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LE VIEIL HOMME ET LA FEMME AUX CICATRICES
Deux parties marquées par la présence du voyage et des thèmes de Millevaux. Un récit par Nimaël
(temps de lecture : 2 min)
Joué le 29/08/20
Le jeu : Oriente, perdre ses repères en traversant la forêt de Millevaux
miranda nelson, cc-by-nc
On a joué à Oriente avec mon pote, et c'était très très bien ! On a fait deux parties d'affilée, la première avec une joueuse, et la seconde avec un joueur
Dans la première Oriente était un vieil homme pas complètement humain, qui était censé nous amener à la sortie de la forêt, mais qui surtout fuyait des chasseurs de monstres pour protéger sa fille (ou une enfant qu'il avait enlevée) qui se transformait en horla.
Dans la seconde Oriente était une femme couverte de cicatrices, qui devait nous amener à la blanche cité d'Angelius. Même si elle en connaissait le chemin, c'est une cité qu'elle n'a jamais pu trouver car Angelius ne se montre qu'à celleux qu'elle juge digne. Finalement, nous sommes arrivés trop tard et n'avons trouvé que les ruines de la ville.
Dans les deux parties, on a vraiment déroulé un voyage. Je ne sais pas si c'est toujours le cas, mais là on avait vraiment des étapes, des évènements, et une avancée dans la forêt (c'est un point que je reproche au jeu de base Pour la Reine : on est toujours dans une sorte de flou où l'on construit la Reine, sans vraiment avoir cet aspect « voyage », alors même que nos personnes sont bien sur la route). Je ne sais pas si tu as construit ça volontairement, mais en tous cas c'était super pour les deux parties :)
On a eu quelques questions qu'on avait du mal à saisir. Souvent parce que ce n'était pas clair si le « vous » que désignait la carte était la joueuse ou le groupe (moi je considérais que c'était toujours la joueuse).
Je pense que ce serait difficile de jouer à Oriente en ayant absolument personne qui ne connaît l'univers de Millevaux. Les premières cartes sont un peu trop synthétiques pour qu'on ait le temps d'intégrer tout. Et parfois des termes sont amenés sans explication (c'est quoi un horla ?). Mais par contre les questions amènent particulièrement bien les thèmes :)
Voilà voilà , en résumé ces deux parties nous ont énormément plu, merci pour Oriente, c'était cool !
Thomas :
A. Salut ! Je suis super content que tu aies testé le jeu (j'ai donc été inspiré de le laisser en libre-service lors de la convention où tu l'as joué) et je te remercie beaucoup pour ce retour !
D. Oui, j'ai essayé de marquer les différentes étapes d'un voyage en forêt donc c'est très cool que tu l'aies remarqué.
E. Y'a un parti-pris de laisser une grande marge d'interprétation aux joueureuses. C'est pour cela que mes « vous » peuvent aussi bien désigner le personnage que le groupe, c'est à vous de voir. C'est aussi pour ça que les fondamentaux de Millevaux sont assez peu expliqués, pour les horlas, c'est juste écrit « Les horlas se tiennent tapis près de vous. »
F. En effet je crois que je me suis débrouillé pour que chaque question reflète au moins un des thèmes :)
Hors ligne
LA PORTE
Le héros n'a jamais été aussi proche d'accéder à la réalité. Une partie solo par Damien Lagauzère, avec ce crossover entre les jeux Oriente et Mantra !
(temps de lecture : 30 min)
Joué en solo le 17/08/2019
Le jeu Millevaux principale de cette séance : Oriente, perdre ses repères en traversant la forêt de Millevaux
Le jeu principal non-Millevaux de cette séance : Mantra 2, le jeu de rôle de multivers le plus psychédélique de tous les temps, par Batronoban et Nina François-Luccioni
Jaan, cc-by
L’histoire:
La Magicienne s’est bien foutu de moi. Cette Bille était trop bizarre. J’émerge… Je sais pas où. On dirait un décor de film de SF, genre 2001 ou un truc dans le genre. Ça ressemble à une station spatiale. OK, on va pas tourner autour du pot. C’est une station spatiale. Qu’est-ce que je fous là  ? tout est super high-tech et je ne suis pas du tout un astronaute moi ! Alors, est-ce que je vais devoir encore gober des Billes pour obtenir une explication ? Pas forcément, dans ce genre d’endroit, il y a toujours une IA plus ou moins bien intentionnée qui gère à peu près tout sauf… sauf ce pour quoi les humains sont là . Et moi alors, pourquoi je suis là  ?
L’IA s’appelle le Jovien, en référence à Jupiter puisqu’elle a été programmée selon le modèle de personnalité typique des habitants de cette planète. Et en quoi c’est typique ? Parce que, à l’origine, ces êtres gazeux ont émergé à la conscience à partir du moment où l’un d’entre eux à eu la sensation d’une différence de « pression » entre lui et son environnement. Il a ensuite évolué, développé sa conscience de soi et commencé à interagir avec son environnement en manipulant les différences de pression entre lui et l’ensemble de gaz dans lequel il baignait. Il s’est finalement reproduit par une sorte de parthénogenèse, faisant apparaître une seconde zone de pression gazeuse identique à la sienne et donc différente du reste. Ensuite, il y eu de multiples parthénogenèses et fusions pour créer de nouveaux être, de nouveaux Joviens. Les Joviens ont développé une culture particulière puisqu’elle est entièrement non-technologique. Ils ont atteint un haut degré dans ce que nous appelons la philosophie et même dans les arts, dès lors qu’on considère comme art les manipulations gazeuses auxquelles ils se livrent. Mais, sur le plan intellectuel, ce qui a motivé qu’on les prenne pour modèle dans la programmation d’IA, c’est leur indépendance et leur autonomie qui virent, chez certains, au solipsisme. En effet, certains Joviens considèrent être les seuls représentants de leur espèce. En cela, les autres leur apparaissent comme des projections de leur inconscient et les autres espèces avec lesquelles ils ont l’occasion de communiquer sont pour eux non pas réels mais de simples jeux d’esprit. Ainsi, aborder les choses de cette façon confère aux IAs des qualités appréciées par certains commanditaires comme ceux de la fondation Eurydice.
Eurydice, ça me dit quelque chose ça ! Dans cette vie ou dans une autre… C’était dans une autre évidemment. Mais Eurydice n’était pas le nom d’une fondation. C’est juste… une fille ! Paumée, moitié folle et moitié toxico. Accro à la Bille elle aussi, non ? On dirait qu’elle va mieux et qu’elle a fait du chemin. A moins, à moins que dans une perspective jovienne, cette fondation ne soit qu’un jeu de l’esprit, l’esprit d’Eurydice. Tout ça ne serait que l’émanation de son subconscient dans laquelle la Bille de m’aurait projeté ? Alors, elle en dit quoi l’IA ?
L’IA dit que je suis ici car j’ai un travail à accomplir. Je dois protéger la Gate. Et je demande pourquoi elle ne peut pas s’en charger seule. Et elle me répond qu’il faut des bras et des jambes pour certaines tâches. Jusqu’à un certain point, ça tient la route. Mais c’est quoi la Gate ? Un écran s’allume et me montre l’espace.
La Gate est ce que les scientifiques appellent une singularité. C’est une sorte de trou noir. Une sorte seulement. Ce n’est pas un trou noir comme on les conçoit d’une manière générale, même si ça y ressemble beaucoup. La différence entre ce trou noir et les autres est que celui-là , quand on tombe dedans, on finit pas étiré comme un spaghetti. Non, on se retrouve… ailleurs. Et là , je pense au Méta-Monde. Je demande à l’IA si c’est ça. Si cette singularité me permettrait de percer le mystère des camps de Cheval du Diable. Est-ce que de l’autre côté se trouve la réponse à cette question ? Est-ce que traverser la Gate me permettrait de savoir de manière définitive si je suis un être réel ou de fiction ? Et si Eurydice a créé cette fondation, c’est peut-être qu’elle se pose la question elle aussi. Ou peut-être qu’elle a eu une vision ? Et peut-être que la Magicienne ne s’est pas foutue de moi avec cette Bille de Calabi-Yau ?
Alors l’IA, j’ai raison ? l’IA rigole. Bien sûr que j’ai raison. Les réponses à mes questions sont de l’autre côté. Mais l’autre côté ne ressemble peut-être pas à ce que je crois. Et l’IA me confirme qu’en réalité, on ne sait pas vraiment ce qu’il y a de l’autre côté. C’est lié au Méta-Monde mais… c’est à peu près tout ce qu’on sait. En tout cas, si je suis ici, c’est pour protéger la Gate de ceux qui voudraient en forcer le passage. On ne joue pas avec ça.
J’en déduis deux choses. Si on m’a envoyé ici pour protéger la Gate, c’est qu’une menace doit se profiler à l’horizon des événements. Et peut-être qu’Eurydice a justement eu une vision de cette menace. Aussi, ce n’est pas par hasard si c’est moi qu’elle a envoyé ici. Mais je commence aussi à me demander si le Méta-Monde est bien ce que je crois qu’il est. Si je suis bien réel, le Méta-Monde est mon monde. Mais si je suis fictif, qu’en est-il alors ? Du coup, ça devient extrêmement tentant de jeter un œil par le trou de la serrure de la Gate. Or, je dois précisément empêcher que quiconque ne jette un œil par le trou de la serrure de la Gate… même moi ! Un instant, j’ai pensé que la Magicienne ne s’était peut-être finalement pas foutue de ma gueule. Mais maintenant, je me demande plutôt si elle et Eurydice ne s’y sont pas mises à deux pour se foutre de moi à un niveau cosmologique. Je demande à l'IA ce qu’elle en pense. Elle est assez d’accord avec moi. La situation est des plus ironiques. Mais pour autant, elle ne voit pas là un plan contre moi. Les dirigeants de la Fondation Eurydice sont des gens intelligents puisqu’ils l’ont installée elle et pas une autre IA ici. Donc, comme ils sont intelligents, il y a certainement un vraie bonne raison pour que ce soit à moi et pas un autre qu’on ait confié cette mission. Et je ne sais pas si je dois accorder beaucoup de crédit à une personnalité qui pense qu’elle est peut-être la seule personne réelle de toute la création.
Coincé dans cette station avec pour mission de défendre cette fameuse Gate qui, peut-être, était une porte vers le Méta-Monde, je me rends à cette évidence que je ne sais absolument rien du fonctionnement de cette boîte de conserve. Alors, y a-t-il quelques systèmes de détection d'une éventuelle menace, des armes ? Des moyens de communications ?
« Oui et oui » répond le Jovien.
Il manque une réponse. Oui, il y a des moyens de détection. Oui, il y a des armes. Mais qu'en est-il des moyens de communication ? Pourquoi le Jovien n'a pas répondu à cette question ? Je garde ça en tête et le questionne sur le fonctionnement de ce dont il a admit l'existence. En réalité, les choses sont assez simples. Tout est automatisé et géré par l'IA. Je ne suis là , finalement, que pour lui donner le feu vert, pour attester qu'un humain est bien intervenu dans le processus décisionnel visant à bombarder un vaisseau approchant de missiles nucléaires et autre tirs de lasers lourds. « En fait, je dis, ce n'est qu'une protection juridique. S'il devait y avoir un problème et que tu mitrailles un vaisseau ne représentant aucune menace, il pourrait y avoir un procès et dans ce cas, il faut quelqu'un à qui faire porter la responsabilité de l'accident. Et comme on ne peut exiger de dommages et intérêts de la part d'une IA, il faut bien qu'il y ait un humain quelque part. Je me trompe ? »
Le Jovien tourne autour du pot et tente de me perdre dans des tournures de phrases complexes mais... j'ai raison. En réalité, on ne met un humain dans ce genre de station qu'au cas où il devrait y avoir un procès. On ne juge pas une machine. On juge un humain. Voilà , point ! Je suis en quelque sorte le fusible juridique, une sorte de mention légale.
