Basile était à son image, très modeste, de celle qui disparaîtrait bientôt sous les ronces.

La Soeur Marie-des-Eaux sortit en dernier du cimetière, appuyé sur deux cannes. Une femme en noir en profita pour l'alpaguer.
"Madeleine Soubise, vous êtes venue."

La fermière la fixait de son visage rouge de croûtes qui cachait des yeux profonds.

"Je suis venu vous dire... Je sais que vous vous en êtes pris à Hippolyte. Je vous en supplie, arrêtez-vous de vous intéresser à nous. ça vaut mieux pour tout le monde.
- Je ferai ce que le Vieux me dira de faire. Je dois suivre mon sacerdoce.
- Je vous préviens en toute amitié. Et si vous détournez les yeux, on peut votre bien..." Sa détresse était palpable.
- Ni l'amitié ni la corruption, ni les coups de bâton ne me feront fléchir. Vous devez comprendre ça."

"Soeur Marie-des-Eaux...
- Oui ?
- Emmenez-moi avec vous, je n'en peux plus...
- Je n'irai nulle part tant que Les Voivres n'aura pas été exorcisé du mal qui le ronge."

La fermière tourna les talons à travers la futaie, désespérée.

Il y avait une sacrée ambiance dans l'Auberge. Les vins d'honneur d'après funéraille ressemblaient un peu à des banquets par ici. ça causait très fort, d'un côté le Nono Elie qui régalait son public d'anecdotes ponctuées de vindioux et de vinrats, et de l'autre les persiflades de l'Oncle Mougeot avec sa cour attablée :
"De toute façon, le Basile il était pas bien beau..."

On avait installé la Soeur Marie-des-Eaux dans un fauteuil près du feu et la Bernadette glissa une assiette de pâté lorrain fumant sur son coin de table.

"Vous savez que je mange pas de viande ! Donnez-moi plutôt de la choucroute, juste le chou, bien sûr, siffla le novice.
- Décidément, vous mangez pas la même chose que nous !"

Le visage du novice s'éclaircit, ses yeux s'agrandirent :
"C'est ça, bien sûr... Les horlas... Ils mangent pas tous la même chose, c'est ça ?"

La Bernadette répondit à voix basse, il y avait du monde et elle réagit comme si la Soeur Marie-des-Eaux avait sorti un gros mot digne du pire des argotiers.

"Chut... Mais vous avez raison, les horlas y'en a autant de différents qu'il y a d'étoiles dans le ciel. Alors oui ils mangent pas tous la même chose."

Il fallait comprendre ce que ça bouffait, et y'avait plus qu'à suivre la piste.

Champo prenait l'air au dehors. Il partageait une cigarette de foin avec le Sibylle Henriquet. ça lui faisait du bien de se brûler la lippe.

C'est ainsi qu'il vit quelque chose s'envoler du clocher et passer à travers les frondaisons. Un pigeon voyageur.



Lexique :

peut : moche
Whoit : interjection
C'est pas vrai que d'moi : formule auto-dépréciative
vindiou, vinrat : juron


Notes liées aux règles de L’Empreinte :

Menace : une Déité Horla (la Mère Truie)
Lieu de départ : Les Voivres
Avancement :
Acte I – Introspection + Tentation + Agression
Acte II – Introspection + Tentation + Agression
Acte III - Introspection + Tentation


Bilan :

J'ai bien failli louper ma séance hebdomadaire d'écriture. J'ai été pris dans l'organisation d'un GN et pensant que je bouclerais cette tâche rapidement (ce qui ne fut pas le cas), j'ai repoussé repoussé la session d'écriture. Ceci cumulé à des imprévus domestiques a fait que je n'ai pris la plume que ce vendredi matin ! Il était temps ! Il vaut mieux que je fasse comme la semaine dernière, prendre la plume le plus tôt possible en semaine, quitte à ce que ce soit dans des conditions de fatigue ou que ça repousse d'autres tâches censées être urgentes, et qui en réalité auraient pu attendre un jour de plus.

Nouveauté technique, une liste inspirée de l'article de Grégory Pogorzelski "Préparation : C'est pas moi, c'est mes PNJ"
Je liste tous mes PNJ et je leur fixe un objectif à chacun. Et de temps en temps, je m'astreins à faire avancer l'objectif de l'un ou l'autre ou je fais évoluer leurs objectifs en fonction de ce qu'il se passe, histoire de donner une impression de monde vivant.

