AU REVOIR POLYTE
Quand la forĂŞt se referme sur un destin.
(temps de lecture : 7 minutes)
Joué / écrit le 15/06/2020
Jeu principal utilisé : Oriente, perdre ses repères en traversant la forêt de Millevaux
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
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Lewis Hickes, domaine public
Contenu sensible : aucun
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29. Dans le giron du Culâ
Il ne fait pas bon contrarier les habitants des tourbières limbiques !
L'histoire :
Pyrrhula, par Nordvargr, entre dark ambient, drone et black art, au sein de cavernes vastes et profondes, au-delà du Temps, un environnement démesurément hostile.
C'était une aube rachitique qui secouait les arbres fanés. Le Polyte était blanc comme une fesse. La Madeleine l'avait pansé avec son foulard et des cataplasmes préparés par l'Euphrasie, mais le sang continuait à couler. Il se plaignait que ça le démangeait. La perte de ses phalanges était une chose, mais il fallait aussi craindre l'infection.
C'est alors que le Père Benoît leur montra un boqueteau de peupliers, émerveillé. Ils étaient parés de fleurs nouvelles et de bourgeons. "C'est le signe de la présence de Saint-Firmin. Il va régénérer le Polyte !
- Vous l'avez dit vous-même, Père Benoît, objecta la Frazie. C'est pas normal que tout votre saint-frusquin se manifeste. Vous y croyez trop !
- On doit essayer, pour le petit ! Il faut y aller !"
C'est vrai que le drĂ´le avait pas l'air bien, avec sa tĂŞte de chou bouilli. Alors on tenta le risque.
Au milieu du boqueteau, se trouvait une tombe dans un style archaïque, à peine une dalle de pierre, poilue de lichens, et une croix grossièrement sculptée d'une silhouette de Jésus-Cuit. Il dégageait un parfum de rose, de cèdre et de bergamote.
Le Père Benoît défit le foulard ensanglanté qui recouvrait la blessure, et le noua autour du cou du Polyte. "C'est pour symboliser la décapitation de Saint-Firmin. Maintenant, avance et pose ta main sur le tombeau, gamin."
La Madeleine se pencha vers lui, en sourire et en pleurs. Elle rajusta le sac de pommes de terres qui lui servait de chemise. "Qu'est-ce que t'es mal fagoté, mon garçon."
Le Polyte disait rien.
Il avança dans ses sabots trop grands, et sans craindre, toucha la pierre. Le Père Benoît triturait son rosaire. Des bulles de peaux éclatèrent à la surface de ses doigts tronçonnés, puis des sortes de polypes de chair et d'os en sortirent. Le Polyte regardait ça sans frémir. Avec des bruits organiques, ils généraient de la matière à toute vitesse, et quelques instants plus tard, sa main avait retrouvé son intégrité.
"C'est un miracle, je le savais...", annonça le Père Benoît.
L'enfant se retourna vers eux, et les dévisagea avec un regard qui en disait long.
"Qu'est-ce que tu as derrière la tête, mon fils ?"
"Maman, je vais rester lĂ . Je vais rester dans la forĂŞt. Elle m'appelle. C'est mon domaine.
- Tu peux pas faire çà !
- Si, maman, tu le sais. C'est lĂ chez moi et y'a que lĂ que je serai bien.
- Mais les horlas ?
- Tout ira bien, je te le promets.
- On peut pas l'abandonner ici !",protesta le Père Benoît.
Il chercha des yeux une approbation, mais l'Euphrasie et la Sœur Marie-des-Eaux étaient du côté du petit.
"Maman, j'ai pas été en sécurité aux Voivres, et je le serai pas en restant avec toi. Dans la forêt, je me sens enfin comme chez moi.
- Vous voyez bien qu'il est victime d'un mauvais sort !, insista le Père Benoît.
- Je m'y connais en mauvais sorts, objecta la Madeleine. Si t'as trouvé ton refuge ici, je dois l'accepter.
- Maman, j'espère que tes croûtes vont guérir aussi, un jour.
- Si tu es heureux et Ă l'abri, alors tout ira bien pour moi, fiston."
Elle l'étreint et c'était une des rares expressions de vraie tendresse qu'elle montrât à son égard, même qu'il crut d'abord qu'elle voulait l'étrangler.
"Je t'aime Polyte.
- Je t'aime maman. Merci de m'avoir protégé pendant tout ce temps."
Puis il se tourna vers les exorcistes.
"Dans le cimetière, j'ai vu Basile, le cordelier. Il m'a dit que les cordes étaient méchantes. C'est elles qui l'ont tué, parce qu'il pouvait plus leur être utile. Quand vous rentrerez aux Voivres, vous devrez vous en méfier.
- Merci de l'information. Bonne route, gamin, je te bénis.
- Salut tout le monde. À la revoyotte !"
Ils purent le regarder encore un instant, lui le drôle avec son visage rond et doux, sa tendresse de veau, ses grands yeux, marmosé de noir, ses cheveux bouclés comme ceux de son père, son odeur de founet et de pipi.
Et il recula dans les fourrés et disparut entre les fougères aigles racornies. Il fut vite de l'autre côté du mur végétal qui couvre tout son et toute vue, et c'était comme s'il n'avait jamais existé.
La Madeleine n'avait jamais été aussi heureuse de perdre un enfant.
Mais les autres avaient quand même dans la bouche comme un sale goût de terreau. L'événement avait tout l'air d'une bénédiction, mais on repartait de là avec la nausée, avec le sentiment d'avoir foulé un lieu hanté où on n'aurait jamais dû foutre les sabots.
S/T, par HKY, un post-hardcore lourd, noir, spatial, Ă fleur de peau : tristesse, abysse et goudron.
Au zénith, bas et lourd, on jeta trois bûches dans un rond de cendres pour faire bouillir des orties, des châtaignes et des pétenayes. Le Père Benoît s'isola de l'autre côté des talus, il avait besoin de prier, et - c'était dire son émoi - de jeûner.
L'Euphrasie se mit à genoux et avança comme un lynx vers le brancard de la Sœur Marie-des-Eaux. Elle prit ses joues dans ses mains et lécha son oeil de bois.
"La Madeleine peut tout voir., protesta le novice.
- On s'en fiche. Elle pas du genre récuse-poto."
La Soeur Marie-des-Eaux passa ses doigts sur les dents de la chiffonnière. Elle se déroba, avec un sourire qui lui remontait au-dessus des yeux.
"Tu me tortures, Frazie. Comment je vais pouvoir m'expliquer en confession ?
- T'as qu'Ă rien dire.
- Je voudrais bien. Mais il faut toujours y passer Ă un moment.
- Je plains les confesseurs qui se prennent dans le greugnot toutes vos eaux brunes de la semaine. Mais ceux d’avant se prenaient les eaux sales de toute une vie.
- Qu'est-ce que tu sais sur ceux d'avant ?"
D'humeur espiègle, la guide enfourcha le ventre du novice et fouilla dans sa besace. Elle en extirpa le carnet mémographique et le feuilleta. Le livre était gondolé d'humidité, des notes et des herbiers en tombaient.
"Rends moi ça. C'est ma vie qui est dedans.
- C'est pas ta vie. C'est que des âneries. Et ça ne m'apprend rien que je ne sache déjà sur toi.", grimaça-t-elle en plantant son ongle dans la joue du novice.
- Qu'est-ce que tu racontes ?"
Mais on entendait les sabots du Père Benoît dans les feuilles mortes, et l'Euphrasie regagna sa marmite, se régalant de voir la rougeur aux joues du novice.
Et le périple reprit, sur des couches et des couches, les corps rompus à patauger sans fin dans la litière, à porter la Sœur Marie-des-Eaux et lui à porter le poids de ses propres os qui entaillent sa chair et ses blessures intérieures, une constante rumination, pesante, et la masse des frondaisons au-dessus de leur tête, la lourdeur d'un monde à son crépuscule, une vache morte affalée sur eux.
La Madeleine jetait constamment des coups d'oeil derrière eux. "Le grand-père ou la Mère Truie sont sur nous, c'est sûr. Ils vont pas me laisser m'ensauver comme ça." Elle se grattait jusqu'au sang.
Le Père Benoît mit un genou à terre. C'était après tout un rat de messe engraissé par les paroisses où son seul sport consistait à agiter un crucifix pour ramener le calmes chez les ouailles, il n'avait pas l'habitude et les épisodes de sa vie les plus physiques étaient derrière lui. La Madeleine était quant à elle trop sur le qui-vive pour faire une porteuse efficace. Se sentant proche du but, l'Euphrasie voulait pourtant éviter qu'on fasse une pause, alors elle prit la Sœur Marie-des-Eaux sur ses épaules et partit en avant. Le novice était serré contre la chaleur de son dos, le nez dans ses cheveux et leur odeur de bois pluvial.
"Euphrasie... Pourquoi tu dis que c'est des âneries mon carnet ?
- Parce que je connais ta vie. Je suis une mnémomancienne.
- Une mnémomancienne.
- Oui. Je touche, j'accède à la mémoire. J'écoute, j'accède à la mémoire. Je vois, j'accède à la mémoire.
- Alors dis-moi ! Dis-moi nom de Vieux de l'Esprit-Chou ! Comment je suis devenue une disciple de la Madone à la Kalach ? Et ma vie d'enfant sauvage ? Et où étaient mes parents avant que l'engin agricole ne m'écrase le corps ? Et mon frère Raymond, comment il était avant sa mort ? Et mon amant le horla, est-ce qu'il est bien mort à Douaumont parce que je l'ai embrassé ? "
L'Euphrasie s'arrĂŞta de marcher.
"ça a jamais existé tout ça. T'as eu une jeunesse normale. Tous tes traumatismes physiques ou mentaux... Tu les as inventé pour combler le vide, et ton corps y a cru."
La SĹ“ur Marie-des-Eaux lui plaqua son Opinel sous la gorge.
" Sale menteuse ! Tu dis ça pour me mettre au supplice !"
L'Euphrasie déglutit.
"Je m'attendais pas à ce que tu me croies. Je me doute bien que tu préfèrerais ta version des faits, parce que ça fait de toi un héros, ça fait de toi le personnage d'une histoire. J'ai que de la banalité et de la mythomanie à t'offrir en échange. Mais réfléchis un peu. Tu vois dans quel monde on vit ? Tu te doutes pas que de telles erreurs sont possibles ? Qu'on peut se fourvoyer dans des embranchements qui nous entraînent n'importe où ? Tu n'as jamais essayé de percer à jour toutes ses dissonnances ? Tu t'es jamais étonnée d'être chez les exorcistes alors qu'on n'y forme que des oublieux ? C'est la règle : on ne recrute que des amnésiques chez les exorcistes. Il faut être vierge pour affronter le territoire des forêts limbiques et se préparer à la lutte contre les démons. En définitive, t'es pas un enfant-soldat qui a été recruté de force par le diocèse. T'es comme la Sœur Jacqueline, t'es comme le Père Benoît, une page blanche sur laquelle l'Eglise a écrit les ridicules prières qui permettent de dormir la nuit."
Il s'ensuivit un silence pachydermique. Il fallait que le novice digère.
Le crépuscule noircissait comme du papier brûlé.
"Euphrasie...
- Oui ?
- En quelle année sommes-nous ?
- Tu veux pas le savoir."
Loin derrière, juste assez près pour les voir encore, le Père Benoît et la Madeleine suivait, l'un pas reposé et l'autre pas rassurée.
Elle prit ses mains, cloquées, dans les siennes, boudinées.
"Il faut quand mĂŞme que je vous le dise...
- Quoi ?, demanda le Père Benoît, avec dans les yeux l'appêtit de confesse.
- Merci. Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi."
Et enfin, la guide écarta des branches, la forêt s'évasa en essarts, il y avait des clôtures bouffées par les champignons, et derrière, une vache vosgienne au dos semé d’étoiles.