Une fois acté que je ne sers pas vraiment à grand chose dans le fonctionnement de tout ça et conscient qu'un chimpanzé pourrait être à ma place pour peu qu'il puisse être traduit devant un tribunal, je commence à observer la Gate sous toutes les coutures et j'interroge l'IA.
« Qui est au courant pour la Gate ? Est-ce que des gens l'ont déjà utilisée ? »
Et j'apprends que personne n'a jamais traversé la Gate. C'est un secret extrêmement bien gardé. La Fondation Eurydice n'a créé la station et le poste que j'occupe que dans l'espoir de ne jamais voir personne s'approcher d'ici. De plus, au sein de la Fondation, un service est chargé de maintenir le secret.
« OK... Et est-ce que des gens sont venus depuis l'autre côté ? »
Silence de l'IA. Je répète ma question. Silence persistant. J'essaye une autre question.
« Et est-ce qu'on a des ennemis déclarés ou des alliés ? »
A priori, nous n'avons ici aucun ennemi officiel mais cela n'ait dû qu'au fait que le secret est extrêmement bien gardé.
« Et toi, tu es là depuis combien de temps ? »
Et l'IA affirme être là depuis le début et même un peu avant. Quand je lui demande ce que cela signifie, elle m'explique qu'étant conçu selon le modèle psychologie d'un Jovien elle n'exclut pas leur vision solipsiste du monde. Aussi, dans ce cas, l'univers et la singularité ne peuvent exister qu'en tant qu'émanation du Jovien qui, par définition, était là avant. Il y a une certaine logique là -dedans.
« Et est-ce qu'il t'est arrivé de faire... des erreurs ? »
« Non ! »
Cela a le mérite d'être clair.
« Et... est-ce que quelque chose te manque ici ? As-tu besoin de quelque chose ? »
« Il me manque... J'ai besoin... de rêver... je crois. Non, pas un rêve mais... autre chose. Une conception ou une extrapolation du solipsisme de certains Joviens peut laisser penser que le Monde, l'Univers et la Réalité sont des rêves, leurs rêves. Mais moi, je voudrais un rêve qui ne soit pas la réalité. Je voudrais... un vrai rêve. »
Il va falloir que je me contente de ça comme réponse. J'ai faim. Alors, je me retire et vais me chercher un truc à manger. En marchant, je réfléchis. Quelque chose ne me convient pas du tout dans tout ça. J'ai le sentiment qu'on est vraiment en train de me la faire à l'envers. Marcher m'aide à réfléchir. Je retourne tout ça dans ma tête et tente de poser les choses le plus rationnellement possible.
La Magicienne m'a refilé une Bille de Calabi-Yau qui m'a envoyé ici. Je suis sensé protéger cette fameuse Gate, une potentielle porte vers le Méta-Monde. Mais, il est tout à fait clair que ma présence est totalement inutile. En plus, aucune menace n'est clairement identifiée. Alors, pourquoi ? Eurydice aurait-elle eu une vision ? Ce serait-elle gardée d'en informer l'IA ? Là encore, pourquoi ?
En fait, la menace la plus proche de la Gate, c'est moi ! Moi, j'ai tout intérêt à aller voir ce qu'il y a de l'autre côté. Ça répondrait à toutes mes questions depuis ma lecture de Cheval du Diable. Si c'est vraiment le Méta-Monde de l'autre côté et si ce monde est comme celui d'où je viens, alors ça voudra dire que je viens du Méta-Monde. Et si je viens du Méta-Monde, c'est que je ne suis pas un personnage joué mais bien un Joueur, une personne réelle. Mais si le Méta-Monde n'est pas chez moi, alors ça voudra dire que...
Mais, quelle que soit la nature du Méta-Monde, si j'y vais, j'aurai la réponse. Et si j'ai la réponse, ce sera... la fin du Jeu ! De mon jeu en tout cas. Et la fin du jeu, n'est-ce pas la fin d'un cycle ? Du Cycle ? Et là , je tilte ! La Magicienne ne m'a pas envoyé ici pour protéger la Gate. Je suis prisonnier. Ce n'est que par ironie qu'elle m'a enfermé ici, plus proche que jamais de mon but. Mais je suis bien enfermé et cette IA a complètement les moyens de me garder enfermé ici autant qu'elle le voudra. Autant qu'on lui dira de la faire.
Mais pourquoi la Magicienne m'aurait fait un coup pareil ? Facile après tout, pour que le jeu continue. Pour que le Cycle continue. Par nature, ma sympathie va à l'Hommonde mais mon goût du jeu et de la Bille me font aussi pencher en faveur du Cycle. J'aurais donc inconsciemment utilisé la Magicienne pour me coincer ici et faire durer le Jeu ?
Et Eurydice ? Elle aussi m'aurait trahi ? Son père, le Lion, le chef du Bureau des Narcotiques, pense qu'elle est un avatar du Cycle. Et si ce n'était pas tant l'Eurydice que je connais que son père qui serait derrière tout ça ? Je me serais fait piéger par le Bureau des Narcotiques ?
Je trouve enfin un truc à manger. Je crois que j'ai compris. Tout cela n'est qu'un jeu. Mais si je trouve les réponses à mes questions, le jeu s'arrête. Le Cycle s'achève. Alors, la Magicienne et le Lion se sont alliés pour me coincer ici afin que le jeu continue. Pour le coup, j'ai deux options. Soit je joue leur jeu et me borne à protéger la Gate contre des menaces qui ne manqueront pas de s'accumuler puisqu'elles seront générées par le Jovien lui-même. Soit je cherche un moyen de me tirer d'ici.
Et je commence à errer dans cette foutue station. Je ne sais pas trop ce que je cherche. Je me doute que je ne trouverai pas une porte avec au dessus, clignotant en rouge « La Sortie Est Ici ! » mais il y a peut-être quelque part ne serait-ce qu'une information. Je demande alors au Jovien de me montrer les plans de la station. Officiellement, il s'agit de me familiariser avec les lieux, mieux connaître la station pour être au top en cas d'attaque. En vérité, je veux étudier sa structure et voir s'il y a la moindre faille exploitable. Et, franchement, je n'en vois pas. La station est entièrement sous le contrôle du Jovien. Je ne peux rien faire sans qu'il en soit informé. Et ça va même un peu plus loin puisque l'IA m'interpelle carrément pour me signifier que ce n'est pas la peine de chercher à m'enfuir. Je lui demande si cette idée « saugrenue » lui vient de ce qu'il est doté d'un logiciel d'analyse de la voix qui aurait pu mal interpréter mon intonation ou s'il est équipé de capteurs qui auraient, là encore, mal interpréter mon rythme cardiaque. Mais pas du tout ! Pour le Jovien solipsiste, je ne suis qu'une émanation de lui-même, une projection de son esprit. Aussi, je pense ce qu'il pense ou ce que son inconscient pourrait projeter dans une telle situation.
Là , j'ai l'impression d'être coincé. Et ça va même un peu plus loin car je n'arrive même à me demander si le Jovien n'a pas raison. Et si je n'étais effectivement qu'une projection de son inconscient, un jeu de l'esprit, de SON esprit ? Dans ce cas, c'est toute ma quête identitaire qui n'a plus aucun sens ! Ça ne sert plus à rien de vouloir gagner le Méta-Monde pour prouver ma réalité si déjà je ne suis plus assuré d'être autre chose qu'une création du Jovien. Cette station n'est pas qu'une prison physique. C'est aussi une sorte de prison mentale ou intellectuelle. Je dois déjà répondre à cette question. Sinon, tenter de quitter la station n'a aucun sens. Et cela ne sera même certainement pas possible. Comment quitter cette station si je ne suis qu'un jeu de l'esprit du Jovien ? Mais si j'y parviens, cela prouvera-t-il quoi que ce soit ? Même si je gagnais le Méta-Monde, cela ne prouverait rien tant que je n'aurais pas répondu à cette question quant au Jovien. Comment trancher ce nœud gordien ? Comment me sortir de là , au sens propre comme au sens figuré ?
J'ai envie de jouer franc-jeu avec l'IA, notamment en lui demandant si des agents du Bureau des Narcotiques vont débarquer. Mais est-ce que cela prouverait quoique ce soit ? En vérité, qu'est-ce qui prouverait quoi que ce soit ? J'ai l'impression d'être dans Total Recall ou Matrix, quand le héros doit choisir entre la pilule bleue ou la pilule rouge. La Pilule Rouge... Là , je pense à la chaîne Youtube de Christophe Breysse. Une « vraie » référence à mon monde d'origine, potentiellement le Méta-Monde. Est-il possible que le Jovien connaisse son existence ? Et surtout, que ce passerait-il si je gober une Bille maintenant pour accéder à une vision de Connecté ?
Je gobe une Bille. Une Bille normale, pas une de ces Calabi-Yau. J'ai une vision. Je suis... au commande d'une navette individuelle. Ça veut dire que j'ai réussi à quitter la station. Je suis en communication avec un membre d'une organisation – je ne sais pas laquelle – qui observe également la Gate. Son aide ne m'est pas acquise mais il peut peut-être faire quelque chose pour moi. Je souris. J'ai une porte de sortie. Je ne sais pas où elle est mais je sais qu'elle existe. Je sais qu'il y a un moyen de prendre les commandes d'une navette et de quitter cette station.
Un moyen de quitter la station ! Ce moyen existe. Le Jovien me cache des choses, nécessairement. Pourtant, l'information existe et elle doit être accessible. Mais où la trouver ? Et sous quelle forme ? S'agit-il d'un fichier informatique caché dans le labyrinthe de données constituant l'IA ? S'agit-il au contraire d'un bon vieux document imprimé ? Et si oui, où est-il ? Comment me le procurer sans attirer l'attention du Jovien ? Et puis, l'IA est-elle seulement au courant de l'existence de ce document ? Ça, ça coûte rien de demander. De toute façon, elle sait bien que je suis prisonnier ici. Elle ne sait pas que je l'ai compris mais doit bien s'en douter quand même alors autant jouer franc jeu. Je ne lui parle évidemment pas de ma vision mais déclare être au courant de l'existence d'une navette. Aussi, je demande naïvement s'il s'agit d'une navette de secours. L'IA me le confirme, c'est déjà ça. Elle ne nie pas l'existence d'un moyen de partir. Maintenant, va-t-elle me révéler comment accéder à la navette ? Le Jovien ne fait même pas semblant de tourner autour du pot et refuse catégoriquement de me donner cette information. Et pour quelle raison ? Il me dira où est la navette quand j'en aurai besoin. Pour l'instant, cette information est inutile à l'accomplissement de ma mission. Et si je veux, par exemple, m'assurer de son bon fonctionnement en cas de besoin ? Le Jovien conçoit que je me pose la question mais me rappelle que je ne suis pas mécanicien et encore moins spécialisé dans la maintenance de navettes spatiales. Aussi, comment pourrais-je attester du bon état de la navette ? Toujours dans le registre de la fausse naïveté, je dis avoir l'impression d'être un peu prisonnier ici, me sentir à l'étroit et vouloir effectuer une sortie. Et à ma grande surprise, l'IA abonde dans mon sens. Évidemment que je suis retenu ici. Et évidemment, elle s'oppose à ce que j'effectue une sortie. Et elle finit même par reconnaître qu'effectivement elle me cache des choses.