Les règles de l'Empreinte m'ont permis de faire un découpage technique intéressant pour le combat. J'avais prévu que la Soeur Marie-des-Eaux perde, mais nous sommes seulement à l'acte II, donc les PJ ont eu l'avantage (la menace ne peut pas encore lancer beaucoup de dés). Ceci dit, la Soeur Marie-des-Eaux a récolté une empreinte. C'est donc avec des PJ mal en points que je démarre l'acte III. J'ignore quelle va être la prochaine agression mais ça promet de faire mal. Je pense que la menace va vraiment passer à l'action.


Feuilles de personnage :

Les feuilles de personnages sont maintenant centralisées et mises à jour sur cet article

Nouveauté par rapport à la fois précédente :
- 1 empreinte de plus pour Soeur Marie-des-Eaux.
- Liste des objectifs des PNJ en fin de page.


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#10 13 Dec 2019 13:40

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : Dans le mufle des Vosges : un roman-feuilleton Millevaux

NOTRE MÈRE LA TRUIE

Le groupe se serre les coudes à l'heure de la première vraie confrontation avec les Soubise.

Joué / écrit le 13/12/2019

Jeu principal utilisé : L'Empreinte, de Thomas Munier, survivre à une transformation qui nous submerge

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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crédits : anonyme, domaine public

Contenu sensible : cruauté envers les animaux, violences domestiques, stigmatisation


Passage précédent :
8. La veillée
Un épisode entre le recueillement et la fureur, où les liens entre les exorcistes se resserrent sous la menace grandissante.


L'histoire :

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Truth Becomes Death, par Nadja, chef d'œuvre du drone musical pour un parcours alchimique absolu, du plus léger au plus lourd.

La soeur Jacqueline pétrissait la cire de la bougie entre ses doigts crochus. Elle pensait à la Bernadette. En fait, elle ne pensait plus qu'à elle, et ça la brûlait, ça la brûlait. Elle n'arrivait même plus à penser à prier le Vieux, tout ce qui lui venait était des prières païennes dédiées à la cuisinière.

Aussi participait-elle d'une oreille distraite au conseil de guerre réalisé dans la chambrée ce soir-là en compagnie de Champo.

Les ténèbres étaient visqueuses et le froid réduisait les os en bouillie. Dehors on n'entendait que le feulement du vent et des branches brisées venaient frapper les vitres.

Champo méditait : "C'est drôle... Le chapelet du Basile, avec ses noeuds de cordelette, ça m'a fait penser à un cordon ombilical...
- Comme votre cordée pour les enfants, renchérit la Soeur Jacqueline...
- C'est comme si le Basile était obsédé par un motif... Presque possédé par lui... ça devrait vous parler à vous, les exorcistes..."

La Soeur Marie-des-Eaux lâcha du lourd :
"Quel genre de prédateur faut-il craindre le plus en ce moment ?"
La Soeur Jacqueline ferma bien sa gueule.
"J'ai l'impression de ne plus reconnaître mon village, fit Champo. Il faut se méfier de tout, de tout le monde. En fait, je vais finir à me ranger à votre avis, Soeur Marie-des-Eaux : il y a quelque chose qui cloche avec les Soubise. Je me demande bien ce qu'y broyent.
- Et bien moi je vous le dis : le problème chez les Soubise, c'est leurs cochons.
- J'croyais qu'vous aimiez les bêtes.
- Peut-être, mais toutes les bêtes ne nous aiment pas. Et toutes ne sont pas des humbles créatures du Vieux, on dirait.
- Cela me rappelle, fit la Soeur Jacqueline, finalement ravie qu'on ait éludé le sujet de la sorcellerie, la parabole où Jésus-Cuit, rendu au coeur d'une forêt païenne, dut exorciser cet homme possédé par le démon Légion. Il dût fractionner l'esprit maléfique dans le corps de mille cochons qu'il fit précipiter du haut d'une falaise. Ainsi périt Légion avec la chute de tous ces porcs.
- Ainsi donc nous vîmes pour ce qui semblait être une non-affaire et nous voilà à affronter Légion en personne. Il va falloir beaucoup de travail. Champo, vous pouvez disposer, nous avons à prier.
- Alors je prierai aussi de mon côté."

(Ecouter la parabole du troupeau de porcs, Luc 8, 27-39)

Ce soir-là, la main du novice trembla sur le carnet mémographique, et quand il eut lâché son calame pour la troisème fois, la Soeur Jacqueline le prit en pitié et rédigea les pensées du jour à sa place. Ce faisant, elle ne pensait qu'à la Bernadette, elle se fit violence pour ne pas écrire son nom.