"C'est le premier signe. On approche de Xertigny, constata l'Euphrasie
- La vache... Elle ressemble à celle qu’avait tué le fils Domange."
Lexique :
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Ă€ BON PORT
Enfin, c’est à l’arrivée à Xertigny ! Mais s’annonce-t-elle sous les meilleurs auspices ?
(temps de lecture : 5 minutes)
Joué / écrit le 22/06/2020
Jeu principal utilisé : aucun pour cette session
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Contenu sensible : cruauté envers les animaux
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30. Au revoir Polyte
Quand la forĂŞt se referme sur un destin.
L'histoire :
A Bureaucratic Desire For Extra Capsular Extraction, par Earth, les tout premiers élans du drone, massif, répétitif, lysergique, chthonien.
Enfin, ils y étaient. Au sommet d'une côte, presque disparue au milieu de la presque-nuit, ourlée dans les replis du temps et de l’espace, Xertigny étendait ses maisons et son clocher. La ville apparaissait plus grosse que Les Voivres, et plus préservée également, nichée dans le piémont. Le froid y mordait bien davantage qu'aux Voivres, et on retrouvait cette sensation d'humidité proche d'un givre au creux de la moelle. Le ciel griboulu d'étoiles se reposait sur les collines hérissées de sapins.
"Je suis soulagé de nous voir arriver. Chacun de mes os est fatigué.", fit la Sœur Marie-des-Eaux. A ces mots, la Frazie eut une drôle de grimace, comme si ça lui faisait de la peine de voir le novice comblé.
En remontant la route de Bains, ils constatèrent la première anomalie. Le cimetière, sur leur droite, était immense, et s'étendait sur tout le flanc de la colline, avec des tombes et des chapelles de toutes époques et de tous styles. Le Père Benoît bénit la nécropole, comme pour conjurer le sort.
Les noms des rues aussi étaient étranges. Prolongeant la route de Bains, ils passèrent la Rue du Commandant Saint-Sernin. Si les maisons étaient en meilleur état et plus nombreuses qu'aux Voivres, elles ne formaient qu'une ligne de front derrière laquelle la forêt reprenait déjà ses droits, ce qui donnait à ces façades une allure de décor de théâtre.
Au croisement de la rue du manège, une bande de paysans était attroupée sous un abri au pied d'un calvaire, autour d'un pressoir. Le bruit des pommes écrasées se mêlait à l'odeur du jus extrait, la promesse du cidre. C'était un groupe de bons gars et de bonnes filles, ça chiquait, ça fumait des cigarettes de foin, ça buvait des coups et y'avait des plaisanteries grivoises, bref ça faisait plaisir à voir. La Frazie prit une mesure d'avance sur les exorcistes pour s'en aller deviser avec les presseurs.
Ils avaient des étoiles dans les yeux à l'écoute de ce qu'elle lui proposait, et lui donnèrent des sous. La Sœur Marie-des-Eaux eut un haut-le-cœur quand il comprit ce qu'elle leur avait monnayé.
La guide les rejoint et les conduit plus avant, si bien qu'ils n'eurent le loisir de deviser avec les presseurs, qui les regardaient avec une drĂ´le d'expression.
"Porte-moi, Frazie, le Père Benoît n'en peut plus."
La Sœur Marie-des-Eaux profita de ce moment en apparté pour lui expliquer sa façon de penser.
Le clocher de l'église sortait des frondaisons comme un diable de sa boîte. On sonnait le glas, ce bourdon reconnaissable entre tous, qui donne le frisson, et rappelle la proximité de la mort.
"Sâprée bonne femme, t'as volé nos souvenirs et tu les as vendus aux Xertignois !
- Je ne vous ai rien volé. Te sens-tu plus oublieux qu'avant ?
- Mais tu as commis un autre crime : tu nous as donnés en spectacle.
- N'aie crainte, puisque tes souvenirs sont faux, alors c'est comme si c'était un autre qui avait joué l'acte pour toi.
- Peut-être que mes souvenirs sont faux, mais ma peine est réelle."
Null & Void, par 0, du black metal dépressif cristallin et mélodique pour la plainte éternelle d'un corbeau dans la tempête.
L'Euphrasie botta en touche : "On va demander le gîte à la famille Chassard, je les connais bien."
C'était à droite après l'église, à remonter la rue de Plombières. Depuis-là , on voyait, épousant le flanc de la colline, un château de style néorenaissance. Les embrasures des portes et des fenêtres étaient en pierre de taille avec motifs décoratifs sculptés, la toiture mansardée portait des clochetons, et des cheminées monumentales.
"Le château des brasseurs, expliqua l'Euphrasie. Il paraît que dans son ventre, y'a des souterrains qui courent sous toute la surface de Xertigny."
Les Chassard ouvrirent leur porte et les accueillirent sans chichis. La maison paraissait trop petite pour le nombre de personnes qui y vivaient, et ça sentait le sapin vernis. Jeunes filles, bonshommes et vieillardes étaient là pour la veillée, les uns prisant, les autre filant, tous habillés de noir.
"Chez nous on porte la tenue de grand deuil pendant un an. Et ma foi, comme y'a quelques décès qui se sont suivis dans la famille, ça fait un moment qu'on porte cette couleur."
Les gamins furent priés d'aller coucher cette nuit dans la paille, afin qu'on réservât leur lit aux invités, et la bassinoire ne fut pas de trop pour réchauffer les couches qu'engourdissait le froid d'altitude.
"Vous en faites une tête, Euphrasie, signala le Père Benoît quand ils euront un moment hors de la curiosité de leurs hôtes.
- C'est bien la maison des Chassard, ils ont bien le faciès des Chassard, mais...
- Mais ?
- C'est pas les Chassard que je connais."
Ce soir-là , la Sœur Marie-des-Eaux reprit ses récitations de l'Apocalypse :
"Comme le Nil qui s'enfle de tous ces alluvions, grande sera la colère du Vieux et elle s'incarnera dans mille fléaux, elle les gonflera de son limon. Ainsi, chacun verra la forêt et ses êtres se peupler de ses hantises les plus intimes, porteuses du souffle punitif du Très-Haut ; ainsi chaque homme et chaque femme souffrira dans son propre enfer, créé par Dieu à son image pour le mettre à l'épreuve et le punir du péché d'orgueil des générations précédentes, et du péché d'ensauvagement des générations futures."
À travers la cloison, la chiffonnière écoutait son amour réciter la prière doloriste, avec la passion qu'on a pour les personnes graves et renfrognées.
Et dans le remous de la grasse-nuit, le novice se vit en rêve dans le confessionnal. Il était sans doute là pour avouer à la personne derrière le grillage qu'il avait fauté avec l'Euphrasie. Derrière le panneau, aucun bruit. Quel prêtre glouton attendait le fruit de sa mémoire ? Le Père Benoît ? Le Père Houillon ? Ou le diable ?
"Pardonnez-moi mon père, car j'ai péché..."
Sa gorge se bloqua net, alors qu'il réalisait ce qui clochait. Il pencha la tête. Il avait de la boue jusqu'à la ceinture.
Le péteuillot, les eaux sales des générations et des générations !
Encore une fois, la Sœur Marie-des-Eaux se redressa en sursaut, le cœur battant, le souffle court. Son lit trop bassiné l'avait mis en sueur. Plaqué à la fenêtre, le tapis de la noire-nuit était hanté par quelques cris impossibles à identifier.
12 d'Opprobre
Saint-Wilfried
Jour du Chanvre dans le Calendrier RĂ©publicain
Le lendemain matin, on put traîner jusqu'à l'aube, et le petit-déjeuner leur fut servi avec les mouflets. C'était des manalas, et ces petits bonhommes étaient si ronds, si chauds, si vivants que ça coupa l'appêtit à tout le monde
Les Chassard ne posaient aucune question, ça en devenait gênant. Ils n'eurent même pas une remarque sur le temps, qui pourtant était passé de l'hiver à l'été durant la nuit.
La Sœur Marie-des-Eaux grimaça. Il y avait toute une bande de mouches dans la cuisine, qui n'avaient rien à faire là en cette saison. Et les enfants les attrappaient avec une agilité folle. Ils ouvraient leur paume, souriant d'y voir l'insecte pris au piège, et l'écrasaient entre les ongles du pouce et de l'index. Ils contemplaient un instant la purée de chitine, puis s'en débarassaient d'une chiquenaud et chopaient une nouvelle proie.
"On les a dressés à tuer les mouches. Faut bien qu'ils se rendent utiles.", commenta la mère Chassard.
Ils prirent congé et convinrent ensemble qu'on chercherait un autre logis pour le soir prochain. Au dehors, un chariot remontait la rue de plombières. Il était chargé de cordes.
Des nœuds coulants pour les pendus.
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Pour cet Ă©pisode : 1318
Total : 58822
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L'ENVOÛTEMENT AU NOIR
Pour cette suite du séjour à Xertigny, test de mon projet de bac à sable profond Écheveuille, avec Inflorenza comme système de résolution. Or, les dés ont provoqué une issue des plus tragiques !
(temps de lecture : 8 minutes)
Joué / écrit le 29/06/20
Jeu principal utilisé : Écheveuille, un jeu de rôle tout en un pour s’égarer dans l’infini des forêts de Millevaux en solitaire comme à plusieurs.
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
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Jon Nagl, cc-by-nc-nd, sur flickr
Contenu sensible : racisme, mutilation, cannibalisme, ultraviolence
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31. À bon port
Enfin, c’est à l’arrivée à Xertigny ! Mais s’annonce-t-elle sous les meilleurs auspices ?
L'histoire :
Gran Poder, par Orthodox, du doom metal avec un rare chant clair, entre drone et liturgie, une cloison Ă©touffante pour icĂ´nes salies.
Le zénith projetait une chaleur malade sur la ville, qui dorait les facades d'où aucun bruit ne venait, sans silhouette derrière les vitres. La Sœur Marie-des-Eaux avait emprunté des béquilles aux Chassard, et le bruit de sa claudication était le seul à troubler l'étale. La troupe n'eut pas le temps de se remettre de la dernière vision que le Père Benoît fendit le groupe pour courir se réfugier à l'abri des chênes. "Je vais pas bien !"
Il eut juste le temps de se défroquer avant que ses entrailles ne lâchent une bouse fumante sur une taupinière. "Satané bon Vieux, j'ai chopé une de ces déclichotes comme ils disent par ici !"
Sa soutane n'avait pas été épargnée par les projections.
"Oh, Seigneur JĂ©sus Cuit tout puissant !"
Il soufflait à qui mieux mieux. Son ventre gargouillait, pris de volonté propre.
Les mouches tétaient sa chiure.
"Bzzt Bzzt, miam, Bzzt Bzzt... Nous voilà arrivées à bon port.
- Quand donc allez-vous me fiche la paix ? N'avez-vous donc aucune pitié par un homme que l'inconfort afflige ?
- BientĂ´t... C'est Ă Xertigny que nous pensons trouver des indices concernant le crime sur lequel nous enquĂŞtons.
- Allez-vous donc enfin de me dire quel défunt motive de tels efforts d'investigation de votre part ?
- Çà vous plairait pas... Vous verrez bien en temps voulu."
Tout en se refroquant, le prêtre regarda son tatouage. Les mouches étaient revenues dedans. Elles se taisaient à nouveau, les maudites. S'il voulait s'en débarasser, il se retrouvait donc contraint de collaborer à un jeu de pistes. Et s'il n'avait toujours aucune idée de la victime, il commençait à se figurer l'assassin. Ce pouvait bien être le diable en personne.
Il fallut attendre le crépuscule pour enfin retrouver âme qui vive, après avoir frappé aux portes des heures sans succès. Même l'église et le château étaient fermés.