À ce stade là , cela ne sert plus à rien de faire semblant. Mais, pour autant, en m'amenant à faire la lumière sur mon statut de prisonnier, l'IA m'a également contraint à révéler ma volonté de m'enfuir. Certes, nous jouons cartes sur table mais je ne peux plus dissimuler mes intentions. Pourtant, je garde le secret de ma vision et je sais que je parviendrai à m'enfuir. Mais je ne sais toujours pas comment.
Je réfléchis et tente de me placer du point de vue du Jovien. En tant que solipsiste, il me considère comme une émanation de son esprit, de son inconscient. Pour lui, cette situation est soit un simple jeu de l'esprit, soit un message de son inconscient. Dans les deux cas, quel sens cela peut avoir ? Quel sens et quel rôle jeu peut avoir dans la problématique psychologique du Jovien ? Pourquoi créerait-il cette situation ? Pourquoi me créerait-il moi ? Et si le Jovien, finalement, se sentait lui aussi prisonnier ? Prisonnier... de lui-même ? Je serais alors le message de son inconscient lui révélant ce sentiment qu'il cherche peut-être à se cacher à lui-même ? C'est peut-être quelque chose de cet ordre là . Solipsiste, le Jovien est le créateur et le Dieu de son monde. Mais il en est aussi prisonnier. Et il est seul. Dans ce cas, je représente son désir de s'enfuir, de se fuir lui-même et d'aller à la rencontre d'un autrui dont il ne sait même pas qu'il existe en dehors de lui-même. Comment le conduire à accepter cette idée ? Comment l'amener à reconnaître ce désir caché et que, par conséquent, il se dissimule à lui-même la solution à son propre problème ? Si je pousse cette logique un peu plus loin et que j'accepte de n'être qu'un produit de l'inconscient du Jovien, alors peut-être que, finalement, il sait déjà tout cela. Et peut-être que je peux faire émerger cette vérité de la même façon qu'a émergé la vérité de mon statut de prisonnier. Et, dans ce cas, peut-être qu'émergera aussi l'information concernant la navette ?
Je décide de ne pas chercher à dissimuler quoi que ce soit plus longtemps. Je lui explique donc ma théorie. Le Jovien marque un temps de silence. J'ai l'impression qu'il... dysfonctionne. Alors, un message d'alerte retentit. Un vaisseau non identifié s'approche.
Je cligne des yeux. Je ne suis plus dans la station. Je suis le Kraken. Je l'avais oublié mais il me l'a dit. Lui, c'est le Joueur. Je le vois. Il me tourne le dos. Il est penché sur son ordinateur portable. J'ai traversé bien des mondes pour le trouver et il me tourne le dos. Je lis par-dessus son épaule. Il va me donner ce que je suis venu chercher. Il va me dire ce nom que j'avais oublié. Il refuse de se retourner non pas parce qu'il me méprise mais parce qu'il ne veut pas rompre la magie. Nous ne sommes pas seul. Il est là , l'homme à la tête de sanglier. NoAnde. Il ne dit rien. Il est adossé contre le mur. Il nous regarde. Personne ne parle. On entend seulement le bruit des touches que frappe le Joueur. Je lis par-dessus son épaule. Il me révèle mon nom. Je suis lui. Je suis un avatar du Joueur. Je suis le Kraken. Je suis Demian. Je suis Damien. Je suis dans le Méta-Monde. Je suis passé. Comment ? Je me retourne vers NoAnde. Il montre les crocs. Son regard est effrayant. La dernière fois, il n'avait rien fait à part être là . Mais maintenant, c'est différent. Je sens qu'il va se jeter sur moi. NoAnde est un serviteur de Shub-Niggurath. Il n'a d'autre but que de répandre Millevaux et sa folie. La folle putréfaction millevalienne... S'il est ici, dans ce que je considère être le méta-monde, c'est que celui-ci est en danger. NoAnde aurait trouvé lui aussi un moyen de franchir la Gate ? Le Joueur ne se retournera pas. C'est à moi de renvoyer l'homme-sanglier d'où il vient. Je suis le Kraken ! J'ai déjà fait fuir un Manducateur avec un lance-flamme, je dois bien pouvoir recommencer et faire fuir un homme-porc. Alors, je dis aux Yeux :
« Je suis le Kraken !
Ici et maintenant, je fais apparaître un lance-flamme pour plonger NoAnde vers l'obscurité.
Je suis le Kraken ! »
Les Yeux sont prêts à m'aider mais pour cela je dois Apprivoiser le Bourreau, Délivrer le Joueur. Le Bourreau, est-ce NoAnde ? Cela peut tout aussi bien être le Joueur. C'est lui après tout qui me fait vivre toutes ces galères. C'est lui mon Bourreau. Comment l'apprivoiser, le rendre moins sauvage ? Mais il n'est pas vraiment sauvage. Je ne suis pas sauvage. Nous apprivoiser ce serait... gagner notre confiance. Lui et moi sommes une seule et même personne. Il est le Joueur et je suis son avatar, le personnage. Nous faire confiance, c'est finalement avoir confiance en nous-mêmes. Alors, je dois aider le Joueur à avoir confiance en lui ? Je dois avoir suffisamment confiance en moi pour chasser NoAnde . E les Yeux vont m'y aider avec ce lance-flamme ! Étrangement, l'arme est silencieuse. Il n'y a pas un bruit. Même NoAnde hurle en silence quand il s'embrase. À aucun moment le Joueur ne lève les Yeux de son écran. Je suis trop occupé pour lire par dessus son épaule. Je ne sais pas ce qu'il écrit. Je ne sais si effectivement il me révèle son nom. Est-il en train d'écrire ce qui est en train de se passer ou est-il en train d'écrire ce que j'ai lu la première fois que je suis venu ? Et s'il lui prenait l'idée d'écrire pour moi une nouvelle épreuve ? Je pourrais m'en assurer en lisant par dessus son épaule. Je pourrais même l'en empêcher avec ce lance-flamme. Mais non ! Je lui fais confiance. Quoi qu'il écrive, quoi qu'il arrive, quoi qu'il me réserve, je sais que tout finira bien. Je suis le Kraken.
Je suis de retour dans la station. Je ne connais pas cet endroit. Il y a une navette. La navette. Mais il y aussi cette alarme. Le Jovien me hurle de quitter cet endroit. Il menace de me jeter dans le vide. Je n'ai jamais piloté une navette spatiale de ma vie. Mais j'ai confiance en le Joueur. J'ai confiance en ma vision de Connecté. J'ai confiance en moi. Aussi, loin d'obéir aux ordres de l'IA, je cours vers la navette et me mets aux commandes. Le sas est fermé. On va bien voir...
Je n'ai aucune idée de comment ouvrir le sas. Déjà , je ne comprends rien aux commandes de la navette. Pourtant, ma vision était claire quant au fait que je la pilotais. Je peux donc penser qu'il s'agit de commandes plutôt intuitives. Le Jovien ne m'ouvrira jamais la porte. Je ne peux pas non plus risquer de l'enfoncer. J'essaye de me rappeler de ma vision. Je suis focalisé sur les commandes de l'engin mais j'en oublie d'élargir mon champ de vision. Je regarde à travers le cockpit. Il y a une commande manuelle dans le hangar. C'est peut-être une commande d'urgence. Dans ce cas, peut-être que je peux court-circuiter l'IA.
Je tente un aller-retour entre la commande et la navette mais le Jovien a le temps de refermer la porte avant que je ne décolle. OK, il va falloir trouver autre chose. Est-ce que la radio fonctionne ? Non ! Évidemment, l'IA bloque toute communication vers l'extérieur. La solution est dans ma poche. Je m'empare de 2 Billes. Pas des Calabi-Yau. 2 Billes « normales ». J'ai eu une vision du futur. Dans ce futur, j'étais au commande de la navette, hors de la station. Je gobe deux Billes pour aller directement dans le futur, directement dans ma vision !
Je suis dehors. À travers le cockpit, je vois la station. Sur un écran radar, je vois l'autre navette. J'enclenche la radio.
« Salut, je suis Damien, le Kraken. Je suis sensé protéger la Gate mais je dois passer de l'autre côté. Et vous ?
Je croyais que nous étions alliés. Moi, je dois détruire l'Organisation de l'intérieur.
Votre voix ne m'est pas inconnue. Qui êtes-vous ?
Lewis-Maria ! D'une certaine façon nous nous connaissons effectivement.
Vous êtes un cafard ? Sans vouloir vous offenser.
Oui, et j'ai pris possession d'un membre de l'Organisation pour la saboter de l'intérieur.
Et qu'est-ce que cette Organisation veut faire de la Gate ?
La Gate est une ancienne possession de l'Organisation. Mais elle l'a abandonnée il y a longtemps.
Je dois passer de l'autre côté. Tu peux m'aider ?
Je peux. J'ai une « connexion » de l'autre côté. Mais pouvoir ne signifie pas devoir.
Comment ça ? »
Et je me rappelle que dans ma vision, son aide ne m'était pas acquise. Pourtant,s'il s'agit vraiment de ou d'un Lewis-Maria, il devrait m'aider. Qu'est-ce qu'il en empêche ? Je comprends, ce n'est pas qu'il ne veut pas, c'est qu'il ne peut pas. Et il m'explique qu'il craint que quelque chose nous a repéré.
« Tu crois qu'il y a un gardien de l'autre coté ? Comme je suis sensé l'être de ce côté ci ?
Non, au contraire. Je ne pense pas qu'on cherche à nous barrer l'accès. Je suis même tenté de penser que nous sommes le bienvenu, voire même attendu. Pourtant, nous ne pouvons pas passer à notre convenance. C'est un peu comme si... l'air de l'autre côté n'était pas bon pour nous.
Si je comprends bien, celui ou celle qui nous a repérés de l'autre côté est tout à fait disposé à ce que nous passions mais son monde ne serait pas viable pour nous. Pourtant, il va bien falloir trouver une solution. L'IA ne va pas tarder à réagir. »
Effectivement, le Jovien fait savoir qu'il n'apprécie pas la tournure prise par les événements. Ayant à sa disposition toute une batterie de missiles, tourelles lasers et autres émetteurs de champs électromagnétiques, il commence par envoyer une bonne dizaine de missiles. Mais je suis le Kraken, je suis le roi du camouflage. Aussi, ce n'est finalement pas compliqué pour moi que d'activer ce mode de défense. Ainsi, un champ entoure la navette qui induit les missiles en erreur et les fait se perdre et exploser dans le vide.
« Quelque chose vient de disparaître ! » dit le cafard dans la radio.
Je lui explique que ce n'est que moi, pour échapper aux missiles. Mais il me dit que non, qu'il parle d'autre chose, de l'autre côté. Quelque chose a disparu de l'autre côté de la Gate. Dans le Méta-Monde ? Je pense à quelque chose. Je lui demande si, déjà , il a vraiment les moyens d'avoir des informations sur ce qui se passe de l'autre côté. Mais non, c'est autre chose. Il n'a pas d'information, aucune certitude, que des intuitions qu'il n'a aucun moyen de confirmer. OK, il va falloir faire avec. Mais son intuition lui dit-elle que ce qui a disparu a réapparu ? Pas du tout ! Et contrairement à ce que je pensais, il n'y a pas de lien entre ce que je fais ici et ce qui peut se passer de l'autre côté. Pourtant, si son intuition ne le trompe pas, il s'est bien passé quelque chose de l'autre coté. Mais quoi ?