Et comme le novice était toujours à bout de forces, elle récita aussi l'Apocalypse à sa place, de sa voix douce faite pour l'amour et qui se retrouvait à énoncer les horreurs profératoires de cet évangile :

"Car une fois que l'Homme a festoyé du fruit pourri du Démon, le Démon a festoyé de l'Homme. Il a mangé son corps et le corps des bêtes et des choses qui étaient au service de l'Homme, et leur a donné son apparence. Et tous ses enfants, les mille et les mille démons, se sont répandus dans la forêt et dans les caches des Hommes. Et ils tourmentent les Hommes, ils les chassent, ils les mangent, et les pires d'entre eux les cajolent et les séduisent et leurs offrent de nouveaux fruits pourris."


Puis ce fut le caveau de la nuit, où la Soeur Marie-des-Eaux se débattait dans son sommeil comme dans une cage de chair meurtrie.

Il avait frôlé la mort sous les fléaux des paysans et c'est dans le fracas des os brisés et des chairs éclatées que la pulpe des souvenirs éclôt.

Les derniers souvenirs d'une enfance heureuse. La tête d'un lièvre émerge d'un terrier. L'enfant l'adopte et le baptise : Oreilles. L'animal se laisse apprivoiser. Accepte les panais et les tubercules. Il la suit partout en bondissant dans les fourrés. Il est gros et poilu et ils dorment ensemble le soir dans le campement, auprès du feu. Il frémit des narines et ses yeux noirs racontent beaucoup de choses, et il laisse des petites crottes rondes et sèches dans ses couvertures, cet idiot.

Il y a ce jour du grand départ. Dans la marmite accrochée au-dessus du feu, une odeur de chair et de vin cuit. La Marie, qui n'est pas encore la Marie-des-Eaux et encore moins la Soeur Marie-des-Eaux, se régale de la pitance, une viande qui fond sous la langue, des petits os qu'on suce avant de planter dans la terre.

Il demande à ses parents : "Il est où Oreilles ?
- Il fallait qu'on prenne des forces pour le grand départ. Oreilles, on vient de le manger."

Encore une nuit à se réveiller en sursaut, comme une apnée mal gérée.
La Soeur Jacqueline n'est plus là. Elle est allée rejoindre la Bernadette dans sa chambre. Cette nuit-là encore, elles commettent le péché.

Quand la doyenne rentra à nus pied dans le chambre à pas de loup, le novice s'en rendit bien compte. Il n'avait pas fermé l'oeil depuis.

Autant dire que le petit déjeuner fut des plus maussades. La Soeur Marie-des-Eaux ne toucha ni au vin chaud ni au Géromé qui coulait tout en odeur sur son assiette, une porcelaine naïve vendue par l'Oncle Mougeot. La Soeur Jacqueline engloutissait son dû sans mot dire.

"Vous faites toujours la tête", remarqua la Bernadette qui elle irradiait des chaleurs de cette nuit.
- ça ne vous regarde pas, répondit la Soeur Marie-des-Eaux
- Je sais ce qui vous tracasse, mais vous essayez d'y répondre par le déni et ça ne peut pas marcher. Un trauma oublié continue de nuire alors même que vous ne vous en souvenez plus. C'est comme une blessure guérie en surface mais infectée à l’intérieur. Il faudra me laisser regarder ça.
- Je n'ai que faire de vos auscultations et de votre charité.
- Ne m'en veuillez pas, et soyons amies, d'ailleurs de votre côté vous m'avez toujours apporté ce que je vous ai demandé, c'est que vous savez que je peux vous aider, et c'est ce que je vais faire. Si je ne peux vous toucher en personne, je vous aiderai dans vos projets d'exorcisme."

Elle transportait l'odeur du vin chaud, de la cannelle et des sudations d'amour. La Soeur Jacqueline ne sentait plus son corps.

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Sphere from the woods, par Empusae, de l'ambient ritualiste pour un parcours animiste dans la forêt des rêves perdus.

Elles sortirent par le bar pour aller faire leur tournée quotidienne des indigents. Vauthier les salua d'un coude levé au passage, avec son sourire de poivrot qui lui tordait la moustache et ses habits jaunes tous tachés aux manches. Il avait l'air de bien se marrer.

Dehors, c'est là, en grand, marqué au charbon de bois sur le mur de l'auberge.

Un dessin obscène dont on devinait tout de suite le destinataire.

Un malappris avait grossièrement dessiné une truie en cornette qui filait la quenouille.

"Les gens au village doivent penser qu'on devrait passer notre temps à coudre et à ravauder comme les autres moniales au couvent. Ils vont être déçus. Allez, assez brézaillé.", grinça la Soeur Marie des Eaux en balançant ses deux béquilles en avant.