"Je commence à comprendre ce qui se passe et j'aime pas du tout çà .", siffla l'Euphrasie.
Ce fut enfin une petite vieille qui les apostropha, à hauteur de la route de Dounoux qui descend vers les flancs vertigineux des piémonts.
Elle était toute drôle, avec sa canne, sa bouche édentée qui yoyotte, la patate fripée qui lui servait de nez et son fichu à fleurs sous lequel partaient s'évaser les rides de son visage. "Qui qu'c'est-y que ces diots-là ? Vous êtes pas des camps-volants par hasard ?", grinça-t-elle, plissant des yeux pour mieux les discerner. La Frazie la foudroya de son regard au charbon, à la fois étonnée de voir une xertinoise inconnue de plus, et fatiguée d'une énième insulte raciste à son encontre. Elle voulait tirer au clair toute cette histoire.
"Nous cherchons le gîte pour la nuit. Et comme vous pouvez le voir, nous sommes entre gens du Vieux, fit la guide en désignant le novice et le prêtre.
- Oh mais fallait le dire tout de suite qu'y avait monsieur le curé, par l'Esprit-Chou ! Entrez don', j'allais justement faire du ragoût !"
Il fallait un peu s'enfoncer derrière les troncs pour atteindre une maisonnette d'où s'échappait une forte odeur de cuisine : les oignons, le vin cuit et la barbaque.
En temps normal, le Père Benoît eut l'eau à la bouche, mais cette fois-ci ça eut plutôt l'effet de lui retourner le bide, et il fila faire la grosse commission sous les sapins.
"Bobi, on dirait bien qu'il a une coulante des cent dix mille diables le monsieur le curé !", commenta la vieille.
Sur le flanc de la maison, une stère de bois attendait la hache, posée sur un billot.
"Au fait, moi, c'est la Germaine Peutot ! Mais vous pouvez m'appeler la Mémère !"
La Madeleine et la Sœur Marie-des-Eaux se détendaient. Elle les mettait à l'aise, avec son rire aigre et son odeur de vessie. Mais l'Euphrasie était sur ses gardes.
"Vlà -t-y pas qu'mon mari est toujours pas rentré ! Ah c'est pas rien que le Pépère Peutot ! Il est sûrement resté au bistrot !"
Le rez-de-chaussée n'était guère qu'une cuisine et un escalier qui grimpait raide. Il y avait là le founet et ses marmites laissées à frémir, et son mur, tous carossés de suie au point de composer une seule masse. Et les portière d'un garde-manger d'où émanaient l'odeur âcre du faisandé. C'était sans doute le charnier où laissait le gibier et les salaisons à pourrir pour qu'ils déploient tous leurs arômes sous l'action des asticots.
La Sœur Marie-des-Eaux oublia toute sa sympathie pour la Mémère Peutot, alors que celle-ci s'exclamait, grimpant l'escalier :
"Bon je vais devoir découper la viande asteure ! Ah si mon filou de mari était là pour le faire à ma place !"
Alors que leur hôte était montée à l'étage, le novice écarta les portes du placard. Il y avait là , pendu à un crochet, un bras flapi et grêlé de taches de vieillesse. Et trônant sur un vase à gros sel, une tête humaine, celle d'un petit vieux, jaune comme une mirabelle trop mûre, avec encore son béret vissé sur le crâne et la langue qui pendait.
Screech Owl, par Wold, du black metal presque instrumental, drone et bruitiste, pour s'enfoncer dans un brouillard de plus en plus déchiré. Attention, la première piste est plus harsch que la suite.
La vieille redescendait les marches, appuyée à la rampe d'une main, tenant une feuille de boucher de l'autre, toute caillée de sang.
"On dégage !", hurla la Frazie !
Pur réflexe de guerre, le novice lâcha une de ses béquilles et fendit l'air d'un arc-de-cercle ascendant à coup d'opinel, déchirant le bassin de la Mémère.
"Mais vous êtes beurzou ou quoi ?", couina-t-elle, avant d'aussitôt répliquer, feuille de boucher décrivant une orbe de mort, la Sœur Marie-des-Eaux se recula juste à temps, tombant à la renverse.
Leur guide était déjà au-dehors, mais la Madeleine ne put se résoudre à la suivre. Elle se saisit d'une marmite bouillante et la balança en plein dans la tronche de la Mémère !
Accroupi dans les fourrés, son cul pleurant toute la substance de son corps, le Père Benoît vit la Frazie au-dehors et comprit que l'enfer s'était déchaîné. Il se précipita aussitôt vers la maison, la soutane retroussée sur son ventre, tenant son caleçon long sur les genoux, serrant les fesses à s'en rendre la face apoplectique !
La Mémère Peutot sauta sur la taille de la Sœur Marie-des-Eaux et elle pesait sur lui comme un tombereau de fumier. Le novice lui planta son opinel en plein dans la chair flasque qui lui servait de poitrine, ça triçait du sang dans toutes les directions, sans pour autant que la Mémère Peutot en paraisse plus affaiblie que ça. La Madeleine plaqua la tête de la vieille sur la rambarde de l'escalier et lui referma la porte du garde-manger dessus à coups répétés. La tête du Pépère Peutot aux pieds du Père Benoît, il était dans l'embrasure, la cognée à une main, un crucifix dans l'autre, et le caleçon sur les chevilles.
La Mémère Peutot brailla dans un râle d'outre-tombe. Sa peute gueule était éclatée comme un chou dans un jeu de massacre, le nez brisé et plaqué sur la joue, un oeil explosé et des chicots pendant de la bouche. Elle rabattit son couperet avec autant de force qu'une guillotine, et la Sœur Marie-des-Eaux tourna la tête juste à temps, ce fut sa coiffe qui prit le coup, mais il se retrouvait cloué au sol !
"Mortuus est Satanas !", bouâla le Père Benoît. Il enfonça la hache dans la clavicule de la vieille cannibale, puis dans le dos, bruit des vertèbres rappelant les noix cassées, et frappa, et frappa encore, bouillie d'hémoglobine, et la Madeleine en rajoutait à coups de sabot, et ça jurait ses vindiou et ses vinrats, plus personne ne comprenait rien à ce qu'il faisait, la Sœur Marie-des-Eaux cherchait à récupérer l'opinel dans le cœur du monstre, tout en voulant retirer sa coiffe, si bien qu'elle n'arrivait à rien. La morte-vivante exultait, un animal au greugnot réduit en pulpe, les coups la ratatinaient sans la tuer, le prêtre ouvre sa valise pour panique pour chercher l'eau bénite, il défait les boucles dans le mauvais sens, la valise s'ouvre en grand et déverse son contenu sur le sol de pierre, les fioles tombent et se brisent, et v'là t'y pas que d'un bras presque arraché à son corps, la Mémère Peutot retire la feuille de boucher, l'élève haut au-dessus de sa tête et le rabat à pleine vitesse sur la tête de la Sœur Marie-des-Eaux !
"Non !"
C'est le cri de l'Euphrasie qui, regrettant sa lâcheté, s'est engouffrée de retour à l'intérieur.
Elle a attrappé le bras de la cannibale et le couperet est planté dans son corps.
"Par JĂ©sus-Cuit, tu fuis ou je te recuis...
Par l'esprit-Chou... Rentre dans ton trou !", dégoise-t-elle en vomissant du sang.
Tout le monde est pétrifié.
Le visage de la Frazie n'a jamais été aussi dur, une pierre de taille, un accent circonflexe et un tiret noirs. C'est le visage d'une femme trop fière pour être une martyre.
"Par mon crachat tu repars dans ton terrier"
Et de lui Ă©clabousser la gueule avec le rouge de sa gorge.
" Par mon regard.... tu cesses d'exister !"
La Mémère Peutot bouâle à la mort, sa tronche n'est plus qu'une omelette et c'est comme le bruit de la dernière déchirure au moment de l'arbre qui s'écroule, et la Madeleine brandit le grand pot à sel au-dessus de sa tête, et le brise sur le monstre, la terre cuite éclate, libérant une avalanche de gros sol et les bas morceaux mis à conserver dedans, les mains du pépère, ses pieds, ses oreilles et la masse informe qui furent ses bourses et sa queue.
Marie serra Euphrasie à toute force dans ses bras, elle retira la feuille de boucher, mais ça ne fit que libérer l'hémorragie.
"Je te demande pardon... pour t'avoir dit toutes ces bĂŞtises... annonna Euphrasie.
- Tais-toi !"
Marie prit sa tête dans ses mains et l'embrassa à pleine bouche, Euphrasie lui rendit son baiser, lèvres pour lèvres, langue pour langue, dent pour dent, et le Père Benoît se sentait bien sûr trop con pour réagir, et même pas plus d'ailleurs quand le crâne d'Euphrasie se déforma, des plumes lui sortant du cuir chevelu avec un bruit humide, et sa bouche se déployer pour devenir un bec, et Marie à pleines lèvres et pleine langue dans son bec, et Euphrasie maintenant avec une tête de corbeau, et Marie la serrant de plus en plus fort à mesure qu'elle rétrécissait et se ratatinait et que sa peau crachait des rémiges aussi noires que l'étaient ses sourcils et sa moustache, la première cause de l'envoûtement.
Et enfin, c'était, tenant juste dans ses bras, un corbeau que Marie, une dernière fois, infiniment, désespérément, embrassait.
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AU PURGATOIRE
La troupe d'exorcistes se rend enfin compte dans quel type de guépier elle est tombée. Retour du roman-feuilleton après trois mois d'interruption !
(temps de lecture : 7 minutes)
Joué / écrit le 28/09/20
Jeu principal utilisé : Écheveuille, un jeu de rôle tout en un pour s’égarer dans l’infini des forêts de Millevaux en solitaire comme à plusieurs.
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, u roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)
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Contenu sensible : aucun
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32. L’envoûtement au noir
Pour cette suite du séjour à Xertigny, test de mon projet de bac à sable profond Écheveuille, avec Inflorenza comme système de résolution. Or, les dés ont provoqué une issue des plus tragiques !
L'histoire :
Ancient Lights, par Ancient Lights, du stoner-drone mélodique des plus ritualistes pour une enfoncée enfumée dans les forêts limbiques.
S'ensuivit un silence de plomb qui pesa pendant longtemps. On n'y voyait plus goutte dans la chemine, car au-dehors la presque-nuit étendait ses drapés sur les cimes. Brisant le recueillement, le cri de l'horfraie, l'oiseau-psychopompe, glaça le sang de ceux qui ne l'avaient pas encore assez froid.
"Il faut faire quelque chose des corps.", risqua la Madeleine.
La Sœur Marie-des-Eaux était prostré sur le carrelage, enserrant toujours le corps du corbeau.
"Je veux qu'on enterre Euphrasie.
- Elle n'était ni chrétienne... ni humaine.", souffla le Père Benoît.
Le novice lui décocha un regard où plus rien ne transparaissait de la vertu d'obéissance demandée par sa condition. Le prêtre recula.
"En fait, peu importe vos scrupules, précisa la Madeleine. Il leur faut des rites funéraires menés dans la dignité et dans le respect. Sans quoi... elles reviendront. Si vous voyez ce que je veux dire.
- Je vois que vous ne me laissez pas le choix, conclut le Père Benoît. Dans ce cas, Madeleine, aidez-moi à porter la Mémère. Je vais mettre les restes du Pépère dans ce sac. Nous allons au cimetière."
Ils firent tout le chemin en rasant l'orée de la forêt. Ils n'avaient plus du tout envie de frayer avec les habitants de Xertigny, car les pires conjectures à leur sujet se bousculaient dans leurs têtes.
Là -bas, dans cette nécropole démesurée, la lune gibbeuse leur donna un semblant de réponse. Personne n'entretenait les lieux, l'endroit était la proie des broussailles et des digitales. La Mémère et le Pépère Peutot avaient déjà une tombe à leur nom, et leurs dates de décès était mentionnée.