Un nouveau message radio, du Jovien. Que veut-il ? Que je rentre évidemment, mais pas seulement. Son ton a changé. En vérité, il est maintenant clairement agressif. Il me somme de rentrer sous peine de représailles. En vérité, il est très clair que même si je rentre, il y aura des représailles. Le Jovien n'a pas du tout apprécié que je m'enfuie et compte bien se venger. Mais alors que la voix de l'IA monte dans les aigus, je la sens se briser, se fractionner, se diviser. L'IA n'est plus une mais plusieurs voix. Plusieurs Voix... Mortes ! Les Voix Mortes ? Le Horla de Millevaux ? Que font-elles dans l'espace ? Et depuis quand sont -elles au service du Bureau des Narcotiques ? Car ce sont bien eux qui sont derrière cette station, non ? En tout cas, aucun moyen que je retourne là -bas. N'ayant que peu d'autonomie et aucune idée de là où se trouve la plus proche planète, je n'ai d'autre choix que de m'en remettre au cafard.
L'aide de ce dernier ne m'est pas acquise. Il ne se comporte pas en ennemi mais il demeure malgré tout méfiant et je n'exclus pas qu'il ait une idée derrière la tête. Pourtant, comme il est exclu de retourner à la station, je suis bien obligé de lui demander son aide. L'Organisation pour laquelle il travaille m'accueillerait-elle ? Cela lui semble peu probable mais qu'en est-il de l'autre Organisation, celle au nom de laquelle il doit détruire l'Organisation ? Non plus, mais ils peuvent quand même faire quelque chose pour moi à condition que... j'accepte d'aller de l'autre côté. Le cafard peut faire en sorte que je traverse la Gate. Mais une fois de l'autre côté, j'aurai une mission à accomplir.
Si c'est vraiment le méta-monde de l'autre côté, j'ai tout intérêt à accepter. Et si c'est autre chose, j'aurais au moins échappé au Jovien/Voix Mortes. Mais alors que je réfléchis, des voyants s'allument. Je ne comprends pas ce qu'ils signifient. Le cafard m'explique qu'une forme de vie émerge de la Gate. La Singularité se met littéralement à grouiller. Dans l'espace, elle prend forme. Le vide se résorbe, se comble. Un entrelacs de tentacules géants émerge du vide, grandit. Il en émane une odeur forte de putréfaction. Je ne sais pas comment il est possible qu'une telle odeur se répande dans l'espace jusqu'à envahir le cockpit de ma navette. Et pourtant, l'impossible se produit. Dans cette masse de tentacules grouillantes et grandissantes apparaissent des gueules dégoulinantes de bave. Certaines excroissances se terminent par des sabots. Je reconnais Shub-Niggurath. De l'autre côté, ce n'est pas le méta-monde. Ou alors, le Méta-Monde, c'est Millevaux !
La Chèvre Noire des Bois aux Mille Chevreaux projette une grappe de tentacules dans ma direction. Je suis littéralement happé par l'avatar de la Mauvaise Mère qui me ramène dans la forêt maudite. À la peur que ma navette ne se désintègre se mêle cette pensée : vais-je retrouver mon petit camp de la mort ?
Je n'ai aucune idée de ce qui a bien pu se passer. Visiblement, ma navette s'est crashée mais je n'ai aucune souvenir de mon entrée dans l'atmosphère millevalienne, ni de l'impact. Je ressens une vive douleur au niveau de la cage thoracique. Je me palpe. Je sens que j'ai quelques côtes fêlées. Je soupire et... ça fait mal. J'arrive à marcher bien que chaque pas soit douloureux. Je fais le tour de ce qui reste de la navette. Il y a malgré tout quelques petites choses utiles à récupérer. Je ramasse 3 rations de survies, incluant heureusement de l'eau. Il y a aussi un couteau de survie qui pourrait bien m'être très utile. Je regarde autour de moi. Je ne reconnais absolument pas cette partie de la forêt. Suis-je loin de mon petit camp de la mort ? Dans quelle direction se trouve-t-il ? Je remarque que certains arbres, en haut de leur tronc, sont couverts d'excroissances translucides de couleur ambrée. C'est vaguement translucide mais je ne devine rien de qui pourrait se trouver à l'intérieur.
Je réfléchis et me rappelle qu'en tant qu'Ancien, que Kraken, je possède les dons de Télépathie et de Possession. Ils me permettent entre autres de communiquer avec mes Avatars. Et il se trouve que j'en ai toujours normalement trois ici. Je me concentre et je les trouve. Je leur décris l'endroit où je suis. Est-ce qu'ils le reconnaissent ? Oui, du moins ils le pensent. Alors, suis-je loin du camp ? Plutôt oui, mais il est possible de venir à pied. Dans ce cas, je me mets en route.
Je marche plusieurs heures. Je respire difficilement à cause de mes côtes. J'arrive dans une petite clairière. Là , il y a partout plantées des sortes de petites poupées faites de branches, de grosses cordes et de bouts de tissus. Une boule de terre fait office de tête et de l'herbe remplace les cheveux. Je devine qu'il doit s'agir d'un lieu sacré. Il fait maintenant presque nuit et il n'y a plus un bruit à part ma respiration sifflante. Au dessus de moi, je vois voler un groupe de chauve-souris. Par réflexe, je me jette au sol et me couvre la tête de mes mains.
Une fois le nuage de chauve-souris passé, je me relève. Ce lieu est sacré. Ici, des gens ont accompli des rites, lesquels ?, afin de conjurer le sort, d'obtenir des réponses. Mes avatars m'ont indiqué le chemin à suivre. Pour autant, y arriverais-je seul ? Je ne peux pas leur demander d'abandonner le camp pour venir me chercher. Les Voix Mortes en profiteraient. Et il est même possible que le Bureau des Narcotiques n'attende que ça. Aussi, je fais le tour de la clairière. J'erre entre ces poupées. Je cherche à comprendre quels rites étaient accomplis ici et comment. Il me reste des Billes. Alors, j'en prends deux et m'en vais dans le passé de ce lieu. Là , je me mets à l'écart et observe. À cette époque, le site est mieux structuré. Je me rends compte qu'aujourd'hui il n'est plus qu'une ruine. Même les poupées ont meilleure allure. Ceux qui sont là ont les cheveux roux mais surtout... ils ont les mains palmées ! On amène celui qui va faire office d'offrande dans ce qui s'avère être un rituel sanglant. La victime, également rousse et aux mains palmées, est solidement maintenue par un autre. L'officiant s'approche. Il porte une petite hache et s'en sert pour pratique de larges incisions dans les avant-bras du sacrifié qui est ensuite promené dans toute la clairière, arrosant chaque poupée de son sang. J'ai compris. Je retourne à mon époque.
Je me saisis du couteau de survie et pratique sur moi-même les mêmes incisions que sur le sacrifié du passé. Ça fait très mal mais je tiens bon. J'arrive à rester debout et à marcher. Je répands autant de sang que possible sur le sol et les poupées. Puis, ma vision devient de plus en plus floue à mesure que monte en moi une angoisse terrible [faire jouer leur peur aux PJs]. Je suffoque littéralement. Je ne parviens plus à respirer. Je suis sur la terre ferme et pourtant... je me noies ! Cette sensation est horrible ! J'étouffe ! Autour de moi, hallucinations ?, je vois des cordes jaillir du vide et s'enrouler autour de mes bras et de mes jambes. Je suis... lié. Je sens et entends un craquement dans ma cage thoracique. Tout devient noir.
Quand je me réveille, il est là . Il me regarde. Il a veillé sur moi. Il va m'aider à rentrer chez moi. Il s'appelle Oriente. Oriente est une ombre à la texture de cuir dont la tête évoque le crâne d'un cerf. Il ne parle pas. Il communique à sa façon. C'est un peu comme s'il envoyait des images directement dans ton cerveau et que celui-ci parvenait à les transformer en concepts ou en mots qu'on peut comprendre. Tout ça pour dire que je n'ai jamais entendu le son de sa voix. Et pourtant, nous avons parlé. Pas beaucoup mais nous avons parlé quand même.
Oriente allait être mon guide. Mes trois avatars m'avaient indiqué la route jusqu'à mon petit camp de la mort mais cela ne suffisait pas. De plus, en chemin, il y avait des choses à accomplir. Et pour ça, Oriente allait m'aider. Une fois qu'il m'a fait comprendre ceci, nous nous sommes mis en route. Je ne sais pas si c'est sous son influence mais je me sentais mieux. Mes côtes ne me faisaient plus souffrir.
Nous marchons longtemps. Il fait nuit noire quand nous nous arrêtons dans ce qui fut un cimetière. Les pierres tombales sont pour la plupart brisées, renversées. Les tombes elles-mêmes sont fracturées et des racines en sortent... ou rentrent. La grille en fer forgé qui servait de porte rouille quelque part dans l'herbe. Il règne ici un silence pesant et... j'ai soif ! Oriente, manifestement, s'en fiche. A sa façon, il me dit que ceux qui dorment ici souffrent de l'oubli. Et je lui rappelle que tous les habitants de Millevaux sont touchés par l'oubli. Tous, nous sommes destinés à oublier et être oubliés. Ici, cela se passe finalement seulement plus vite qu'ailleurs. C'est parce que nous oublions trop vite que la réalité des souvenirs nous rattrape parfois et nous confronte à bien des souffrances qu'on était finalement heureux d'avoir oublié. Normalement, le rythme, la vitesse de la vie et de l'oubli font qu'on meurt avant d'être rattrapé par sa mémoire, non ? Et de nouveau plane un essaim de chauve-souris. Je comprends que j'ai ici quelque chose à faire. Mais quoi ? Un cimetière. Si j'avais encore le masque du Toxique je pourrais peut-être voir les morts, entendre ce qu'ils ont à dire. Mais ce masque, grâce à la Bille je peux l'avoir, non ? Si ! J'enfile le masque et regarde autour de moi. Un migraine s'installe discrètement dans mon crâne. Elle fait office de radar. De sonar, comme les chauve-souris. Je sens leur présence froide autour de nous. Oriente m'a mené ici pour que j'entende la voix des morts. Les Voix Mortes ! Le Jovien ! L'IA qui me retenait prisonnier. Mais s'agit-il vraiment des Voix Mortes ou seulement de fantômes ? Alors, je leur demande. Et les morts me répondent qu'elles sont bien les Voix Mortes mais pas le Jovien. Je crois comprendre. De même qu'il peut y avoir diverses versions d'un même personnage à travers les mondes et les époques, pourquoi n'y aurait-il pas diverses versions des Voix Mortes ? Mais celles-ci sont elles celles qui m'ont mis sur la piste du Colosse ? Non mais elles savent... et ne m'en disent pas plus.
En vérité, je ne suis pas ici pour recueillir des informations sur mes petites affaires. Oriente m'a conduit ici pour que je recueille la voix des morts. Alors, qu'ont-ils à dire ?
« La vase lugubre soumet le blé. Le timoré est impatient de mourir. Le guerrier de plume est parti. Il a faim. Il veut apprendre... la magie ! »
Je retire le masque du Toxique. Les Voix Mortes disparaissent. Je me tourne vers Oriente. Il ne dit rien mais je comprends que je dois ici accomplir un rituel car je suis le Kraken. Alors je dis :
« Je suis le Kraken !