La Soeur Jacqueline disait rien, elle avait le feu partout au-dedans d'elle, comme si des épines lui poussaient. Dans sa tête, c'était sûr, la truie qu'on représentait, c'était elle.

Alors qu'elles remontaient la grand-rue, elles trouvèrent le Nono Elie sur son tracteur tournant au ralenti comme un veau à l'agonie. Il couârait avec le Sibylle Henriquet et alpagua les nonnes au passage : "Vous savez pas quoi ? J'ai vu les cochons des Soubise. Ils se sont lâchés partout dans les Faignottes."

La Soeur Marie-des-Eaux fixa la doyenne, puis lui murmura :
"Là, il y a un coup à jouer. On va en savoir plus."

Elles redescendirent à l'auberge pour aller chercher Maurice. Au passage, Champo qui avait fini sa tournée de l'école, se proposa de les accompagner. Sur le pas de la porte, la Bernadette leur demanda ce qu'ils bassottaient, et quand elle apprit la nouvelle, elle leur fit :
"J'ai dit que je vous aiderai. Il faut que je vienne avec vous. Le Père Soubise était mon maître, alors je crois que vous dois bien ça."


Le novice insista pour qu'on le sangle à Maurice et que tout le monde pressa le pas : il s'agissait de prendre les Soubise de vitesse. Champo proposa de demander au Nono Elie de les charger sur le tracteur, mais cette option fut rejetée : hors de question de se faire conduire par l'un des pires cancaniers du village.

Bien sûr, hâter le pas dans la terre humectée de l'automne fut un calvaire. Le raccourci passait par le cimetière. Plusieurs croix étaient ornées de filaments de corde qui s'étaient prises dans les ferronneries durant la tempête de la nuit, ça faisait comme des bandeaux de prière accrochés aux sépultures, où comme des mousses prises dans les arbres : ornement ou parasite ?

Maurice était bien moins que motivé pour monter la côté boueuse, il renâclait comme toujours lorsqu'il était animé d'un mauvais pressentiment, il fallait s'y prendre à trois pour tirer sa longe, tandis que la Soeur Marie-des-Eaux lui sussurait tout ce qu'elle pouvait de rassurant à l'oreille.

Il y avait des branches partout en travers du sentier, que Champo devait écarter d'un bâton, et même des troncs tombés de la veille. Décidément, le village n'était qu'un ridicule îlot de civilisation au milieu de l'enfer vert.

"Dites, Feugnottes, ça veut pas dire sphaignes ?, demanda la Soeur Jacqueline.
- Si, répondit Champo. Les Feugnottes c'est de la tourbière. Et les cochons vont s'embourber si on les sort pas de là."

Déjà sur tout le chemin les bêtes avaient labouré la glaise de leurs sabots.

Quand ils achevèrent leur pénible ascension, la Bernadette s'exclama : "Il fait un vent à décorner les cocus !"

Aux Feugnottes, les arbres étaient plus rares, ce n'était plus que des conifères gras d'humidité qui plongeait leurs racines dans la mollesse du sol. La terre de sphaignes vertes, jaunes et rouges s'étendait entre les roches et les rus qui veinaient la tourbière. Des droséras géantes avaient englué des porcelets imprudents et entamaient lentement leur digestion.

Les cochons étaient bien là, pataugeant dans la masse noire et spongieuse de la tourbe. Certains s'enfonçait et leurs efforts pour s'en sortir ne faisaient qu'accélérer leur absorption. Qu'avaient-ils donc à fuire pour s'être ainsi réfugiés dans un tel endroit. Les autres étaient comme fous enragés, ils s'entredévoraient les oreilles et la queue.

La Soeur Jacqueline porta un mouchoir à sa bouche. Le troupeau schlinguait et la vue d'un tel péteuillot retournait les sens.

Champo fit tournoyer son lasso. Il avait en tête de capturer le meneur pour reconduire les autres à la ferme, mais ça semblait une tâche impossible : les porcs sont bien moins dociles que des vaches. Le novice se contentait d'observer, à l'affut du moindre indice pour comprendre Légion.

C'est alors que Madeleine Soubise arriva derrière eux, tout en bottes et en fichu, crottée des pieds à la tête. Le vent plaquait ses cheveux gras sur son front.
"Qu'est-ce que vous faites là ? Laissez-moi gérer ce problème ?
- Madeleine, on peut vous aider ! Il faut que vous nous expliquiez ce qui se passe !", lança le novice.

Il fallait bouâler pour se faire comprendre, entre la tornade et les hurlements  des porcs.