Ils passèrent un moment à regarder les dates sur les tombes quand la couche de lichen permettait encore de les lire, mais la révélation était si vertigineuse qu'ils finirent par abandonner.
Ils ouvrirent la stèle de la tombe Peutot. Les cercueils étaient ouverts et vides.
Le Père Benoît célébra une petit messe. La Sœur Marie-des-Eaux était effondré dans la prière. La Madeleine, quant à elle, fixait le prêtre, elle semblait étudier son visage. Les reflets de la ligne soulignaient les écailles et les suppurations sur la face et les mains de la fermière.
De loin en loin, parcourant les allées comme en pays conquis, les fanions grêles des feux-follets.
On remit les époux Peutot dans leurs bières, non sans avoir cloué la Mémère d'un pieu au cœur.
Le Père Benoît creusa un petit trou, où la Sœur Marie-des-Eaux enfouit le corbeau.
"À défaut de cercueil, il lui faut un nid."
Alors à grands coups d'opinel, il coupa les longs cheveux qui encadraient son visage au supplice. Ils tombèrent en pluie sur le corps de son aimée. Elle remit sa coiffe sur les restes hirsutes de sa toison.
Une dernière larme, une dernière prière, un dernière pelletée, et l'Euphrasie fut en terre.
"Tu ne méritais pas de finir en ces lieux. Pour nous avoir guidés, voilà ce qui t'est arrivé. Quelle malheur de mourir au purgatoire !
- Comment avons-nous pu échouer là ?, s'interrogea le Père Benoît. Elle avait pourtant l'air de savoir ce qu'elle faisait !
- Peut-être que la Mère Truie nous a maléficiés à distance.", conclut la Madeleine.
Un déchirement creva les nuages, quelque chose d'une rumeur de torrent qui roulait à travers les arbres, impossible de savoir si c'était tout proche ou si ça mugissait du fond de l'espace.
"Qu'est-ce qui grolle comme ça ?
- C'est peut-ĂŞtre un orage...
- Moi, ça me rappelle autre chose. Quelque chose de pire que l'orage.
- On peut pas rester dormir Ă la belle Ă©toile dans ces conditions.
- Mais je refuse qu'on retourne chez les Chassard. Ils me font trop penser à la Mémère Peutot.
- Alors on va trouver abri dans le Château des Brasseurs."
Sleeper, par Daniel Menche, un drone fait de bourdonnement et de résonnance, mélodique et sombre pour se faire happer par un voyage nocturne.
Ils coupèrent à travers bois pour éviter les noctambules et trouvèrent le Château environné d'une brise printanière. Le Père Benoît allait casser la vitre de la porte qui surplombait le double escalier, mais il la trouva ouverte. Quand il ouvrit, il trouva en face de lui un officier militaire dans un uniforme anachronique, assis dans le grand hall auprès d'un guéridon, avec juste une bougie pour révéler son visage, anxieux, regardant de tous côtés. Le carrelage était défoncé, les papiers peints déchirés. Tout indiquait l'abandon. Le soldat les tient aussitôt en respect avec son pistolet de service, mais abaissa son arme au constat qu'ils étaient des écclésiastiques.
"Qu'est-ce que vous faites lĂ ?." Des colonies de verrues constellaient ses mains.
"Je suis le Père Benoît, envoyé du diocèse de Saint-Dié. Nous cherchons asile pour cette femme, Madeleine Soubise.
- Vous êtes mal tombés. Ici, nous sommes en guerre. Je m'appelle R* et je suis chargé d'organiser les défenses."
Visiblement, quelle que fut l'ampleur de sa tâche, il n'était pas à la hauteur. Il était dans un état de confusion nerveuse des plus totales.
- En guerre contre qui ?
- Contre les Allemands, pardi !
- Vous voulez dire contre les prussiens ?
- Les Schleus, les Boches, appelez-les comme vous voulez. La drôle de guerre est en train de tourner au vinaigre. Nous avons placé des pièces d'artillerie mais ils sont légion.
- Vous voulez dire que Xertigny va se faire encercler ?
- C'est probable. Il n'y a pas trente-six solutions pour fuir. Eventuellement, il faudrait explorer les souterrains du château. Il paraît que le réseau s'étend jusqu'aux limites de la ville. Ça ne vous tente pas ?
- Nâni, pas pour l'instant en tout cas. Nous voulons surtout vous demander le gîte. Peut-on dormir dans la serre que nous avons vu à l'arrière du château ?
- C'est vraiment dommage, j'aurais vraiment voulu savoir si ses souterrains constituaient une option. Mais bon, restez si vous voulez, le château est réquisitionné. Prenez vos aises.
- Une dernière question. Où sont les pièces d'artillerie dont vous parlez ?
- Près des Granges Richard, sur la colline qui surplomble la route de Bains. C'est du moins là que le Lieutenant Warnier les a déplacées.
- Bonne nuit, monsieur R*. Tâchez de trouver le repos.
- Plus personne ne se repose ici. Nous sommes tous en veille."
Le Père Benoît avait choisi la serre pour plusieurs raisons. Il y trouva un tuyau d'arrosage pour se faire une toilette, et ils purent s'y barricader. Aucun n'avait envie d'être trop à portée de R*. Il fallait se méfier de tout le monde désormais.
En plein dans les replis de la grasse-nuit, le prêtre, qui avait pris le premier tour de garde, vit le hochement d'une lumière se vautrer sur les vitres. Il se tapit dans un massif de rosiers dégénérés, et essuya avec le revers de sa soutane pour mieux voir. C'était R*, avec tout son paquetage et quelques objets de valeurs sans doute dérobés au Château. Il s'aventurait dans l'arboretum, lanterne et revolver pointés.
"Je crois que nous avons affaire à un déserteur., murmura le Père Benoît.
- Il nous a appris quelques petites choses importantes avant de jouer la fille de l'air, répondirent les mouches. On dirait que cet endroit agrège plusieurs époques. Cela tend on confirmer que nous sommes au purgatoire. Nous nous rapprochons de notre cible. Demain, tu devras aller à l'église. Des réponses s'y trouveront sans doute.
- Taisez-vous, on va vous entendre."
Il se rapprocha de la Madeleine pour voir si elle dormait encore. À la faveur de la lune percolant à travers la vitre, les croûtes de son visage n'étaient plus si horribles à voir ; une audace impressioniste.
"Qu'est-ce qui se passe ?, gromella-t-elle sur le ton du réveil impromptu.
- Chut... Laissons la Sœur Marie-des-Eaux dans ses rêves. Il en a besoin. J'ai vu R* déserter, mais nous n'avons pas besoin de lui.
- Vous en faites vraiment beaucoup pour moi.
- C'est normal.
- Je n'en vaux pas la peine.
- Je sais qu'on vous a éduquée à penser ainsi, mais vous avez tort. Vous êtes une belle personne et vous méritez qu'on se batte pour vous, comme vous vous êtes battue pour votre enfant."
Son visage s'était approché du sien. Les odeurs de chair fermentée se mêlaient à la verdure de son haleine.
- ArrĂŞtez. On dirait que vous me donnez le bon Vieux sans confession. Vous vous doutez pourtant Ă quel point je me suis compromise. Je ne suis pas digne de votre compassion et de votre amour.
- Si, vous l'ĂŞtes."
Il était maintenant aussi près de son visage que de la grille d'un confessionnal. Il tendit la langue et sentit le goût salé de la sanie perlant d'un furoncle. Il lécha ses plaies, il se surprit à en aimer le goût.
La Madeleine se laissa faire un temps, son corps parcouru de frissons alors que le prêtre lapait les croûtes de ses joues.
Puis elle le repoussa. Sa tĂŞte tournait.
"Vous ne savez pas ce que vous faites. Je ne veux pas être celle qui vous détournera de la foi."
Il alla se pelotonner dans les buissons de courges sauvages, ne trouvant aucun mot pour dire sa honte.
La Madeleine prit son tour de garde, qui consista plus ou moins à une forme d'atonie, à ruminer tout ce qui leur était arrivé et tout ce qui les attendait de plus horrible et bouleversant, face à quoi elle se sentait sans force et sans utilité, et ce qui lui restait c'était si peu, prendre soin des siens, qui était disparu, qui était gênant, qui était fou.
18 Juin 1940
Le jour les cueillit tôt, dès presqu-aube, et la serre était chaude comme un cocon. Dehors, il faisait beau. Le ciel était d'un bleu qui leur fut rarement, si jamais, donné de contempler. Cette teinte électrique et dense leur rappelait les absides des églises. On grapilla quelques légumes puis on se décida à aller observer la fameuse pièce d'artillerie des Granges Richard. Il fallait comprendre au mieux ce qui se passait à Xertigny pour déterminer si vraiment le lieu présentait des promesses d'asile pour la Madeleine.
Ils trouvèrent une poignée de soldats en casque attroupés autour d'un canon de l'âge d'or, un specimen moderne tels qu'ils n'en avaient jamais vu. Prétextant de bénir les barricades, le Père Benoît fut bien accueilli, et le Lieutenant Jacques Warnier, un cavalier droit dans des bottes, leur expliqua qu'il s'agissait d'une pièce de 75, ce qui ne les avança guère plus.
Warnier caressa son cheval Lutin. "Le pauvre n'est guère résistant, et nous avons parcouru les Vosges dans tous les sens. Il est fourbu."
"J'ai écrit une lettre à mon épouse. Grâce au ciel, elle à l'abri dans le Morbihan. Je ne sais pas si mon courrier va lui parvenir."
"Nous dînons debout, dans le bois, et on mange des conserves."
"Les boches sont partout. Nos défenses sont complètement désorganisées. Mon père, je ne sais pas quoi penser de tout ce qui se passe. R* m'a dit qu'on se retrouverait pour le déjeuner, mais il n'a pas paru. Il aura de la chance s'il échappe au Conseil de Guerre".
C'est alors qu'un raclement sourd stoppa net les conversations.
Ça venait de la route de Bains !
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Pour cet Ă©pisode : 1920
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L'ENFER
Plongée au cœur du Jugement Dernier !
(temps de lecture : 7 minutes)
Joué / écrit le 05/10/2020
Le jeu principal utilisé : Inflorenza, héroïsme, martyre et décadence dans l’enfer forestier de Millevaux
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)
La pièce de 75 du lieutenant Warnier à Xertigny. Dessin de Georges Mangin (14 ans en 1940), fait de mémoire en 1965
Contenu sensible : guerre, grossophobie, mutilation
Passage précédent :
33. Le Purgatoire
La troupe d'exorcistes se rend enfin compte dans quel type de guépier elle est tombée. Retour du roman-feuilleton après trois mois d'interruption ! (temps de lecture : 7 minutes)
L'histoire :
Créon, par Rorcal. Le métal noir de l’Apocalypse.
Et pour faire écho à ce bruit d'outre-tombe, les cloches de l'église sonnèrent à toute volée. Le Père Benoît et la Sœur Marie-des-Eaux mirent un temps à analyser ces harmonies qu'ils n'avaient jamais entendus auparavant et qui leur faisaient dresser les cheveux sur la tête.
"Une partie des cloches sonnent le tocsin.", constata le Père Benoît.
"... Et l'autre partie sonne le glas", acheva la SĹ“ur Marie-des-Eaux.
Emergeant du vallon sur la route bitumée, deux engins de métal firent leurs apparitions dans les vrombissements et les pétarades. La Madeleine et le Père Benoît en tombèrent presque le cul par terre à la vue de ces machines du futur. La Sœur Marie-des-Eaux sentit une résonnance avec ses revoyottes, quand il fut l'amant d'un horla, à Douaumont.
"Un side-car et un char d'assaut...", siffla-t-il.