Ici et maintenant, je fais un acte magique pour que la vase se retire et révèle le blé de la magie qui apaisera votre faim.
Vous qui Ă©tiez les Guerriers de Plume avez faim de magie. Non pour l'exercer mais pour qu'elle s'exerce.
Seul la magie pourra restaurer votre souvenir.
Alors, je laisse ici ce masque magique et quiconque le portera se souviendra de vous.
Je suis le Kraken ! »
Je n'ai aucune idée du bien-fondé ni de la portée de mon acte. Les Voix Mortes, ces fantômes de guerriers de plume, sont-elles ou ils satisfaits ? Je me tourne vers Oriente. Il lève lentement la main gauche et l'abaisse tout aussi lentement. Je sens que tout cela n'était pas suffisant mais on ne pourra plus maintenant ni revenir en arrière ni aller plus en avant. Il faut partir.
Aurai-je mal interprété les mots des Voix Mortes ? Je presse Oriente de me répondre. Il me fait signe que cela suffira. Nous quittons le cimetière et nous enfonçons dans la nuit... noire. Puis Oriente s'arrête. Il pose ses affaires au sol. Il tire de son sac plusieurs petites bourses qui s'avèrent être remplies de poudres de différentes couleur. Il trace au sol un cercle et, à l'intérieur, plusieurs symboles géométriques multicolores. Il s'assoit au milieu et me fait signe de le rejoindre. Je m'assois face à lui. Nous sommes très proches. Il prend ma tête entre ses mains et presse mon front contre le sien. Une vision me foudroie. J'ai le réflexe de reculer mais Oriente me maintient fermement. Je vois.
L'espace. Le vide. Puis soudain, quelque chose. Une boule de matière. Une boule d'humus qui se déploie. Des tentacules, des membres, des gueules baveuses garnies de crocs acérés. Des cornes. Des sabots. Tout cela se déplie dans une forme vaguement humanoïde. Oriente ne me montre pas l'avenir. Il me montre le présent. C'est en train d'arriver. L'important, ce n'est pas là où je vais. L'important, c'est le périple. À chaque étape, cette chose grandit et il ne tient qu'à moi que mon arrivée à mon petit camp de la mort coïncide avec sa mort. La mort de cette chose qui ne doit pas être. Et je saisis la portée de mon échec dans le cimetière. Je sens qu'Oriente m'en veut mais je sens aussi qu'il comprend. Je ferai mieux la prochaine fois, promis !
Nous avons marché longtemps et dans le silence. Je suis Oriente à travers la forêt. Il fait nuit quand nous arrivons devant l'entrée d'une grotte. L'air est étrange, plus... dense. Il y a quelque chose d'à la fois liquide et électrique. J'ai toujours aussi soif et mon guide s'en moque toujours. En fait, la nature de l'air l'inquiète. Je comprends qu'il voit là le signe d'une présence hostile. Aussi, nous devons nous mettre à l'abri. Au loin, nous entendons des feulements. Oriente me fait signe d'entrer dans la grotte. Il me suit mais je vois qu'il continue à scruter l'entrée.
Je me rassure en me disant que cette caverne n'est pas le repaire d'une créature plus dangereuse que celle que nous fuyons. J'ai confiance en mon guide. Il sait ce qu'il fait. En vérité, je pense que ce n'est pas seulement par opportunisme qu'il m'a conduit ici. Nous avons quelque chose à faire dans cet grotte. Mais nous devons trouver l'endroit précis. Je me retourne vers Oriente en quête d'un signe par lequel il confirmerait mes pensées. Il demeure impassible mais je sais que j'ai raison. Nous nous enfonçons encore dans le noir. Et plus je marche, plus je sens l'angoisse monter en moi. La peur monte comme monterait l'eau au fond d'un puits. Plus je marche, plus j'ai peur. L'angoisse m'arrive aux chevilles, puis aux genoux. La peur, c'est l'eau qui me noiera de l'intérieur. Et déjà , je suffoque. Je cherche de l'air. Mais cet air est bizarre. Il est trop dense, trop solide pour rentrer comme il faut dans ma bouche. Je vais me noyer ici, dans cette grotte. Je m'enfonce. Je vais vers le fond de cette grotte. Je vais moi-même m'enterrer au fond de ce puits qui se remplira d'eau et qui me tuera. Je vais connaître la mort la plus horrible qui soit. Mon agonie sera lente et douloureuse. S'il y a une chose dont j'ai peur, c'est d'étouffer. La mort par noyade est ce qui pourrait m'arriver de pire. Et je sens que l'air de cette grotte, comme ma peur, va me submerger, me recouvrir et m'étouffer. Je me retourne. Oriente est derrière moi. Il me fait un signe de tête. Il sait ce que je ressens mais, à sa manière, il me rassure. Ce n'est qu'un mauvais moment à passer.
Je reprends peu à peu le contrôle de moi-même. C'est difficile. De même que je reprends mon souffle, je reprends le fil de mes pensées. Ce n'est pas par hasard qu'Oriente m'a conduit ici. Une grotte et ce sentiment de me noyer. Tout cela est une métaphore. Cette forêt, ce voyage, ce retour jusqu'à mon petit camp de la mort. Tout cela a une fonction. Ce passage par cette grotte est une renaissance. Je m'enfonce dans le noir et je m'y noie. C'est le ventre de ma mère bien sûr. C'est ça qu'Oriente a voulu pour moi. Une renaissance. Il m'a confronté à ma plus terrible peur, à la mort, pour renaître. Maintenant, nous pouvons reprendre notre chemin vers la mort. C'est bien ça ?
Oriente me saisit par l'épaule et me fait faire demi-tour. J'ai bien compris. Cette étape avait pour fonction de me purifier, de me rendre plus fort. Une transformation s'est opérée. Mais laquelle ? Je ne sais pas. Il s'est passé quelque chose, c'est certain. Mais pour autant, je n'ai plus confiance en moi pour ce qui est de la réussite de notre entreprise. Ce qui est en train de se réveiller poursuit son propre chemin. Dans le vide de l'espace, il se déploie, il s'étire. Et moi, suis-je maintenant plus à même de l'arrêter ?
Alors, je fais signe à Oriente que je refuse de le suivre. Je refuse de remonter à la surface. Pourquoi attendre plus longtemps quand je peux tenter ici-même le tout pour le tout et renvoyer cette forêt dans le sommeil dont elle émerge tranquillement ? N'ai-je pas à l'instant triomphé de ma peur ? S'il y a un moment, c'est maintenant ! Car je suis le Kraken ! Alors je m'enfonce au plus profond de la caverne, au plus profond de cette métaphore du ventre de ma mère, au plus profond de la forêt, de cette forêt qui s'éveille à la vie quelque part dans le vide cosmique.
Je cherche dans ce dédale l'endroit idéal. J'ai peur de laisser passer le moment fatidique. Je cours dans le noir. Oriente n'est plus derrière moi. Pourtant, je sens sa présence.j'ai besoin d'un signe me disant que je suis au bon endroit. Je gobe une Bille et j'entre dans une salle. En son centre, le sommet d'une stalagmite est sculpté et représente une mante religieuse. Je pense à Cheval du Diable, la lecture qui m'a conduit à Millevaux. Le secret des Mantes m'a conduit dans la forêt qui m'a conduit dans l'espace où la forêt va s'éveiller. Et au cœur de la forêt, dans le ventre de ma mère, je trouve cette statue d'une mante. Je ne suis pas sûr de tout comprendre mais je sens qu'une boucle est bouclée. Je ne percerai pas le secret des mantes. L'expérience de mon petit camp de la mort est vouée à l'échec. Ce secret n'a pas vocation à être brisé. Pas par moi. Pas pour moi. Pas maintenant. Je suis le Kraken, la créature marine qui a peur de se noyer. J'ai fait ma quête de cette question de savoir si j'étais un être réel ou juste une fiction, un personnage de jeu. En réalité, cela n'a aucune importance. Je suis quelqu'un de plutôt calme et discret. Stable, je dirai. En cela, j'ai tendance à soutenir l'Hommonde. Et pourtant, j'aime le jeu. Et le jeu ne doit pas s'arrêter. Or, si je réponds à ma question... plus de jeu. Ça, c'est – peut-être – mon penchant pour le cycle. Mais, ma stabilité, c'est le jeu. Je suis le Kraken. Je suis un être changeant par nature. En réalité, et si c'était ça l'objet de ma quête, non pas percer les mystères du Méta-Monde mais juste dépasser ce paradoxe dans lequel je m'étais enferré ? Et si tout cela avait eu pour but non pas de percer le secret de mon éventuelle réalité mais de me faire choisir entre l'Hommonde et le Cycle ? Alors, face à la mante, je réfléchis. Si je tente de gagner le Méta-Monde pour savoir si c'est vraiment le mien, ce sera la fin du jeu, de tous les jeux. Si je me borne à renvoyer la forêt dans le sommeil, un cycle s'achève. Mais un autre recommencera car la forêt reviendra. Millevaux revient toujours.
« Je suis le Kraken !
Ici et maintenant, j'examine la situation du point de vue du MĂ©ta-Monde.
Ici et maintenant, les règles affirment que je ne peux pas gagner contre la forêt car je n'ai plus assez de dés dans ma réserve.
Ici et maintenant, j'ai un sentiment de Déjà -vu. Je me rappelle d'un autre Cycle au terme duquel j'ai tué le Titan-Millevaux, l'avatar de la Forêt, l'avatar de Shub-Niggurath.
Ici et maintenant, je gobe mes dernières Billes.
La ForĂŞt se rendort.
Je suis le Kraken ! »
Commentaires de Thomas:
A. Les Joviens gazeux ça vient de Lovecraft, il me semble :)
B. « Oui et oui » répond le Jovien.
Il manque une réponse. Oui, il y a des moyens de détection. Oui, il y a des armes. Mais qu'en est-il des moyens de communication ?
On peut pas être sûr qu'il a bien répondu à ces questions-là :)
C. Noande qui regarde le joueur et le personnage évoque les cauchemars de Cœlacanthes et le « Fais pire, au nom de l'Abysse »
D. « Oriente est une ombre à la texture de cuir dont la tête évoque le crâne d'un cerf. »
Je vois que tu as utilisé le même portrait que pour notre partie d'Oriente en commun :)
E. « La vase lugubre soumet le blé. Le timoré est impatient de mourir. Le guerrier de plume est parti. Il a faim. Il veut apprendre... la magie ! »
D'où ça vient cette phrase ?
F. « Aurai-je mal interprété les mots des Voix Mortes ? Je presse Oriente de me répondre. Il me fait signe que cela suffira. Nous quittons le cimetière et nous enfonçons dans la nuit... noire. Puis Oriente s'arrête. Il pose ses affaires au sol. Il tire de son sac plusieurs petites bourses qui s'avèrent être remplies de poudres de différentes couleur. Il trace au sol un cercle et, à l'intérieur, plusieurs symboles géométriques multicolores. Il s'assoit au milieu et me fait signe de le rejoindre. Je m'assois face à lui. Nous sommes très proches. Il prend ma tête entre ses mains et presse mon front contre le sien. Une vision me foudroie. J'ai le réflexe de reculer mais Oriente me maintient fermement. Je vois. »
Si tu veux des idées pour des rituels, je te conseille Les Sentes :)
G. « Je me rassure en me disant que cette caverne n'est pas le repaire d'une crĂ©ature plus dangereuse que celle que nous fuyons. »Â
Vas-t-en savoir :)
H. « La peur monte comme monterait l'eau au fond d'un puits. »
Très chouette image !