"Vous ne pouvez rien faire pour moi, alors laissez-moi rentrer les cochons, sinon je vais me faire battre !
- Madeleine, hier vous m'avez demandé de vous emmener avec nous. J'ai refusé, mais en fait vous pouvez encore vous enfuir ! Nous allons rester ici, mais Champo vous conduira à travers la forêt !
- Je peux pas ! Je suis nouée ici !
- Comment ça ?
- Le Père Soubise il a un voult à mon effigie, et le voult il est contraint avec des liens ! Je ne peux pas m'enfuir !"

Les nonnes virent le visage de la Bernadette se figer. Elles surent alors que la cuisinière comprenait tout à fait ce qui était à l'oeuvre.

Un vent de panique souffla sur le troupeau et les porcs qui n'étaient pas encore les quatre pattes dans la tourbe s'égayèrent dans tous les sens, bousculant la Soeur Jacqueline et Champo au passage.

"Qu'est-ce que tu bassottes à couârer avec ceux-là, la Madeleine ?"

Le Fils Soubise (comprendre, le mari de Madeleine) était arrivé. Il était en cotte et en sabots, dans un tenue de fermier qui portait les salissures de toute une vie, il avait sa fourche. Le pire, c'est qu'il n'avait pas une tête de mauvaise bougre. Ses cheveux et ses sourcils noirs et frisés, sa bouille ronde et rouge lui donnaient un air de bon vivant. Malgré les rafales, on sentait sur lui une odeur de vache et de cochon qui vous flinguait les narines.

"C'est foutu, siffla la Soeur Marie-des-Eaux aux autres. Tout ce qu'on peut essayer de faire, c'est capturer un cochon pour l'examiner."

Champo, bien qu'endolori par sa chute, lança aussitôt un lasso sur le premier pourceau venu.

Le Fils Soubise sortit de son manteau un chapelet de patates pourries nouées entre elles par une cordelette, et percées de clous de girofle. Il les égraina et comme par effet de conséquence, les bestiaux commencèrent à se rattrouper autour de lui, bien qu'à contre-coeur.


Lexique :

Broyer : faire, fabriquer
Géromé : variante vosgienne du fromage de Munster.
Brézailler : rester oisif, lambiner, travailler mal ou lentement.
Bassotter : tourner en rond, avoir des gestes empesés ou maladroits
ru : petit ruisseau
schlinguer : puer
péteuillot : pétaudière, gadoue
boûaler : gueuler


Notes liées aux règles de L’Empreinte :

Menace : une Déité Horla (la Mère Truie)
Lieu de départ : Les Voivres
Avancement :
Acte I – Introspection + Tentation + Agression
Acte II – Introspection + Tentation + Agression
Acte III - Introspection + Tentation + Agression (en cours)


Bilan :

Je sens que le côté littéraire prend le pas sur le côté rôliste. A mi-temps d'écriture, je n'ai encore pas du tout utilisé les procédures de l'Empreinte, ne faisant que des scènes en dehors des trois scènes type du jeu. Je n'ai fait qu'un tirage d'aide de jeu (Nervure) (un autre tirage, cette fois-ci d'Oriente, interviendra sur la fin de la session, suscitant la scène du cimetière). En revanche, j'ai exploité la règle d'Ecorce (un choc qui vous fait frôler la mort = un flachebacque) pour raconter un souvenir de la Soeur Marie-des-Eaux, le dit souvenir ayant été fabriqué il y a quelques temps en tirant le passé des personnages avec Session Zéro. Rajoutons évidemment la routine mémographique du soir, avec un extrait de l'Apocalypse de Millevaux. Mais j'ai surtout utilisé mes notes prises en cours de semaine, et fait tourner la logique interne des personnages. Qu'à cela ne tienne, l'aspect rôliste n'est pas une obligation, c'est avant tout une béquille, quand je peux m'en passer, je m'en passe.

Il faut également que je vous explique que mon écriture est assez lente. J'ai beau me dire que c'est un premier jet, je fais beaucoup de vérifications à la volée, sur le lexique vosgiens, ou sur la topographie des Voivres (je suis allé faire un tour sur Géoportail aujourd'hui), histoire de donner une épaisseur à la chose. Précaution qui serait superflue si on était sur une simple partie de jeu de rôle, où je fais volontiers des entorses à la vraisemblance pour aller plus vite ou pour les besoins de l'histoire.

Au final, à la fin de cette épisode, j'ai seulement commencé la scène d'agression ! J'ai juste lancé deux dés, donc on poursuivra le lancer de dés au début du feuilleton suivant...


Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

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Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
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