Warnier et sa douzaine d'hommes se désintéressèrent totalement des gens d'église.
"Chargez... Obus !"
La pièce de 75 trembla dans tous les sens. Le prêtre se jetta à terre, se couvrit les oreilles et ferma les yeux.
Les français donnèrent de la mitraillette sans compter les munitions. Frappé de plein fouet, le char s'arrêta net. Noire comme le founet du bouc, une colonne de fumée s'en échappa.
Les hommes de Warnier poussèrent des hurlements de joie. Qui s'étouffa vite dans leur gorge à la vue d'un grand oiseau qui assombrissait le ciel. Un avion allemand.
Et sortant des bois comme surgis de tous ses terriers, les silhouettes noires des fantassins allemands déferlèrent.
La Madeleine vit que cet assaut avait fait basculer Sœur Marie-des-Eaux de religieuse à guerrière. Son visage avait des crispations de gorgone, elle cherchait à troquer sa béquille contre une mitraillette. La Madeleine la tira par le bras : "Fuyons ! Notre place n'est pas ici !
En l'espace de quelques secondes, le roulement de toutes les balles fusant de part et d'autres avait pris une ampleur de jugement dernier.
Ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta !
Le Père Benoît, victime d'un choc existentiel, était cloué au sol. Un servant de la pièce a un hurlement de bête, un tir lui a emporté la moitié du visage ! Un autre s'écroule dans un bruit de pierre !
Warnier se tourne vers eux. Son œil et sa joue sont criblés d'impacts. Il est hébété, hors du monde. La Madeleine voit clairement une balle lui traverser le bras. Le cavalier agit dans un état de conscience automatique. Il se fait un garrot avec la courroie en cuir de son porte-carte.
"On doit rester ! Il faut les protéger de cet enfer !, grolle le novice.
- Il n'y a rien à faire pour eux ! Ils sont déjà morts ! Il n'y a plus que nous ! Sauvons notre peau ! Sauvons-nous les uns les autres !, réplique la fermière.
- Pourquoi on est venus lĂ ? J'aurais dĂ» ĂŞtre plus prudent..., pleure le prĂŞtre.
- Vous êtes venus ici pour moi, vingts rats ! Pour me protéger ! Je refuse que vous mourriez ici à cause de moi ! Vous entendez ? Alors vous allez m'écouter et fuir ! Je vous l'ordonne ! On doit se réfugier à l'église ! C'est là où se trouve le refuge et où se trouvent les réponses !, cria la Madeleine.
- Elle a raison ! C'est Ă l'Ă©glise qu'il faut aller ! Alors bouge ton gros cul maintenant !", vrombirent les mouches dans les oreilles du prĂŞtre.
Autour d'eux, il y a une immense variété de bruits, mais on ne perçoit plus que les basses du pillonnage.
Les chevaux trottinent dans les cercles de leurs longes. Ils ont perdu l'esprit. Du sang coule de leurs corps chauds comme la mort.
"Lutin..."
Warnier titubait vers son cheval. Ses forces l'abandonnaient peu à peu alors que la bataille ne faisait que commencer. Les fantassins boches dévalaient des Granges Richard, certains se faisaient faucher, mais les autres se jetaient derrière les rochers ou les arbres et ajustaient de mieux en mieux leurs tirs. La poignée de français qui restait en état de se battre était recroquevillée derrière la barricade, et alors même qu'ils persévéraient dans les rafales et les obus, la défaite était inscrite dans chacun de leurs gestes.
Des feux de paille et de branches volaient tout autour.
Ce fut d'abord en le saisissant à bras-le-corps que la Madeleine parvint à faire reculer la Sœur Marie-des-Eaux. Le Père Benoît rampait. Puis à contre-cœur, le novice prit appui sur sa béquille et suivit le mouvement de retraite.
Le prêtre se releva avec peine, comme d'entre les morts, mais les trajectoires rasantes des balles le poussèrent vite à la course. La Sœur Marie-des-Eaux claudiquait. Derrière eux, une explosion balaya le paysage dans une puanteur de chair et de cordite.
Alors, le prêtre comprit qu'on ne pouvait pas se passer de lui et il empoigna le novice. La Madeleine lui attrappa es pieds et ils emportèrent ainsi le paquet, courant vers le bourg en évitant les rues pour leur préférer le couvert de la lisière.
La fuite vers l'église leur fut lourde de pensées autonomes en grelons dans leur crâne.
La Madeleine :
Je voulais comprendre quelle était ta place. Mais je n'en ai pas. Je me sentais liée à ces deux exorcistes. Mais je causerai leur malheur, il faut que je m'en sépare.
Le Père Benoît :
Pour moi, le diable était mêlé à tout ça. Mais en fait, il n'y a ici que des hommes, qui fabriquent leur propre enfer. Je croyais que j'avais manqué de prudence... Au contraire ! Je suis lâche !
La SĹ“ur Marie-des-Eaux :
Je veux protéger tout le monde... Et je n'arrive à protéger personne ! Quel gâchis ! Essaie au moins d'apprendre quelque chose sur toi dans cet endroit qui cumule tous les passés...
The Divine Punishment, par Diamanda Galas, l’incantation sorcière à son pinacle.
L'opinel du novice vint à bout de la serrure et ils purent entrer dans l'église. Une odeur de suaire en carossait tout l'intérieur. Les huit vitraux à l'effigie des saints vosgiens jouaient une cérémonie de couleurs hors-naturelles. On se sentait ici comme au cœur d'un tronc où s'était agglutiné une résine d'époques. Aucun des sons de l'extérieurs ne parvenait plus jusqu'à eux. Ils étaient seuls au monde. Et pourtant comme observés.
Ils plongèrent les doigts dans le bénitier et se signèrent, non par respect mais par crainte.
Un fil de laine coulait entre les bancs vers l'autel.
"Le fil... C'est ici que Sainte-Walburge a lancé par sa pelote, guidée par le Vieux. Elle a construit l'église là où elle s'est arrêtée, expliqua le Père Benoît.
- Bzzzt... C'est bien ce que nous pensions... Il faut suivre le fil, murmurèrent les mouches.
- Vous avez dit quelque chose ?, demanda la SĹ“ur Marie-des-Eaux.
- Non, rien... Ou plutôt... Les réponses sont au bout de ce fil.
- Alors, allons-y !
- Je n'en ai pas vraiment envie. Je commence à penser que toute vérité n'est pas bonne à connaître.
Vous plaisantez ! On n'a pas fait tout ce chemin pour rien ! Moi aussi je me sens concerné par ce que cet endroit pourrait me dire.
- Non... Non. Quelqu'un nous manipule, qui enquête sur une énigme métaphysique pour le simple plaisir de l'intellect. Mais nous, nous sommes des mortels de chair et de sang et nos crânes ne sont pas assez solides pour supporter toutes les révélations.
- Il a raison, Marie, intervint la Madeleine. Je vous ai attiré dans l'église au sujet de ces questions, mais je voulais avant tout chercher un abri. Mais je sens que cet endroit n'est ni un abri, ni un lieu de sage conseil.
- On était trois personnes formées aux forêts limbiques : comment on a pu se paumer à ce point ?, insista le novice.
- Personne ne possède la carte de soi-même.", conclut le prêtre.
La Sœur Marie-des-Eaux pencha la tête de côté. Le fil descendait dans une trappe ouverte vers la crypte. Une pesanteur des plus extrêmes s'imprima sur sa rétine.
Elle allait faire un pas en avant. Le Père Benoît la pris dans ses bras. Un instant, il devint ce qu'il était au fond de lui. Un ours bienveillant. Et le novice ne savait pas du tout quoi faire dans ces circonstances. Alors, il s'abandonna à l'étreinte, les yeux mouillés.
"Je ne sais pas tout de ce que t'a dit Euphrasie, mais j'en devine assez. Elle savait bien des choses. C'était une mémomancienne et une non-humaine. Elle t'a expliqué des choses sur le monde et sur toi-même que tu n'arrives pas à digérer. Mais si tu crois que tu iras mieux après être descendue là -dedans, tu te trompes. La connaissance n'est pas l'apaisement. Reste avec nous, Marie. J'ai... besoin de toi. Pour me débarasser de ma propre curiosité.
Il lui expliqua ce qu'il attendait d'elle et elle acquiesça.
Le prêtre s'assit sur un banc et la Madeleine s'assit derrière, pour le tenir par les épaules aussi fermement qu'il serait nécessaire. La Sœur Marie-des-Eaux le dévisagea ; il avait l'impression de découvrir une nouvelle personne. Il trempa son opinel dans l'eau du bénitier. Puis passa la lame au feu d'un briquet.
Pour contenir son effroit, la Madeleine ne se contenta pas de serrer les bras du prêtre, elle y enfonça ses ongles jusqu'aux muscles, et elle priait à voix haute :
"Notre Père, qui êtes si vieux,
As-tu vraiment fait de ton mieux ?
Car sur la Terre et dans les cieux,
Tes anges n'aiment pas devenir vieux..."
Le novice savait ce qu'il allait à faire et ne se déroba. Il planta l'opinel dans le bras. Alors que le prêtre boualait comme un cochon le soir de la fête du boudin, le novice entailla et entailla, retirant le carré de peau qu'on lui avait désigné.
De la plaie sanguinolente, trois mouches s'envolèrent.
"Merci..." fit le prĂŞtre Ă son bourreau.
C'est alors qu'un projectile enflammé éclata un vitrail !
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Pour cet Ă©pisode : 1777
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MILLEVOSGES
Les dés sont tellement cruels !
(temps de lecture : 6 minutes)
Joué / écrit le 12/10/2020
Le jeu principal utilisé : Inflorenza, héroïsme, martyre et décadence dans l’enfer forestier de Millevaux + Écheveuille, un jeu de rôle tout en un pour s’égarer dans l’infini des forêts de Millevaux en solitaire comme à plusieurs.
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, u roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
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Axel Rouvin, cc-by
Contenu sensible : infanticide
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34. L’Enfer
Plongée au cœur du Jugement Dernier ! (temps de lecture : 7 mn)
L'histoire :
De Mysterii Dom Sathanas, par Mayhem, un album séminal du black metal, brut, liturgique, un hymne à la mort à la fois glacial et martelé.
Il ne fallut que quelques secondes à l'église pour devenir un holocauste. La charpente s'enflamma d'un seul trait, les vitraux éclatèrent en choeur sous la chaleur et les déflagrations, et des flammes montèrent des bancs comme une forêt infernal.
"Il faut sortir de là !" Cette fois, c'est la Sœur Marie-des-Eaux qui essayait d'extirper ses camarades, malgré ses béquilles et son handicap. Son instinct de protection reprenait le dessus.
Il y avait encore l'opportunité de se réfugier sous la crypte, mais elle avait en tête les avertissements du Père Benoît, et donc elle poussa tout le monde vers une des portes latérales, pressentant que ce serait une erreur de passer par le grand portail. Le prêtre suivit, couvrant la Madeleine de sa soutane. C'était en fait celle qu'il fallait pousser le plus, elle montrait une sorte de réticence à survivre. La Sœur Marie-des-Eaux lui donnait des coups de béquilles aux airs de : "On a pas fait tout ça pour ça !"
BBBBRRVVVVVVVRRRRRRWWWWOUFFFHHH !
La fermière était dehors. Le novice avait suivi.
Et une poutre toute en braises s'était écroulée entre le prêtre et la sortie !
"Non !"
Marie voulut retourner à l'intérieur, mais cette fois, ce fut la Madeleine qui le retint.
"Non ! C'est trop tard ! On peut plus rien faire pour lui !"
Le novice a le visage maculé d'une cire incandescente. C'est la graisse du Père Benoît.
Et autour d'eux, le pandemonium s'était déchaîné.