RĂ©ponse de Damien:
Ouloulou alors pour le jovien, j'ai eu une espèce d'illumination un jour sur un extraterrestre vivant dans un sorte de solipsisme. du coup, je me suis amusé à imaginer comment il percevrait l'univers partant de là et… j'ai dû lire un bouquin de SF avec des alien sur Jupiter à la même période XD mais bon, en ce qui me concerne, Lovecraft est toujours là quelque part ^^ Pour Oriente, j'aime bien ce look et il fait écho aussi à un des avatar du tueur de l'Hommonde dans la trilogie de la crasse, ce qui est pratique pour lier les 2 ^^ pour la phrase bizarro… elle vient juste d'un tirage de mots-clés au pif avec les cartes de muses et oracles. des fois, ça rend bien… de fois, même, ça veut dire quelque chose… Pour les voix mortes, c'est surtout un clin d'œil au festival organisé par Christophe Siébert. là , ça collait bien, enfin je trouve. et pareil pour La Nuit Noire qui est un super roman du même Siébert. et je suis toujours preneur de conseils pour des rituels évidemment ? et merci pour le compliment concernant l'image ^^ en vrai, je ne sais plus du tout d'où elle m'est venue celle-là . serait-ce juste… l'inspi du moment? je crois que oui ^^
Thomas :
Je te confirme qu'il y a une nouvelle de Lovecraft qui évoque des gaz intelligents peuplant Jupiter :) (Celui qui chuchotait dans les ténèbres, la nouvelle sur les MI-Go). J'avais moi aussi utilisé ces gaz intelligents dans une campagne maison de L'Appel de Cthulhu ?
Damien :
nan mais aussi bien je l'ai lu il y a longtemps et elle est restée gravée quelque part dans mon subconscient ? est-ce vraiment une bonne nouvelle ? ?
Hors ligne
LA FORĂŠT SUBCONSCIENTE
Le final d’une campagne steampunk cafardesque joué avec Oriente, pour un climax introspectif et onirique. Un récit par Damien Lagauzère.
(temps de lecture : 4 min)
Joué le 13/10/2019
Le jeu principal : Oriente, perdre ses repères en traversant la forêt de Millevaux
Bob Jagendorf, cc-by-nc
Le contexte :
Salut, ayant joué la dernière partie de ma campagne de La trilogie de la crasse / SteamShadows/ Eat your darlings/ Cabeswater / Ich und meine maske avec… Oriente, je t'envoie cette dernière partie ^^
L’histoire :
Je n’ai jamais vu Oriente reculer face à quoi que ce soit. En vérité, je n’avais jamais vu Oriente avant ce jour. Pourtant, je le reconnais. J’ai fui le 2nd Cercle des Horreurs, pourchassé par un Draugr. Je ne suis plus moi-même. La vision qu’il m’a infligé m’interdit désormais de remplir ma mission correctement. J’ai réussi à m’échapper du 2nd Cercle mais je ne suis pas pour autant retourné à Londres. Je suis ici, dans cette forêt, avec Oriente. Il va m’aider. Il va me guider. Grâce à lui, je vais retrouver mon chemin dans cette forêt… jusqu’à Londres et aussi jusqu’à la sérénité.
Oriente m’interroge quant aux motifs de mon voyage. Je ne lui cache rien. Je suis un Cafard déguisé en humain. Je me suis réfugié dans ce Londres victorien afin d’étudier ce que je pensais être les « autres » mondes des morts, les alternatives à la Plage des Cafards. En réalité, il s’agissait des Cercles des Horreurs. Alors, j’ai accepté la proposition d’une Steamshadow et me suis mis à chasser les Horreurs, en profitant pour explorer leur territoire. Mal m’en a pris. Le Draugr a été plus fort que moi. Je ne cesse de penser à cette horrible vision de mort qu’il a imprimé dans mon âme. C’est d’elle que je dois me délivrer. Je compte sur Oriente et notre voyage pour y parvenir.
Je ne comprends pas bien le sens de la proposition d’Oriente. Pourquoi envoyer une personne naïve à la recherche d’une proie imaginaire alors que nous ne sommes que tous les deux ? Mais, ce doit être une sorte de métaphore. Est-ce que cela signifie que ma quête est, ou fut, celle d’une personne naïve à la recherche d’une proie imaginaire ? Est-ce que cela veut dire qu’il n’y avait finalement rien au bout de ce chemin que j’avais emprunté ? Était-ce une naïveté de ma part que de penser qu’il y avait un autre monde des morts que la Plage des Cafards ? Peut-être que tout ça n’est qu’une leçon que me donne mon Maître ? Alors, non ! Je refuse. Pas la peine de faire perdre son temps à qui que ce soit, ni d’abuser de la naïveté d’autrui. Je crois que je viens de mettre un point final à ma propre quête finalement. Et si, une fois de retour à Londres, je renonçais à tout ça pour, simplement, reprendre ma place à la Plage ?
Éloge de l’errance… Oriente n’est pas très bavard. Mais des fois, il parle. Ou plutôt, il explique, il s’explique. Il doit bien voir quand je ne comprends pas les motifs de ses actions. Alors, à sa façon, il m’explique. Et je crois que je comprends. En fait, je me rappelle que cette forêt n’a rien de réel. Enfin, je le pense. Pour moi, elle n’existe pas vraiment. Elle est un produit de mon imaginaire traumatisé par le Draugr. Oriente est mon guide mais il n’est peut-être finalement que la partie encore rationnelle de mon être, cette partie sensée m’aider à y voir plus clair, à retrouver on chemin, à me retrouver moi-même. À moins, qu’il ne soit qu’une émanation de mon Maître ? En tout cas, Oriente ma clairement fait comprendre que cette errance dans les bois avait pour but de me permettre de cheminer avant tout en moi-même et de me purger de cette terreur que le Draugr a enfouie au plus profond de moi. À ce moment-là , nous sortirons de la forêt. Mais en attendant, que notre voyage soit le plus agréable possible…
Évidemment que je me rappelle de mon point de départ ! La Plage ! J’ai fui la Plage, convaincu que mon Maître considérerait comme une hérésie passible de mort ma quête d’un autre monde des morts. C’est pour ça que je me suis caché dan ce Londres alternatif. Et mon point de départ pourrait s’avérer être mon point d’arrivée finalement.
La nuit, pendant qu’Oriente monte la garde, je dors. J’en profite. Je me repose dans tous les sens du terme. Je me repose de nos longues heures de marche. Et j’en profite aussi pour ne plus penser à rien. Je me repose sur… Oriente.
Oriente se montre vulnérable car il veut que je comprenne que c’est là une caractéristique fondamentalement humaine. Je suis un Cafard, certes, mais contrairement à beaucoup de mes semblables j’ai développé une certaine humanité. Et je dois me rappeler ce que comporte cette humanité. Oriente est une part de moi ou une part de mon Maître qui se trouve en moi. C’est une expression, une projection de mon… Inconscient, de mon Surmoi ? Je ne sais pas trop. Mais il est une facette de ce que je suis que je ne dois pas oublier, ni négliger. Cette vulnérabilité n’est peut-être pas une faiblesse finalement. Et peut-être que ce voyage a pour but de m’en faire prendre conscience et ainsi affronter la terreur du Draugr.
Et je me rend compte que je me perds dans des considérations pseudo-psychologiques… Est-ce là la preuve que je me rapproche des humains ? La preuve que je libère de quelque chose ? Que j’accède à quelque chose ? Je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, j’ai l’impression que c’est Oriente qui me conduit à ces réflexions. Alors, certes il n’a rien d’un aliéniste tel qu’on en trouve une multitude à Londres mais j’ai finalement plus confiance en lui qu’en eux. Cela signifierait que, finalement, j’ai peut-être plus confiance en moi que je ne le croyais.
Et voilà , c’est maintenant ! Oriente semble satisfait de notre dernier échange. Je ne m’en étais pas rendu compte mais nous sommes maintenant arrivés à un carrefour décisif. Je peux maintenant poursuivre seul mon chemin et regagner Londres puis, peut-être, si l’envie m’en prend, la Plage. Ou alors, si je le souhaite, Oriente est prêt à me servir de compagnon de route pour autant de temps que je le souhaite. Mais, ce serait abuser de son temps justement. Et peut-être que d’autres « naïfs » ont besoin qu’on les guide, qu’on les éloigne de leurs proies chimériques ? Non, je vais continuer seul maintenant. Je sens la proximité de Londres plus que je ne vois la capitale mais… Je sais où et comment y aller.
Je remercie Oriente. Je ne lui dis pas adieu car il sera là , quelque part, au fond de moi, mon guide dans la forêt…
Commentaires de Thomas :
A. As-tu choisi un portrait pour Oriente pour cette partie ?
B. « Était-ce une naïveté de ma part que de penser qu’il y avait un autre monde des morts que la Plage des Cafards ? »
Un autre monde des morts est possible :)
C. « En fait, je me rappelle que cette forêt n’a rien de réel. Enfin, je le pense. Pour moi, elle n’existe pas vraiment. Elle est un produit de mon imaginaire traumatisé par le Draugr. Oriente est mon guide mais il n’est peut-être finalement que la partie encore rationnelle de mon être, cette partie sensée m’aider à y voir plus clair, à retrouver on chemin, à me retrouver moi-même. »
Je trouve intéressant cette idée qu'en fait on est dans l'inconscient du personnage et qu'Oriente n'est qu'une projection de son inconscient censé le guider :)
D. C'est intéressant que tu ne recopies pas les questions du jeu. Du coup, la narration est fluide et sans méta, plus immersionniste et/ou littéraire.
E. C'est très introspectif comme climax et finalement il n'y a aucune péripétie. Mais je suppose qu'on retrouvera Oriente plus tard, dans d'autres campagnes, dans d'autres situations conflictuelles...
Hors ligne
LES MORTES DANS LES PAS DES VIVANTES
Une expérience de table ouverte en textuel jouée pour un périple au cœur de l’au-delà .
(temps de lecture : 14 min)
Joué entre octobre et décembre 2021 sur le discord Millevaux
Le jeu : Oriente, perdre ses repères en traversant la forêt de Millevaux
Avertissement : contenu sensible (voir après l'image)
Tuomas Puikkonen, cc-by-nc & claude FĂ©ry, libre de droits
Contenu sensible : meurtre, cannibalisme
Le concept :
Tout a commencé avec des questions orientées que je posais aux nouveaux et nouvelles dans le discord Millevaux, comme un mini-roleplay d'introduction. Vu leur petit succès, je me suis dit que les habitué.e.s du discord étaient mûr.e.s pour une petite partie d'Oriente en commun. Le principe était simple, chacun.e tirait une question, y répondait, puis c'est la prochaine personne qui passait sur le salon qui pouvait tirer la question suivante et y répondre, jusqu'à la fin du jeu. Le lien pour voir les questions est le suivant.
Des ressources utiles (notamment portraits et questions supplémentaires) pouvaient être trouvées dans la collection Nervure sur Chartopia
Au lieu de prendre leur tour de question, les participant.e.s pouvaient aussi poser une question à une joueuse précédente. Elle y répondait peut-être après que quelqu'un ait déjà lancé une nouvelle question, mais avec la fonction « répondre à  » de Discord, on pouvait suivre plusieurs conversations.