Une colonne de chars et d'automobiles martèlent la grand'rue de leur poids. Surgis des taillis et des maisons qui sont devenues des ruines fumantes, des centaines de fantassins allemands, rien que dans l'horizon de l'oeil, aussi peut-être sont-il un millier répartis dans la ville, sinon plus.
Perdu au milieu de bourrasques de fumée, un gars leur fait signe de les suivre. Béret vissé sur la tête, grosses moustaches et un rouleau de ronces passé comme des barbelés sur son épaule.
"Faut pas rester lĂ ! Suivez-moi dans les caves !"
Mais c'est dur de faire confiance aux habitants de Xertigny. L'épisode de la Mémère Peutot est encore vif. Les deux rescapés sont totalement concentrés sur leur survie. Leurs yeux sont brûlants des larmes du Père Benoît disparu à l'instant, mais on gémira plus tard. Chacun doit à l'autre de sauver sa couenne. Il y a cet autochtone et sa proposition de cachette, mais il y a aussi les bois, à portée de sprint, avec peut-être l'espoir de s'échapper du purgatoire.
La Madeleine prend l'initiative. Elle saute du haut de la terrasse sur la grand'rue. La Sœur Marie-des-Eaux lâche ses béquilles et saute à son tour, la fermière la rattrappe. La Madeleine attrappe les bras du novice et le flanque sur son dos. Elle traverse la route aussi vite qu'elle peut, sous le feu des balles perdues.
Le couvert des bois, cette forĂŞt maudite qui a tout envahie, est accueilli comme le paradis. Elle court encore Ă travers les broussailles, entre les sapins, jusqu'Ă ce que le poids du novice la fasse chuter et rouler. Tous deux, ils se cognent contre les pierres et les troncs, ils rient, ils sanglotent.
La ville n'est plus qu'une lointaine rumeur de chaudron, des escarboucles annonçant l'orée. Ils étaient là , à embrasser les lèvres de la terre, simplement étonnés d'être encore en vie.
Diminution, par Leila Abdul-Rauf, un jazz de chambre lunaire, profond et unique pour des forêts hantées par des fantômes vides.
La Madeleine est posée sur un talus, elle se gratte les croûtes. C'est plus fort qu'elle. Elle n'a jamais connu d'autres façons de gérer l'angoisse.
"Du moment que j'ai été une Soubise, on ne m'a jamais permis de me soigner. Pas même d'aller voir un guérisseur. En fait, c'est simple, du moment que mon père a donné ma main, on ne m'a plus rien autorisé du tout. Vous m'avez arraché à ça et pourtant j'ai continué. Je m'autorisais pas à vous aimer."
La Sœur Marie-des-Eaux n'était pas douée pour la consolation, mais elle se demanda ce qu'aurait fait le Père Benoît à sa place. Alors elle s'allongea sur la fermière et la prit dans ses bras. Et ils s'endormirent à peu près comme ça, dans les flambées de la presque-nuit.
C'est à la suite de cette nuit que la notion de cycles solaires et lunaires devint caducque. Il fut dès lors impossible de se situer dans la journée. La forêt aux alentours de Xertigny était plus limbique encore qu'ailleurs. Les deux rescapés erraient, se soutenant l'un l'autre et s'aidant de branches.
La Sœur Marie-des-Eaux délirait. Elle cherchait Maurice.
Agathe fut la première personne qu'ils virent depuis la bataille.
C'était une communiante tout en blanc, elle souriait comme au jour du ravissement et portait un cierge allumé dans ses mains. La Madeleine et la Sœur Marie-des-Eaux se décidèrent à sortir de leur bosquet pour aller lui parler, il fallait bien se décider à demander son chemin après tout, et la fillette était à mille lieues de l'image qu'on peut se représenter du danger.
C'est alors qu'ils virent un renard émerger derrière lui, à ses trousses, de toute apparence ! La bête pouvait être enragée, il fallait réagir vite, et la Madeleine leva son bâton bien haut.
Le crâne du renard fit un bruit sec, celui d'une noix qu'on casse. La fermière n'avait pas voulu le tuer, mais la peur lui avait soutiré la mesure de ses forces.
Ce que les deux rescapés ne comprirent que bien plus tard, c'est que le renard voulait s'en prendre à des rats qui suivaient la petite.
Des rats pestiférés.
Ce fut le début d'une ère de survivalisme, à se nourrir de châtaignes, à dormir dans les fossés. Ils ne voulaient plus retourner au bourg. Ils évitaient les promeneurs dans la forêt, suivant juste de loin en loin ce que devenait Agathe.
Quand la fièvre s'empara d'elle.
Quand son cou se chargea de bubons.
Elle errait dans la forêt, dans un état second. C'est sa mère qui dut l'abattre, pour l'empêcher de contaminer des gens.
"Le lac, dont parlait la Frazie, ou crois-tu qu'il est ce lac oĂą je pourrais trouver la paix ?, demandait la Madeleine.
-J'en sais rien.
J'en sais rien.
J'en sais rien..."
Le tonnerre et les Ă©clairs du Jugement Dernier crevaient les frondaisons.
Ce fut par la mère d'Agathe, quand la Sœur Marie-des-Eaux se proposa pour donner les derniers sacrements, qu'ils apprirent que la peste noire était en Xertigny. C'était l'an de grâce 1642.
Le novice parlait souvent tout seul, ou plutĂ´t il parlait Ă Frazie. Il terminait toutes les conversations qu'ils n'avaient pas eu la chance d'avoir, et parfois il prenait Ă parti la Madeleine pour lui en confier les conclusions :
"Tu vois, les différentes origines des Vosges cohabitent dans un arbre temporel : comme il y a plusieurs futurs, il y a plusieurs passés, plusieurs causalités qui cohabitent et se ramifient toujours plus avant quand on recule dans le temps."
Ils étaient alors juchés sur le piémont, et la masse brumeuse du massif les surplombait.
"Il y a mille Vosges...", conclut la Madeleine.
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LE LAC
Quand pointe la lumière au bout du tunnel, on se prend à chérir l’obscurité.
(temps de lecture : 6 minutes)
Joué / écrit le 19/10/2020
Le jeu principal utilisé : Inflorenza, héroïsme, martyre et décadence dans l’enfer forestier de Millevaux + Écheveuille, un jeu de rôle tout en un pour s’égarer dans l’infini des forêts de Millevaux en solitaire comme à plusieurs.
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, u roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
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35.Millevosges
Les dés sont tellement cruels ! (temps de lecture : 6 mn)
L'histoire :
Hexerei im zwielicht der finsternis, par Aghast, une messe noire dark ambient aux accents de sorcellerie menée par la voix spectrale d'une incantatrice droite venue des forêts limbiques.
La Sœur Marie-des-Eaux tomba malade. On craint d'abord qu'elle ait contracté la peste à son tour, mais c'était autre chose, un de ces mille maux qu'on contracte dans la forêt, hors de la taxonomie des apothicaires et autres faiseurs de potions. En l'occurence, il souffrait d'une sorte de langueur qui lui consumait toutes ses forces.
La bête indomptable que la Madeleine avait connu s'effaça pour laisser place à un animal chétif, qui fondait en larmes. Alors que ses blessures physiques s'acheminaient vers la guérison, il continuait à se traîner sur une branche, ne se lavait plus, ne priait plus, et parlait de plus en plus dans le vague, à Euphrasie, à Champo, à son amant horla, à la Sœur Jacqueline, à la Madone à la Kalach, à Raymond son petit frère... tous les habitants de son passé dont l'existence semblait de plus en plus douteuse à mesure qu'il les ruminait.
La Madeleine, qu'il avait fallu pousser au cul jusqu'à présent, endossait maintenant à elle toute seule la recherche du lac et les soins au novice.
Le temps se distendait.
C'est au cœur d'une de ces nuits blanchâtres, quand la Madeleine traînait son fardeau de novice à la recherche d'un nouvel abri dans les bois, qu'ils virent Agathe.
La petite était en tenue de communiante, un cierge à la main, comme la première fois. Elle marchait sur les sentes, ses pieds ne faisaient aucun bruit dans les feuilles mortes, elle suivait le renard. La bête se retourna vers eux, du sang s'écoulait de son crâne. Agathe avait des yeux sans pupilles et un sourire d'eucharistie.
Au-dessus de leurs tĂŞtes, dans les branches et dans le ciel sans couleur, des cierges. Des centaines.
Le renard et la fillette avançaient, tout en les attendant.
La Madeleine siffla : "Ça y est, je sens qu'on est sur le bonne voie. Il faut qu'on les suive."
La Sœur Marie-des-Eaux s'affala sur un tronc : "C'est un piège... Il faut... rebrousser chemin... Retourner aux Voivres...
- Le désespoir vous fait dire n'importe quoi. On ne sait même pas quand retourner aux Voivres. Et je n'y retournerai pas de toute façon. Plus jamais je ne retournerai dans le giron des Soubise."
Les yeux du novice étaient injectés de sang noir.
"Alors nous n'avons plus aucune chance... Il n'y a personne pour nous aider ici. Le Vieux et les hommes sont partis. Il n'y a plus que les spectres.
- Il y a moi et vous qui êtes devenu à ma charge, et tant que j'aurai un souffle, je continuerai à chercher l'issue. Il est temps que je vous déleste de moi car je vous porte malheur, comme j'ai porté malheur à Benoît, à Hippolyte, et à mon autre enfant.
- Alors... Allez-y seule. Moi, je reste lĂ .
- Alors oui ! J'irai seule ! J'ai perdu foi en vous, Marie, j'ai perdu foi en l'humanité, alors je n'ai plus que ce chemin. Voilà , j'ai tout abandonné et je t'abandonne à ton tour. Mais je veux que tu continues à te battre. Ton identité vient de ton histoire, si tu veux choisir qui tu es, choisis ton histoire."
Le visage du novice avait la teinte des sentiments pourris. Il regarda à peine la fermière qui emboîtait le pas à la fillette et son renard sous la voûte étoilée des bougies en lévitation.
Il s'affaissa dans l'humus entre les racines, son cerveau s'agglutinait dans une purée de souvenirs. Sa tête hochait de gauche à droite, la bouche pleine d'écume. La vermine lui courait dessus.
"Et l'Homme... qui survivra Ă la chute...
Ă la chute
son esprit... chutera
à l'intérieur... de lui-même
de lui-mĂŞme
de lui mĂŞme
... Sa mémoire ....
... Babylone ....
Son esprit chutera
Babylone spirituelle....
s'effondrera... drera
oubliera....
tout ce qui lui Ă©tait cher
... l'odeur de l'amandier
... le rire de son enfant...
... et ses péchés...
Amen...
Au nom du Vieux...
JĂ©sus-Cuit tout bouillant...
Et l'Esprit Chou
Pour les siècles...
et les siècles...
et des siècles..."
Une silhouette se balançait au-dessus de lui. C'était enfin le Diable, il venait le chercher ! Ses vêtements et ses cheveux étaient roussis, sa peau portait des brûlures. Ses yeux parlaient de traumatisme.
Il lui tendit la main.
"Marie, enfin je vous retrouve !"
C'Ă©tait...
Le Père Benoît !
"Quand la poutre est tombée devant moi, je suis passé par la crypte, et elle communiquait avec les souterrains de Xertigny... J'ai débouché dans la forêt et depuis tout ce temps, je vous cherchais. Mais où est Madeleine ?
- Partie... par lĂ ..."
Le sang du prêtre ne fit qu'un tour. Sans lui demander son avis, il jeta le novice sur son dos, et il courut vers la piste encore fraîche.
C'est alors qu'ils aperçurent l'orée, et les miroitements sans fin d'une grande surface d'eau.
Ils y étaient donc arrivés.