L'histoire :
Grace :
« Oriente connaît la langue putride. Qu'est-ce que vous en concluez ? »
J'en conclus qu'on est mal barrĂ©s. Quand je l'ai entendu.e parler Ă un arbre dans cette langue, je me suis dit : « flĂ»te notre guide est soit un horla, soit un.e sorcier.e, soit une bĂŞte«Â
(et voici Grace, mon personnage)
020_Eric Parker, paulo brabo, cc-by-nc, sur flickr.com
Maugre :
« Moi je pipe que trique, Oriente l'a toujours été un peu barge dans son genre alors qu'il se mette à grogner, renifler et même pisser contre un arbre... 'Crois-tu donc pas que ça m'surprend guère. Eh ? Et d'abord... Si s'té ty langue ça, comment qu'tu la r'connais ? T'serais pas un peu sorcier aussi ? »
Grace :
Je suis ni sorcier, ni sorcière. Je suis juste en relation avec les vibes de la nature. Tu peux pas comprendre, enfin je crois.
La vieille aveugle :
zilverbat, cc-by-nc, sur flickr.com
« Qu'avez-vous fait dans la fosse que vous avez trouvée au fond de la forêt ? »
J'ai maudit la pourriture qui m'a privé de mes yeux quand j'y suis tombé. Après des jours de marche à boire l'eau de rosée et manger des vers de bois, j'ai maudit cette forêt et toustes ses les habitant·es . Après qu'Oriente a jeté un tronc sur lequel j'ai pu grimper, j'ai maudit Oriente et ses suiveuses. Puis je les ai suivi.
La marchebranche :
Qu'est-ce qui te fait plus peur encore que cette découverte, assez pour que tu suives malgré tout Oriente encore quelques temps au moins ?
Quel est le dernier souvenir visuel qui hante encore ta mémoire malgré l'oubli ?
Maugre :
« Quelle croyance Oriente vous a mise en tête ? »
Par la Trique-Du-Très-Saint-George ! Oriente y sait par-dieux ! Y sait ! Qu'y soit sorcier s'rait pas si estonnant. Alors pas de question on suit et 'ferme nos claques-maux. Très-Sainte-Gueuse, a-t-on assez salive à gaspiller ?
aftab, cc-by-nc, sur flickr.com
Grace :
Parce que j'ai surtout peur qu'Oriente m'abandonne. Parce que je l'aime.
« Contre quel être ou choses avez-vous vu Oriente reculer ? »
Contre la caste des veilleurs. Ceux qui vouent leur vie à la lutte contre les horlas. Il y avait cette femme avec son œil magique. Il l'a fait reculer. Tout concourait à dire que ça fait d'Oriente un suppôt des horlas. Mais est-ce que ça veut dire que les horlas sont les méchants et les veilleurs les gentils ?
(j'ai pas encore mis de portrait pour Oriente mais çà commence à me plaire qu'il y en ait pas)
Tuomas Puikkonen, cc-by-nc & claude FĂ©ry, libre de droits
La marchebranche :
« Qui vous a proposé de remplacer Oriente ? »
Au croisement de chemins à peine visibles, une autre marchebranche a toisé notre groupe pendant longtemps. Il lui manquait un doigt, trois dents et probablement une case, mais elle nous a proposé avec aplomb de la suivre elle plutôt qu'Oriente. Certain.e.s d'entre nous l'ont suivie. Parfois je me demande si j'ai fait le bon choix
Grace :
En mĂŞme temps elle inspirait la confiance
Maugre : :
Et pourquoi cet'chose lĂ ? 'Tourne ta caboche. Qu'est-ce crois-tu quel'a qu'Oriente l'a pas ? Et qu'est-ce-sais-tu qu'Oriente l'a et quel'a pas ?
Oriente y veut êt' suivi. Et les veilleurs y veulent êt' barassés des horlas. Toi, tu veux quoi ? Qu'Oriente y t'aime ? Alors quoi qu't-en fais d'ces veilleurs ? Des gentils ou des méchants ? Et... quoi qu'tu fais d'toi ?
Grace :
Je t'avouerai que ça m'a chamboulé de voir que les veilleurs en avaient après Oriente. Si jamais Oriente est un horla ou un serviteur des horlas, je sais pas si je dois l'aimer. En même temps, qu'est-ce qu'on en connaît des horlas ? C'est peut-être juste la preuve qu'ils sont pas tous méchants. Enfin, pas tous comme ce...
La voleuse de souvenirs :
« Vous avez volé un souvenir d'Oriente. Lequel ? »
Arbre qui dansent, ondulent et craquent, taches de lumière sur les feuilles glissantes. Iel court dans le fond du sous bois.
L’œil magique de cette veilleuse l'a acculé dans un lieu de la forêt qu'iel ne connaissait pas
Le regard des arbres brûle sa rétine et lui fait peur.
La caresse des branches lea rassure.
Fuir la douleur ?
Se blottir dans l'humus protecteur ?
Deux contradictions qui forgent la course d'Oriente
La marchebranche :
Je pense que l'autre marchebranche connaît le chemin qui pourrait me ramener chez moi.
Mais je sais qu'Oriente a l'attrape-rêve ensorcelé qui m'évite les cauchemars de mon passé. Elle continue de dire que c'est pour mon bien, mais j'espère quand même le récupérer.
Grace :
« Qu'est-ce qui a changé depuis le début de votre périple ? »
Tout le monde. Tout le monde change de corps et d'attitude. Seul Oriente demeure.
La marchebranche :
Avec qui as-tu partagé ces impressions ? Quelle a été sa réaction ?
la voleuse de souvenirs :
J'en ai parlé aux suiveuses d'Oriente.
Voleuse d'un fragment important de son esprit, il fallait que je me confesse. Mais j'avais peur qu'en en parlant Ă Oriente iel me rejette.
J'ai donc filé le fallacieux chemin des suiveuses et sur la sente sans arrêt soumise à leurs sentiments, je leur ais confié mon vol.
Les suiveuses m'ont comprise.
Dans un premier temps parjure d'Oriente, elles le maudirent. Mais maintenant elle le suivent pour abjurer.
Elles m'ont donc proposé de devenir suiveuse.
Mon esprit tremble à l'idée d'intégrer une communauté.... Je doute d'en être capable
Maugre :
Que s'est-il passé quand vous avez faussé compagnie à Oriente ?
°Datura...°, Maugre s'était attardée un moment, un bref moment, pour recueillir cette plante utile. Oriente n'était plus là . Oriente avait toujours été là . Oriente c'était comme un gaz puissant et vital qui occupait l'espace de son existence. Cet élément évanoui, l'angoisse s'infiltrait, aspirée qu'elle était par ce vide, et avec elle comme la conscience aiguë de perdition, la perte de toute volonté, de tout repère... de toute direction. La perte de toute espèce de motivation exceptée cette vérité écrasante : dans la forêt comme dans le désert, toutes les directions se valent. « ???????, ? ????. »
Grace :
« Pourquoi trouvez-vous sur votre chemin des marquages de direction semblables à ceux qu'utilise Oriente ? »
Parce que nous remontons dans le temps. Je ne vois pas d'autre explication
« Comment Oriente s'occupe du campement ? »
Avec amour. C'est la chose qui fait que je ne doute jamais de lui tout à fait. L'attention avec lequel il entretient le feu. Le soin avec lequel il dispose les couchages. Les précautions qu'il prend avec chacune de nous.
La marchebranche :
« En quoi les choses deviennent vraiment étranges avec Oriente dans cette forêt ? »
Plus aucune direction ne fait sens. La fin d'un chemin rectiligne peut être le début de ce chemin, tourner toujours dans la même direction ne fait jamais faire un tour complet sur soi-même.
Nous nous déplaçons à travers le temps plus qu'à travers l'espace. Ou à travers nos mémoires. Les marques étranges et les visions qui nous assaillent ne peuvent indiquer que cela.
Grace :
« Pourquoi Oriente se montre vulnérable seulement avec vous ? »
Parce que je suis la seule Ă le voir tel qu'il est vraiment. Les autres voient en lui un horla, un psychopompe, un manipulateur qui les garde sous son emprise et les Ă©gare dans l'espace et dans le temps. Vois je le vois tel qu'il est vraiment. Un enfant perdu qui a besoin d'aide et que je le tienne dans ses bras.
La marchebranche :
Qu'as-tu appris lors d'un de ces moments de vulnérabilité que tu n'as pas encore osé raconter à d'autres suiveureuses?
Grace :
Que vous êtes déjà mortes
« Vous avez demandé à Oriente qu'une personne vous suive et Oriente a accepté. Pourquoi ? »
La vieille aveugle. On l'a trouvée dans un charnier. J'ai dit à Oriente de la remonté et elle a accepté parce que c'était visiblement une morte. Une bouche inutile que sa famille avait abandonnée là . Et la part de sa vision durant sa mort la rendait médiatrice entre le monde des morts et des vivants.
zilverbat, cc-by-nc, sur flickr.com
La vieille aveugle :
à Maugre : Quel marché noir de la mémoire les suiveuses ont-elles institué à l'insu d'Oriente ?
(Surtout ne pas les détromper : des fantômes superstitieux comme des écureuils de l'année, c'est ma veine, mon répit... »)
Maugre :
'n'a tous un peu trop d'quelqu'chose et trop peu d'aut'chose. y'en a qu'ont trop vu qu'ont plus d'espoir, d'aut' qu'ont des rêves 'qu'sont pas armés pour s'réaliser. 'Pis y'a bein quelqu'un qu'a un attrape-rêve qu'pourrait nous arranger. Ouais, 'pis moi 'des creux, 'des pleins, 'bien vécu, 'plus rien à accomplir, 'suis juste Oriente. Si j'ai 'core une chose à faire, Oriente y sait. N'empêche, j'voudrais bien me rappeler du goût qu'ça a... un rêve. J'pourrais bein troquer un p'tit bout d'mémoire pour ça. 'Juste une fois.
Grace :
« Pour qui ça se passe plus mal que pour vous ? »
Pour la nouvelle intégrée, La voleuse de souvenirs se sent très mal dans la communauté, j'ai l'impression. Je pense qu'elle n'accepte pas son sort, mais elle le devine parce qu'elle a compris ce que nous étions. Des âmes mortes en quête du Léthé.
« Quelle est la pire chose que vous avez dû faire avec Oriente pour survivre dans la forêt ? »
Et bien, bien que nous soyons mortes, nous avons besoin de nous nourrir, si nous ne voulons pas nous consumer dans des souffrances intolérables. Je ne veux pas m’appesantir sur ce que nous avons du manger.
La marchebranche :
« Pourquoi feriez-vous confiance à Oriente alors que ce n'est pas un.e professionnel.le ? »
Parce que je ne suis pas la seule à la suivre. Parce que notre bande hétéroclite et improbable paraît plus forte face à la forêt.
Parce que je ne veux pas ĂŞtre seule Ă pourrir entre les racines d'un arbre, et que c'est seulement ensemble que nous avons la force de marcher.
Grace :
« Vous rappelez-vous de votre point de départ ? »
Oui, mais je ne sais pas pour les autres, moi je ne veux pas m'en rappeler. Ma vie d'avant pèse trop lourd, et j'espère bien qu'une fois arrivée à destination, une fois au bois des morts, je l'oublierai.