Toute à la joie de retrouver la Madeleine, il se posait mille questions. Il se demandait quel chemin de vie elle emprunterait dans ce refuge, quelle vie elle se réinventerait après la maternité. Il se voyait même... lui proposer de rester auprès d'elle.
An Eternity of Solitude, par Sorrow Plagues, du black metal dépressif et shoegaze, avec un piano cristallin et un chant black éthéré et lointain, un souffle atmosphérique et forestier.
Mais quand ils arrivèrent sur la berge, il stoppa net dans son élan.
L'étendue bruissait d'un souffle calme. Des troncs glissaient à sa surface. Des lanières de branches et de feuilles s'accumulaient sur la rive.
Deux personnes sur la berge. Léonie, la mère d'Agathe, l'air grave, le vent dans les cheveux, son fusil sur l'épaule.
Et l'homme aux ronces, un air de témoin peint sur le visage.
Agathe et le renard Ă©taient sur une barque, en direction d'un tourbillon.
"Madeleine ? Où est Madeleine ?" demanda le Père Benoît.
"Elle est partie.", répondit Léonie.
"Où ça ? Où ça ?"
LĂ©onie pointa les rides de l'eau.
Le Père Benoît s'enfonça à pleine soutane dans le bord turbide du lac. Il voulait la rejoindre.
La Sœur Marie-des-Eaux se laissa tomber sur un rocher crépi de mousse. Quelque chose tout au fond de lui criait qu'il fallait empêcher le prêtre de couler, mais son corps refusait de l'écouter.
Benoît en était à mi-poitrine. Il fouillait parmi les algues.
"Madeleine ! Madeleine !"
La barque d'Agathe avait disparu dans le tourbillon, sans que ça émeuve sa mère. Cela faisait partie du cycle.
Le prêtre continuait son avancée, son col prenait l'eau, et pour autant une force mentale le retenait en arrière ; tiraillé entre Marie et Madeleine.
Les doigts du novice tremblèrent. Les genoux agités de soubresauts. La mâchoire serrée. Se lever, tendre vers, retenir. Des ordres profonds que son âme cherchait à faire parvenir à ses membres. Être là , dans ce lieu-vortex où tout s'explique et se conclut. Et ne rien pouvoir faire.
Moins qu'un animal. Sans voix et sans volonté.
Le desespoir pour dernière palette émotionnelle.
La pourriture de toute empathie.
Qu'il aille au Diable...
Le Père Benoit avait la tête sous l'eau. Il cherchait la Madeleine des yeux, à travers la chevelure du maquis sous-marin, il l'appelait, des bulles, il boit la tasse.
Sur la berge, une carcasse se traîne, coude après coude, mètre après mètre, elle appelle sans sortir de son.
Il croit voir quelque chose, des étoiles éclatent à la périphérie de son regard, il se sent léger, la douleur des brûlures a disparu. Du bruit s'étale au-dessus de lui.
"Aidez-moooooi nooom de Vieux !"
Et une demi-douzaine de tentacules, ou de branches, s'emparent de lui et le tirent, il se débat pour se soustraire à ce horla, mais la chose est plus forte que lui et le remonte hors de l'eau !
Il reconnaît Léonie et l'homme aux ronces, les manches trempées.
Et la SĹ“ur Marie-des-Eaux, qui crache ses poumons :
"Imbécile..."
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LES ABYSSES
Trouver la sortie du purgatoire est au prix de cette visite !
(temps de lecture : 9 mn)
Joué / écrit le 02/11/2020
Le jeu principal utilisé : Inflorenza, héroïsme, martyre et décadence dans l’enfer forestier de Millevaux + Écheveuille, un jeu de rôle tout en un pour s’égarer dans l’infini des forêts de Millevaux en solitaire comme à plusieurs.
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
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36. Le lac
Quand pointe la lumière au bout du tunnel, on se prend à chérir l’obscurité. (temps de lecture : 6 mn)
L'histoire :
Selected Organ Works, par øjeRum, un orgue soliloque pour une ambiance de recueillement, de solitude et de pluie.
Des pétoches allaient de leur dernière fumée alors que s'achevait la messe que le Père Benoît avait tenu à dire en l'honneur de la Madeleine. Il se tenait au bord du lac, les yeux rougis, les dents serrées.
Toutes les conjectures étaient possibles quant à l'avenir de la fermière, y compris les pires.
Mais la présence muette de Léonie et de l'homme aux ronces, Boniface Sartory comme il se présenta, les aida à envisager le meilleur, ou du moins à accepter l'inéluctable.
"Les ronces ont une forme de science. Voilà pourquoi je les façonne.", expliquait Boniface sur le palier de sa bicoque. Les flots du lac ponctuaient sa voix.
Avec ses mains écorchées, il arrangea une sphère avec ses ronces. On eut dit la sphère armillaire d'un autre monde. "La vérité passe par le mal", dit-il en montrant le sang qui perlait à ses doigts.
"La question, c'est comment sortir ?", demanda la Sœur Marie-des-Eaux en plongeant, comme à défi, sa main dans le labyrinthe de ronces, puis fouillant le sable au-dessous.
"La réponse, vous l'avez au creux de votre poing."
"Les souterrains.", conclut la SĹ“ur Marie-des-Eaux.
Le Père Benoît restait sidéré, assis en face des eaux.
"Vous lui avez dit adieu.", commenta la Sœur Marie-des-Eaux. "Et moi, j'ai connu le choc nécessaire pour entamer la guérison. Il est temps que nous partons."
"Ce qu'il y avait de la crypte...", murmure le prĂŞtre.
"Vous feriez mieux de garder ça pour vous", intima le novice.
Il n'Ă©tait plus avec eux sur les rives. Il Ă©tait de retour sous l'Ă©glise, en pleine revoyotte.
LĂ oĂą conduisait la pelote de laine, sous la fournaise, lĂ oĂą le pressaient les mouches.
Dans le tombeau, le cadavre qui pourrissait, mais dont on voyait encore la barbe.
"C'est bien ce que nous pensions.", bourdonnèrent les mouches.
"Le Vieux est mort. Depuis longtemps."
"Vous mentez !", protesta le Père Benoît
"Crois ce que tu veux, nous avons nos conclusions. Tu t'es débarassé de nous, mais nous n'avons plus besoin de toi. Nous avons vu ce que nous voulions voir."
"Mais comment est-il mort ?"
"Je pencherais pour un suicide."
"Une Ă©vasion vers un autre monde."
"Et maintenant, autre chose a pris sa place."
"Je sens sa présence..."
"Sous terre..."
"Taisez-vous ! Taisez-vous !"
"Tu peux continuer à te voiler la face si tu veux, Benoît. L'évêque a pris sa place et a manipulé ta mémoire pour que tu te croies un simple exorciste. Tu as dû subir les entraînements dans les forêts limbiques, et les faire subir, et former d'autres, comme la Soeur Jacqueline, pour qu'elles en entraînent d'autres, de gré ou de force, comme la Sœur Marie-des-Eaux qui n'avait rien demandé. Et ton propre frère est mort durant un de ces entraînements. Tu peux continuer ton sacerdoce ad vitam si tu veux, mais sache que tu vis la vie d'un autre. Te raconter des belles histoires n'en changera rien. Et fermer les yeux sur ce que tu viens de voir dans la crypte ne fera revenir personne d'entre les morts."
Il voulait oublier tout ça, mais ça le secouait trop, ça le secouait très fort.
C'Ă©tait le novice, il l'avait pris par les Ă©paules, et l'avait extrait de sa rĂŞverie.
Boniface leur montrait le chemin.
"Vous avez raison. Il est temps de revenir parmi les vivants."
Et c'est sous le souffle du vent dans les feuilles qu'ils refirent le chemin en sens inverse vers Xertigny, traversant le temps à mesure qu'ils allaient de bosquet en essart, de friche en orée.
Ils arrivèrent de nuit et les lumières réparties entre les bâtisses leur firent comprendre que les allemands étaient toujours là et montaient la garde. Mais les ronces guidaient Boniface et ils passèrent exactement dans les trouées d'ombre que les regards des vigiles ne couvraient pas, jusqu'à ramper aux abords du château des Brasseurs.
Il y avait des lumières aux fenêtres, on supposât quelque soldat en faction. Heureusement, il y avait une entrée de cave en extérieur, et le novice en fit sauter le cadenas à l'opinel.
"Je vous laisse lĂ , fit Boniface. C'est ici que je suis mort, c'est ici que je vis.
- Adieu."
Never Forever, par Monarch, du drone-sludgecore assagi, toujours aussi pesant dans les instrus mais marqué par un chant féminin tour à tour éthéré et désespéré, une incantation de sorcellerie qui éventre la nuit.
Une torche improvisée leur révéla l'intérieur des lieux. Des endives blafardes, des pommes de terre germées, des bouteilles carossées de poussière. Partout des lianes sans couleur pendaient du plafond bas, et des colonies de moisissures blanches avaient investi les parois. Un escalier remontait et une mince ouverture communiquait vers d'autres réseaux souterrains. Ils marquèrent un temps. Ils partageaient le sentiment qu'il n'y aurait peut-être pas de retour en arrière possible.
Mais il fallait tenter.
Le Père Benoît les bénit tous les deux, machinalement, puis ils contournèrent l'escalier et s'engagèrent dans l'arrière-salle.
L'impression d'ĂŞtre accueilli dans le souffle mĂŞme de la bĂŞte.
Leurs pieds s'entortillaient dans des vermicelles végétales. Les murs étaient glacés et visqueux au toucher. Tout un chaos de briques et de tessons témoignaient des précédents usages de ces caves. Des voûtes ramollies par le temps semblaient soutenir avec peine le poids du monde.
Leur instinct leur disait que la sortie était dans les niveaux inférieurs. Le seul accès, c'était un puits avec de simple barreaux de fer corrodé pour descendre. Le Père Benoît retint son souffle, puis expira bruyamment. Rien de leurs entraînement conjoints ne les avait préparés à ça. Enfin, il se résout à s'engouffrer dans les tréfonds.
Il eut été imprudent de descendre à deux en même temps sur ces barreaux à bout de force. La Sœur Marie-des-Eaux eut l'impression d'attendre une éternité.
"C'est bon, vous pouvez y aller."
Ils échouèrent dans un couloir glissant, sujet à la maladie de la pierre. Les deux issues étaient condamnés. Le Père Benoît parvint à desceller des moellons d'un coup d'épaule.
À présent, ils étaient dans les catacombes. Leurs semelles laissaient des bruits secs à mesure qu'ils piétinaient des ossements. Le Père Benoît se signait sans arrêt, sa torche dévoilant des dizaines de crânes entassés dans des alcôves, sur lesquels les champignons et les lichens avaient poussé. La forêt avait colonisé jusqu'à cet endroit, des racines tapissaient les murs et le plafond, flottaient au gré des courants d'air.
La lumière passa sur un croisement.
Au fond de l'autre couloir.
Un homme.
C'était un soldat du Reich. Il se traîna jusqu'à eux. Sous son casque rouillé, son visage était blanc, un suaire. Il n'avait pas d'éclairage, mais ça n'avait pas eu l'air de le gêner. Il tâtonnait et regardait partout, comme s'il cherchait quelque chose.
Il s'adressa Ă eux : "Meine Hand..."
Son bras s'Ă©leva. Un moignon sanglant le terminait.
Il les regarda de ses yeux creusés : "Diebe ! Voleurs !"
Et son autre main se serre sur son pistolet Luger.
La survenue de cet ennemi était peut-être ce qui manquait au novice pour réactiver ses réflexes de guerre. Déjà il brandissait son opinel au-dessus de sa tête, prêt à le lancer. Son visage était encore marqué des brûlures de graisse, il était en mode sauveur.
Le Père Benoît ne voulait pas perdre une ouaille de plus. "Cours !", boualla-t-il en tirant la manche de son compagnon. Il tirait d'autant plus fort qu'au fond de lui, il était certain que ce fantôme n'était qu'une entracte, des entités bien plus terrible les attendaient en bas !
L'opinel se planta dans le casque du soldat et la balle siffla juste au-dessus de leurs tĂŞtes.
"Jésus cuit tout bouillant !", jura la Sœur Marie-des-Eaux. Il pouvait pas abandonner son couteau. De rage, il balança un crâne à la figure du mort-vivant, puis courut dans sa direction. Il lui arracha le Luger des mains, puis lui éclata la gueule à coups de casque.
"On se calme ! On se calme ! On se calme !" Les exhortations du Père Benoît n'y firent rien. La Sœur Marie-des-Eaux avait retrouvé sa hargne d'enfant-soldat. Toutes les violences de l'entraînement de la Madone à la Kalach et de la Sœur Jacqueline lui revenaient, et le fantassin revenant ne faisait pas le poids face à ça.
D'abord le prêtre tenta de le relever, de le stopper, mais bientôt l'énergie lui manquat ; il se sentait tout mou et avait des étoiles plein les yeux. Enfin, le novice se remit debout. Il avait récupéré son opinel et l'entraîna plus loin dans les corridors ; le Père Benoît croyait nager en plein cauchemar.
S/T par Monoliths, un drone doom sans parole massive et vénéneux pour rituels cosmiques à des majestés chtoniennes.
Ainsi, c'était à cela que ressemblaient les abysses. Des hypogées tapis sous des couches et des couches d'escaliers et de tunnels descendant. Des masses de vide qui ne furent pas construites de main d'homme. Des étendues glaiseuses vierges de vie, le domaine des scolopendres géants, aveugles et transparents, là où des rats blancs et presque sans pattes grignotent la mousse sur les tombeaux de races immémoriales, là -dessous, en-deçà du temps et du monde.
Il y avait bien un passage qui semblait conduire vers ailleurs, avec un courant d'air supposant une sortie. Mais l'entrée étaient garnies de racines qui vibraient littéralement. Elles semblaient percevoir le poids des pas des visiteurs et s'animaient à leurs approches. Des succoirs terminaient chacune d'elle.
"Elles ont l'air carnivores. Il faut pas se risquer lĂ ."
"Alors la seule issue qui nous reste, c'est plus profond encore."
À cette idée, même la Sœur Marie-des-Eaux, pourtant imperméable à bien des émotions, dont la peur, déglutit avec force.
Dans la galerie, c'était les racines carnivores. A remonter, c'était le purgatoire et ses dangers. Il ne restait en effet plus que ce boyau qui s'acheminait vers les tréfonds, garni de pierres formant escalier, possiblement déposée ici à dessein par quelques créatures d'une époque abolie.
Alors qu'ils descendaient, s'accroissait la sensation d'avoir toute la masse de la planète sur leur nuque.
À leur grande surprise, la caverne où ils débouchèrent était encore plus chargée de vie que les étages supérieurs. Des colonnes de mycoses servaient de support à des araignées et des polypes, tous d'une pâleur mortelle. Leurs visages se prenaient dans des toiles collantes, comme les pièges à glu que le Nôno Elie mettait dans les arbres pour capturer des oiseaux. Leurs pieds foulaient un limon où des poissons plats se cachaient.
C'est alors qu'ils remarquèrent SA présence.
D'abord, ce fut juste l'odeur, plus forte qu'ailleurs, un remugle qui semblait trop fort pour être diffus. Ce relent de fond des âges, berceau de la pourriture de générations et de générations, ils l'associèrent bientôt à une chose d'un seul tenant, plutôt qu'à une propriété d'un seul tenant.
Et quand ils avancèrent vers ce qui semblait une vaste cavité, ils comprirent qu'ils n'avaient pas affaire à un creux, mais à un plein.
Ils Ă©taient au pied de QUELQUE CHOSE.
Et là , la Sœur Marie-des-Eaux commit l'erreur qu'ils regrettèrent aussitôt.
Il braqua sa torche vers ces ténèbres.
Ce fut fugace, parce qu'aussitôt après, ils avaient tourné les talons et ne regardaient plus, mais ce fut déjà trop.
Des bouches, ou Ă tout le moins des ouvertures munies de sphuncters et de dents.
Des yeux, ou Ă tout le moins des surfaces vitreuses qui Ă©pient.
Des membres, ou Ă tout le moins un ensemble de palpes, de sabots et de mandibules qui se meuvent.
Et le cri.
Un vagissement, ou plutôt une trainée sonore sans début ni fin, une abomination acoustique, qui, malgré toutes les maladies d'oubli dont chacun souffre, n'aurait jamais la clémence de se retirer de leur mémoire.
Lexique :
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L'IMPOSSIBILITÉ DE CROIRE
Quand le passé comme le présent deviennent insoutenables, que reste-t-il comme refuge ? Le périple de retour vers Les Voivres, maintenant joué / écrit avec Bois-Saule !
(temps de lecture : 5 mn)
Joué / écrit le 09/11/2020
Le jeu principal utilisé : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, u roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)
Philatz, cc-by-nc, sur flickr
Contenu sensible : violence sur enfant
Passage précédent :
37. Les Abysses
Trouver la sortie du purgatoire est au prix de cette visite ! (temps de lecture : 9 mn)
L'histoire :
Ausserwelt, par Year of No Light, départ pour l'île des morts à bord d'un post-hardcore sans parole.
Ainsi donc, ce serait ça le seul Vieux le Père, la seule entité créatrice encore en vie ?
Non, ce n'est pas possible, ce n'est pas possible, ce n'est pas possible, se répétait le Père Benoît en boucle. La chose qui nous a créé ne peut pas être une folcoche qui dévore ses petits. La chose qui nous poursuit et nous gueule dessus comme la clameur du Jugement Dernier ne peut pas être celle qui est à l'origine de la genèse. Au diable ce que toutes mes fibres me clament comme vraies, informées par la sainte terreur, je refuse d'y croire, je refuse d'y croire ! Je cours à perdre haleine parce que c'est tout ce que mon corps a l'idée de faire, mais en moi, je ne me sens pas en danger. Car je refuse l'existence de ce qui serait la négation totale de mes idéaux.
"Courez plus vite, vingts rats !", l'exhortait la SĹ“ur Marie-des-Eaux.
Il était impossible de savoir si la présence les avait suivis car ils ne s'étaient tout bonnement pas retournés. Jeter ne serait-ce qu'un coup d'œil supplémentaire à cette aberration aurait soldé ce qui leur restait de bon sens.
Alors, ils se résolurent à l'option qu'ils avaient d'abord écartés : ils se précipitèrent dans le tunnel aux racines carnivores.
"Allez, on y va, au pire on en sera quitte pour des égratignures.", souligna le prêtre dans sa précipitation.
Ils se ruèrent dans l'intestin de terre. Toutes ces villosités ligneuses qui y grouillaient se tendirent dans leur direction. Le novice découpait ça à l'opinel avec une telle ardeur ; il n'aurait pas fait meilleur travail à la machette. Mais ça ne suffit pas. Le Père Benoît sentit une ventouse se déposer sur son abdomen, déchirer sa soutane, puis une chaleur intense accompagnée d'une douleur blanche, et la sensation que des langues fouaillaient dans sa graisse.
"Aide-moi !"
Il le revit. Étienne. Son petit-frère. Il le reconnut d'emblée tel quel, parce que le séminariste était son portrait craché en plus jeune et plus maigre.
C'était sa première journée de formation dans les forêts limbiques. C'était censé être un simple tour de chauffe. Le Père Benoît avait localisé un enfant dans les sous-bois, et avait confié à Étienne la tâche d'entrer en contact.
Cela lui revenait maintenant, au fer rouge :
Étienne avait mis un genou à terre devant le bambin. Il portait sa bible contre son cœur. "Bonjour, petit être. Es-tu un enfant ou un horla."
Et il lui avait répondu : "Je ne suis pas un horla parce que je ne suis pas un horla parce que je ne suis pas un horla parce que je ne suis pas un horla parce que je ne suis pas un horla."
À ce moment, le Père Benoît ne sut plus s'il était encore spectateur de sa propre revoyotte ou s'il s'y retrouvait transplanté en chair et en os. Toujours est-il que par réflexe, il braqua le faisceau de sa lampe à pétrole sur le visage de l'enfant.
Ce n'Ă©tait pas tout Ă fait un visage.
Et ce qui lui servait de face sauta à la poitrine de son petit-frère !
D'abord comme englué dans le souvenir, l'exorciste s'arracha à la gravité et partit dans une de ces accélarations brutales dont il avait le secret, malgré son surpoids.
Courir vers eux ! S'interposer !
La bible avait protégé Étienne juste assez longtemps pour que son grand-frère intervienne. Ce dernier emporta la créature dans son élan et ils percutèrent tous les deux un bouleau noir strié de blanc, inversé, comme souvent le sont les couleurs dans les forêts limbiques. L'être se redressa, mais déjà le Père Benoît lui aspergeait la gueule d'eau bénite, et son visage se mit à fondre, d'abord effervescent, puis couvert de grosses bulles comme un potage dans une marmite, et puis enfin l'enfant resta à genoux dans les feuilles mortes, alors que des flots de sanie s'écoulaient de sa tête là où avant se trouvaient des yeux, des dents et des joues.
Étienne se jeta dans les bras de son grand-frère :
"Tu m'as sauvé !
- Hélas, si vraiment ça avait été le cas. Dans la vraie vie, je n'ai pas été assez rapide.
- Mais je ne t'en veux pas. Je te pardonne."
Il avait ce sourire de premier communiant ; Benoît sentit, malgré qu'il n'ait aucune autre mémoire de son petit frère, que ce sourire-là l'avait toujours désarmé.
"Me... Me... Merci..."
Et des mains aussi osseuses que brutales l'arrachèrent à son petit-frère, cette fois pour de bon.
C'était encore la Sœur Marie-des-Eaux qui l'avait tiré du tunnel de racines.
"C'est encore moi qui dois faire tout le boulot !"
Basement Apes Vol.1, par Sunwatchers, la circularité psyché-jazz, la transe chamanique, le non-lieu cosmique
Ils étaient comme dans un crépuscule terne, aggloméré sur un tertre bocager qui leur rappela Les Granges Richard, mais sans barricades ou pièces d'artillerie. À travers les rares trouées dans les frondaisons, coulait un vol de corneilles. On n'en avait pas vu au purgatoire.
Peut-ĂŞtre enfin Ă©taient-ils sortis.
Le Père Benoît s'allongea sur un tapis de brophytes. C'était doux, mais humide comme une éponge, et il s'en fichait. Son souffle, d'abord saccadé, se tamisait peu à peu. Il crevait de soif et il têta les mousses pour l'étancher. Peut-être enfin étaient-ils sortis. Revenus parmi les vivants.
Ou au minimum dans un vivable entre-deux.
C'était la deuxième journée de leur périple de retour. Ils grimpaient le long d'une basse montagne, peut-être Haudompré d'après leurs souvenirs des descriptions géographiques faites par l'Euphrasie et la Madeleine. En tirant sur les branches pour hisser le poids de son corps, le novice se fit la réflexion que ses poignets et ses mains étaient rendus aussi maigres que du petit bois. Au matin, il n'avait pu avaler que quelques baies, et avait décrété que ça lui avait suffi.
Le Père Benoît était à la traîne, hors de vue.
"Les horlas n'existent pas. Pas ailleurs que dans nos tĂŞtes, en tout cas."
"Qui a parlé ?", demanda le novice.
Il tourna la tĂŞte.
La Sœur Jacqueline était à ses côtés. Si tangible qu'on sentait l'odeur de frichti qui l'environnait habituellement.
Lexique :
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Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet Ă©pisode : 1160
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