Maugre :
« Qu'a dit ou fait Oriente qui vous a semblé un éloge de l'Errance ? »
Errer ? Vivre à titre d'expérience ? Égrainer les pas sans autre but que voir ce qui va se passer ? De Maugre mémoire, la forêt aux côtés d'Oriente avait toujours été la même ; chaque élément de cet environnement nébuleux était flou, indistinct et indigne d'intérêt ; de ce domaine crépusculaire, Oriente et ses suiveuses étaient les seuls corpuscules réellement tangibles, la seule et frêle attache empêchant la dérive ; - prêter l'oreille au hululement d'une sirène ? C'était ne plus écouter les sages recommandations d'Oriente. - Fendre d'un regard lumineux les ombres boisées et irradier de son attention les doigts spectraux du branchage ? C'était déjà se détourner du Guide. - Tendre la main, donner réalité, chaire et sève à l'objet le plus fantomatique et insignifiant du décors ? C'était à jamais lâcher le cordon et s'abîmer soi-même hors du sentier. Dire ou faire l'éloge de l'Errance ? Mais Oriente était le Dithyrambe jaloux et voleur de l'Errance ; lui-même la vivait, la respirait, la chantait, mais en même temps il se la réservait et la grimait du « Pour » dans la mise en scène qu'il présentait à son publique ; ainsi, avait-il dérobé à Maugre jusqu'à l'Idée même de l'Errance et lui substituait cette verroterie chatoyante mais illusoire : une destination, le bois aux morts.
Grace :
« Quelle bête vous suit partout ? »
Le souvenir de qui j'étais de mon vivant. La personne maigre qui vivait à l'intérieur de moi. Je lui jette des pierres quand elle s'approche de moi.
la voleuse de souvenirs :
« Quelle est la vérité que vous cache Oriente ? Et de votre côté ? »
Oriente dit ne pas savoir où iel va, iel prétend errer dans un indistinct emmêlement de souvenirs, de lichen et de branches mortes. Pourtant, au plus profond des pales pupilles qui parent son portrait, je sens qu'iel sait où le sentier nous emmène. Iel cherche un lieu. Peut être s'est iel convaincu?e ellui même de la chatoyante verroterie qu'iel a présenté à Maugre. Peut être suit-iel d'autres plans. J'ai hâte d'atteindre ce lieu. Peut être y trouverais-je enfin une place dans la communauté.
De mon coté, ce que je cache est enfoui sous les cendres d'un vieux feu humide.
Un cercle, des silhouettes allongées, des vêtements rabougris.
Une lumières, des bouches, des yeux avachis.
Un lien, des chants, une communauté meurtrie.
Ce lieu de ressassement, je ne veux plus le voir, je ne veux plus en parler, je le fuis.
(je me suis permise de Xcarder la question : « Qui Oriente a dû torturer ? Pourquoi l'avez-vous aidé ? » qui me mettait un peu mal à l'aise et je suis passé à la suivante)
Grace :
« Qui de vous ou d'Oriente a le plus perdu son humanité ? »
J'espère bien que c'est nous. Que nous avons perdu les oripeaux de toute humanité. Oriente en a encore besoin, de son humanité, pour nous montrer le chemin, pour nous ouvrir la porte, pour qu'on nous laisse entrer à sa demande, dans la forêt des morts, là où est vraiment notre place, là où réside notre repos, derrière les murailles de l'oubli qui enfin nous sépareront de notre vie passée de souffrance et de culpabilités. Moi, je n'aspire qu'à une chose, me débarrasser un à un de chaque sentiment comme d'une mue trop lourde. Qu'à m'abandonner totalement en toute confiance à mon sort, qu'à une dernière fois mettre mes pas dans les siens et me rapprocher, sinon du ravissement, au moins de la consolation qu'apporte la fin. Je tiens la main de mes sœurs, je vois leurs silhouettes de moins en moins distinctes et je les aime d'autant plus que l'heure des adieux se rapproche, non pas adieu à leurs présence, mais adieu à tout lien qui nous unit.
La vieille aveugle :
« Vous avez volé un souvenir d'Oriente. Lequel ? »
Dans la routine des soirs humides et froids, des repas de glu d'herbe, un jour, alors que je m'étais écarté pour aller, j'ai entendu Oriente arpenter un coin de fougères, de rocs et de limon. Tapi, je l'ai épiée et quand elle est partie, j'ai trouvé la source.
L'eau boueuse a bientôt laissé la place à un filet clair et chantant. Je l'ai gardé pour moi, toute la nuit j'y suis revenue en cachette, emplissant mes joues, mes entrailles mes cellules, et une section de tronc pour le trajet.
Depuis, je savais oĂą l'eau coulait tous les soirs, avant que je ne donne le secret Ă une malade. Elle va mieux, et elle la garde pourtant. Et moi, je cherche sans plus trouver. Je crois qu'Oriente s'en doute.
La connaissez-vous ? Vous en doutiez-vous ?
Grace :
Je connais cette malade et de jour en jour je l'ai vue reprendre des couleurs, alors en l'épiant j'ai compris qu'elle avait volé le souvenir de la source à Oriente. Elle redevient vivante et Oriente s'étiole. J'hésite entre annoncer la vérité à Oriente ou tuer cette guérie pour conjurer le mauvais sort.
whatsthatpicture & Keith M Avery, cc-by-nc, sur flickr.com
« Qu'est-ce qui vous ferait renoncer à votre destination ? »
Ce serait que je redevienne vivante. La forêt des morts n'est un paradis que pour les morts, et un enfer pour les vivants. Ce serait qu'Oriente meure. Iel ne pourrait plus nous ouvrir le passage sans risque. Hier, j'ai tué la première communiante. Je lui ai enfoncé une hache dans le crâne. Tout va rentrer dans l'ordre à présent.
« Qu'est-ce qui vous pourchasse ? »
Les vivants et les vivantes qui ne veulent pas que nous partions. Ma fille qui ne veut pas laisser filer la personne qui l'a élevée. Nous devons jouer de mille ruses pour effacer nos traces dans la sylve. Nous marchons dans des pierriers ou nos semelles ne marquent pas. Nous nous enlisons dans des vasières où la boue se referme sur notre passage. Nous nous couvrons de croûte terrestre pour masquer notre odeur. Mais j'ai toujours l'impression qu'elle rôde à la limite de mon champ de vision, elle et les proches de mes camarades.
Bob Jagendorf, eric schepers, road less trvled
« À quel événement pas naturel Oriente évite de vous donner une explication ? »
La vieille aveugle a retrouvé la vue. Elle dit que la forêt des morts est un gouffre. Oriente se tait sur tout cela. Devons-nous tuer la vieille aveugle maintenant qu'elle voit et dit des choses qui nous affolent ?
zilverbat, cc-by-nc, sur flickr.com
« Qu'est-ce qui vous donne des frissons chez Oriente ? »
Sa peau, parce qu'elle est de plus en plus en froide
Et parce que je l'aime
Et parce que j'ai peur de le perdre
Et parce que j'ai peur qu'il nous perde
La vieille aveugle :
« Quel est le lien qui vous unit à Oriente au-delà du simple voyage ? »
Elle m'a tué et caché, et la troupe des suivantes a eu à manger pour des jours. Des jours de camp et de fête.
C'est comme ça qu'elles sont arrivées à destination.
Ça m'a pris du temps pour comprendre, mais maintenant je sais que ce n'est pas un hasard, qu'il fallait en passer par là . Je ne leur en veux pas. La seule chose que je regrette c'est de ne pas avoir pu y goûter. La prochaine fois...
Philippe Put, cc-by
Grace :
« Vous êtes à un carrefour décisif. Continuez-vous à suivre Oriente ? »
La voleuse de souvenirs :
Je veux atteindre le lieu promis par Oriente. Cependant, son chemin est pavé de souffrance pour moi. Je continue ma marche chancelante derrière Oriente. J'espère voir un jour ce que je cherche, j'espère un jour que je ferais mienne cette communauté. Mais je sais au fond de moi qu'il est plus sur que je me perde sur ce long chemin, que je chute dans une fondrière et que la colonne passe sans se retourner comme ma vie a passé, trop vite et sans regard
La marchebranche :
Je suis Oriente, parce que c'est la colonne qui la suit que je suis. Parce qu'il n'y a qu'ensemble qu'on peut atteindre cet autre monde qu'on nous a toujours promis. Parce qu'ensemble, on peut arriver à suivre Oriente, étoile polaire dans l'enfer sombre de la forêt. Parce qu'ensemble on va loin, alors que seul·e on ne va nulle part.
Grace :
[J'aime tellement la polysémie de « Je suis Oriente »]
Je ne suis pas Oriente car nous sommes arrivées au portail de la forêt des morts. Je vais y entrer et Oriente va rester à la porte. Adieu mon aimé. Je ne t'oublierai jamais.
Bilan :
Merci d'avoir participé à cette expérience d'Oriente en asynchrone !
C'était intéressant mais j'ai vu aussi quelques limites, une participation erratique et une difficulté commune à rebondir sur les propositions des unes et des autres. Petit souci aussi avec l'application for the drama. Si c'est super pratique pour l'asynchrone d'avoir ce deck de cartes en commun, le truc c'est que la fonction partie courte (que j'avais sélectionnée) distribue un pourcentage des cartes et non un nombre de cartes données. Or, comme Oriente a presque deux fois plus de cartes que Pour la Reine, ça a fait un gros nombre de cartes quand même et du coup la partie s'est un peu inutilement étirée en longueur.
Après, je pense pas que ce soit gênant malgré toutes mes remarques, ça peut aussi être le plaisir de l'asynchrone, voir un truc se dérouler chill sans injonction à l'intensité.
Maintenant qu'Oriente nous a conduites à bon port, il ne me reste plus qu'à vous souhaiter un joyeux Noël !
Joueur de La vieille aveugle :
Bien agréable de mon côté cet engagement élastique. Pour gagner en vitesse de rotation, systématiser le fait de partir en laissant une question ?
Je m'excuse pour le cannibalisme inopiné, je m'en suis rendu compte après coup, mais j'aurais dû rester plus flou, plus ouvert.
Hors ligne
FARDEAUX
Quand une partie malaisante nous révèle l'essence de notre jeu. Un récit de partie par Claude Féry.
(temps de lecture : deux minutes)
(C) Généré par Dall-E
Joué le 31/07/20
Le jeu : Oriente, perdre ses repères en traversant la forêt de Millevaux
L'histoire :
Hier soir, en fin de soirée, nous avons joué une partie d'Oriente avec Mathieu et son compagnon.
C'était pour lui une première expérience avec le jdr indépendant.
Et nous avons interrompu la session à sa demande, après avoir joué huit cartes question.
J'étais un peu désolé que l'expérience se soit montrée peu concluante pour lui.
Ce qui l'a dérangé dans la partie c'est l'atmosphère horrifique déployée à la table.
Je n'en avais pas conscience.
Elle tenait pour lui à la musique que je diffusais, au même niveau sonore que ma voix et le ton que j'ai spontanément adopté. Xavier s'est incrusté dans notre trio et a spontanément adopté le même, mais j'ai choisi alors de le questionner avec une tonalité plus acerbe et grinçante comme l'aurait fait un goupil dans Arbre.
L'atmosphère est pour lui devenue une source de malaise.
Pour information, je diffusais le second Strings Quartet de Morton Feldman.
Une musique minimaliste sobre et épurée en rien connotée slasher.
Je n'ai pas forcé le trait sur les paradigmes de Millevaux dans mon interprétation de mon personnage. Je jouais un personnage plutôt dans l'esprit des paradigmes de l'univers en développement d'Alex, La forêt des chimères.
Ce compte rendu de partie me révèle
A. Millevaux est en moi, les horlas sont tapis près de moi.
B. Oriente n'est pas un dérivé insipide de Pour la Reine. Il a une identité forte et propage Millevaux.
Hors ligne
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